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Guinée : remettre la transition sur les rails

Si les principaux acteurs politiques guinéens ne parviennent pas à un accord sur l’organisation des prochaines élections législatives, les tensions intercommunautaires risquent de déclencher des violences et de favoriser un retour de l’armée sur la scène politique.

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Synthèse

Après l’élection d’Alpha Condé à la présidence en novembre 2010, des élections législatives doivent clôturer une nouvelle étape de la transition politique guinéenne. La récente expérience de politisation violente des ethnicités et le manque de confiance des acteurs politiques dans le dispositif électoral sont des motifs d’inquiétude. Le président Condé a engagé unilatéralement une refonte du système électoral, mais il suscite d’autant plus de méfiance que les perspectives du parti présidentiel pour les législatives sont incertaines. Il n’a prêté que peu d’atten­tion, et bien tard, à la réconciliation et au dialogue avec son opposition, très mobilisée. La Guinée ne peut se permettre ni un bricolage du système électoral ni une nouvelle campagne fondée sur des arguments ethniques. Un accroissement des tensions à l’approche du scrutin pourrait susciter des violences intercommunautaires. Il pourrait aussi offrir une opportunité d’agir à ceux qui, dans l’armée, se satisfont mal d’avoir regagné les casernes. L’attaque lancée le 19 juillet 2011 par des militaires contre la résidence du président confirme la réalité de ce risque. Un véritable accord entre les principaux acteurs politiques sur les modalités des élections législatives est impératif et urgent. Sans une forte implication internationale, les chances de parvenir à un tel accord sont minces.

L’arrivée au pouvoir de l’opposant Alpha Condé est une opportunité extraordinaire de clore 50 années d’autorita­risme politique et de stagnation économique. Le nouveau régime fait face à des défis immenses, avec des moyens limités, même si les bailleurs de fonds semblent disposés à fournir une aide accrue. L’échec de la tentative du 19 juillet 2011 contre la vie du président semble indiquer que le nouveau pouvoir s’est, pour le moment au moins, assuré de la hiérarchie militaire. Il a pu consolider la normalisation entamée sous son prédécesseur, le général Sékouba Konaté, éloignant les militaires de l’espace public et de Conakry. Le resserrement sécuritaire consécutif à la tentative du 19 juillet a cependant entraîné un recul de ce point de vue. La réforme du secteur de la sécurité se dessine, mais elle en est encore à un stade très préliminaire.

Le nouveau pouvoir affiche une volonté de bonne gouvernance économique et financière et a fait des gestes significatifs en ce sens. A court terme au moins, la rigueur en matière budgétaire a un effet déprimant sur l’écono­mie, que le gouvernement tente de contenir en essayant de répondre à la demande sociale. Des efforts sont ainsi réalisés dans l’importation de produits vivriers et pour la fourniture d’électricité. A plus long terme, un programme économique ambitieux a été esquissé, qui vise une transformation des structures économiques du pays.

En revanche, le dialogue avec l’opposition ne s’est réengagé que récemment : c’est seulement ces dernières semaines, que le pouvoir a fait quelques gestes d’apaise­ment, Alpha Condé recevant par exemple le 15 août 2011 un représentant de haut niveau de l’opposition pour la première fois depuis l’élection présidentielle. Mais le président souffle le chaud et le froid, par exemple en incriminant l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), le parti de son principal opposant, Cellou Dalein Diallo, dans l’attaque du 19 juillet avant que la justice ne fasse son travail, ou en laissant longtemps sans réponse, avant de le rejeter, un mémorandum sur l’organisation des élections remis par l’oppo­sition au gouvernement le 17 août dernier.

La situation reste préoccupante, dans la mesure où le scrutin passé a donné un poids nouveau à l’idée que l’histoire de la Guinée est celle des luttes entre quatre grands blocs ethnorégionaux. Au premier tour, les hommes politiques ont pour la plupart mobilisé d’abord au sein de leurs communautés respectives. Le deuxième tour – pendant lequel la rhétorique ethnique s’est renforcée de toutes parts – a été un débat à mots à peine couverts autour de la domination supposée des Peul, le Malinké Alpha Condé prêtant une volonté d’hégémonie à cette communauté dont est issu Cellou Dalein Diallo. Si les plus graves violences ont, cette fois encore, été le fait des forces de sécurité, les mobilisations politiques à connotation ethnique ont suscité des heurts et fait des victimes. Les faiblesses organisationnelles du processus électoral ont nourri les tensions en autorisant à chaque étape des accusations de fraude de l’un ou l’autre camp.

Les nouvelles autorités n’ont guère fait d’efforts pour gérer ce passif, n’avançant que lentement dans l’organisa­tion des élections législatives indispensables pour compléter le dispositif institutionnel prévu par la Constitution. Elles ont gardé le silence sur les modalités du scrutin pendant des mois. Le 15 septembre dernier, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a proposé la date du 29 décembre 2011. Sans concertation, les autorités avaient auparavant annoncé une refonte complète du fichier électoral, ainsi qu’une transformation de la CENI et de la répartition des rôles entre elle et le ministère de l’Administration territoriale. Alors que les tensions montaient, le Conseil national de transition (un organe législatif intérimaire) et la société civile guinéenne ont tenté une médiation. Sous les pressions internes et internationales, le pouvoir a finalement lancé des appels à la concertation et a affirmé renoncer à la création d’un nouveau fichier électoral. L’amorce d’un dialogue n’a jusqu’à présent pas permis le moindre accord sur les points litigieux : la composition et le fonctionnement de la CENI, le fichier électoral et la date du scrutin.

Les soupçons que suscite toujours le dispositif électoral pourraient aggraver les tensions dans certaines zones et entraîner des violences intercommunautaires. Celles-ci pourraient déclencher des représailles ailleurs dans le pays, ou provoquer une réaction brutale des forces de sécurité. Or comme les événements du 19 juillet dernier l’ont montré, l’armée est encore partagée sur le retour à un pouvoir civil susceptible de mettre fin aux pratiques grossières d’enrichissement illicite en son sein, et elle est aussi marquée par un factionnalisme qui recoupe en partie les clivages ethniques. Retarder beaucoup plus les élections n’est pas une option : cela ne ferait qu’aggraver les tensions et les suspicions. Surtout, une assemblée nationale bénéficiant d’un véritable mandat populaire est nécessaire pour l’équilibre du système politique et une progression dans l’apprentissage de la pratique démocratique.

Parce qu’une nouvelle période d’instabilité électorale pourrait s’avérer dangereuse pour la jeune démocratie guinéenne, le pouvoir et l’opposition doivent engager un dialogue au plus haut niveau sur l’ensemble du dispositif électoral, et tous les acteurs politiques doivent s’abstenir d’alimenter les tensions interethniques. La communauté internationale, en retrait depuis la prise de pouvoir du président Condé, doit accompagner ce nouveau moment de la transition comme elle l’a fait lors des étapes précédentes. La Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union africaine (UA) et les Nations unies doivent se réinvestir vigoureusement en Guinée pour sauvegarder les acquis obtenus depuis la fin du régime de Lansana Conté en décembre 2008 et la neutralisation de la junte militaire du capitaine Moussa Dadis Camara en janvier 2010. Malheureusement, la transition démocratique en Guinée n’est pas encore irréversible.

Dakar/Bruxelles, 23 septembre 2011

 

Executive Summary

After the election of Alpha Condé to the presidency in November 2010, legislative elections are set to complete a new phase in Guinea’s political transition. However, recent violent ethnic politics and the political actors’ mistrust in the electoral arrangements are cause for concern. Condé’s unilateral move to overhaul the electoral system has gained little praise, and with his party’s gloomy prospects for the legislative elections, suspicion is increasing. He has done too little too late to promote reconciliation or dialogue with the opposition. Guinea can afford neither a makeshift electoral system, nor a new campaign based on ethnic factors. Rising pre-electoral tensions could spark inter-com­munal violence and offer an opportunity to take action for those in the army unhappy about loss of power. The 19 July military attack launched by some soldiers on the presidential residence confirmed this is a real possibility. A genuine agreement between the main political actors on the organisation of the legislative elections is crucial and urgent. Without the international community’s significant involvement, chances of success are slim.

Condé’s accession to power provided an extraordinary opportunity to end 50 years of authoritarianism and economic stagnation. The new government faces immense challenges with limited means, even if donors seem prepared to increase aid. The failure of the 19 July attempt against the president’s life indicates that, for the moment at least, it has the military hierarchy’s support. Condé has consolidated the normalisation process begun by his predecessor, General Sékouba Konaté, and sent the army back to the barracks and away from Conakry. The imposition of heavy security measures since 19 July, however, has set the process back. Security sector reform is still at a preliminary stage. The new authorities show willingness to provide good economic and financial governance, but strict budgetary discipline will depress the economy, at least in the short term, so they are trying to compensate by responding to social demands, importing food and improving electricity supply. There are indications of an ambitious long-term economic restructuring program.

On the other hand, it is only recently that dialogue with the opposition has begun and some conciliatory gestures have been made. For example, on 15 August the president met with one of the leading opposition representatives for the first time since the election. He plays both sides though, for example accusing the main opposition party of being responsible for the 19 July attack before the judiciary has even looked into the case, and long ignoring, before rejecting, a memorandum about the organisation of the elections handed by the opposition to the government on 17 August.

The legacy of his own election is cause for some concern, including for the legislative contests, because it gave new impetus to the idea that Guinea’s history is a struggle between its four major ethno-regional blocs. In the first round, most politicians started by organising their own communities. The second round – during which ethnic rhetoric built steadily on all sides – was a scarcely disguised debate on supposed Peul domination, with Condé, a Malinké, attributing hegemonic ambitions to that community from which his opponent and the main opposition party leader, Cellou Dalein Diallo, comes. Although the security forces were responsible for the worst violence, political mobilisation along ethnic lines sparked clashes and claimed victims. Organisational weaknesses of the electoral process fed these tensions by allowing mutual accusations of fraud at every stage.

The new government has done little to cope with this grim legacy and has been slow to organise the legislative elections, which are indispensable for completing the institutional arrangements required by the constitution. It kept quiet for months about the elections procedure, until, on 15 September, the Independent National Electoral Commission (INEC) suggested they be held on 29 December 2011. However, the authorities had already begun to overhaul the electoral register, made changes to the INEC and redefined the division of labour between it and the territorial administration ministry. The National Transition Council (an interim legislative body) and civil society tried to mediate, and under domestic and international pressure, the authorities finally called for consultations and abandoned the creation of a new electoral register. The initiation of a dialogue has not so far enabled any agreement on the bones of contention: the composition and functioning of the INEC, the electoral register and the elections date.

The suspicions generated by the electoral system risk accentuating tensions in certain areas and leading to inter-communal violence. This could in turn spark reprisals elsewhere in the country or provoke a brutal reaction from an army that 19 July showed is still divided about the return to a civilian government capable of putting an end to crude activities of illicit enrichment. It is also split by factionalism, partly along ethnic lines. Further delaying the elections is not an option: it would only worsen tensions and suspicions, and a national assembly based on a popular mandate is urgently needed in order to restore balance in the political system and take further steps toward democracy. Because another period of electoral instability could endanger the young Guinean democracy, the government and the opposition must discuss electoral arrangements at the highest level, and all political actors must refrain from stirring up inter-ethnic tensions.

The international community, which partly withdrew after Condé came to power, must accompany this final stage of the transition, providing guarantees for the legislative elections as it did for the presidential election. The Economic Community of Western African States (ECOWAS), the African Union (AU) and the UN must reinvest vigorously in Guinea to preserve the gains acquired since the demise of Lansana Conté’s regime in December 2008 and the removal of the military junta led by Captain Moussa Dadis Camara in January 2010. Unfortunately, the democratic transition in Guinea is not irreversible.

Dakar/Brussels, 23 September 2011

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