Ebola en Guinée : une épidémie « politique » ?
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Report / Africa 4 minutes

Guinée : reformer l’armée

Si les forces armées de Guinée ne sont pas réformées en profondeur, elles continueront à constituer une menace pour un régime civil démocratique, risquant de plonger le pays et sa région dans le chaos.

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Synthèse

Après avoir été mal gérées et utilisées à mauvais escient pendant plusieurs décennies, les forces armées guinéennes constituent aujourd’hui une source potentielle d'instabilité qui pourrait de nouveau plonger la Guinée et sa région dans le chaos. Si elles ne sont pas réformées en profondeur, elles continueront d’être une menace pour un régime civil démocratique. La mise sur pied récente d'un gouvernement de transition et le processus électoral en cours, bien que fragile, constituent une opportunité réelle pour redresser la situation. Une réforme des forces armées mal menée pourrait avoir des conséquences désastreuses pour l'avenir politique du pays. Une réforme conduite correctement devra relever de nombreux défis techniques, ainsi que redéfinir la relation entre les forces armées et un régime civil, et résoudre le grave problème du financement de l’armée, afin d’avoir des forces armées disciplinées, efficaces et ne pesant pas trop lourd sur le budget national. Le report du deuxième tour de l'élection présidentielle, initialement prévu pour le 19 septembre, a accru les tensions. Bien que l'armée soit restée neutre, elle pourrait saisir l’occasion d’intervenir à nouveau si le processus électoral n’allait pas au bout ou prenait trop de retard. Cela constituerait un important contretemps pour toute perspective de réforme à moyen terme, qui doit être centrée sur le respect et la soumission à un régime civil.

La réputation bien méritée qu’a l’armée d’être indisciplinée et récalcitrante à l’idée d’un régime civil démocratique est la conséquence de son passé tumultueux. Les deux premiers présidents du pays ont instrumentalisé les forces armées pour servir leur intérêt politique, permettant à l’insubordination de se développer, et ont acheté le soutien d’officiers contre des avantages et une protection politique. Des mutineries contre les mauvaises conditions de service et des vagues de recrutement non réglementaires ont marqué les dernières années au pouvoir du président Lansana Conté. La junte qui a pris le pouvoir à sa mort, en décembre 2008, a aggravé la situation. Son chef, Dadis Camara, a utilisé l’armée contre les opposants politiques, a renforcé les tensions entre la junte et le reste des forces armées, et recruté des milices ethniques.

Les forces armées sont aujourd’hui divisées selon des clivages ethniques et générationnels et sont connues pour leur indiscipline, leurs violations des droits de l’homme, leur insubordination et leurs activités criminelles. Alors que les conditions de vie sont difficiles et ingrates pour la plupart des militaires, une poignée d'officiers supérieurs vit dans l’opulence. La gestion financière est entachée de corruption, les institutions de contrôle civiles et militaires sont faibles ou inexistantes. L'armée est pléthorique et mal formée. La confiance de la population en elle étant au plus faible, une réforme serait une étape importante pour aider la Guinée à mettre en place un environnement sûre, propice au développement d’institutions démocratiques.

Depuis l’arrivée au pouvoir, en décembre 2009, du général Sékouba Konaté comme chef de l’Etat par intérim, une attention nouvelle a été portée à la question de la réforme des forces armées. La discipline de base a été améliorée et les autorités de transition ont accueilli favorablement le rapport, publié en mai 2010, de la mission d’évaluation de la réforme du secteur de la sécurité (RSS) menée par la Cédéao. L’armée est jusqu’à présent restée neutre lors du long et délicat processus électoral. Dadis Camara, dont les soutiens au sein de l’armée sont de moins en moins nombreux, est toujours en exil au Burkina Faso et efficacement maîtrisé. Cependant, l’importance réelle que les officiers supérieurs accordent à une vraie réforme reste encore à démontrer.

Le nouveau président sera confronté à une série de dilemmes qui l’entraîneront dans des directions contradictoires. Il devra dans un premier temps réussir à obtenir l’adhésion du plus grand nombre de militaires à l’idée d’une réforme, et faire coïncider les attentes des troupes avec les besoins réels du pays. Il sera difficile de trouver le point d’équilibre entre la nécessité de préserver l'armée et celle de réduire ses effectifs et de réformer sa gestion financière. Même si le président va devoir satisfaire certaines préoccupations de l'armée pour assurer sa sécurité et celle de la transition à court terme, il ne faudra pas laisser longtemps de côté les questions délicates. On trouve au sein de l’armée un mélange de réel soutien à la RSS et de peur de perdre des emplois et des privilèges ainsi que d’être exposés à de possibles sanctions pour les violations des droits de l'homme. Ces craintes sont exacerbées par la conscience de la profonde hostilité que l’armée suscite, surtout depuis le massacre des partisans de l'opposition du 28 septembre 2009.

Le risque existe de voir l'armée se montrer prête à abandonner le pouvoir formel tout en cherchant à conserver une influence significative en coulisses et finissant par refuser de se subordonner à l'autorité civile sur les questions qui la concerne. C’est ce qui est arrivé en Guinée-Bissau, où la RSS menée par l'Union européenne et l'ONU a échoué, l'armée ayant réussi à monter les différents acteurs internationaux les uns contre les autres. Une bonne coordination internationale sera indispensable pour éviter un tel scénario en Guinée.

L'objectif du processus de réforme est d'établir une force beaucoup plus petite, responsable devant le pouvoir civil et capable de répondre aux besoins sécuritaires du pays. La priorité la plus urgente doit être de faire en sorte que la plus grande partie possible de l'armée comprenne et accepte cet objectif sans le laisser dicter la nature et le rythme du processus. Les défis à long terme seront d'améliorer le contrôle du pouvoir civil sur l’armée, de réduire la taille de ses effectifs et d'établir la transparence financière. Ces mesures doivent aller de pair avec une amélioration des conditions de vie et de travail des forces armées. Le président doit aussi résister à la tentation d'utiliser l'armée à des fins partisanes et chercher plutôt à s'appuyer sur sa légitimité démocratique pour gouverner efficacement.

Les officiers supérieurs doivent être conscients qu'une réforme globale est dans l’intérêt de l’armée et que toute tentative de gêner sa mise en œuvre entamerait leur crédibilité, renforcerait les sentiments anti-militaires des Guinéens, empêcherait l’armée de prendre part à des missions internationales de maintien de la paix; engendrerait une instabilité politique et aboutirait à un plus grand isolement du pays, ainsi qu’à d’éventuelles sanctions internationales comme des interdictions de voyager pour les officiers et leurs familles.

La communauté internationale ne sera probablement pas autant impliquée dans la réforme du système de sécurité de la Guinée qu’elle l'a été au Libéria et en Sierra Leone, même si elle offrira probablement son aide et son soutien à la formation. La plupart des bailleurs de fonds sont dans l’attente, prêts à négocier leur aide avec une nouvelle administration civile. Cette aide devra être généreuse et à long terme, parce que la situation restera fragile pendant quelque temps encore, et que tout retour en arrière mettrait en péril les acquis dans la région. La réforme de l’armée nécessitera donc un effort soutenu, elle exigera et alimentera tout à la fois une réforme plus large du secteur public, avec des répercussions importantes pour l’Afrique de l’Ouest.

Dakar/Nairobi/Brussels, 23 septembre 2010

Synthèse

Après avoir été mal gérées et utilisées à mauvais escient pendant plusieurs décennies, les forces armées guinéennes constituent aujourd’hui une source potentielle d'instabilité qui pourrait de nouveau plonger la Guinée et sa région dans le chaos. Si elles ne sont pas réformées en profondeur, elles continueront d’être une menace pour un régime civil démocratique. La mise sur pied récente d'un gouvernement de transition et le processus électoral en cours, bien que fragile, constituent une opportunité réelle pour redresser la situation. Une réforme des forces armées mal menée pourrait avoir des conséquences désastreuses pour l'avenir politique du pays. Une réforme conduite correctement devra relever de nombreux défis techniques, ainsi que redéfinir la relation entre les forces armées et un régime civil, et résoudre le grave problème du financement de l’armée, afin d’avoir des forces armées disciplinées, efficaces et ne pesant pas trop lourd sur le budget national. Le report du deuxième tour de l'élection présidentielle, initialement prévu pour le 19 septembre, a accru les tensions. Bien que l'armée soit restée neutre, elle pourrait saisir l’occasion d’intervenir à nouveau si le processus électoral n’allait pas au bout ou prenait trop de retard. Cela constituerait un important contretemps pour toute perspective de réforme à moyen terme, qui doit être centrée sur le respect et la soumission à un régime civil.

La réputation bien méritée qu’a l’armée d’être indisciplinée et récalcitrante à l’idée d’un régime civil démocratique est la conséquence de son passé tumultueux. Les deux premiers présidents du pays ont instrumentalisé les forces armées pour servir leur intérêt politique, permettant à l’insubordination de se développer, et ont acheté le soutien d’officiers contre des avantages et une protection politique. Des mutineries contre les mauvaises conditions de service et des vagues de recrutement non réglementaires ont marqué les dernières années au pouvoir du président Lansana Conté. La junte qui a pris le pouvoir à sa mort, en décembre 2008, a aggravé la situation. Son chef, Dadis Camara, a utilisé l’armée contre les opposants politiques, a renforcé les tensions entre la junte et le reste des forces armées, et recruté des milices ethniques.

Les forces armées sont aujourd’hui divisées selon des clivages ethniques et générationnels et sont connues pour leur indiscipline, leurs violations des droits de l’homme, leur insubordination et leurs activités criminelles. Alors que les conditions de vie sont difficiles et ingrates pour la plupart des militaires, une poignée d'officiers supérieurs vit dans l’opulence. La gestion financière est entachée de corruption, les institutions de contrôle civiles et militaires sont faibles ou inexistantes. L'armée est pléthorique et mal formée. La confiance de la population en elle étant au plus faible, une réforme serait une étape importante pour aider la Guinée à mettre en place un environnement sûre, propice au développement d’institutions démocratiques.

Depuis l’arrivée au pouvoir, en décembre 2009, du général Sékouba Konaté comme chef de l’Etat par intérim, une attention nouvelle a été portée à la question de la réforme des forces armées. La discipline de base a été améliorée et les autorités de transition ont accueilli favorablement le rapport, publié en mai 2010, de la mission d’évaluation de la réforme du secteur de la sécurité (RSS) menée par la Cédéao. L’armée est jusqu’à présent restée neutre lors du long et délicat processus électoral. Dadis Camara, dont les soutiens au sein de l’armée sont de moins en moins nombreux, est toujours en exil au Burkina Faso et efficacement maîtrisé. Cependant, l’importance réelle que les officiers supérieurs accordent à une vraie réforme reste encore à démontrer.

Le nouveau président sera confronté à une série de dilemmes qui l’entraîneront dans des directions contradictoires. Il devra dans un premier temps réussir à obtenir l’adhésion du plus grand nombre de militaires à l’idée d’une réforme, et faire coïncider les attentes des troupes avec les besoins réels du pays. Il sera difficile de trouver le point d’équilibre entre la nécessité de préserver l'armée et celle de réduire ses effectifs et de réformer sa gestion financière. Même si le président va devoir satisfaire certaines préoccupations de l'armée pour assurer sa sécurité et celle de la transition à court terme, il ne faudra pas laisser longtemps de côté les questions délicates. On trouve au sein de l’armée un mélange de réel soutien à la RSS et de peur de perdre des emplois et des privilèges ainsi que d’être exposés à de possibles sanctions pour les violations des droits de l'homme. Ces craintes sont exacerbées par la conscience de la profonde hostilité que l’armée suscite, surtout depuis le massacre des partisans de l'opposition du 28 septembre 2009.

Le risque existe de voir l'armée se montrer prête à abandonner le pouvoir formel tout en cherchant à conserver une influence significative en coulisses et finissant par refuser de se subordonner à l'autorité civile sur les questions qui la concerne. C’est ce qui est arrivé en Guinée-Bissau, où la RSS menée par l'Union européenne et l'ONU a échoué, l'armée ayant réussi à monter les différents acteurs internationaux les uns contre les autres. Une bonne coordination internationale sera indispensable pour éviter un tel scénario en Guinée.

L'objectif du processus de réforme est d'établir une force beaucoup plus petite, responsable devant le pouvoir civil et capable de répondre aux besoins sécuritaires du pays. La priorité la plus urgente doit être de faire en sorte que la plus grande partie possible de l'armée comprenne et accepte cet objectif sans le laisser dicter la nature et le rythme du processus. Les défis à long terme seront d'améliorer le contrôle du pouvoir civil sur l’armée, de réduire la taille de ses effectifs et d'établir la transparence financière. Ces mesures doivent aller de pair avec une amélioration des conditions de vie et de travail des forces armées. Le président doit aussi résister à la tentation d'utiliser l'armée à des fins partisanes et chercher plutôt à s'appuyer sur sa légitimité démocratique pour gouverner efficacement.

Les officiers supérieurs doivent être conscients qu'une réforme globale est dans l’intérêt de l’armée et que toute tentative de gêner sa mise en œuvre entamerait leur crédibilité, renforcerait les sentiments anti-militaires des Guinéens, empêcherait l’armée de prendre part à des missions internationales de maintien de la paix; engendrerait une instabilité politique et aboutirait à un plus grand isolement du pays, ainsi qu’à d’éventuelles sanctions internationales comme des interdictions de voyager pour les officiers et leurs familles.

La communauté internationale ne sera probablement pas autant impliquée dans la réforme du système de sécurité de la Guinée qu’elle l'a été au Libéria et en Sierra Leone, même si elle offrira probablement son aide et son soutien à la formation. La plupart des bailleurs de fonds sont dans l’attente, prêts à négocier leur aide avec une nouvelle administration civile. Cette aide devra être généreuse et à long terme, parce que la situation restera fragile pendant quelque temps encore, et que tout retour en arrière mettrait en péril les acquis dans la région. La réforme de l’armée nécessitera donc un effort soutenu, elle exigera et alimentera tout à la fois une réforme plus large du secteur public, avec des répercussions importantes pour l’Afrique de l’Ouest.

Dakar/Nairobi/Brussels, 23 septembre 2010

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