Briefing / Africa 4 minutes

Guinée-Bissau : dépasser la logique des armes

Les assassinats du chef d’état-major des forces armées, le général Batista Tagme Na Wai, le 1er mars 2009, puis du président Joao Bernardo Nino Vieira tôt le lendemain, ont plongé la Guinée-Bissau dans une période de grande incertitude.

  • Share
  • Enregistrer
  • Imprimer
  • Download PDF Full Report

Synthèse

Les assassinats du chef d’état-major des forces armées, le général Batista Tagme Na Wai, le 1er mars 2009, puis du président Joao Bernardo Nino Vieira tôt le lendemain, ont plongé la Guinée-Bissau dans une période de grande incertitude. Le président de l’Assemblée nationale Raimundo Pereira a rapidement prêté serment pour devenir président par interim, dans l’attente des élections requises par la constitution. Le fait que les meurtres aient été commis quelques mois seulement après les élections législatives de novembre 2008, qui ont été largement qualifiées de réussies, indique que dans les circonstances actuelles, le processus démocratique ne peut survivre à la continuation de la violence, ni à l’ampleur avec laquelle l’armée a submergé les institutions de l’Etat par l’usage de la force. Sans une aide extérieure pour faire cesser l’impunité et l’implication de l’armée dans la vie politique, rien ne pourra empêcher le pays de sombrer dans la violence. Les élites doivent tenir tête à l’armée, mais pour cela elles ont besoin de soutien. La communauté internationale doit travailler à la création d’une commission d’enquête internationale ou hybride pour élucider sur les meurtres. Une meilleure coordination internationale de la réforme du système de sécurité est indispensable, notamment avec la création d’une commission nationale dotée d’une grande autonomie.

La situation a encore empiré avec le meurtre d’un candidat à l’élection présidentielle et ancien ministre tué à son domicile tôt le 5 juin, et quelques heures plus tard, le meurtre d’un autre ancien ministre et des garde du corps et chauffeur avec lesquels il se rendait à Bissau en voiture. Selon les autorités en place, ils avaient résisté alors qu’ils étaient en état d’arrestation pour avoir participé à un complot de coup d’Etat, pour lequel l’ancien Premier ministre Faustino Imbali a été mis en garde à vue.

Bien que les motifs exacts des meurtres de mars et juin restent inconnus, ils semblent liés à la profonde méfiance qui règne entre les élites politiques et militaires. Le manque de volonté politique et la crainte généralisée des mesures d’intimidation et de représailles risquent d’être fatals à la commission d’enquête mise en place pour élucider sur les assassinats du mois de mars. Sans l’implication de la communauté internationale, les chances d’identifier les vrais coupables sont très faibles. Cela reflète l’incapacité du systeme judiciaire à lutter contre l’impunité et à faire face à la criminalité liée au trafic de drogue dans lequel le pays a sombré.

Depuis le retour au multipartisme en 1994, aucun président n’a pu mener à terme le mandat de cinq ans conféré par la constitution. Le général Tagme est le troisième chef d’état-major des forces armées à être assassiné en neuf ans. Bien que la violence est antérieure à la montée du trafic de drogue organisé dans la région, la possibilité d’accéder à d’immenses richesses a renforcé les enjeux de la lutte pour le pouvoir. En résulte un cercle vicieux de criminalité et d’instabilité politique, dont les prémices sont visibles non seulement en Guinée-Bissau mais aussi en Guinée. De récents évènements semblent indiquer des dissensions grandissantes au sein de l’armée, ce qui pourrait poser un défi de taille aux efforts actuellement entrepris pour la réformer.

Les assassinats du mois de mars ont suscité des réactions mitigées. Quelques Bissau-Guinéens y ont vu une opportunité de prendre un nouveau départ, bénéfique au vu des sources d’instabilité que représentaient les rivalités et conflits personnels qui opposaient le président Vieira au général Tagme comme au Premier ministre Carlos Gomes Junior. Cependant la majorité affirme, surtout lors de conversations privées, y voir la confirmation que l’armée tient l’Etat en otage et continuera de le faire tant que les institution étatiques ne seront pas protégées par une force internationale. La communauté internationale, tout en condamnant les meurtres, a reconnu le gouvernement intérimaire et approuvé les élections prévues, sans jamais envoyer de message fort concernant l’emploi constant de la force par l’armée et les nombreux abus dont elle s’est rendue coupable.

Avant les assassinats du 5 juin, les préparatifs en vue de l’élection présidentelle du 28 juin 2009 étaient bien engagés. L’élection a toutes les chances de se tenir comme prévu, au vu du soutien et de la reconnaissance dont le processus a bénéficié de la part de la communauté internationale et des partis politiques représentés à l’Assemblée nationale. Lors d’une campagne qui s’est déroulée dans le calme, trois favoris se sont démarqués, Malam Bacai Sanha, Kumba Yala et Henrique Pereira Rosa – tous trois des anciens chefs d’Etat. L’élection pourrait permettre au pays de dépasser l’impasse dans laquelle il se trouve aujourd’hui, mais elle pourrait également provoquer plus d’instabilité. Dans tous les cas, une élection seule ne suffira pas à mettre fin à la constante militarisation de la politique.

Afin de parvenir à une stabilité politique fondée sur la démilitarisation du pouvoir politique, il est nécessaire que les mesures suivantes soient mises en place par les élites politiques et militaires dans le pays, et appuyées par la communauté internationale, en particulier par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP) et l’ONU :

  • Les élites politiques bissau-guinéennes, en particulier le nouveau président, doivent, sans hésiter, mettre en œuvre une réforme complète des forces armées, avec comme priorité la réduction déjà prévue des troupes de 4 458 à 3 500 hommes. Elles doivent cesser d’attendre de l’armée qu’elle règle ou arbitre les conflits d’ordre politique, et renoncer à créer des groupes de clients au sein de l’armée.
     
  • L’armée elle-même doit prendre conscience de l’effet dévastateur de son intrusion permanente dans les affaires politiques et des violences y relatives sur son héritage, qui autrefois était source de fierté. Afin de regagner la confiance de la population, elle doit se détourner de telles pratiques et entamer sa réforme professionnelle. Certains officiers supérieurs doivent considérer la retraite anticipée ou l’affectation au sein d’opérations régionales ou internationales de maintien de la paix comme des options honorables pour leur fin de carrière.
     
  • La communauté internationale doit fermement faire comprendre aux elites politiques et militaires que la poursuite de l’usage de la force et les violations des droits de l’homme sont inacceptables et entraîneront des conséquences. Il est nécessaire de mettre en place une force internationale pour protéger les institutions étatiques et les hommes politiques, ainsi que l’ont proposé certains anciens hauts fonctionnaires bissau-guinéens. De même, comme l’ont préconisé de nombreux hommes politiques bissau-guinéens, l’établissement d’une commission d’enquête internationale ou hybride sur les assassinats, dotée d’un mandat du Conseil de sécurité de l’ONU, doit être négocié avec le nouveau président, en usant de fermeté si ce dernier se montre réticent sous la pression de l’armée.
     
  • La réforme du secteur de sécurité doit bénéficier d’une meilleure coordination entre l’ONU et l’Union européenne (UE); un pays devrait être désigné pour mener sa mise en œuvre, par exemple le Portugal, ancienne puissance coloniale. Il est également nécessaire de créer un fonds dédié à la réforme et de réduire le nombre de donateurs directs. Enfin, il est essentiel d’impliquer davantage les Bissau-Guinéens dans le processus en créant une commission nationale dotée d’une autonomie plus grande que l’actuel comité national.

 

Dakar/Bruxelles, 25 juin 2009

I. Overview

The assassinations of the chief of defence staff, General Batista Tagme Na Wai, on 1 March 2009 and President Joao Bernardo Nino Vieira early the next day have plunged Guinea-Bissau into deep uncertainty. National Assembly Speaker Raimundo Pereira was quickly sworn in as interim president pending the election the constitution requires. That the killings occurred only months after the acclaimed November parliamentary elections, however, indicates that, in current circumstances, the democratic process cannot cope with the rule of the gun, as well as the extent to which the military’s use of force has overwhelmed state institutions. Without outside help to end military involvement in politics and impunity, it may be impossible to halt a slide into further violence. Elites need to stand up to the military, but they require support. The international community should work for an international or hybrid commission of inquiry into the killings. Security system reform needs to be improved by better international coordination and creation of a national commission with enhanced autonomy.

The situation further deteriorated when, in the early hours of 5 June, a presidential candidate and former minister was shot dead in his home, and a few hours later another former minister was also shot dead, along with a bodyguard and driver, while motoring into Bissau. The authorities claimed that they were resisting arrest for their part in a coup plot, for which former Prime Minister Faustino Imbali was taken into custody.

The precise motives remain unknown, but both the March and June killings have credibly been linked to deep mistrust among the political-military elites. The commission of inquiry established to investigate the March killings is likely to be fatally weakened by lack of political will to uncover the truth and widespread fear of intimidation and retaliation. Without international involvement, it is highly unlikely that the true culprits will be identified. This reflects the inability of the justice system to counter impunity and deal with the widespread criminality linked to drug trafficking that has engulfed the country.

Since the return to multi-party rule in 1994, no president has successfully completed the constitutionally-mandated five-year term. General Tagme is the third chief of defence staff to be assassinated in nine years. Although the violence pre-dates the surge of organised drug trafficking in the region, the possibility of huge illicit riches has increased the stakes in the power struggle, leading to a vicious cycle of criminality and political instability, the beginnings of which are visible not only in Guinea-Bissau but also in neighbouring Guinea. Recent events point to increasing factionalism in the military, which could pose a serious challenge to current efforts to reform the army.

Reactions to the March killings, domestic and international, have been mixed. Some Bissau-Guineans regard them as presenting a welcome opportunity for a new beginning, given the destabilising nature of the personality conflict and rivalry that existed between President Vieira and both General Tagme and Prime Minister Carlos Gomes Junior. But most, especially in private conversations, view it as confirmation that the military holds the state to ransom and is likely to continue to do so in the absence of an international force to protect state institutions. The international community, while condemning the assassinations, has endorsed the interim government and the planned election without sending a strong signal regarding the continued use of force and widespread abuses committed by the military.

Prior to the 5 June killings, preparations for the presidential election on 28 June 2009 were well advanced, and there is every chance they will take place as scheduled, in view of the support and endorsement the process has received from the international community and the political parties represented in the National Assembly. The campaign has been peaceful, with three favourites emerging, Malam Bacai Sanha, Kumba Yala and Henrique Pereira Rosa – all former heads of state. The election has the potential to help move the country beyond the present impasse, but it could also provoke further instability. In any case, an election alone is not enough to halt the continued militarisation of politics.

To begin to build political stability through the de-militarisation of political power, the following measures should be pursued by political and military elites in the country and supported by the international community, particularly the Economic Community of West African States (ECOWAS), the Community of Portuguese Speaking Countries (Comunidade dos Paises de Lingua Portuguesa, CPLP) and the UN:

  • Guinea-Bissau’s political elites, in particular the new president, should fully and decisively implement reform of the armed forces, prioritising the planned reduction from 4,458 to 3,500 troops. They must stop looking to the military to settle or adjudicate political disputes and desist from creating client groups in the army.
     
  • The military itself must realise that its continued involvement in politics and related violence has seriously eroded its once proud legacy. If it is to regain public trust, it must turn away from this and embrace professional reform. Senior officers should consider early retirement and postings to regional and wider international peacekeeping operations as honourable options for ending their careers.
     
  • The international community must send a strong signal that the continued use of force and human rights abuses are unacceptable and will entail consequences. The international force to protect state institutions and civilian politicians that some former senior Bissau-Guinean officials have proposed should be established. Likewise, an international or hybrid commission of enquiry into the assassinations backed by a UN Security Council mandate should be nego­tiated with the new president, as several Bissau-Guinean politicians have urged, and pushed hard if, under pressure from the armed forces, he proves reluctant.
     
  • Security system reform (SSR) needs to be much better coordinated between the UN and the European Union (EU); a lead country should be identified for implementation, possibly Portugal, the former colonial power; and a trust fund created and the number of direct donors reduced. Domestic ownership of the process should eventually be enhanced through establishment of a national commission, with greater autonomy than the current steering committee.

 

Dakar/Brussels, 25 June 2009

Subscribe to Crisis Group’s Email Updates

Receive the best source of conflict analysis right in your inbox.