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Au-delà des luttes de pouvoir:que faire face au coup d’Etat et à la transition en Guinée-Bissau

Les acteurs internationaux doivent s’engager à adopter une stratégie commune pour aider la Guinée-Bissau, victime d’un coup d’Etat, à réformer son système électoral et sa sphère judiciaire ainsi que le secteur de la sécurité, actions indispensables pour permettre au pays de ne plus être un maillon du trafic de drogue vers l’Europe.

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Synthèse

La Guinée-Bissau a renoué avec l’instabilité le 12 avril 2012, lorsque l’armée a arrêté le Premier ministre, Carlos Gomes Júnior, sur le point d’être élu président. Une junte militaire, qui l’a accusé de comploter avec l’Angola pour réduire le pouvoir de l’armée, a rapidement mis en place des institutions de transition et s’est officiellement retirée de la vie politique le 22 mai. Si la condamnation internationale a été immédiate, des divergences se sont rapidement fait jour entre la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP). La première, sous l’influence du Nigéria, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso, est favorable à une période de transition d’un an, alors que la seconde, inspirée par le Portugal et l’Angola, préconise la tenue immédiate de l’élection présidentielle avortée. La transition pourrait permettre des réformes cruciales, qui doivent aller au-delà de simples changements au sein de l’armée et de la lutte contre le trafic des stupéfiants. Mais pour ce faire, la Cedeao et la CPLP doivent, d’une part, parvenir à un consensus pour travailler avec les partenaires internationaux afin de réunir les ressources nécessaires à la réforme du système électoral, de la sphère judiciaire et du secteur de la sécurité, et d’autre part, rejeter l’exclusion illégale de Gomes Júnior de la vie politique.

Trois mois avant le coup d’Etat, Crisis Group avait signalé que deux facteurs intrinsèquement liés posaient un risque pour la stabilité du pays : la victoire probable du Premier ministre à l’élection présidentielle, et la présence militaire de son allié, l’Angola, et notamment son rôle en matière de réforme du secteur de la sécurité (RSS). Ces deux éléments ont poussé les Forces armées de Guinée-Bissau (Forças Armadas da Guiné-Bissau, FAGB) à s’interroger sur leur devenir en cas d’accession de Gomes Júnior à la présidence.

Le coup d’Etat a rompu l’ordre constitutionnel et rendu impossible la tenue du second tour de l’élection présidentielle (prévu pour le 29 avril). Il ne s’agit pas simplement de la réaction d’une minorité isolée de militaires narcotrafiquants face à un gouvernement civil réformiste. Cet épisode montre combien les relations entre les élites civiles et militaires, qui ont entaché les progrès du pays depuis l’indépendance obtenue en 1974, restent mauvaises et nourrissent le mécontentement sur des questions plus larges comme la citoyenneté, les droits, le clivage entre urbains et ruraux, les inégalités régionales, ainsi que le sentiment croissant de marginalisation ressenti par le groupe ethnique balante, qui mise sur sa forte présence au sein de l’armée pour défendre ses intérêts.

Le débat fait rage quant au rôle joué par les dirigeants de l’opposition. Deux d’entre eux ont en effet de l’influence au sein de l’armée. Le premier, Serifo Nhamadjo, qui s’oppose à Gomes Júnior au sein même de son parti, le Parti africain d’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (Partido Africano da Independência da Guiné e Cabo Verde, PAIGC), est l’héritier du président décédé, Malam Bacai Sanhá. Le second, l’ancien président Kumba Yalá, dirige le Parti de la rénovation sociale (Partido para a Renovação Social, PRS), solidement implanté au sein de la communauté balante. Mais le coup d’Etat résulte également de l’incapacité du processus électoral à produire des résultats incontestables. Nhamadjo et Yalá, ainsi que Henrique Rosa, un ancien président de transition, ont rejeté l’issue du premier tour de mars, dénonçant des dysfonctionnements lors des inscriptions électorales et les irrégularités qui ont entaché le scrutin.

Le coup d’Etat a également confirmé que l’exercice du pouvoir de Gomes Júnior a été porteur de divisions et lui a valu de nombreux ennemis tant au sein de la classe politique que des militaires. Accusé par l’opposition de népotisme et d’implication dans les assassinats politiques de 2009, qui n’ont pas encore été pleinement élucidés, il a vu s’affaiblir la légitimité qu’il tire de l’amélioration des conditions de vie des citoyens sous son mandat. Bien qu’il ait réfuté ces accusations, de nombreux citoyens qui l’avaient défendu au péril de leur vie durant les troubles d’avril 2010 n’en ont pas fait de même deux années plus tard.

Ces évènements posent également une autre question : pourquoi les efforts internationaux pour aider ce petit pays, pauvre et tributaire de l’aide internationale, ont-ils systématiquement échoué à susciter un véritable changement ? Suite au retrait de l’Union européenne (UE) après les remous d’avril 2010, et en l’absence d’autres acteurs internationaux, l’Angola s’est efforcé d’instaurer la stabilité, mais n’a réussi ni à encourager une véritable transformation, ni à construire ou maintenir un consensus au niveau national et international pour déterminer l’avenir de la Guinée-Bissau. Son action dans le pays a suscité de la méfiance, et Luanda s’est embourbé dans des litiges juridictionnels avec des membres importants de la Cedeao, ce qui a affaibli sa crédibilité, son acceptabilité et l’efficacité de son action.

La Guinée-Bissau n’est pas prête de faire l’objet davantage d’attention à court terme, pour plusieurs raisons : la communauté internationale est préoccupée par d’autres situations plus graves ; les autorités de transition parviennent jusqu’à présent à maintenir l’ordre public et jouent le jeu du dialogue ; et la Cedeao est disposée à traiter avec ces dernières. La ligne dure adoptée par la CPLP, qui a demandé une force de stabilisation et la poursuite du scrutin présidentiel, incite Gomes Júnior et le PAIGC à refuser tout compromis et fait de la Cedeao l’acteur préféré de l’armée pour négocier un accord.

L’organisation ouest-africaine a obtenu deux concessions importantes : la préservation du parlement et la libération de Gomes Júnior, qui a ainsi pu quitter le pays deux semaines après le coup d’Etat. En contrepartie, la Cedeao s’est prononcée en faveur d’une période de transition d’un an censée aboutir à de nouvelles élections. Nhamadjo a pris la relève en tant que président de transition, et Rui Duarte Barros, un proche du PRS, est devenu Premier ministre, a formé un gouvernement et a présenté son programme de transition le 21 juillet. La Cedeao a déployé un contingent de 629 policiers et militaires (la mission de la Cedeao en Guinée-Bissau, Ecomib selon son acronyme anglais), pour fournir une assistance en matière de réforme du secteur de la sécurité, soutenir la transition et faciliter le retrait de la mission militaire angolaise, qui s’est achevé dans le calme le 9 juin.

Des institutions de transition sont désormais en place, et de nouvelles élections sont prévues pour avril 2013. Mais la transition demeure fragile. Les nouvelles autorités sont com­posées de technocrates et de figures politiques de l’oppo­sition issues de différentes tendances, et un nouveau partage des postes et des privilèges est en cours, dont les implications pour les capacités de l’Etat restent floues. Le PAIGC contrôle toujours le parlement et reste hostile aux autorités provisoires, tandis que les hommes politiques favorables à la transition tentent de maintenir Gomes Júnior à l’écart par la dénonciation de ses crimes présumés. L’armée s’est officiellement retirée de la vie politique avec la dissolution de la junte en mai, mais elle conserve une influence. Elle reste marquée par un factionnalisme important, et les rumeurs d’un nouveau coup d’Etat vont bon train. La suspension de l’essentiel de l’aide internationale et les perturbations dans les exportations de noix de cajou annoncent des difficultés pour les autorités de transition.

Bien que la transition promue par la Cedeao prête le flanc à la critique, celle-ci représente pour l’instant la seule option. Les exigences radicales de Gomes Júnior et du PAIGC, soutenus par l’Angola et le Portugal, risquent de fragiliser davantage la situation. Même si certains sont tentés de s’accrocher à l’espoir que la transition s’effondre, perspective qui n’est pas par ailleurs complètement illusoire, il est plus sage de travailler avec la Cedeao dans le cadre qu’elle a instauré.

Les acteurs internationaux jugent que la Cedeao et ses principaux Etats membres font preuve de laxisme à l’égard de la junte. Ils estiment que, dans sa quête d’une solution négociée, l’organisation ouest-africaine a accordé trop d’avantages aux militaires, au détriment de la démocratie électorale, et ce essentiellement dans le but de contrecarrer l’influence angolaise. La communauté internationale s’est cependant dans son ensemble montrée pragmatique en acceptant le rôle majeur de la Cedeao, qui jouit d’une certaine crédibilité auprès de l’armée et du gouvernement de transition. Mais l’embarras demeure au sein des cercles diplomatiques quant à la réponse de l’organisation régionale à la situation. Cela complique la tâche du gouvernement de transition, en quête de reconnaissance internationale et de l’aide au développement suspendue, sans laquelle il sera difficile de réunir les ressources nécessaires pour mener à bien la transition et les réformes indispensables.

La Cedeao et plusieurs de ses Etats membres ont des intérêts légitimes en Guinée-Bissau et disposent d’un levier sur les nouvelles autorités. Cette influence peut et doit être utilisée pour parvenir à une solution pacifique. Cependant, l’organisation ouest-africaine, dont la stature dépend en partie du succès de son action, doit tirer les enseignements de l’expérience angolaise : elle ne doit pas agir sans le reste de la communauté internationale et s’empêtrer dans les conflits complexes qui divisent la Guinée-Bissau. Au contraire, elle doit aider le gouvernement de transition à prendre la mesure et à mettre en place ce qui est nécessaire pour renouer avec la communauté internationale : démontrer une vraie volonté de réforme. Pour que cela ait de véritables chances de se produire, la Cedeao et la CPLP doivent mettre de côté leurs luttes de pouvoir et élaborer une stratégie commune. La CPLP et ses Etats membres doivent faire montre de plus de flexibilité, et l’Union africaine (UA) doit jouer le rôle de facilitateur des discussions entre les deux organisations.

Dakar/Bruxelles, 17 août 2012

Executive Summary

Guinea-Bissau took another dangerous turn on 12 April 2012, when the army arrested Prime Minister Carlos Gomes Júnior, who was about to be elected president. A military junta accused him of conspiring with Angola to curtail the military’s power and quickly installed transitional authorities, before officially stepping aside on 22 May. International condemnation was swift, but differences developed between the Economic Community of West African States (ECOWAS) and the Community of Portuguese Speaking Countries (CPLP). The former, pushed by Nigeria, Senegal, Côte d’Ivoire and Burkina Faso, supports a year’s transition, the latter, especially Portugal and Angola, immediate resumption of the presidential vote. Coup and transition may have opened a way for vital reforms, which must go beyond changes in the army and combating the drugs trade. But for that to happen, ECOWAS and CPLP must reach a consensus on working with international partners to mobilise resources for security, judicial and electoral reforms and refusing to validate Gomes Júnior’s illegal exclusion from political life.

Crisis Group warned three months before the coup that two related factors posed significant risks for stability: the likely victory of the prime minister in the presidential election and the military presence in the country of his ally, Angola, including its part in security sector reform (SSR). Both caused the military (Forças Armadas da Guiné-Bissau, FAGB) to fear what might be in store for it under a Gomes Júnior presidency.

The coup that suspended the constitutional order and broke off the second round of the presidential election (scheduled for 29 April) was not a mere reflex of an isolated minority of narco-military against a reformist civilian government. Rather, it demonstrated that the tense relations between civilian and military elites that have marred progress since independence in 1974 remain unresolved and that these in turn feed into broader grievances around issues of citizenship, entitlements, the rural/urban divide, regional inequalities and the mounting sense of historical marginalisation felt by the Balanta ethnic group that depends on its majority in the army to champion its cause.

Controversy rages over the role opposition leaders may have played. Both Serifo Nhamadjo, a rival within Gomes Júnior’s Partido Africano da Independência da Guiné e Cabo Verde (PAIGC) and political heir to the deceased president, Malam Bacai Sanhá, and Kumba Yalá, a former president whose Partido para a Renovação Social (PRS) is rooted in the Balanta community, have influence in the military. But the coup was also stimulated by the inability of the electoral process to deliver uncontroversial results. Nhamadjo and Yalá, as well as Henrique Rosa, a former transition president, rejected the March first round results, claiming registration flaws and voting fraud.

The coup also confirmed that Gomes Júnior’s divisive style made him many enemies among politicians as well as soldiers. The legitimacy he gained by improving the lives of ordinary citizens was weakened by opposition accusations of nepotism and that he was implicated in not yet credibly investigated political killings in 2009. While he denied the accusations, many citizens put their lives on the line in his defence during the April 2010 military turmoil but failed to do so two years later.

The events likewise raise questions about why international efforts to help the tiny, poor, aid-dependent country have so persistently failed to bring real change. After the European Union (EU) pulled out as a result of the April 2010 troubles, and in the absence of other major international patrons, Angola did much to produce stability, but it has not been able to stimulate transformation or build and maintain consensus at the national and international level on shaping the future. It allowed itself to become an object of suspicion in the country and locked in jurisdictional fights with some key ECOWAS member states, which weakened its credibility, acceptability and efficiency.

Guinea-Bissau is unlikely to receive substantially more attention in the near future for several reasons: the international community’s preoccupation with other, much bloodier situations; the capacity of the transitional authorities to maintain domestic order so far and play the dialogue game; and the willingness of ECOWAS to engage with them. The CPLP’s tough stance – seeking a stabilisation force and completion of the presidential election – has encouraged Gomes Júnior and the PAIGC to refuse all compromise and made ECOWAS the military’s favourite with which to broker a deal.

The regional organisation has obtained two significant concessions: preservation of the parliament and release from detention of Gomes Júnior, who left the country two weeks after the coup. The price has been ECOWAS support for a one-year transition, to end with new elections. Nhamadjo took over as transitional president, and Rui Duarte Barros, a PRS associate, became prime minister, formed a cabinet and presented his transition program on 21 July. ECOWAS deployed a 629-man strong police and army contingent (ECOWAS mission in Bissau, ECOMIB) to help with security sector reform, support the transition and facilitate the departure of the Angolan military mission, which was completed peacefully on 9 June.

Transitional structures are now in place, and new elections have been set for April 2013. But the transition remains unsteady. The new authorities are a mix of technocrats and opposition politicians of varied stripes, and a new sharing of spoils is under way the impact of which on state capacity is yet unclear. THE PAIGC remains in control of the parliament and hostile to the transition authorities, while politicians backing the transition are trying to keep Gomes Júnior at bay through their accusations. The military has formally retreated from public life with the dissolution of the junta in May but remains influential. Factionalism persists within it, and rumours of a new coup circulate endlessly. The withdrawal of much international assistance and disruption of the cashew nut export sector herald rough times for the transition authorities.

But though there are limits to the transition as engineered by ECOWAS, it is the only game in town at this point. The more radical demands Gomes Júnior and the PAIGC are making with encouragement from Angola and Portugal could make the transition a riskier exercise. Tempting as it may be for some to hold back in the not unrealistic hope it will collapse, it is more prudent to work through ECOWAS and in the present framework.

In their quest for a negotiated settlement, ECOWAS and its key member states have allowed themselves to be perceived internationally as letting the junta get away with too much and doing away with elective democracy, all in order to neutralise Angolan influence. The bulk of the international community has nevertheless been pragmatic in accepting the regional organisation’s leadership – it is the player with the ear of the military and the transitional government – but uneasiness persists in diplomatic circles over its handling of the situation. This makes it difficult for the transitional government to gain international recognition and recover suspended aid, without which it will be hard to mobilise resources for a successful transition and necessary reforms.

ECOWAS and several of its member countries have legitimate interests in Guinea-Bissau, as well as leverage over the new authorities. That leverage can and should be used to work out a peaceful solution. However, ECOWAS, which has put a good deal of its prestige on the line, should learn from Angola’s experience: it must not act in isolation from the rest of the international community and become party to the complex conflicts that have divided Guinea-Bissau. It should instead help the transitional government realise and then do what is needed to rebuild international good-will: demonstrate its sincerity about reform. There would be a much better chance for this to happen if especially ECOWAS and CPLP would put aside their turf wars and develop a common strategy. The CPLP and its member countries should show greater flexibility, and the African Union (AU) should help facilitate discussions between the two organisations.

Dakar/Brussels, 17 August 2012

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