Pour une intervention internationale en Guinée
Pour une intervention internationale en Guinée
Ebola en Guinée : une épidémie « politique » ?
Ebola en Guinée : une épidémie « politique » ?
Op-Ed / Africa 3 minutes

Pour une intervention internationale en Guinée

La tentative d'assassinat jeudi 3 décembre sur le capitaine Dadis Camara par son aide de camp Aboubacar "Toumba" Diakité illustre clairement l'implosion qui menace l'armée guinéenne et le risque de chaos qui pèse sur le pays, et qui pourrait affecter la région tout entière. La médiation Compaoré doit immédiatement reprendre les pourparlers avec le nouveau chef de la junte à Conakry pour négocier le transfert du pouvoir à une autorité civile, qui devra être soutenue par une mission militaire régionale.

Ces dernières années, l'Afrique de l'Ouest semblait se diriger vers la stabilité. Au Liberia et en Sierra Leone, la sortie de crise semble acquise. La Côte d'Ivoire a elle aussi progressé vers la stabilisation, même si son processus électoral pourrait s'avérer très risqué. En Guinée, la mort de Lansana Conté en décembre 2008 avait soulevé l'espoir d'une démocratisation. La disparition d'une dictature militaire, qui avait maintenu le pays dans la misère économique et la répression pendant près de deux décennies, semblait ouvrir la voie d'une transition vers un gouvernement civil. Le capitaine Dadis Camara avait succédé à Lansana Conté au nom du changement, et les forces d'opposition se disaient confiantes. Les préparatifs pour l'organisation d'élections libres semblaient relancés.

Dadis Camara revint cependant sur sa promesse de ne pas se présenter à la présidentielle, et, face au refus progressif de la junte d'inclure l'opposition et la société civile, appelées en Guinée les forces vives, dans le processus de décision devant mener aux élections, le dialogue entre les parties guinéennes fut rompu. La junte répondit alors par la répression, censurant le débat politique et arrêtant les dirigeants de l'opposition. La situation tourna au cauchemar le 28 septembre, quand les bérets rouges de la présidence attaquèrent une manifestation pacifique, tuant plus de 150 personnes et menant une campagne de viols pour punir la population rassemblée.

Le pire est à craindre pour la Guinée. Depuis plusieurs mois, des milices ont été recrutées par les chefs de la junte dans des régions isolées du pays, comme forces d'appoint en cas de perte du pouvoir. La plupart de ces hommes sont d'anciens combattants, mobilisés initialement pour défendre la Guinée contre les forces de Charles Taylor, puis engagés aux côtés des rebelles libériens.

Après le massacre du 28 septembre, la réponse de la communauté internationale avait été ferme. Elle s'est montrée exceptionnellement unie autour de deux exigences principales : une administration de transition devait préparer l'élection d'un gouvernement civil, et les dirigeants de la junte devaient renoncer à briguer la présidence. L'organisation régionale ouest-africaine, la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedao), l'Union africaine, l'Union européenne et les Etats-Unis ont ensuite décrété des sanctions ciblées contre les responsables de la junte qui refusèrent d'y adhérer. Une commission d'enquête internationale fut nommée pour faire toute la lumière sur les crimes commis à Conakry, et Blaise Compaoré, le président du Burkina Faso, fut mandaté pour négocier le retour du pouvoir à une administration civile.

Ces mesures n'ont pour le moment pas suffi à faire lâcher prise aux militaires guinéens. Des entreprises russes, chinoises et européennes leur auraient de plus fourni les subsides nécessaires pour se consolider et acheter des armes en violation d'un embargo régional, en échange de contrats miniers. Alors que la fermeté s'imposait, Compaoré sembla aussi prendre le parti de Camara, en proposant qu'un homme de la junte dirige le gouvernement de transition menant aux élections, et que l'un de ses membres soit autorisé à briguer la présidence, en violation directe des recommandations de la Cedeao.

Divisée, avide de pouvoir et de ses prébendes, l'armée guinéenne pourrait mener le pays au chaos. L'urgence est de négocier le transfert des responsabilités civiles de l'Etat à une autorité de transition chargée d'organiser les élections et comprenant des représentants des forces vives. Le nouveau leader de la junte, Sékouba Konaté, devrait en faire partie afin de gérer le retour des militaires dans leurs casernes, le désarmement des milices, et d'éviter l'implosion du corps de défense et de sécurité. Une mission militaire régionale de protection de l'autorité de transition et des leaders politiques de l'opposition - forte d'un bataillon comme la mission sud-africaine mandatée au Burundi - sera sans aucun doute nécessaire pour accompagner ce processus.

La médiation Compaoré doit d'ores et déjà intégrer ce déploiement au chapitre des négociations avec la junte, tandis que de hauts responsables militaires de la région devraient se rendre à Conakry pour en discuter la finalité et le concept d'opérations. Soutenue par la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, la région doit également mettre des troupes en alerte et formuler un plan pour une intervention rapide au cas où la situation à Conakry viendrait à se détériorer.

A défaut de progrès rapides des négociations et de concessions immédiates des militaires guinéens, leur isolement doit être accentué, et les sanctions étendues à tout individu ou société leur apportant des subsides. La Russie et la Chine, en particulier, doivent soutenir les décisions de la région et endosser le régime de sanctions par le Conseil de sécurité de l'ONU. Les deux pays ne peuvent prétendre que l'armée guinéenne est garante de la stabilité du pays ou de la sécurité des contrats miniers. Le maintien indéfini d'une armée divisée et corrompue au pouvoir à Conakry mènera tôt ou tard à d'autres échauffourées entre ses leaders, et, in fine, au chaos.

Subscribe to Crisis Group’s Email Updates

Receive the best source of conflict analysis right in your inbox.