Briefing / Africa 4 minutes

Guinée: la transition ne fait que commencer

La junte militaire, qui a pris le contrôle du pays quelques heures seulement après le décès du président Conté le 23 décembre 2008, a depuis renforcé son emprise sur le pouvoir. Le président auto-proclamé, Moussa Dadis Camara, et le groupe de jeunes officiers qui l’entourent et se sont eux-mêmes désignés Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), montrent peu d’empressement à organiser, comme promis, des élections avant la fin de l’année 2009.

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Synthèse

La junte militaire, qui a pris le contrôle du pays quelques heures seulement après le décès du président Conté le 23 décembre 2008, a depuis renforcé son emprise sur le pouvoir. Le président auto-proclamé, Moussa Dadis Camara, et le groupe de jeunes officiers qui l’entourent et se sont eux-mêmes désignés Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), montrent peu d’empressement à organiser, comme promis, des élections avant la fin de l’année 2009. Alors qu’une situation économique difficile contribue à saper le soutien populaire, la junte, sans expérience du pouvoir politique, pourrait être tentée d’avoir recours à des mesures autoritaires pour faire face à l’opposition. Le risque d’un contre-coup étant toujours présent, la transition démocratique sera dans le meilleur des cas, un processus long et difficile. Il est urgent que des pressions nationales et internationales s’exercent, de façon concertée, pour permettre le retour à un régime civil, avant même des élections, surtout si la junte tente de temporiser.

Conté a laissé en héritage des forces de sécurité connues pour leur brutalité, une économie en lambeaux, un manque de cohésion au sein de la société civile et des partis politiques qui ne cessent de se quereller. En dépit d’une histoire tourmentée avec l’armée, de nombreux Guinéens ont accueilli la junte comme la moins pire des solutions à la succession de Lansana Conté. La société civile et les partis politiques soulignent que la constitution a tellement été manipulée sous Conté qu’elle ne pouvait de toutes façons pas offrir une solution à la crise qu’il a lui-même engendrée.

Les dirigeants de la junte n’ont aucune expérience du pouvoir civil. Si certains d’entre eux sont sans aucun doute sincères quand ils déclarent vouloir mettre fin à la corruption des années Conté, d’autres ont déjà été accusés de graves violations des droits de l’homme. Bien que la junte ait annoncé qu’elle était prête à remettre le pouvoir à un président civil, elle vient de passer plus de deux mois à renforcer son emprise sur l’Etat en remplaçant des dizaines de fonctionnaires par ses propres partisans. La plupart des postes clés du gouvernement nommé le 14 janvier sont détenus par des militaires. Les méthodes de gouvernement de la junte paraissent peu viables, mais l’exercice et les sinécures du pouvoir pourraient s’avérer trop séduisants pour qu’elle accepte d’y renoncer.

Les principaux risques pour la transition sont des dissensions au sein de la junte, puis au sein des forces de sécurité dans leur ensemble, à mesure que celles-ci commencent à se disputer le pouvoir et ses privilèges, et éventuellement à se diviser en factions communautaires. La possibilité d’un contre-coup violent est réelle et s’accroit chaque jour que la junte reste au pouvoir. Qu’il s’agisse des débordements de rue dus au mécontentement populaire et à la dégradation continue des conditions de vie, des divisions naissantes entre des mouvements de jeunes nouvellement formés et des partis politiques qui se disputent le soutien des militaires, des différends irréconciliables sur le processus de transition, ou encore d’une combinaison de ces différents risques, un cycle de violence difficilement contrôlable pourrait rapidement voir le jour.

La vague d’espoirs suscités par les événements a donné naissance à une prolifération de demandes et de propositions de réformes. Néanmoins, si les organisations de la société civile et les partis politiques veulent jouer un rôle constructif dans la transition, ils doivent surmonter leurs différends historiques et se concentrer sur les priorités des dix prochains mois. Un calendrier de transition clair et précis doit être établi. Si un Conseil national de transition (CNT), tel que proposé par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et les organisations de la société civile, et désormais approuvé par la junte, est mis en place, son ordre du jour et ses pouvoirs doivent être précisés au plus vite.

Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour que des élections puissent avoir lieu, et certaines questions, sujettes à controverse, restent à résoudre. Plus les élections seront différées, plus grande sera la capacité de la junte à leur opposer des obstacles supplémentaires qui pourraient aboutir à une dangereuse impasse. Il ne faut pas le permettre. La réunion des 16 et 17 février du Groupe international de contact sur la Guinée a pressé le CNDD, à juste titre, de s’en tenir à un calendrier de transition rapide, mais elle n’est pas allée assez loin. Il n’y a aucune raison pour que la société civile, les partis politiques et la communauté internationale acceptent que le CNDD reste au pouvoir en cas de report des élections. Il faut pousser les militaires à quitter le pouvoir et les empêcher de s’installer durablement au sein de l’administration publique du pays. Si la nomination d’un chef d’Etat civil de transition peut poser problème, les autres cas de figure pourraient être bien pires. Il convient dès maintenant d’ouvrir un débat sur des modes alternatifs de gouvernance.

Le CNDD est dans une position similaire à celle des gouvernements réformistes que la Guinée a connus au cours des dix dernières années. Le soutien populaire initial va sans aucun doute être mis à l’épreuve du fait d’une situation économique qui ne cesse de se détériorer. La communauté internationale se verra alors, une fois de plus, appelée à l’aide pour renflouer les caisses de l’Etat. Il est vital que, cette fois-ci, l’influence des bailleurs de fonds serve à minimiser les risques que représente ce régime militaire pour la Guinée et pour la région. Les mesures suivantes doivent être prises de façon urgente :

  • Le CNDD doit mettre fin aux abus commis par les forces de sécurité, cesser de concentrer les fonctions étatiques entre ses mains, et permettre au nouveau gouvernement de travailler sans entrave. Les dirigeants du CNDD doivent préciser leur rôle dans le processus de transition, et accepter de façon unanime le principe d’un départ du pouvoir d’ici la fin de l’année 2009, indépendamment du calendrier électoral et en planifiant de façon claire leur retour dans les casernes.
     
  • Les partis politiques et la société civile doivent mettre de côté l’euphorie de la fin du mois de décembre, s’accorder le plus rapidement possible sur les règles du jeu de la transition démocratique, qui doivent inclure des alternatives pour la transition, et exiger du CNDD un calendrier de départ du pouvoir d’ici la fin de l’année 2009, indépendamment du calendrier électoral.
     
  • La communauté internationale doit apporter un soutien d’envergure à la transition démocratique, en faisant pression sur la junte pour que des élections aient lieu, en appuyant elle-même les préparatifs électoraux et en fournissant rapidement les moyens d’un programme d’observation électorale, tout en soulignant que la légitimité apparente de ce coup d’Etat non-violent va rapidement s’estomper si la transition s’éternise. La communauté internationale doit faire pression sur la junte pour que celle-ci permette au gouvernement de travailler sans entrave et renonce à nommer des militaires à des postes de l’administration publique. Avec les Guinéens, elle doit décider d’une date butoir à la fin de l’année pour un retour à un régime civil, même si des élections n’ont pas eu lieu. Les mesures prises par les organisations internationales (UA, CEDEAO) et les acteurs bilatéraux (Etats-Unis) au lendemain du coup d’Etat, y compris la suspension de la Guinée de ces organisations et des restrictions sur l’aide qu’elle reçoit, devraient être maintenues jusqu’à ce que des progrès tangibles vers la transition à un régime civil se fassent sentir. L’armée devrait enfin être avisée que tout acte de violence au sein de la junte ou contre la population civile sera l’objet de sanctions ciblées.

 

Dakar/Bruxelles, 5 mars 2009

Overview

The military junta that took control of the country just hours after President Conté’s death on 23 December 2008 has tightened its grip on power. The self-proclaimed president, Moussa Dadis Camara, and his group of mid-ranking officers calling itself the National Council for Democracy and Development (Conseil national pour la démocratie et le développement, CNDD), have shown few signs of moving towards elections by the end of 2009 as promised. As Guinea’s dire economic prospects erode popular support, the junta, unpracticed in governing, is also in danger of resorting to authoritarian measures. With the risk of a counter-coup from dissatisfied army elements still present, a democratic transition at best faces a long and difficult road. Concerted national and international pressure is urgently needed to produce a return to civilian rule, even before elections if the junta begins to stall on preparations for a vote.

Conté left a legacy of abusive security forces, a collapsed economy and lack of trust among a divided civil society and quarrelsome political parties. Despite their troubled relationship with the military, many Guineans have welcomed the junta as the least worst option. Political parties and civil society groups have argued that the constitution was so manipulated under Conté that it could not provide a way out of the crisis he left behind.

The junta’s leaders are unacquainted with the exercise of state power. While some are undoubtedly sincere in their declared intention of cleaning up the corruption of the Conté years, serious allegations of human rights abuses have been levelled against others. Although the junta has said it is willing to hand over to a civilian president, it has spent more than two months consolidating its grip on power by replacing dozens of administrators with its own supporters. Most of the key posts in the government named on 14 January are held by the military. The junta’s governance style is unlikely to be sustainable, but the exercise and sinecures of power may prove too attractive for the soldiers to give it up voluntarily.

The principal risks to the transition are fractures within the junta and subsequently among the wider security forces as they fight over the spoils of power and perhaps fragment on ethnic lines as well. A violent counter-coup is a distinct possibility and likely to become more so the longer the junta stays in power. Other risks include a spillover into the streets of public dissatisfaction with the junta’s record and the continuing decline in living standards; divisions emerging between newly formed youth groups and political parties competing for junta patronage; intractable disagreements over the transition; or a combination of any of these.

High expectations have led to a proliferation of uncoordinated demands and proposals for reform, but if civil society groups and political parties are to play a constructive role in the transition, they need to overcome their historical differences and concentrate on the priorities of the next ten months. A clear transition timetable needs to be agreed upon. If a National Transitional Council (Conseil national de transition, CNT), as proposed by both the Economic Community of West African States (ECOWAS) and civil society groups and now endorsed by the junta, is to be put in place, its terms of reference and precise powers must be agreed upon with no further delay.

Preparations for elections still have a long way to go, and potentially controversial issues are yet to be resolved. The longer elections are delayed, the greater is the junta’s ability to create further obstacles from which a dangerous impasse could result. This should not be allowed. The 16–17 February meeting of the International Contact Group on Guinea helpfully pressed the CNDD to stick to a short transition timetable, but it did not go far enough. There is no reason why civil society, political parties and the international community should accept the CNDD remaining in power beyond the end of 2009 if elections are delayed. The military needs to be edged out, to prevent it becoming rooted in the country’s public administration. Although the nomination of a civilian transitional head of state might pose problems, other scenarios could be much worse. The debate over alternative governance arrangements should start now.

The CNDD is in a similar position to the reformist governments Guinea has known over the last ten years. Initial popular support will be put to the test by a deteriorating economy. The international community will then, once again, be asked to bail out the government. It is vital to use donor leverage effectively this time, so as to minimise the risks that military rule presents to Guinea and the region. The following steps are urgent:

  • The CNDD should rein in security force abuse, stop centralising state functions in its hands and instead allow the newly formed government to work unhindered. CNDD leaders should clarify their position on the transition, accepting unanimously the principle of leaving power by the end of 2009, regardless of the electoral timetable, and making clear plans for a return to barracks.
     
  • Political parties and civil society must put the euphoria of late December aside, urgently build a working consensus on the rules for democratic transition that includes alternative transitional governance arrangements as necessary and demand a clear timetable for the CNDD’s departure by the end of 2009, independent of the electoral timetable.
     
  • The international community must significantly support democratic transition by pressing the junta on elections, assisting their preparation and providing early observation, as well as emphasising that the apparent legitimacy of the bloodless coup will fade rapidly if the transition drags on. It should press the junta to allow the government to work free of military influence and desist from appointing military personnel to posts in public administration. With Guineans, it should decide on an end-of-year deadline for return of civilian rule even if elections have not yet been held. International organisation (AU, ECOWAS) and bilateral (U.S.) measures put in place after the coup, including suspension of Guinea’s membership and limitations on aid, should be maintained until there is firm progress on transition, and it should be made clear that violence within the junta or against civilians will be met with targeted sanctions.

 

Dakar/Brussels, 5 March 2009

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