Report / Africa 4 minutes

Côte d’Ivoire : faut-il se résoudre à la guerre ?

La Côte d’Ivoire est au bord d’une nouvelle guerre civile. La tragédie ne peut être évitée que si l’Afrique et plus largement la communauté internationale soutiennent fermement le président élu Alassane Ouattara et si ce dernier prend l’initiative de proposer un accord de réconciliation et un gouvernement d’union nationale.

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Executive Summary

La Côte d’Ivoire est au bord d’une nouvelle guerre civile opposant les forces fidèles au président sortant Laurent Gbagbo qui refuse de reconnaître sa défaite électorale lors du scrutin du 28 novembre 2010 et les combattants de l’ex-rébellion des Forces nouvelles (FN) qui soutiennent désormais le vainqueur de l’élection, Alassane Ouattara. Ce scrutin devait mettre fin à huit années de crise, mais Gbagbo a perpétré un coup d’Etat constitutionnel accompagné d’une campagne de violences pour s’accrocher au pouvoir. La situation ainsi créée est une menace grave pour la paix, la sécurité et la stabilité dans toute l’Afrique de l’Ouest. Le soutien dont Gbagbo bénéficie auprès d’une partie de la population soumise à une effrayante propagande ultranationaliste et le chantage au chaos auquel s’adonne une minorité agissante et organisée ne doivent pas influencer la communauté africaine. Alors que l’Afrique doit agir de manière décisive, y compris pour défendre fermement le principe des élections démocratiques, des pays importants du continent adoptent des positions qui favorisent une dangereuse désunion. Toute proposition qui maintiendrait Gbagbo à la présidence, même de manière temporaire, serait une erreur. Son départ est nécessaire pour éviter la reprise de la guerre.

Le scrutin de novembre dernier devait être le point culminant d’un laborieux processus de paix, entamé après la rébellion de septembre 2002 et sanctionné par de nombreux accords, le dernier en date étant l’Accord politique de Ouagadougou (APO) signé en mars 2007. Gbagbo, comme tous les autres candidats, est allé à l’élection sur la base d’une série de compromis sur les conditions d’organisation et de sécurisation du scrutin présidentiel.

La victoire de Ouattara au second tour est incontestable. Le candidat du Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) a distancé de plus de 350 000 voix celui de La majorité présidentielle (LMP) au terme d’une élection crédible qui a fait l’objet d’une certification des Nations unies prévue par un accord signé par Gbagbo lui-même en 2005 et confirmée par plusieurs résolutions du Conseil de sécurité. Pour inverser le résultat issu des urnes, le Conseil constitutionnel entièrement contrôlé par le camp Gbagbo a argué de violences et de fraudes généralisées largement imaginaires dans sept départements du Nord et du Centre, où le président sortant avait obtenu moins de 10 pour cent des voix au premier tour. Il a ainsi annulé plus de 660 000 suffrages au second tour, ce qu’il fallait pour faire passer le score de Gbagbo de 45,9 pour cent à 51,4 pour cent des voix.

Pour se maintenir au pouvoir, le régime a accompagné cette grossière instrumentalisation des institutions d’une stratégie de terreur visant à étouffer dans le sang toute contestation de la coalition soutenant Ouattara. Le bilan humain dépasse déjà les 300 morts selon le décompte non exhaustif de l’ONU, des dizaines de viols et un nombre indéterminé de personnes enlevées par des forces de sécurité et portées disparues.

L’opération de confiscation du pouvoir par Gbagbo était préméditée. Il a instauré un couvre-feu dès la veille du second tour, décision préfigurant le verrouillage sécuritaire de la ville d’Abidjan où se trouve le centre du pouvoir, a fait rappeler sans raison avant la fin du vote 1 500 soldats gouvernementaux qu’il avait déployés par décret dans le Nord et le Centre pour la sécurisation du scrutin, et ses alliés ont tout fait pour paralyser les travaux de la Commission électorale indépendante (CEI). Ayant fait campagne sur le thème de « on gagne ou on gagne », le noyau dur autour de Gbagbo n’avait nullement l’intention de céder le pouvoir quel que fût le choix des électeurs. Animé par une sorte de mysticisme politique où se mélangent discours nationaliste, virilité et religiosité, Gbagbo compte essentiellement sur le chantage et les violences ciblées sur les civils présumés favorables à Ouattara pour rester président, même si son autorité n’a aucune chance de dépasser les frontières du tiers sud du pays.

La communauté internationale doit réaliser que le président illégitime est prêt à aller jusqu’au bout, quitte à plonger la Côte d’Ivoire dans l’anarchie et le désastre économique. S’il réussit, il emportera avec lui tous les espoirs de relations de bon voisinage, de stabilité et de progrès économique en Afrique de l’Ouest. L’enjeu n’est plus seulement le respect de la volonté exprimée par les électeurs ivoiriens mais la sécurité et le bien-être de plusieurs dizaines de millions d’habitants de l’Afrique de l’Ouest ainsi que la sauvegarde du principe même d’un transfert du pouvoir de manière pacifique et démocratique sur un continent où onze élections sont prévues en 2011. Ni l’obsession du pouvoir de Gbagbo, ni l’ambition présidentielle de Ouattara ne peuvent justifier un tel coût. Mais tandis que l’un a pris une décision qu’il a assortie d’une campagne de terreur et dont il savait qu’elle allait ramener le pays au bord de la guerre civile, l’autre a gagné une élection en s’appuyant sur une coalition à l’assise politique et sociale plus représentative de la diversité du pays.

Le panel de cinq chefs d’Etats de l’Union africaine (UA), représentant chacun une des régions du continent, recherche une issue pacifique à la crise mais est traversé par d’inquiétants désaccords. L’UA, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’ONU ont toutes reconnu en Ouattara le président élu et demandé à Gbagbo de partir. L’Afrique du Sud, soutenue par l’Angola, a avancé des propositions de partage du pouvoir qui sont dangereuses et vont à l’encontre du consensus africain initial. Leurs prises de position sur une crise dont ils ne maîtrisent pas la complexité sont en train de compromettre leur crédibilité sur la scène continentale et au-delà, et fragilisent les relations de confiance entre la CEDEAO et l’UA. Gbagbo est sans conteste le seul architecte de la situation désespérée dans laquelle se trouve la Côte d’Ivoire. Ce constat, ainsi que la nécessité de permettre à Ouattara d’exercer le pouvoir, sont les deux points de départ de la recherche de toute stratégie de sortie de crise et de sa mise en œuvre.

Le scénario le plus probable dans les prochains mois est celui d’un conflit armé qui s’accompagnera de violences massives sur les populations civiles ivoiriennes et étrangères, et qui risque de provoquer l’intervention militaire unilatérale de pays voisins, à commencer par le Burkina Faso. C’est le territoire de la CEDEAO, et non celui de l’Afrique australe, qui est gravement menacé. C’est à l’organisation régionale de récupérer la responsabilité de la gestion politique et militaire de la crise, avec le soutien clair de l’UA et des Nations unies. Ouattara doit prendre l’initiative d’un dialogue entre le RHDP et LMP, à l’ex­clusion de Gbagbo, dans l’objectif de conclure un accord de réconciliation et de former un gouvernement d’union nationale qu’il dirigera en tant que président démocratiquement élu.

Executive Summary

Côte d’Ivoire is on the verge of a new civil war between the army loyal to the defiant Laurent Gbagbo, who refuses to acknowledge he lost the November 2010 presidential election, and the “Forces nouvelles” (FN), the ex-insurgency now supporting the winner, Alassane Ouattara. The vote should have ended eight years of crisis, but Gbagbo, staged a constitutional coup and resorted to violence to keep power. The result is a serious threat to peace, security and stability in all West Africa. The African community should not be influenced by the support that Gbagbo enjoys from a part of the population that has been frightened by the ultra-nationalist propaganda and threats of chaos of a militant minority. It must act decisively, not least to defend the principle of democratic elections, but key countries show signs of dangerous disunity. Any proposal to endorse Gbagbo’s presidency, even temporarily, would be a mistake. His departure is needed to halt a return to war.

The November election was intended as the culmination of a painstaking peace process that began after the September 2002 rebellion and was endorsed by many agreements, the latest being the Ouagadougou Political Agree­ment (OPA) of March 2007. Gbagbo, like all other candidates, took part in the election on the basis of a series of compromises reached on all aspects of organisation and security.

There is no doubt Ouattara won the run-off. The candidate of the Union of Houphouetists for Democracy and Peace (Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix, RHDP) had a greater than 350,000-vote margin over Gbagbo’s The Presidential Majority (La majorité présidentielle, LMP) in a credible election certified by the UN, as provided for in the agreement Gbagbo himself signed in 2005 and that several UN Security Council resolutions confirmed. In an attempt to reverse the result, however, the Constitutional Council – the country’s highest court but entirely controlled by the Gbagbo camp – claimed to have discovered widespread violence and fraud – largely imaginary – in seven departments of the northern and central regions where Gbagbo had received less than 10 per cent of the votes in the first round. It thus cancelled more than 660,000 second-round votes, enough to raise his total from 45.5 per cent to 51.4 per cent.

To secure its hold on power, the regime has accompanied brazen manipulation of state institutions with a strategy of terror designed to brutally stifle any challenge from the coalition supporting Ouattara. According to the UN, the human toll already exceeds 300 dead, in addition to dozens of rapes and an unknown number of abductions and disappearances by security forces.

Gbagbo’s power grab was clearly premeditated. He declared a curfew on the eve of the run-off, a forerunner of the lockdown on Abidjan, the centre of power; recalled from the northern and central regions for no reason before the voting ended 1,500 soldiers whom he had deployed by decree to maintain electoral security; and obstructed the work of the independent electoral commission (Commission électorale indépendante, CEI). Having campaigned on the slogan “we win or we win”, he and his inner circle had no intention of relinquishing the presidency, regardless of the vote count. Driven by a political mysticism that blends nationalist discourse, virility and religiosity, Gbagbo is relying primarily on blackmail and targeted violence against civilians perceived as Ouattara supporters to remain president, even if his authority is unlikely to extend beyond the country’s southern third.

The international community needs to realise that the illegitimate president is prepared to fight to the end, even if it means throwing Côte d’Ivoire into anarchy and economic disaster. If he succeeds, he will take with him all hope of good neighbourly relations, stability and economic progress in West Africa. Apart from the need to respect the will of Ivorians, the stakes include the security and well being of millions in the region and whether peaceful, democratic transfer of power is to be safeguarded on a continent where eleven elections are scheduled in 2011. Neither Gbagbo’s obsession with power nor Ouattara’s presidential ambition can justify the potential costs. But while the one made a decision that was accompanied by a campaign of terror he knew would bring his country to the brink of civil war, the other won a fair election with the support of a political and social coalition that is more representative of the country’s diversity.

The African Union (AU) panel of five heads of state – representing each region of the continent – seeks a peaceful solution to the crisis but is in dangerous disagreement. The AU, the Economic Community of West African States (ECOWAS) and the UN have all recognised Ouattara as president-elect and asked Gbagbo to leave. South Africa, supported by Angola, however, has put forward power-sharing proposals that are dangerous because they contradict the original African consensus. Their positions on a crisis whose complexity they appear not to have fully grasped are compromising their credibility on the continent and beyond and undermining trust between ECOWAS and the AU. Gbagbo is the undisputed sole architect of Côte d’Ivoire’s desperate situation. That and the need to achieve the installation of Ouattara must be the fundamental starting points of the search for a successful strategy and implementing tactics.

The most likely scenario in the coming months is armed conflict involving massive violence against civilians, Ivorian and foreign alike, that could provoke unilateral military intervention by neighbours, starting with Burkina Faso. It is ECOWAS territory, not southern Africa, that faces a serious threat. The regional organisation must reclaim the responsibility for political and military management of the crisis, with unequivocal AU and UN support. Meanwhile, Ouattara should take the initiative to launch a dialogue between RHDP and LMP (but without the irreconcilable Gbagbo), with a view to achieving a reconciliation agreement and a transitional unity government that he would head as the democratically elected president.

Dakar/Brussels, 3 March 2011

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