Briefing / Africa 4 minutes

La Guinée en transition

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I. Résumé

Depuis bien trop longtemps, les personnalités publiques en Afrique et ailleurs rechignent à examiner les profonds problèmes de la Guinée. La forte position anti-impérialiste que le pays a adoptée depuis les années 60 lui a fait gagner le respect des pan-africanistes, mais l’attitude de non-intervention qui en résultait a depuis longtemps laissé place à l’indifférence et au cynisme. Il est désormais fort probable que le mandat de Lansana Conté s’achèvera par un coup d’État militaire, que certains semblent déjà prêts à accepter avant même que celui-ci ne se produise, comme s’ils y voyaient un moyen de préserver la souveraineté de la Guinée. Cependant, certains membres de l’élite civile guinéenne commencent enfin à considérer l’avenir du pays comme un sujet de préoccupation collective les concernant directement et ne devant pas être laissée entre les mains de tiers, qu’il s’agisse de l’armée ou de diplomates étrangers. Ils devraient être encouragés sur cette voie, notamment par les acteurs internationaux concernés.

Le mélodrame du 4-5 avril demande encore à être pleinement éclairés. La seconde annonce sur les ondes de la radio nationales d’un remaniement profond du cabinet fut interrompue par des soldats, puis le décret présidentiel y référant fut annulé et le premier ministre congédié. D’aucuns racontent que le premier ministre aurait falsifié une partie ou tout de ce décret, visiblement signé par le président, et qui aurait renforcé la position du premier ministre face à un clan rival proche du président. D’autres pensent que le clan autour du secrétaire de la présidence, Fodé Bangoura, auraient simplement convaincu le président de faire volte-face. Il importe peu de savoir laquelle de ces versions est la bonne. Toutes deux illustrent la décrépitude fondamentale du centre du gouvernement, proche de l’anarchie, incapable de prendre des décisions autrement que par les décrets d’un individu au mieux inconstant et qui pourrait désormais ne plus être entièrement apte à gouverner.

Au milieu de cette lutte peu reluisante pour le pouvoir, la société civile commence à formuler une vision pour l’avenir de la Guinée qui se base sur une succession civile pacifique. Les bailleurs de fonds devraient avoir honte de ne pas avoir fait davantage. L’Agence américaine pour le développement international (USAID) a réduit de deux tiers son budget, le Canada a fermé son ambassade et l’argent de l’Union européenne (UE), après une suspension des aides de plusieurs années pour cause de mauvaise gouvernance, commence tout juste à arriver au compte-gouttes. Alors que la société civile avance, les Guinéens sont accablés par la faim, le manque d’électricité et d’eau, le délabrement des infrastructures de communication et l’absence de services de santé et de soins.

Afin de permettre à ce nouvel élan d’autonomie de se généraliser à l’ensemble de la population, les organisations de la société civile, la presse et les syndicats ont besoin de recevoir dès à présent un soutien des bailleurs de fonds. Ces derniers devraient immédiatement se mettre au travail pour corriger les problèmes rencontrés lors des élections municipales de décembre 2005. Celles-ci ont été bien préparées mais se sont mal déroulées, en particulier à cause des cartes d’électeurs inappropriées et de l’absence de pouvoir de la commission électorale.

Les propositions formulées à la fin du mois de février et au début du mois de mars 2006 par la Concertation nationale, qui rassemble les partis politiques, les organisations de la société civile, les syndicalistes, les groupes de femmes et les jeunes, doivent également mieux prendre en compte les réalités du terrain. Or, seule une transition civile permettra leur application. Les appels à l’abolition de toutes les institutions existantes, depuis la Cour suprême jusqu’à l’Assemblée nationale, risquent plus probablement de pousser les hommes politiques civils du gouvernement dans les bras de l’armée plutôt que de les inciter, ainsi que les généraux et les colonels, à envisager une transition légale. La clé de l’avenir réside dans l’aptitude à combiner une situation idéale avec la situation actuelle. Il faudra construire en s’appuyant sur les modestes réformes politiques réalisées en 2005 et faire la distinction entre les interventions techniques nécessaires pour une plus grande transparence des élections et un dialogue à plus long terme, indispensable pour effectuer des changements de taille dans les pratiques politiques, tels que la mise en place d’un pouvoir judiciaire plus indépendant, la réalisation de réformes constitutionnelles et une réflexion sur les injustices du passé qui hantent la société guinéenne.

Le fait que le Président Conté, gravement malade, se soit rendu en Suisse pour y recevoir un traitement médical pendant la Concertation nationale fut une nouvelle illustration d’un fait déjà avéré: depuis deux ans, le président se désengage de plus en plus de la gestion quotidienne du gouvernement. L’opportunisme et le désarroi que ce désengagement provoque apparurent au grand jour les 4 et 5 avril. La grève générale, en revanche, profila la société civile comme un possible contrepoids à la “guerre des clans” qui domine le gouvernement. Pour reprendre les termes qu’un observateur a utilisés récemment au sujet de la Guinée, “le génie est sorti de sa lampe”.

Afin d’aider les Guinéens, qui commencent pour la première fois depuis plusieurs années à se tourner vers l’avenir,

  • les bailleurs de fonds devraient accompagner leurs subventions de signaux diplomatiques clairs visant à établir qu’un gouvernement issu d’un coup d’État militaire (même si celui-ci comprenait un élément civil), serait isolé, ne serait pas reconnu et ne recevrait aucune aide internationale;
     
  • les acteurs internationaux devraient soutenir le dialogue amorcé au cours de la Concertation nationale suivant deux axes distincts mais complémentaires: tout d’abord, la préparation d’élections dans la transparence, qu’il s’agisse d’élections présidentielles, ou des élections législatives prévues pour 2007; le deuxième axe de discussion viserait à mettre en place une Conférence Nationale pour définir des objectifs sociaux, politiques et de gouvernance, et notamment des recommandations en matière de réforme constitutionnelle;
     
  • le Vatican devrait autoriser Msgr Robert Sarah, prêtre engagé très respecté, à diriger la Conférence nationale, si celle-ci devait l’élire à sa tête; et
     
  • en cas de vacance soudaine de la présidence, les acteurs internationaux devraient faire pression sur le président de la Cour suprême pour qu’il prolonge la période transitoire de 60 jours d’une durée suffisante pour permettre la révision des listes électorales, la préparations de cartes d’identité avec photographie pour les électeurs, et pour permettre aux partis politiques d’organiser leur campagne électorale; par ailleurs, l’UE devrait libérer des fonds provenant du Fonds de développement européen pour rendre tout cela possible.

I. Overview

For too long, public figures within and outside Africa have been timid about discussing Guinea’s deep-rooted problems. Its strong anti-imperialist stance in the 1960s and beyond earned it respect among pan-Africanists, but the hands-off attitude that grew out of that respect has long since degraded into indifference and cynicism. The probability is now high that President Conté’s term will end in a military takeover, which some seem prepared to accept before the fact, as if it were a means of preserving Guinea’s sovereignty. But parts of Guinea’s civilian elite are finally beginning to treat the country’s future as their own collective concern, one not to be resolved by a third party, whether the army or foreign diplomats. They should be given every encouragement, including by relevant international actors, to do so.

The melodramatic events of 4-5 April 2006 are yet to be fully explained. A major cabinet shake-up was announced initially on national radio, then stopped in mid-broadcast by soldiers during a second announcement; this led within hours to the relevant presidential decree being rescinded and the prime minister sacked. Some claim the prime minister forged part or all of the decree that was said to be signed by the president and would have strengthened the prime minister’s position relative to a rival clan close to the president. Others say the clan, led by the secretary general of the presidency, Fodé Bangoura, simply convinced the president to change his position publicly. It does not matter which version is true: both point to fundamental decrepitude, verging on anarchy, at the centre of a government incapable of taking decisions except by the decree of an individual who is fickle at best and may now not be fully competent to act.

In the midst of this ugly scrum for power, civil society is beginning to formulate a vision for Guinea’s future, including a peaceful civilian succession. Donors should be ashamed they have not done more to help. The U.S. Agency for International Development (USAID) has slashed its budget by two thirds, Canada has closed its embassy, and European Union (EU) money is just starting to trickle in, after being frozen for years because of Guinea’s poor governance record. While Guinea’s civil society moves forward, average citizens are buckling under the combined weight of hunger, lack of electricity and water, a decrepit communications infrastructure, and absence of health and education services.

If the new spirit of self-reliance is to gain traction among the general population, civil society organisations, press and labour unions need a real influx of donor money now. Donors should immediately begin work on how the inadequacies of the December 2005 municipal elections might be repaired. They were well prepared but poorly executed, especially because of inadequate voter identity cards and a powerless electoral commission.

The proposals coming out of the National Consultation (Concertation Nationale) in late February/early March 2006, bringing together political parties, civil society organisations, trade unionists, women’s groups and youth, must also take better account of realities on the ground. A civilian transition is the prerequisite for them to be applied. Calls for all existing institutions, from the Supreme Court to the National Assembly, to be abolished are more likely to throw the government’s civilian politicians into the arms of the military than to entice them or to encourage the generals and colonels to think about a legal transition.

The way forward will have to mix the ideal with the actually existing. It should build upon the modest political reforms made in 2005 and distinguish the technical interventions necessary for more transparent elections from the longer-term dialogue required to plot out major changes in political practice, including a more independent judiciary, constitutional reform, and addressing past injustices that fester just beneath the surface of Guinean society.

The seriously ill President Conté’s trip to Switzerland for medical treatment, in the midst of the National Consultation, dramatised what was already a fact: his increasing absence from the day-to-day management of government over the last two years. The opportunism and disarray surrounding that absence were publicly displayed on 4-5 April. With the general strike, however, civil society has presented itself as a possible counterweight to the “war of clans” that dominates the government. As an observer said, “the genie is out of the bottle”.

To help Guineans as they start to look forward for the first time in many years:

  • donors should accompany their funding with clear diplomatic signals that a government formed through military takeover (even if it had a civilian component) would be unacceptable and denied recognition or aid;
     
  • international actors should support the dialogue begun in the National Consultation along two separate but parallel tracks: the first, immediate preparation for transparent elections, whether they be presidential, or the legislative polls slated for 2007; the second to institute a National Conference that would set social, political and governance goals, including recommendations for constitutional reform;
     
  • the Vatican should authorise the widely respected engaged priest, Msgr Robert Sarah, to lead the National Conference in the event he is elected as its head; and
     
  • if Conté’s office becomes open suddenly, international actors should press the president of the Supreme Court to extend the 60-day interim period envisaged by the constitution at least long enough to allow electoral lists to be revised, photographic identity cards for voters to be prepared and parties to organise their campaigns; and the EU should release money from the European Development Fund to make this possible.

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