Restaurer l’ordre constitutionnel au Mali
Restaurer l’ordre constitutionnel au Mali
What Future for UN Peacekeeping in Africa after Mali Shutters Its Mission?
What Future for UN Peacekeeping in Africa after Mali Shutters Its Mission?
Alert / Africa 7 minutes

Restaurer l’ordre constitutionnel au Mali

Les dirigeants régionaux et la communauté internationale doivent prendre des mesures immédiates pour favoriser le retour à l’ordre constitutionnel au Mali.

Suite au coup d’Etat militaire qui a renversé le président Amadou Toumani Touré (ATT) le 21 mars dernier, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qui se réunit en urgence au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement le 27 mars, l’Union africaine (UA) et les Nations unies doivent établir immédiatement un groupe de contact pour exiger de la junte militaire le respect des droits humains, des libertés civiles et la restauration de la démocratie. Les priorités de ce groupe doivent être la protection des libertés, le rétablissement d’un gouvernement civil démocratiquement élu, le respect de l’intégrité territoriale du Mali, et la gestion de sa diversité culturelle dans un cadre institutionnel qui ne soit pas imposé par la force des armes.

Le coup d’Etat militaire qui a renversé le président Amadou Toumani Touré le 21 mars alors qu’une nouvelle rébellion touareg avait replongé le Nord du pays dans un conflit armé depuis le 17 janvier dernier est une catastrophe pour le Mali et pour toute l’Afrique de l’Ouest.  La mutinerie qui s’est transformée en coup d’Etat à Bamako est une régression spectaculaire pour un des pays les plus avancés dans la région en matière  de consolidation de la démocratie électorale et de la résolution des conflits par le dialogue politique. Sans une action rapide, ces progrès seront perdus pour les années à venir.

Le 26 mars, la situation était encore confuse et volatile à Bamako, la capitale malienne. Seule certitude : la mutinerie partie le 21 mars de la ville garnison de Kati, à une quinzaine de kilomètres de Bamako, est devenue un putsch militaire contre le régime du président Touré. Les informations sur le sort de ce dernier étaient toujours contradictoires quatre jours après le début des évènements. Les meneurs du coup d’Etat se sont fait connaitre au travers d’une déclaration télévisée à l’aube du 22 mars. Ils ont annoncé la mise en place d’un « Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat », présidé par le capitaine Amadou Haya Sanogo et manifestement composé davantage de sous-officiers et de soldats du rang que de hauts gradés de l’armée. L’argument avancé pour justifier le renversement du président Touré, à six semaines de la date prévue pour le premier tour d’une élection présidentielle à laquelle ce dernier ne pouvait pas et ne comptait pas se présenter, est « l’incompétence du gouvernement », et particulièrement son incapacité à mettre à la disposition de l'armée le « matériel adéquat pour lutter contre la rébellion et les groupes armés dans le Nord ».

Le 17 janvier dernier, un nouveau groupe armé touareg, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), avait déclenché des attaques contre les forces armées gouvernementales dans plusieurs localités du Nord et revendiqué ensuite rien de moins que l’indépendance du territoire de l’Azawad qui recouvre les régions administratives de Gao, Tombouctou et Kidal. Le MNLA entretient une relation ambigüe avec un second groupe armé, Ansar Dine, conduit par un ancien rebelle et notable touareg Iyad Aghaly, et qui fait de l’imposition de la charia plutôt que de l’autodétermination de l’Azawad sa revendication principale. Malgré ces différences idéologiques marquées, MNLA et Ansar Dine semblent disposés à se partager le crédit des victoires militaires remportées contre l’armée malienne.

Depuis plusieurs années, il y avait de bonnes raisons de s’inquiéter des risques d’instabilité et d’insécurité dans le Sahel ouest-africain, notamment au Mali et au Niger, qui abritent chacun une quinzaine de millions d’habitants dispersés sur d’immenses territoires en grande partie désertiques et très éloignés de leurs capitales respectives, Bamako et Niamey. Ces inquiétudes, évoquées par Crisis Group dans un rapport publié en mars 2005,  se justifiaient par l’installation progressive dans les zones montagneuses du Sahara de groupes islamistes, produit résiduel des années de flambée du terrorisme en Algérie ; par la longue histoire de conflits opposant des groupes armés touareg aux gouvernements de Bamako et de Niamey ; par la banalisation des trafics divers, de la drogue aux armes en passant par les cigarettes, les migrants et les touristes occidentaux pris en otage, devenus les activités économiques principales et extraordinairement juteuses de ces régions.

Le Mali est vite apparu depuis l’an dernier comme étant le plus vulnérable des pays du Sahel, y compris par une mission d’évaluation des Nations unies, la fin de mandat du président Touré étant marquée par une politique de sécurité illisible dans le Nord et la mise en cause de plus en plus directe d’une hiérarchie militaire accusée pêle-mêle de corruption, de népotisme, de laxisme et d’implication directe dans « l’industrie des otages » et les trafics illicites, au moment même où les pays d’Afrique du Nord basculaient brutalement dans l’instabilité. Le conflit libyen, qui s’est soldé par l’élimination de Mouammar Kadhafi, aura eu l’impact le plus immédiat et le plus dévastateur sur les équilibres précaires qui caractérisaient le Nord-Mali. Si les sources d’insécurité dans cette zone étaient déjà nombreuses avant le début du chaos en Libye, il est clair que l’afflux de combattants touareg revenus du pays de leur défunt parrain Kadhafi avec une qualité et une quantité d’armement sans doute jamais vues dans cette partie du désert saharien a eu un impact considérable.

Le retour des Touaregs maliens intégrés au fil des rebellions dans l’armée du Guide s’est greffé à un mouvement contestataire touareg préexistant, le Mouvement national de l’Azawad (MNA), un groupe de jeunes activistes dénonçant la gestion par le régime du Nord du Mali, nourrie, selon eux, d’alliances avec des élites politiques locales corrompues et de collusion affairiste avec AQMI. Les animateurs du MNA ont élaboré la plateforme politique du futur MNLA mais il n’est pas clair aujourd’hui si le MNA s’est dissous dans le MNLA ou s’il en constitue l’aile politique. La manne soudaine des armes libyennes a précipité le projet de lutte armée mais le déclenchement de la rébellion elle-même fait suite à de nombreuses tentatives infructueuses de Bamako d’engager le dialogue avec le MNLA (fondé le 15 octobre 2011), lequel demandait une médiation tierce. Simultanément, les critiques de puissances étrangères et des voisins mauritanien et nigérien sur la manière dont le régime du président Touré a géré – ou n’a pas géré – la menace d’AQMI au cours de ces dernières années se sont accentuées. 

L’incapacité d’un président en fin de règne à répondre à un nouveau défi sécuritaire au Nord et un malaise préexistant au sein de l’appareil sécuritaire et militaire sont essentiels pour comprendre les évènements du 21 mars et le coup d’Etat survenu dans un pays qui faisait initialement partie du groupe des jeunes démocraties ouest-africaines les plus prometteuses. Le malaise au sein des forces de défense et de sécurité maliennes ne date pas de ces dernières semaines et du choc des pertes humaines et des revers militaires importants subis par les forces gouvernementales depuis le début de la rébellion du MNLA.  Il y avait déjà eu des rumeurs de complots déjoués contre le président (et ancien général) Touré à Bamako, au moins à deux reprises, en 2010. Il était déjà question de jeunes sous-officiers frustrés notamment par la promotion contestée d’officiers de la génération du président à des haut grades, et plus généralement par la perception, correcte ou exagérée, d’une corruption et d’un affairisme sans précédent des élites militaires et civiles les plus proches de la présidence. La multiplication des transferts au Nord-Mali d’otages occidentaux capturés dans les pays voisins et, plus récemment, les incursions de groupes armés en plein jour dans une ville historique comme Tombouctou, entrainant un effondrement du tourisme et une perte importante de revenus pour le pays, ont encore sapé davantage la crédibilité du gouvernement et de la haute hiérarchie militaire aux yeux d’une partie des forces de défense et de sécurité.     

Cet état des lieux peu reluisant du Mali de ces derniers mois pouvait-il justifier le renversement d’un président élu démocratiquement en 2002 et qui devait se retirer en juin prochain, après une élection dont le premier tour était prévu le 29 avril prochain, même si cette date avait en réalité peu de chances d’être tenue ? L’ « incompétence » du gouvernement et les signes d’impuissance affichés par le président face à la perte de contrôle d’une partie du territoire au profit de groupes rebelles suffisaient-ils pour donner un sens à un putsch ? Comment ce dernier affecte-t-il les efforts que la Cedeao et l’UA s’apprêtaient à déployer sur le terrain diplomatique pour que l’avenir du Mali et celui de ses voisins également fragiles, Niger et Mauritanie, ne soit pas déterminé par la seule loi du plus fort – ou de celui qui a les amis les plus forts ?  Les meneurs du « Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat », au-delà des valeurs de courage, de patriotisme et de probité qu’ils essaient d’afficher, ont-ils une solution pour régler la crise dans le Nord, une recette magique pour restaurer l’autorité de l’Etat, un antidote pour extirper la corruption du corps social malien ? Le seul départ des élites politiques et militaires associées au président Touré ne répond à aucune de ces questions.   

La lassitude d’une partie de la population malienne à l’égard de la fin de mandat laborieuse du président Touré avait atteint un niveau tel que certains se réjouissent du coup d’Etat. Le cimetière des expériences politiques africaines est cependant rempli de transitions militaires qui ont mal tourné. Les comportements sur le terrain des soldats putschistes au lendemain du coup d’Etat (pillages, braquages de véhicules) augurent mal de la consistance politique de l’initiative. Les condamnations claires du coup de force par les Nations unies, la Cedeao et l’UA, ainsi que la suspension du Mali par cette dernière, sont appréciables. Ces organisations doivent rester unanimes dans l’affirmation du double principe du refus d’une prise de pouvoir inconstitutionnelle et du respect de l’intégrité territoriale du Mali, alors que les groupes établis au Nord sont naturellement tentés de profiter de la confusion politique à Bamako. Mais les condamnations ne suffiront pas. Les putschistes sont là. De nombreuses personnalités politiques et militaires sont détenues dans des camps militaires. Le MNLA et les autres groupes armés installés au Nord sont également à l’affût, pas très éloignés des villes importantes de Kidal, Gao et Tombouctou. Les dizaines de milliers de Maliens – on recense désormais plus de 200 000 personnes – qui ont fui les zones d’affrontements sont toujours dans une situation humanitaire précaire.

La Cedeao, l’UA et l’ONU doivent créer le plus rapidement possible les conditions d’un dialogue entre acteurs politiques, civils et militaires du Mali dans l’objectif de mettre en place une autorité de transition qui ne devra, en aucun cas, accorder un rôle central, ni même prépondérant, aux auteurs du coup d’Etat. Le débat public démocratique devra reprendre là où les putschistes l’ont arrêté. Il doit porter sur les options possibles pour organiser une élection présidentielle crédible le plus vite possible.

Dakar/Bruxelles

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