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Liberia et Sierra Leone: Reconstruire des Etats en faillite

Synthèse

Les interventions au Libéria et en Sierra Leone ne parviennent pas à produire les conditions nécessaires pour que ces Etats deviennent stables et capables d'exercer toutes les responsabilités souveraines pour le compte de leurs populations résignées. C'est essentiellement dû au fait qu'elles traitent le processus de rétablissement de la paix comme la simple application d'une liste de vérification opérationnelle avec des mesures cosmétiques pour les diverses institutions et processus, sans prendre en compte les dynamiques politiques sous-jacentes. Dans le meilleur des cas, le Libéria est sur la voie que la Sierra Leone a empruntée il y a plusieurs années. Une nouvelle stratégie est nécessaire pour que ces deux pays ne restent pas des Etats fantômes, à la merci de nouveaux combats et d'un nouveau naufrage. La communauté internationale doit véritablement s'engager à long terme (non sur deux à cinq ans comme à présent, mais sur quinze à vingt ans) pour permettre à de nouvelles forces politiques de se développer.

Pour les deux pays, la liste des priorités opérationnelles comprend: le déploiement des soldats de la paix, le désarmement, la démobilisation et la réinsertion (DDR) des combattants, le rapatriement des réfugiés, la réforme des secteurs judiciaires et sécuritaires, et des élections comme quasi dernière étape. Le délai de réalisation (deux à cinq ans) est trop court. Des individus au passé criminel sont traités comme interlocuteurs politiques dignes de ce nom. Les institutions judiciaires et celles chargées de faire respecter la loi n'ont jamais fonctionné de façon efficace, et leur rétablissement sans réforme n'est pas une solution. Les nouvelles armées nationales n'ont pas encore été testées et leur adhésion à l'ordre constitutionnel est incertaine. Les voix émanant de la société civile et capables de catalyser de réels changements ont tendance à être marginalisées et l'économie est laissée en proie aux déviations criminelles.

Une stratégie plus efficace est requise. Une fois la sécurité restaurée, la communauté internationale devrait déléguer plus rapidement une responsabilité politique accrue tout en ciblant ses interventions afin d'aider à bâtir des institutions apolitiques et professionnelles chargées de faire respecter la loi en vue d'établir l'Etat de droit, de défendre les droits des citoyens et de favoriser un espace public dans lequel ces derniers peuvent faire valoir leurs propres solutions. Au Libéria, elle devrait également assumer la responsabilité de la collecte des recettes des ports, des aéroports, des douanes, de l'enregistrement maritime et de l'exportation du bois et des diamants. Dans la mesure où la perception de ces revenus est opaque depuis le début, la corruption y est facile. Mais une fois que les fonds commencent à circuler de manière transparente, il reviendrait aux Libériens de décider de leur usage, même si des contrôleurs internationaux, comme élément d'un dispositif de surveillance public et indépendant des offres publiques d'achat, devraient être maintenus pour aider la société civile à prévenir de gros abus.

Le même mal existe en Sierra Leone, mais le même remède ne convient probablement pas car un gouvernement élu est déjà en place et sans doute peu enclin à abandonner autant de contrôle. Ici, les mesures de transition visent plutôt à tenter d'introduire des mécanismes de contrôle dans les étapes finales du processus de collecte des recettes, où déjà beaucoup d'entre elles se sont évaporées. Toutefois, le Royaume-Uni a déjà promis son engagement à long terme en matière de sécurité. D'autres mesures nécessaires consistent à défendre une meilleure liberté de presse et d'expression, à doter la Commission anti-corruption des pouvoirs judiciaires et d'établir un mécanisme public de prise en compte des plaintes qui soit applicable aux districts gouvernementaux nouvellement élus.

Les approches proposées ne peuvent réussir qu'avec une échéance beaucoup plus grande que celle que la communauté internationale n'a  était disposée à envisager jusqu'ici. Le Libéria et la Sierra Leone ont mis plusieurs décennies pour s'effondrer et cela prendra des décennies pour restaurer les structures sécuritaires, politiques et économiques. La nouvelle Commission de rétablissement de la paix proposée par le Haut Comité sur les Menaces, les Défis et les Changements, qui a présenté son rapport au Secrétaire Général des Nations Unies le 2 décembre 2004, pourrait être le vecteur institutionnel requis pour mettre en œuvre les engagements durables nécessaires dans ces pays et dans beaucoup d'autres à travers le monde.

Dakar / Bruxelles, le 8 Décembre 2004

Executive Summary

The interventions in Liberia and Sierra Leone are failing to produce states that will be stable and capable of exercising the full range of sovereign responsibilities on behalf of their long-suffering populations. This is essentially because they treat peacebuilding as implementing an operational checklist, involving fixes to various institutions and processes, without tackling underlying political dynamics. At best, Liberia is on the path Sierra Leone entered upon several years earlier. A fresh strategy is needed if both are not to remain shadow states, vulnerable to new fighting and state failure. The international community needs to make genuinely long-term commitments -- not two to five years, as at present, but on the order of fifteen to 25 years -- to enable new political forces to develop.

In both countries the operational checklist includes deployment of peacekeepers; disarmament, demobilisation and reintegration (DDR) of fighters; repatriation of refugees; and judicial and security sector reform; with elections as virtually the final step. The time frame -- two to five years -- is too short. Individuals with criminal pasts are treated as viable political interlocutors. The judicial and law enforcement institutions never functioned effectively, and thus their repair without reform is no solution. New national militaries are untested, and their adherence to constitutional order uncertain. Voices from civil society who could catalyse real change tend to be marginalised, while the economy is left vulnerable to criminal capture.

A more radical strategy is needed. After restoring security, the international community should more quickly give greater political responsibility, while simultaneously targeting its interventions to help build non-political and professional law enforcement and judicial institutions to establish the rule of law, protect civil rights and foster a public space within which citizens can hammer out their own solutions. In Liberia it should also assume responsibility for revenue collection from ports, airports, customs, the maritime registry and export of timber and diamonds: because the collection of revenues is presently obscured from the beginning, it is easy to engineer corruption. But once funds begin entering the treasury transparently, it should be up to Liberians to decide how to use them, though international monitors, as part of independent and public oversight of procurement, should still be available to help civil society prevent gross abuse.

The same problem exists in Sierra Leone, but this prescription probably cannot be applied because its elected government is already in place and unlikely to give up so much control. Stop-gap measures there focus on trying to insert accounting mechanisms at the final stages of the revenue process, by which time much has already disappeared. However, the long-term security sector commitment has already been promised by the UK. Other steps needed are to protect freedom of press and expression better, to give the Anti-Corruption Commission prosecutorial powers, and to establish a public complaint mechanism applicable to newly-elected district governments.

The proposed approaches can only have a chance of succeeding within a much longer time frame than the international community has hitherto been willing to envisage. Liberia and Sierra Leone took decades to decay, and it will take decades to restore sustainable security and political and economic structures. The new Peacebuilding Commission proposed by the High-Level Panel on Threats, Challenges and Change, which reported to the UN Secretary-General on 2 December 2004, could be the institutional vehicle needed to implement the long-term commitments required in these countries, and many others around the world.

Dakar/Brussels, 8 December 2004

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