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Guinée-Bissau : les élections, et après ?

Les élections en Guinée-Bissau sont un premier pas, mais pour réduire la fragilité économique et politique du pays, un soutien international résolu et une volonté de réforme politique et militaire sont nécessaires.

Synthèse

Le 13 avril 2014, deux ans et un jour après le coup d’Etat qui a empêché la victoire du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) à l’élection présidentielle de mars-avril 2012, au terme d’une série de reports et de crises, la Guinée-Bissau va enfin tenir ses élections. Ces élections législatives et présidentielles ne résultent pas d’un consensus endogène fort. Elles auront lieu parce que le pays est au bord de la banqueroute et que la communauté internationale, moins divisée qu’au moment du coup d’Etat, a exercé une forte pression. Elles ne sont qu’une première étape dans la transition, et les problèmes de fond qui minent la stabilité demeurent. Les scrutins ne manqueront pas de bousculer des intérêts établis et de mettre en jeu l’équilibre du pays. Le nouveau pouvoir devra favoriser le consensus et le pluralisme politique. La communauté internationale, quant à elle, doit rester attentive dans la période cruciale qui s’engage.

La pression internationale a été déterminante pour faire en sorte que les élections aient enfin lieu comme prévu. Les responsables politiques et militaires n’avaient d’autre choix que d’aller aux élections pour éviter la faillite de l’Etat et sortir d’un isolement international persistant. Mais le vote ne réglera rien si les partenaires internationaux n’accompagnent pas la Guinée-Bissau dans la période cruciale qui suivra l’investiture du nouveau président. Ils devront le faire en améliorant encore leur coordination dans les derniers jours qui restent avant les scrutins, mais surtout pendant et après le vote.

La tenue des élections doit en effet beaucoup à l’amélioration partielle des relations entre les différents partenaires internationaux impliqués. Alors que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qui avait soutenu les autorités de transition dès le début, commençait à leur marquer son impatience, l’Union africaine (UA) et le nouveau représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, José Ramos-Horta, ont su rapprocher les différentes tendances de la communauté internationale pour peser plus fortement sur la petite élite politico-militaire locale et faire avancer le processus électoral.

En poussant si résolument aux élections, la communauté internationale met les acteurs qui ont organisé ou accompagné le coup d’Etat face à des choix difficiles. Ainsi, les responsables des forces de défense et de sécurité, dont certains sont impliqués dans le trafic de cocaïne et les violences politiques, devront accepter le retour à un pouvoir civil. Ce dernier devra remettre en cause les privilèges acquis et entamer des changements dans le secteur de la sécurité, changements dont la perspective a nourri le dernier coup d’Etat. Il devra le faire cette fois avec prudence et souci du compromis, pour éviter une réaction violente de l’armée.

Grand favori de ces élections, le PAIGC devra quant à lui résister à la tentation du « winner-take-all ». Il devra laisser un espace à ses adversaires et notamment aux acteurs politiques qui ont accompagné la transition. Avec un bilan socioéconomique désastreux, les perspectives électorales de ces derniers semblent médiocres. Dans un pays à l’économie exsangue, où l’Etat est le chemin privilégié d’enrichissement, ces acteurs risquent de se trouver coupés du système de distribution des privilèges formels et informels. Ils pourraient être tentés de s’associer avec des factions militaires mécontentes et recourir à la violence.

Il semble difficile d’imaginer, compte tenu du niveau actuel de pression internationale, que les élections ne se tiennent pas à la date prévue et dans de bonnes conditions, au moins pour le premier tour. Mais cela ne suffit pas. C’est la stabilité et la performance du nouveau régime qui seront décisives. Les acteurs diplomatiques à Bissau le savent, et tentent d’aménager un programme d’accompagnement qui aidera le nouveau pouvoir à mener les réformes nécessaires tout en préservant les complexes équilibres politico-militaires. Ils doivent être suivis par leurs chancelleries, qui ont du mal à rester attentives à la Guinée-Bissau, tout petit pays d’un million et demi d’habitants, sans ressources stratégiques et qui n’attire pas l’attention par des violences de masse.

Les mesures suivantes doivent être envisagées pour la période post-électorale par les partenaires de la Guinée-Bissau, notamment la Cedeao, l’Union africaine, les Nations unies, l’Union européenne et les pays amis :

  • En fonction du déroulement des élections et du comportement des forces de sécurité pendant et après le scrutin, la communauté internationale doit envisager une levée progressive des sanctions individuelles pour les militaires de moindre rang. La levée des sanctions pour les militaires de plus haut rang doit être conditionnée à des avancées réelles dans la modernisation de l’armée.
     
  • Les bailleurs de fonds doivent être prêts à soutenir les nouvelles autorités à court terme pour le paiement des salaires des fonctionnaires et à plus long terme pour financer le « Governance Efficacy Amelioration Programme » (GEAP) et les programmes de développement qu’il encadrera.
     
  • Si le départ du représentant spécial du secrétaire général des Nations unies José Ramos-Horta était confirmé, il devrait être remplacé dans les plus brefs délais par un nouveau représentant capable de mobiliser et de coordonner l’action internationale dans le pays.

Les nouvelles autorités devront pour leur part envisager les mesures suivantes :

  • La nouvelle Assemblée devra voter rapidement la loi d’amnistie promise dans les actes de la transition, qui doit porter exclusivement sur le coup d’Etat d’avril 2012.
     
  • La nouvelle équipe dirigeante devra favoriser un pluralisme ethnique et politique fonctionnel.

Dakar/Bruxelles, 8 avril 2014

I. Overview

Two years and one day after the coup that prevented the victory of the African Party for the Independence of Guinea and Cape Verde (PAIGC) in the March-April 2012 presidential polls, and after a series of postponements and crises, Guinea-Bissau will finally hold elections on 13 April 2014. These legislative and presidential elections will take place not because of a strong national consensus but because the country is on the verge of bankruptcy and the international community, less divided than it was at the time of the coup, has applied strong pressure. The vote is only the first stage in the transition and the basic problems that undermine progress in this small West African country remain. The elections will no doubt pose a threat to vested interests and stability. The new government will have to promote consensus and political pluralism, while the international community must carefully monitor developments in this crucial coming period.

International pressure was a decisive factor in ensuring the vote goes ahead as currently planned. Political and military leaders had no choice but to hold elections to avoid bankruptcy and escape from continuing international isolation. However, the elections will resolve nothing if international partners do not work closely with Guinea-Bissau in the crucial period after the inauguration of the new president. They must work towards a greater degree of coordination in the few days before, but above all during and after the elections.

Partly improved relations between international partners have strongly contributed to making the elections possible. The Economic Community of West African States (ECOWAS), which had supported the transitional authorities from the start, has showed them its impatience. For their part, the African Union (AU) and the new special representative of the UN Secretary-General, José Ramos-Horta, have succeeded in bringing together the different tendencies in the international community to urge the small local political-military elite to get on with the electoral process.

By taking such a resolute position on the elections, the international community has given the coup organisers and supporters a difficult choice. Senior officers in the defence and security forces, many of whom are suspected of involvement in cocaine trafficking and political violence, will have to accept the return of a civilian government. The latter will have to call into question the privileges enjoyed by those officers and resume the security sector reforms that contributed to prompting the army to stage the coup. This time round, the government should proceed with caution and seek compromise to avoid a violent reaction from the army.

The frontrunner in the elections, the PAIGC, must resist the temptation to adopt a “winner-takes-all” attitude. It should seek ways to leave space for those political actors that came out in support of the coup and whose electoral prospects are grim given the currently prevailing disastrous socioeconomic situation. In a country where the economy is in shambles and participation in government has been a way to acquire personal wealth, the pro-coup actors risk being completely excluded from the formal and informal benefits associated with power. This could lead them to associate with disgruntled segments of the army and promote more violence.

The current level of international pressure means the elections will most likely be held on schedule and in a relatively satisfactory manner, at least for the first round. But that will not be enough. The new government’s stability and performance will be decisive. Aware of this, diplomats in Bissau are trying to arrange a support program that will help the new government carry out the necessary reforms while maintaining the country’s complex political-military balance of forces. The highest authorities of partner countries and international organisations must heed their diplomats’ advice, though little attention is paid to Guinea-Bissau, a small country with a population of one and a half million, without any strategic resources or massive violence to put it in the international spotlight.

Guinea-Bissau’s partners, notably ECOWAS, the African Union, the UN, the European Union and friendly countries should consider the following measures:

  • Depending on how the elections unfold and on the behaviour of the security forces during and after the vote, the international community should consider gradually lifting individual sanctions against low-ranking officers. Lifting sanctions against higher-ranking officers should be conditioned on significant progress in modernising the army.
     
  • Donors should be ready, in the short term, to help the new government pay public sector wages and, in the long term, to fund the Governance Efficacy Amelioration Program (GEAP) and associated development programs.
     
  • If the departure of the special representative of the Secretary-General, José Ramos-Horta, is confirmed, a new representative capable of mobilising and coordinating international action should replace him as soon as possible.

The newly elected authorities should consider the following measures:

  • The new assembly should move quickly to pass the amnesty law agreed during the transition, which should apply exclusively to the April 2012 coup.
     
  • The new government should promote ethnic and political pluralism.

Dakar/Brussels, 8 April 2014

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