Briefing / Africa 3 minutes

Guinée : le changement en sursis

Dix mois après le déclenchement d’un mouvement de révolte populaire contre le régime du président Lansana Conté, au pouvoir depuis 23 ans, et sept mois après la formation d’un nouveau gouvernement, la Guinée est toujours dans une incertitude totale quant à son avenir immédiat.

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Résumé

Dix mois après le déclenchement d’un mouvement de révolte populaire contre le régime du président Lansana Conté, au pouvoir depuis 23 ans, et sept mois après la formation d’un nouveau gouvernement, la Guinée est toujours dans une incertitude totale quant à son avenir immédiat. L’état de grâce dont a bénéficié le Premier ministre Lansana Kouyaté, celui qui devait conduire le « changement » exigé par le peuple, fut de courte durée. Les fissures au sein du mouvement collectif qui a ébranlé le régime au début de l’année risquent de favoriser une reconquête du pouvoir par le clan présidentiel. Pour éviter tout retour de la violence, le Premier ministre doit impérativement convaincre les citoyens guinéens de sa détermination à œuvrer en faveur d’une véritable transition démocratique et a besoin de recevoir à cet effet un soutien actif de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et des partenaires extérieurs, de même que de la France et des États-Unis qui ont des liens de coopération avec l’armée.

Les populations qui avaient massivement manifesté en janvier et février 2007, malgré la certitude d’une répression sanglante par les forces de sécurité (entre 137 et 183 morts et plus de 1500 blessés), réclamaient un changement radical et avaient le sentiment d’avoir remporté une victoire décisive sur Conté en obtenant le départ de son gouvernement et la nomination d’un Premier ministre « de consensus» chargé de mettre en place une nouvelle équipe dont il serait le seul responsable. Nommé à ce poste le 26 février 2007, Kouyaté achève ses premiers mois dans une atmosphère morose contrastant avec l’euphorie qui avait entouré son arrivée à la primature. Même si l’inflation a été réduite, l’enthousiasme initial a laissé place au doute sur la capacité et la volonté du gouvernement Kouyaté de rompre avec les tares du système Conté et de faire face aux graves difficultés économiques auxquelles font quotidiennement face les populations guinéennes.

Un jugement définitif sur la primature Kouyaté est prématuré mais il doit désormais donner des symboles forts de rupture avec le passé pour garder sa crédibilité. Le clan Conté et ses bénéficiaires n’ont pas accepté leur défaite et manœuvrent constamment pour reprendre les rênes du pouvoir, notamment en jouant sur le sentiment répandu de désillusion et sur les divisions au sein des acteurs de la « révolution de février » : centrales syndicales, organisations de la société civile et partis politiques de l’opposition. Conté est cependant toujours le principal obstacle à une amélioration du sort des Guinéens. Il reste le seul vrai chef de l’exécutif aux pouvoirs constitutionnellement garantis, signe tous les décrets et paralyse donc aisément l’action gouvernementale. Le poste de Premier ministre n’existe pas dans la constitution et celui-ci n’a que des pouvoirs délégués.

L’organisation d’élections législatives transparentes et régulières dans les six prochains mois devrait permettre de franchir un premier pas dans l’entreprise de démantèlement du système Conté par la voie démocratique. En attendant, Kouyaté, les forces de changement et la communauté internationale doivent prendre les initiatives suivantes pour rallumer la flamme des réformes :

  • Kouyaté devrait tout d’abord accepter l’organisation d’un dialogue national qui rassemblerait les acteurs de la société civile, les syndicats et les partis politiques pour s’entendre sur le contenu concret des réformes que le gouvernement est censé mener et continuer à exercer des pressions collectives sur le président Conté afin qu’il cesse d’entraver les actions du gouvernement et respecte la lettre et l’esprit de l’accord du 27 janvier 2007.
     
  • Simultanément, Kouyaté doit procéder à la restructuration des ministères et à la formation de cabinets dotés de cadres nommés uniquement sur la base de leurs compétences, tout en imposant les standards les plus élevés de transparence et de rigueur dans la gestion des deniers publics, et en appliquant le programme d’urgence du gouvernement, en expliquant clairement ce que le gouvernement peut et ne peut pas faire à court terme.
     
  • Pour commencer à mettre fin à l’impunité, le gouvernement doit doter la commission d’enquête indépendante sur les violences commises pendant les grèves de juin 2006 et de janvier et février 2007 de tous les moyens requis pour garantir son action, y compris la mise en place d’une brigade mixte police et gendarmerie prévue par la loi, ainsi que l’appui technique d’experts de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et du Bureau du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Une nouvelle date doit aussi être fixée au plus tôt pour la visite en Guinée du Rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, prévue depuis le mois de mars 2007.
     
  • Pour contenir le danger permanent que représentent les forces de sécurité, le gouvernement doit ouvrir avec elles un dialogue sur les modalités effectives de leur réforme ; évaluer en urgence les besoins de formation et d’équipements des forces de police et de gendarmerie pour le maintien de l’ordre, afin de prévenir de nouvelles tueries de civils non armés en cas de manifestations ; inviter la CEDEAO à envoyer une équipe d’officiers de police et de gendarmerie pour appuyer la mise en place de la brigade mixte affectée à la commission d’enquête, et à préparer l’envoi d’une mission militaire d’observation du comportement des forces de sécurité guinéennes pendant les élections législatives.
     
  • La France et les États-Unis devraient également aider à la formation et à l’équipement de la police et de la gendarmerie en moyens de maintien de l’ordre sans recours à la force létale dans le cadre de leur coopération avec les forces de sécurité guinéennes.
     
  • Enfin les partenaires bilatéraux et multilatéraux de la Guinée doivent absolument honorer les engagements financiers pris lors du forum des partenaires de la Guinée organisé à Paris en juillet 2007 ; apporter les financements additionnels nécessaires à la préparation des élections législatives ; et soutenir la Guinée auprès du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale pour l’obtention de ressources financières stables et prévisibles pour la période 2007-2010.

Sans de telles mesures, on ne saurait exclure qu’une nouvelle crise et des manifestations beaucoup moins contrôlées que celles de janvier/février 2007 viennent à nouveau faire basculer la Guinée dans la violence, avec le risque de réhabilitation du régime Conté ou même d’un coup d’État aux conséquences désastreuses.

Dakar/Bruxelles, 8 novembre 2007

I. Overview

Ten months after the popular uprising against President Ten months after an unprecedented popular revolt shook the 23-year regime of President Lansana Conté and more than a half year after a new government was formed, Guinea’s stability is as fragile as ever. The honeymoon of Prime Minister Lansana Kouyaté, the ex-diplomat entrusted with producing “change”, is over. The movement that brought him to office is deeply fragmented, creating opportunities for Conté and his clan to regain control. To prevent more bloodshed and counter-revolution, Kouyaté urgently needs to demonstrate that he means to work for a democratic and peaceful transition, and he needs help, especially from the Economic Community of West African States (ECOWAS), donors and the two states, the U.S. and France, with ties to the unreformed army.

The protestors in the streets in January and February 2007 (between 137 and 183 died; over 1,500 were wounded) demanded radical change and felt they had won a significant victory when Conté agreed to name an independent prime minister, who would pick his own government. But the mood today is grim. Although inflation has slowed, initial enthusiasm has been replaced with doubt over the capabilities and will of the new government to break with the Conté system and alleviate daily economic difficulties.

It is premature to judge Kouyaté a failure but he has yet to send strong signals that his way of governing is a real break with the past. The Conté clan and its supporters have not accepted their defeat and are manoeuvring to regain full power, not least by playing on popular disappointments to provoke divisions between the actors in the “February revolution”: trade unions, civil society organisations and opposition parties. It is Conté, however, who remains the prime obstacle to improvement in the lives of Guineans. The agreement that ended the February crisis left him as the constitutional leader; he must sign all decrees and can and does easily stall government action. Kouyaté’s office does not exist in the constitution, and he has only the powers the president delegates.

Free, fair and transparent legislative elections are needed within the next six months to begin the true process of dismantling the Conté system by democratic means. In the meantime, however, Kouyaté, democratic forces and the international community need to take a number of steps in order to revive the dynamic of change:

  • Kouyaté should broaden his government’s base by setting up a national dialogue with the trade unions, civil society and parties so as to agree on the reform agenda and exert collective pressure on Conté to comply with the letter and spirit of the agreement he signed on 27 January 2007.
     
  • Kouyaté should restructure the cabinet, appoint staff solely for competence, operate transparently, including responding to allegations that challenge the government’s integrity, and launch an information campaign to explain his emergency program, including what can and cannot be achieved in the short run.
     
  • To begin to end impunity, the government should make necessary resources available to the independent commission of inquiry on the violence during the strikes of June 2006 and January-February 2007, including a mixed brigade of police and gendarmerie and technical support from the African Court on Human and Peoples’ Rights and the Office of the UN High Commissioner for Human Rights. It should also set an early date for the visit of the UN special rapporteur on extrajudicial, summary or arbitrary executions, planned since March 2007.
     
  • To contain the danger the army represents, the government should open a dialogue with it on security sector reform; urgently evaluate training and material needs of the police and gendarmerie so they can maintain order without more killings of unarmed civilians in the event of new mass demonstrations; and ask ECOWAS for police and gendarmerie to support the mixed brigade for the commission of inquiry and a military mission to observe Guinean security forces during elections.
     
  • France and the U.S., within existing cooperation agreements with Guinean security forces, should support the training and equipment of police and gendarmerie to enhance their capacity to maintain order without recourse to lethal force.
     
  • Donors should fulfil their pledges made at the July 2007 forum for Guinea’s partners; provide additional funding to help prepare the elections; and support the government’s appeal to the International Monetary Fund and the World Bank for reliable financing during the 2007-2010 period.

Without such measures, Guinea’s crisis is likely to return, quite possibly in the form of less orderly demonstrations than early in the year, which could easily tip the country back into violence and set the stage for restoration of the discredited Conté regime or a coup.

Dakar/Brussels, 8 November 2007

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