Report / Africa 3 minutes

Le golfe de Guinée : la nouvelle zone à haut risque

Pour endiguer la piraterie et éviter que le golfe de Guinée, qui fournit 40 pour cent du pétrole européen et 29 pour cent du pétrole américain, ne devienne un nouveau golfe d’Aden, une véritable coopération régionale en matière de sécurité et une meilleure gouvernance économique sont indispensables.

  • Share
  • Enregistrer
  • Imprimer
  • Download PDF Full Report

Synthèse

En l’espace d’une décennie, le golfe de Guinée est devenu l’une des zones maritimes les plus dangereuses du monde. L’insécurité maritime est un véritable problème régional qui menace, à court terme, le commerce et, à long terme, la stabilité des pays riverains en compromettant le développement de cette zone économique stratégique. Initialement pris au dépourvu, les Etats de la région ont pris conscience du problème et un sommet international sur ce sujet doit être prochainement organisé. Afin d’éviter que, comme sur les côtes est-africaines, cette criminalité transnationale ne prenne une ampleur déstabilisatrice, les gouvernements concernés doivent mettre fin au vide sécuritaire et apporter une réponse collective à ce danger. Grâce à une coopération dynamique entre la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC) et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), les pays du golfe de Guinée doivent devenir les premiers acteurs de leur sécurité et mettre en œuvre une nouvelle approche fondée sur l’amélioration de leur sécurité maritime mais aussi de leur gouvernance économique.

Les découvertes récentes de gisements offshore d’hydro­carbures ont accru l’intérêt géostratégique du golfe de Guinée. Après avoir longtemps négligé leur domaine maritime, les Etats riverains sont désormais conscients de leur défaillance. Au plan international, le regain d’intérêt des puissances occidentales s’accompagne maintenant de celui des nations émergentes. Dans ce contexte, la montée de la criminalité maritime suscite l’inquiétude collective dans une région où, pendant des décennies, les problèmes de souveraineté et de contrôle territorial ne se sont posés que sur la terre ferme.

La région du delta du Niger, au Nigéria, était l’épicentre initial de cette criminalité. Pendant des décennies, l’ex­ploitation pétrolière a paradoxalement créé une situation de pauvreté. Alors que les tensions sociales augmentaient et que l’environnement se détériorait, la rente pétrolière n’a, en grande partie, bénéficié qu’aux pouvoirs centraux, aux compagnies pétrolières et aux élites locales. Les exclus du système de redistribution ont fini par basculer dans la contestation violente. Contraints de contourner l’Etat pour accéder à une fraction de la rente, ces derniers ont développé des activités illicites parallèles aux circuits officiels : siphonage du brut, raffinage clandestin, trafic du carburant, entre autres. L’augmentation constante des enjeux financiers a permis à ces activités de prospérer et à la criminalisation de l’économie de s’étendre.

La faiblesse ou l’inadéquation générale des politiques maritimes des Etats du golfe de Guinée, ainsi que l’absence de coopération entre eux, ont permis à ces réseaux criminels de diversifier leurs activités et de s’étendre peu à peu au-delà du périmètre des côtes nigérianes et en haute mer. La criminalité ne vise plus le seul secteur pétrolier, elle est devenue un phénomène diversifié incluant la piraterie maritime et des raids de plus en plus audacieux et perfectionnés menés depuis la mer. Par effet d’imitation ou mettant à profit certaines conjonctures sociopolitiques troublées, des groupes criminels se sont manifestés sur les côtes camerounaises, en Guinée équatoriale, au large de São Tomé-et-Principe, du Bénin et du Togo.

Au-delà de l’effet de surprise, les Etats du golfe de Guinée et les pays occidentaux s’interrogent désormais sur la meilleure manière d’endiguer ce problème avant qu’il ne prenne une ampleur déstabilisatrice. Au niveau national ou au sein des organisations régionales, des opérations ponctuelles ont été lancées et des stratégies de sécurisation sont en voie de formulation. Les Etats les plus touchés s’efforcent de se doter d’une marine et renforcent leurs moyens répressifs près des côtes dans l’espoir de dissuader les criminels.

Au plan régional, dans le cadre de son mandat de paix et de sécurité, la CEEAC a créé un centre régional de sécurité maritime et organisé des exercices d’entrainement conjoints. Cependant, le financement des efforts de coopération et la coordination demeurent un défi pour les Etats riverains. Par ailleurs, les politiques maritimes restent encore embryonnaires et symboliques sans une présence continue en mer. Au sein de la Cedeao, la coopération dans ce domaine en est encore à ses débuts et elle est ralentie par les tensions politiques et la méfiance des Etats voisins vis-à-vis du Nigéria.

Au niveau interrégional, la collaboration entre la CEEAC et la Cedeao actuellement à l’étude permettrait aux patrouilles régionales d’exercer un droit de poursuite au-delà des frontières maritimes. Cependant, les discussions interrégionales n’en sont qu’à leurs débuts et les modalités d’opérationnalisation de cette collaboration sont elles aussi ralenties par des tensions politiques. Enfin, de leur côté, les puissances occidentales présentes dans la région (Etats-Unis, France, Royaume-Uni) et les nations émergentes qui y ont des intérêts économiques (Afrique du Sud, Brésil, Chine, Inde) entendent désormais soutenir ces différentes initiatives et fournir appui financier et expertise sécuritaire.

L’institutionnalisation de la coopération régionale ainsi que la multiplication des initiatives internationales ne doivent cependant pas faire oublier que la montée de la criminalité dans le golfe de Guinée est surtout la conséquence d’un certain déficit de gouvernance. Dans leur grande majorité, les Etats de la région ont échoué à contrôler les activités économiques dans leurs domaines maritimes ainsi que dans les eaux internationales et à assurer le développement de leurs espaces côtiers. Cette défaillance collective a constitué une véritable opportunité pour les réseaux criminels qui jouent sur les besoins et les ressentiments des communautés locales. Inverser cette tendance négative requiert des mesures urgentes à différents niveaux : des réformes pour améliorer la gouvernance économique et sécuritaire, des politiques publiques maritimes intégrées et efficaces et une coopération régionale qui dépasse les simples déclarations d’intention. Ces mesures doivent s’inscrire dans la durée car, si la piraterie est un phénomène récent dans cette région, ses causes sont anciennes.

Dakar/Nairobi/Bruxelles, 12 décembre 2012

Executive Summary

Within a decade, the Gulf of Guinea has become one of the most dangerous maritime areas in the world. Maritime insecurity is a major regional problem that is compromising the development of this strategic economic area and threatening maritime trade in the short term and the stability of coastal states in the long term. Initially taken by surprise, the region’s governments are now aware of the problem and the UN is organising a summit meeting on the issue. In order to avoid violent transnational crime destabilising the maritime economy and coastal states, as it has done on the East African coast, these states must fill the security vacuum in their territorial waters and provide a collective response to this danger. Gulf of Guinea countries must press for dynamic cooperation between the Economic Community of Central African States (ECCAS) and the Economic Community of West African States (ECOWAS), take the initiative in promoting security and adopt a new approach based on improving not only security but also economic governance.

The recent discovery of offshore hydrocarbon deposits has increased the geostrategic importance of the Gulf of Guinea. After long neglecting their maritime zones, Gulf of Guinea states are now aware of their weakness. On the international front, renewed Western interest in the region is accompanied by similar interest from emerging nations. In this context, the rise in maritime crime has increased collective concern in a region where, for decades, the problems of sovereignty and territorial control have only been posed on dry land.

The Niger delta region in Nigeria was the initial epicentre of maritime crime. For decades, oil production has paradoxically created poverty. As social tensions and environmental pollution increased, oil income has, in large part, only benefited central government, oil companies and local elites. Those excluded from the system turned to violent opposition. Forced to bypass the state to gain access to even a fraction of this wealth, they have organised illegal activities, including siphoning off crude oil, clandestine refining and illegal trade in fuel. The constant increase in the value of the industry has allowed these activities to prosper and economic crime to spread.

The weakness and general inadequacy of the maritime policies of Gulf of Guinea states and the lack of cooperation between them have allowed criminal networks to diversify their activities and gradually extend them away from the Nigerian coast and out on to the high seas. Crime does not affect only the oil industry; it has diversified to include piracy and increasingly audacious and well-planned sea-borne raids. Criminal groups have learned quickly and appeared along the coasts of Cameroon, Equatorial Guinea, São Tomé and Príncipé, Benin and Togo, taking advantage of troubled socio-political situations.

Having recovered from the initial surprise, Gulf of Guinea states and Western countries are exploring how best to deal with the problem before it causes wider instability. States and regional organisations have launched specific operations and are formulating strategies to improve security. Those states most affected aim to build navies and increase resources for coastal policing in the hope of deterring criminals.

At the regional level, within the framework of its peace and security polices, ECCAS has created a regional maritime security centre and organised joint training exercises. However, states do not find it straightforward to organise joint funding or coordinate their efforts. Maritime policies are embryonic and symbolic and states are unable to maintain a continuous presence at sea. In the case of ECOWAS, maritime cooperation is still in its infancy and is hampered by political tensions and distrust of neighbouring states toward Nigeria.

At the inter-regional level, cooperation between ECCAS and ECOWAS would allow regional patrols to exercise the right of pursuit beyond maritime borders. However, inter-regional discussions have only just begun and political tensions hamper efforts to promote practical cooperation. Meanwhile, Western powers (U.S., France, U.K.) and emerging nations (Brazil, China, India, South Africa) with economic interests in the region are providing financial support and security expertise to assist local initiatives. 

The institutionalisation of regional cooperation and the increase in the number of international initiatives must not obscure the fact that rising crime in the Gulf of Guinea is mainly due to poor governance. Most states in the region have been unable to control economic activities in their maritime zones and in international waters and ensure the development of their coasts. This collective failure has created a major opportunity for criminal networks that feed on the needs and resentments of local communities. A range of urgent measures is needed to reverse this trend: reforms to improve governance of the economy and security sector, comprehensive and effective maritime public policies and practical regional cooperation beyond declarations of intent. A long-term response is needed because, although piracy is a recent phenomenon in the region, its root causes are much deeper.

Dakar/Nairobi/Brussels, 12 December 2012

Subscribe to Crisis Group’s Email Updates

Receive the best source of conflict analysis right in your inbox.