Briefing / Africa 3 minutes

Mali: la paix venue d’en bas?

Les pactes signés récemment à Anéfis par des représentants des groupes armés alliés au gouvernement et ceux des groupes rebelles viennent compléter les progrès jusque-là mitigés réalisés en faveur de la paix au Mali. Bien qu'insuffisants, et non sans risque, ces pactes sont le résultat de processus locaux et abordent des questions ignorées par l'accord de Bamako signé en juin. Ils pourraient offrir une opportunité sérieuse de mettre la mise en œuvre du processus de paix sur de bons rails.

Synthèse

Après un été 2015 marqué par de nouveaux affrontements au Nord Mali, une détente surprenante est survenue en octobre à l’issue de pourparlers entre des responsables de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), principale coalition rebelle, et ceux de la Plateforme d’Alger, regroupement de mouvements proches de l’Etat malien. Pendant trois semaines, des négociations ont eu lieu à Anefis, théâtre de combats récents et ville-carrefour au sud-ouest de Kidal. Elles ont débouché sur des « pactes d’honneur » signés au nom des principales communautés nomades de la région. A Bamako, le pessimisme des derniers mois cède le pas à un optimisme prudent. Cette réconciliation « venue d’en bas » peut relancer l’application de l’accord de Bamako en panne depuis l’été. Il faut cependant en faire un usage habile car le processus d’Anefis comporte aussi des risques que se reconstitue au Nord un système politico-économique à l’origine de nombreuses violences.

Les rencontres d’Anefis marquent une réappropriation par une partie des acteurs locaux d’un processus de paix jusqu’alors largement impulsé par les partenaires extérieurs. Il ne faut cependant pas se méprendre sur ceux qui ont pris l’initiative: il s’agit moins de responsables communautaires « traditionnels » que de dirigeants politico-militaires et d’hommes d’affaires qui dirigent les groupes armés. Mais c’est précisément en cela que les pactes d’Anefis peuvent renforcer le processus de paix de Bamako : ils impliquent des acteurs locaux majeurs et renforcent la confiance que ces derniers placent dans un accord de paix imposé de l’extérieur. Les rencontres d’Anefis permettent d’aborder des questions centrales pour les élites politico-militaires du Nord du Mali, celles des flux économiques, du partage de pouvoir et des rivalités intercommunautaires, autant d’enjeux délicats que les négociations d’Alger n’ont pas su ou voulu aborder.

Le processus de paix reste cependant fragile. L’attaque de l’hôtel Radisson le 20 novembre rappelle que les groupes radicaux tenus à l’écart du processus de paix demeurent une force de nuisance. Par ailleurs, il ne faut pas confondre un moment d’accalmie avec le retour d’une paix durable. La période actuelle doit servir à poser les jalons d’une application de l’accord de Bamako, non pas comme une fin en soi, mais pour permettre un changement réel de la gouvernance au Mali. En privé, la majorité des acteurs avouent pourtant avoir renoncé à cette ambition. Le risque persiste donc de voir le Mali renouer avec les formes passées de la mauvaise gouvernance et de la violence au Nord. Pour l’éviter, les parties maliennes et leurs partenaires devraient se remobiliser autour d’une application intelligente de l’accord de Bamako, une application ambitieuse qui, dans le temps, permettrait de « démilitariser » l’économie et la politique dans le septentrion malien. Pour cela, plusieurs mesures devraient être prises :

  • le Mali et ses principaux partenaires, réunis dans l’équipe de médiation élargie, devraient soutenir des initiatives locales, comme les rencontres intercommunautaires, afin d’élargir le processus d’Anefis au-delà des seules élites politico-militaires ; en parallèle elles devraient ménager un droit de poursuite légal des grands criminels, en particulier ceux impliqués dans les trafics de drogue et d’armes, fussent-ils acteurs de ce processus.
     
  • Les mêmes acteurs doivent faire du processus de démobilisation, désarmement, réintégration (DDR) leur priorité. Pour cela, les parties maliennes doivent se conformer au texte de l’accord de Bamako, notamment sur les mécanismes relatifs à la période intérimaire, et la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) doit se concentrer sur la préparation, logistique comme politique, du processus.
     
  • A Bamako, l’équipe de médiation internationale et les parties maliennes doivent clarifier les rôles de chacun dans la mise en application et le suivi de l’accord de paix. Ils devraient également relancer la discussion sur la formation d’un gouvernement d’union nationale afin de renforcer le processus de paix et faciliter l’appli­cation de l’accord.
     
  • Cette période d’accalmie doit enfin être mise à profit pour rompre avec les modes de gestion hérités du passé : les projets de développement au Nord doivent s’ac­compagner de mécanismes concrets de contrôle et de lutte contre la corruption qui garantiront que les investissements ne profitent pas aux seules élites mais se font au plus près des populations. De son côté, l’État doit rompre avec la politique de division des communautés qui nourrit la « militarisation » du Nord et fragilise la sécurité de l’Etat malien.

Dakar/Bruxelles, 14 décembre 2015

I. Overview

After a summer marked by renewed clashes in northern Mali, a surprising détente began taking shape in October 2015 following a series of talks between leaders of the Coalition of Azawad Movements (CMA), the main rebel coalition, and those of the Algiers Platform, the pro-government coalition. For three weeks, negotiations took place in Anefis, the site of recent fighting and a regional hub south west of Kidal. The talks led to several “honour pacts” signed on behalf of the major nomad communities in the region. In Bamako, the pessimism of the past few months is giving way to cautious optimism. This “bottom-up” reconciliation could restart implementation of the Bamako accord signed in June, itself stalled since summer. Nevertheless, these local pacts will have to be carefully monitored as the Anefis process also carries risks, including that of the reestablishment of a militarised political-economic system that was the source of much of the violence in the north.

The Anefis meetings represent a reappropriation by some local actors of a peace process until now largely driven by external partners. There should be no mistaking who took the initiative: these are less “traditional” community leaders than politico-military leaders and businessmen at the head of armed groups. Yet, this is precisely how the Anefis pacts can reinforce the Bamako peace process: by involving major local actors and strengthening their trust in a peace otherwise largely externally imposed. The Anefis meetings have allowed for important questions concerning the north’s politico-military elite to be addressed, including issues of trafficking, power sharing, and intercommunal rivalries. These are sensitive subjects that the negotiations in Algiers were either unwilling or unable to tackle.

The peace process nevertheless remains fragile. The 20 November attack on the Hotel Radisson was a stark reminder of the persistent threat posed by radical groups excluded from the peace process. Indeed, this moment of calm should not be confused with a return to sustainable peace. The current window should be seized as an opportunity to refocus attention on the implementation of the Bamako agreement, not as an end in itself, but rather to allow for genuine change of governance in Mali. A majority of actors, however, privately admit to having given up on this goal. Consequently, the risk remains that Mali could revert back to a pattern of poor governance and violence in the north. To avoid this, Malian parties and their partners should remobilise around an intelligent and ambitious implementation of the Bamako accord that, with time, will allow for a “demilitarisation” of economics and politics in the north. For this to occur, the following measures should be taken:

  • Mali and its main partners, gathered in the extended mediation team, should support local initiatives such as the intercommunal meetings, to allow for the extension of the Anefis process beyond political-military elites. In parallel, they should maintain a right to prosecute important criminals, specifically those involved in arms and drug trafficking, regardless of their participation in the process.
     
  • The same actors should prioritise demobilisation, disarmament and reintegration (DDR). In doing so, Malian parties should adhere to the text of the Bamako accord, specifically concerning the mechanisms for the interim period, and the UN mission, MINUSMA focus on the logistical and political preparation of the DDR process.
     
  • In Bamako, Malian parties and the international mediation team must clarify each actor’s role in the implementation and follow-up of the peace agreement. They should also restart discussions on the creation of a government of national unity in order to reinforce the peace process and facilitate the implementation of the accord.
     
  • This period of reduced tensions should, in sum, be seized upon to break with the governance problems of the past: development projects in the north must be accompanied by concrete mechanisms to fight corruption and guarantee that investments benefit local populations, rather than just the elites. The government in turn must cease the politics of division that fuel the “militarisation” of society and threaten the security of the Malian state.

Dakar/Brussels, 14 December 2015

Subscribe to Crisis Group’s Email Updates

Receive the best source of conflict analysis right in your inbox.