Group photograph of the heads of states and Government at the 48th Ordinary Session of the Ecowas Authority of Heads of State and Government in Abuja, 16th December 2015.
Group photograph of the heads of states and Government at the 48th Ordinary Session of the Ecowas Authority of Heads of State and Government in Abuja, 16th December 2015. AFP PHOTO/NurPhoto
Report / Africa 5 minutes

Mettre en œuvre l’architecture de paix et de sécurité (III) : l’Afrique de l’Ouest

La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a un bilan à faire valoir en matière de promotion de la paix dans une région particulièrement tourmentée. Une profonde réforme institutionnelle est aujourd’hui cruciale pour donner un nouvel élan à l’organisation alors que les menaces sécuritaires se multiplient dans la région du Sahel et celle du bassin du lac Tchad.

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Synthèse et Recommandations

La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a célébré en 2015 son quarantième anniversaire. Aussi bien en matière d’intégration économique régionale, son mandat initial, que de promotion de la paix dans une région particulièrement tourmentée, la Cedeao a un bilan à faire valoir. Mais elle a aussi des faiblesses évidentes nécessitant une profonde réforme institutionnelle. Cette réforme, cruciale pour donner un nouvel élan à l’organisation, est devenue une urgence alors que les menaces sécuritaires se multiplient dans la région du Sahel et celle du bassin du lac Tchad, deux foyers de crise qui dépassent le cadre géographique de l’espace Cedeao et sur lesquels l’organisation a du mal à être influente et efficace. 

Avec quinze Etats aux profils politique, linguistique et économique variés, occupant un vaste espace géographique entre côte atlantique et désert saharien, la Cedeao est la communauté économique régionale africaine la plus sollicitée depuis 25 ans sur le terrain de la paix et de la sécurité. Composée d’Etats fragiles n’ayant pas encore stabilisé leurs systèmes politiques, les crises se succèdent, forçant l’organisation à jouer un rôle de « pompier » dans les pays membres.

L’espace Cedeao a connu plus de quarante coups d’Etat depuis la période des indépendances, et fait l’expérience de dirigeants tentant de se maintenir coûte que coûte au pouvoir ou mettant en place des successions dynastiques. Elle a également été confrontée à des crises plus complexes, dans lesquelles l’instabilité politique a pris la forme de rébellions armées dans un contexte de clivages identitaires comme en Côte d’Ivoire ou de menace jihadiste comme plus récemment au Mali. La Cedeao, à travers la Conférence des chefs d’Etat et la Commission, a ainsi depuis les années 1990 réagi de manière systématique à toutes ces crises, avec des résultats incontestables sur le plan politique et diplomatique, mais mitigés militairement. 

Les interventions successives de la Cedeao en Guinée-Bissau, au Mali ou encore au Burkina Faso ont mis en lumière les points forts de l’organisation et les limites de sa capacité d’action. Malgré une mobilisation forte en temps et en moyens, certains objectifs clés ont été négligés, comme le renforcement des institutions politiques et sécuritaires des Etats membres, le réexamen de toutes les dimensions de sa Force en attente, ou la coopération régionale contre les menaces transnationales. Ces dernières défient les moyens classiques de prévention et de résolution des crises, au-delà des dispositifs classiques de médiation et de déploiement de missions militaires. 

Un ensemble de documents stratégiques et de plans d’action ont été élaborés ces dernières années pour renforcer l’organisation et remédier à ses insuffisances. La mise en œuvre concrète de ces stratégies est indispensable pour faire face à l’économie criminelle des trafics de drogue, d’armes et d’êtres humains, à l’implantation de groupes liés aux réseaux terroristes internationaux, et aux défis majeurs que sont la pauvreté, le chômage et la forte croissance démographique. La réponse appropriée aux défaillances que révèle l’action de la Cedeao est avant tout une réforme institutionnelle afin d’engager une profonde réorganisation interne, une modernisation de la gestion des ressources humaines et l’instauration d’une culture du résultat. Le Nigéria, qui exerce grâce à son poids économique et démographique une influence inégalée en Afrique de l’Ouest, doit jouer un rôle moteur dans la mise en œuvre de ces réformes.

Ce rapport, le troisième et dernier d’une série qui analyse la dimension régionale de l’insécurité en Afrique et les solutions collectives et individuelles qui y sont apportées, présente le dispositif institutionnel actuel de la Cedeao dans le domaine de la paix et de la sécurité, et analyse ses réponses et ses insuffisances à travers trois études de cas : la Guinée-Bissau, le Mali et le Burkina Faso. Il s’inscrit dans la réflexion collective engagée face à l’évolution de la nature des conflits et à l’accroissement des menaces transnationales. Les organisations régionales ont un rôle crucial à jouer pour apporter des solutions à ces nouveaux phénomènes. Ce rapport envisage les réformes institutionnelles souhaitables pour améliorer l’action collective de la Cedeao face à l’immense défi de la paix et de la sécurité en Afrique de l’Ouest. 

Recommandations

Pour renforcer les institutions de la Cedeao, tout particulièrement dans le domaine de la paix et de la sécurité

A la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao : 

  1. Réaffirmer le caractère prioritaire et irréversible de la mise en œuvre du projet de réforme institutionnelle proposé en 2013 visant à renforcer la capacité de l’organisation dans les domaines de la paix, de la sécurité, de la stabilité et du développement économique et social.
     
  2. Mettre en place un Groupe de travail chargé du suivi de la mise en œuvre de cette réforme, incluant chefs d’Etat et de gouvernement ou, à défaut, des personnalités politiques de haut rang, représentatifs de la diversité politique, culturelle et linguistique de l’espace Cedeao.

Au président du Nigéria : 

  1. Considérer la restauration de la diplomatie nigériane et de son influence en Afrique comme une priorité pour le gouvernement fédéral et faire de la redynamisation de la Cedeao un axe essentiel de cette diplomatie rénovée.
     
  2. Renforcer la capacité de la Cedeao en apportant des ressources financières supplémentaires consacrées aux opérations de maintien ou d’imposition de la paix.

Au président de la Commission de la Cedeao :

  1. Prendre des mesures immédiates visant à améliorer le fonctionnement des services, en réduisant les dysfonctionnements dans la gestion des ressources humaines, administratives et financières, et les blocages ou retards de mise en œuvre des décisions, qui résultent de la concentration des pouvoirs au niveau de la présidence de la Commission.

Pour renforcer l’efficacité de la Cedeao dans la poursuite de ses objectifs en matière de paix et de sécurité  

A la Commission de la Cedeao :

  1. Accompagner les pays membres dans des réformes de leur pratique politique afin de renforcer la légitimité et l’effectivité de l’Etat, tout particulièrement dans les domaines de la bonne gouvernance et du renforcement des institutions de contre-pouvoir (tel que le pouvoir judiciaire) en accord avec les protocoles de la Cedeao, notamment par la mise en place de bureaux permanents de représentation de la Cedeao dans chacun des Etats membres.
     
  2. Construire et renforcer les capacités des Etats membres à faire face collectivement aux menaces transnationales majeures, et pour ce faire : 
    1. doter la Cedeao d’un véritable pôle de lutte contre le crime organisé intégrant différents plans d’action contre les activités criminelles transnationales, y compris le terrorisme, les trafics de drogue, de personnes, d’armes et la piraterie maritime ; 
       
    2. renforcer les moyens de communications entre Abuja, les bureaux de représentation nationale et les Etats membres ;
       
    3. soutenir une meilleure connaissance et anticipation des dynamiques politiques et sécuritaires du voisinage de l’espace communautaire, notamment en Afrique du Nord et centrale, et s’assurer que la collaboration régionale se fait au niveau politique, technique et opérationnel, et engage l’ensemble des acteurs dont le système judiciaire ;
       
    4. renforcer significativement la connaissance de la Cedeao sur les autres communautés économiques régionales africaines et les autres régions du monde, et inviter les autres communautés économiques régionales en Afrique et l’Union africaine (UA) à définir un cadre de concertation et de collaboration permanente sur les questions de terrorisme, de trafics criminels, de sécurité maritime, de blanchiment d’argent, de pénétration et de déstabilisation des Etats par les acteurs de l’économie criminelle.
       
  3. Mettre en œuvre les recommandations de l’exercice d’auto-évaluation de la Cedeao après la crise au Mali conduit en 2013, notamment concernant l’opérationnalisation de la Division de facilitation des médiations et le réexamen de toutes les dimensions de la Force en attente de la Cedeao (doctrine, procédures opérationnelles, concept logistique et financements). 

Aux organisations de la société civile des pays d’Afrique de l’Ouest :

  1. Soutenir publiquement les recommandations formulées dans le cadre du projet de réforme institutionnelle de la Cedeao proposé en 2013, et établir une structure ad hoc de la société civile ouest-africaine pour effectuer le suivi indépendant de sa mise en œuvre.

Aux Etats membres de l’Union africaine et à la présidente de la Commission de l’Union africaine :

  1. Clarifier les principes de subsidiarité, d’avantage comparatif et de partage des responsabilités afin de mettre fin aux tensions entre l’UA et la Cedeao lors de crises majeures en Afrique de l’Ouest et dans son voisinage. 
     
  2. Poursuivre la réflexion sur la doctrine, le format et la configuration de la Force africaine en attente en vue d’une meilleure adaptation du modèle aux menaces actuelles et futures à la paix et à la sécurité du continent, en tirant les leçons des difficultés rencontrées par la Cedeao. 

Aux partenaires internationaux de la Cedeao : 

  1. Soutenir la réforme institutionnelle de la Cedeao sans ingérence dans le processus, et poursuivre les projets d’assistance technique et financière tout en s’assurant qu’ils ne réduisent pas les incitations pour l’organisation à se réformer.

Dakar/Bruxelles, 14 avril 2016

Executive Summary

The Economic Community of West African States (ECOWAS), now in its 41st year, has a formidable record, both in its efforts to enhance regional economic integration, its initial mandate, and to promote peace in a particularly turbulent region. Still, the organisation has demonstrated shortcomings requiring significant institutional change. Reform is essential to give the organisation new impetus, and is ever more urgent as insecurity worsens throughout the Sahel and Lake Chad regions – crisis zones extending beyond ECOWAS’s geographic area and where it has limited impact and influence.

Comprising fifteen states of great political, linguistic and economic diversity and spanning a vast geographic area from the Atlantic coast to the Sahara desert, ECOWAS has been the most sought-after African regional economic body in the field of peace and security in the past 25 years. The organisation, itself composed of fragile states, has been forced to put out fires within its own member states. 

The ECOWAS region has experienced over forty coups since the independence era and seen some of its leaders trying to keep their grip on power at any cost, or establish political dynasties. The body has also been confronted with more complex crises in the form of identity-based armed rebellion, as in Côte d’Ivoire, or jihadist threats, most recently in Mali. Since the 1990s, through the authority of its Heads of State and Government, ECOWAS has reacted to these crises systematically. It has yielded incontestable political and diplomatic results, but its military record is more mixed. 

ECOWAS’s interventions in Guinea-Bissau, Mali and Burkina Faso have highlighted the organisation’s strengths, but also its limits. It has neglected several of its key objectives, including strengthening the political and security institutions of member states, reassessing all dimensions of its Standby Force and enhancing regional cooperation on transnational security threats. Such threats pose a challenge to established crisis prevention or resolution mechanisms, and cannot be overcome by traditional mediation tactics and the deployment of military missions.

The organisation has developed a number of strategy documents and action plans in recent years to correct its shortcomings, but must implement them fully to address myriad threats. These include the trafficking of drugs, weapons and humans; the proliferation of groups linked to transnational terrorist organisations; and the major regional challenges of poverty, unemployment and significant population growth. In addition, ECOWAS needs to undertake significant internal reorganisation, modernise its human resources management and develop a results-based culture. The new president of the ECOWAS Commission, Marcel Alain de Souza, should make it a priority as pledged in his inaugural speech on 8 April 2016. Nigeria, which through its economic and demographic dominance wields unmatched influence in West Africa, must also play a leading role in implementing these reforms. 

This report, the third and final in a series analysing the regional dimension of insecurity in Africa and collective and individual state responses, presents ECOWAS’s current institutional apparatus in the field of peace and security, and analyses its responses and deficiencies through three case studies: Guinea-Bissau, Mali and Burkina Faso. It is part of a broader reflection on the changing nature of conflict and growing transnational threats, problems requiring novel solutions which regional bodies are well placed to find. This report considers what institutional reforms need to be undertaken to improve ECOWAS’s collective action in the face of formidable challenges to peace and security in West Africa.

Recommendations

To strengthen ECOWAS’s institutions in the field of peace and security

To ECOWAS’s Authority of Heads of State and Government:

  1. Reaffirm the essential and irreversible nature of the implementation of the institutional reform proposed in 2013 that aimed to strengthen the organisation’s capacity in the field of peace, security, stability and social and economic development.
     
  2. Create a working group tasked with monitoring the implementation of this reform process, including heads of state and government, or, alternatively, high-level political figures, representative of the political, cultural and linguistic diversity of ECOWAS.

To the president of Nigeria:

  1. View the restoration of Nigerian diplomacy and its influence throughout Africa as a priority for the federal government, and make the revitalisation of ECOWAS a central pillar of this renewed diplomatic role.
     
  2. Strengthen ECOWAS’s capacity by supplying additional financial resources to peacekeeping or peace-enforcing missions.

To the president of the ECOWAS Commission:

  1. Take immediate action to improve the efficiency of departments, by addressing dysfunctions within human resources management, administration and finance, and blockages or delays in the implementation of decisions which result from the concentration of power within the commission presidency.

To improve ECOWAS’s efficiency in attaining its objectives for peace and security

To the ECOWAS Commission:

  1. Accompany member states in the reform of their political practices to strengthen their legitimacy and effectiveness, specifically in the areas of good governance and in strengthening their judiciaries in line with ECOWAS protocols, specifically by establishing ECOWAS permanent representation offices in every member state.
     
  2. Strengthen the capacity of member states to face collectively transnational threats by:
    1. creating an ECOWAS centre for the fight against organised crime that would integrate different action plans against transnational criminal activity, including terrorism, drug, human and arms trafficking and maritime piracy;
       
    2. strengthening communication between Abuja, the permanent representation offices and member states;
       
    3. encouraging them to develop greater knowledge of political and security dynamics in neighbouring regions, specifically North and Central Africa, and ensuring regional collaboration occurs at political, technical and operational levels, and engages all actors, including the judicial system;
       
    4. strengthening significantly ECOWAS’s expertise on other regional economic communities in Africa and throughout the world, and inviting other regional economic communities in Africa and the African Union (AU) to define a frame­work of coordination and collaboration on issues of terrorism, trafficking, maritime security, money laundering, infiltration and destabilisation of states by criminal networks.
       
  3. Implement the recommendations of ECOWAS’s self-assessment conducted in 2013 following the Mali crisis, specifically those concerning operationalising the mediation facilitation division and re-examining all dimensions of the ECOWAS Stand­by Force (doctrine, operational procedures, logistical strategies and financing).

To West African civil society organisations:

  1. Support publicly the recommendations contained in the institutional reform project proposed in 2013, and implement an ad hoc structure for West African civil society to independently monitor its implementation.

To AU member states and to the chairperson of the AU Commission:

  1. Clarify the principles of subsidiarity, comparative advantage and responsibility sharing to quell tensions between the AU and ECOWAS during major crises in West Africa and its neighbours.
     
  2. Continue to reflect on the doctrine, format and configuration of the African Stand­by Force with a view to better adapting the model to current threats and the future of peace and security on the continent, drawing lessons from challenges encountered by ECOWAS.

To ECOWAS’s international partners:

  1. Support ECOWAS’s institutional reform without interfering in the process, and continue technical and financial assistance projects while ensuring they do not reduce incentives for reform.

Dakar/Brussels, 14 April 2016

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