Report / Africa 3 minutes

Niger : un autre maillon faible dans le Sahel ?

Les premiers attentats-suicides sur des cibles militaires et minières, suivis d’une évasion violente à la prison de Niamey, posent avec une acuité nouvelle la question de la stabilité du Niger, pays fragile dont le voisinage immédiat est particulièrement tourmenté.

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Synthèse

Le double attentat du 23 mai 2013 qui a visé la caserne d’Agadez et une usine du groupe Areva à Arlit, suivi le 1er juin d’une évasion violente à la prison de Niamey, posent avec une acuité nouvelle la question de la stabilité du Niger. Face à un environnement régional dégradé, le président Mahamadou Issoufou et ses alliés occidentaux ont jusqu’ici privilégié une réponse sécuritaire. Comme ailleurs au Sahel, cette stratégie présente d’importantes limites. La focalisation excessive sur les menaces externes risque d’éclipser des dynamiques internes importantes comme les tensions communautaires, le déficit démocratique ou la marginalisation croissante de sociétés rurales appauvries. Les arbitrages financiers en faveur des dépenses sécuritaires risquent de se faire au détriment d’investissements sociaux pourtant indispensables dans un pays confronté à d’importants défis démographiques et économiques. La menace de la contagion terroriste depuis les pays voisins existe mais elle n’est réellement préoccupante au Niger que parce qu’elle gagnerait un corps social particulièrement affaibli dans un contexte politique lui-même fragilisé.

Le Niger a surtout suscité l’intérêt de partenaires extérieurs pour ses réserves d’uranium et, plus récemment, de pétrole. Sa stabilité politique fait depuis peu l’objet d’une attention renouvelée. Depuis quelques années, la zone sahélo-saharienne est perçue par les pays occidentaux comme un espace particulièrement dangereux marqué par la montée de l’insécurité, les crises politiques et les flux mal contrôlés d’hommes, d’armes et d’autres biens licites et illicites. La guerre civile de Libye en 2011, la crise malienne de 2012 et l’intensification récente des confrontations armées entre forces gouvernementales et Boko Haram dans le Nord du Nigéria affectent le Niger.

Revendications, armes et combattants circulent en s’affranchissant des frontières. Face aux crises qui secouent ses voisins, le Niger fait encore figure de fragile îlot de stabilité. Ses alliés occidentaux et régionaux veulent y endiguer la montée des périls et, à leurs yeux, la principale menace est l’islamisme radical d’al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI), de Boko Haram et du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO).
Depuis 2011, les forces de sécurité du pays sont en alerte avec l’appui de forces occidentales désormais présentes au Niger. Elles contribuent également à la Mission de stabilisation des Nations unies au Mali (Minusma) à travers un bataillon déployé dans la région de Gao, à proximité du Niger. Le pays est désormais intégré à des stratégies sécuritaires qui lui procurent protection tout en le dépassant : point d’appui de l’opération militaire française conduite au Mali, élément central de la stratégie de l’Union européenne pour la sécurité et le développement au Sahel, et objet d’une assistance et d’une présence militaire américaines inédites. Encouragé par ses alliés à mettre à niveau son outil sécuritaire, le régime nigérien a également procédé à une augmentation substantielle de ses dépenses militaires. Mais cette orientation essentiellement sécuritaire risque de conduire à des réallocations de ressources au détriment de secteurs sociaux déjà mal en point. 

La stratégie sécuritaire au Sahel poursuivie depuis une dizaine d’années a pourtant montré ses limites au Mali voisin. Au Niger, elle sera d’un faible secours pour permettre au président Issoufou de bâtir un pacte de confiance avec la population. Le régime actuel, fruit d’une transition militaire achevée en 2011, est encore fragile. Le programme dit de « la Renaissance », ambitieux programme de réformes et de réalisations promises par le président, a suscité beaucoup d’espoirs mais tarde à faire sentir ses résultats. La contestation sociale prend déjà de l’ampleur. Cette situation attise les ambitions politiques, et les tensions suscitées par la formation du gouvernement d’union nationale en août 2013 montrent les fragilités de la démocratie nigérienne. Par ailleurs, comme dans le reste de la bande sahélo-saharienne, le Niger n’échappe pas à la suspicion d’infiltration des institutions politiques et sécuritaires par des réseaux criminels transnationaux. La plus grande menace se situe là, entre profonde détresse socioéconomique des populations et insuffisante consolidation démocratique. 

Le Niger ne se résume cependant pas à ses faiblesses. En 2009, la tentative de maintien au pouvoir du président Mamadou Tandja par un passage en force a montré qu’il existait une société civile combative et des institutions profondément attachées aux valeurs démocratiques. De son côté, l’armée a certes fait irruption dans la vie politique mais est retournée dans les casernes au terme d’une transition relativement courte. Certes ces acquis sont encore fragiles. L’armée, historiquement très influente, pourrait intervenir à nouveau en cas de blocage des institutions. Une partie des animateurs de la société civile s’est laissé coopter par le pouvoir. Plus largement, corruption et impunité demeurent des maux endémiques. A l’instar du Mali, la déception née d’une construction démocratique encore déficiente nourrit le développement d’une société civile islamique particulièrement critique. Celle-ci constitue autant une force de contestation radicale, potentiellement violente, qu’une entreprise plus pacifique de « remoralisation » de la vie publique. 

Enfin, la problématique touareg n’a pas encore trouvé son règlement définitif au Niger, même si la question semble aujourd’hui mieux gérée qu’au Mali voisin. Les oppositions générationnelles, claniques et sociales divisent la société touareg. Une partie des élites bien intégrées à l’Etat n’a plus guère de raison de se retourner contre lui. D’autres continuent par contre d’agiter la menace d’une reprise des armes par conviction ou pour défendre une position d’intermédiaires privilégiés. La lassitude a gagné une population déçue par des rebellions qui n’ont pas tenu leurs promesses. Il n’en reste pas moins que les jeunes générations du Nord ont peu d’alternatives aux trafics et à la mobilisation armée pour sortir du marasme économique. 

Les populations du Niger ont moins besoin d’un Etat voué au tout-sécuritaire que pourvoyeur de services, d’une économie créatrice d’emplois, d’un Etat de droit et d’un système démocratique renforcé. Le président Issoufou devrait maintenir les efforts engagés dans la réalisation de ces objectifs. Ces derniers contribueront à la sécurité et à la stabilité du pays au moins tout autant que les approches plus étroitement militaires et antiterroristes.

Dakar/Bruxelles, 19 septembre 2013

Executive Summary

The 23 May 2013 twin suicide attacks targeting the Agadez army barracks and an Areva mining site in Arlit, and the 1 June violent prison break in Niamey, cast a shadow over Niger’s stability. In a deteriorating regional environment, President Mahamadou Issoufou and his Western allies have favoured a security strategy that has significant limitations, as elsewhere in the Sahel. An excessive focus on external threats can overshadow important internal dynamics, such as communal tensions, a democratic deficit and the growing marginalisation of poor, rural societies. Security spending looks likely to increase at the expense of social expenditure, carrying significant risks for a country that faces serious demographic and economic challenges. The possibility of a terrorist spillover from its neighbours is compounded by a fragile socio-economic and political environment.

Niger, a focus of outside interest mainly for its uranium and newfound oil reserves, has recently received renewed attention. For several years, Western countries have viewed the Sahel-Sahara region as a particularly dangerous zone, characterised by the rise of insecurity, political crises and poorly controlled flows of people, arms and other licit and illicit goods. The 2011 Libyan civil war, the 2012 Mali crisis and the recent intensification of military confrontations between government forces and Boko Haram in northern Nigeria all affect Niger. Ideas, weapons and combatants circulate across borders. However, surrounded by crisis-ridden neighbours, Niger appears contradictorily to be fragile and yet an island of stability. Its Western and regional allies seek to contain perceived growing threats, in particular from violent Islamist groups such al-Qaeda in the Islamic Maghreb (AQIM), Boko Haram and the Movement for Oneness and Jihad in West Africa (MUJAO).

Since 2011, Nigerien security forces have been on alert with the support of Western militaries that have been present in the country ever since. They also contribute to the UN Stabilisation Mission in Mali (MINUSMA), with a battalion deployed in the Gao region, close to Niger. The country has been included in security strategies that protect it, but over which it has little influence. Niger constitutes an important element of the French military operation in Mali; is pivotal to the European Union’s Strategy for Security and Development in the Sahel; and also accommodates a growing U.S. assistance and presence. Encouraged by its allies to upgrade its security apparatus, the government has also substantially increased its military expenditure. But such a security focus could lead to a reallocation of resources at the expense of already weak social sectors.

The security strategy pursued in the Sahel over the last decade has proven weak in neighbouring Mali. In Niger, it will be of little help to President Issoufou in establishing a bond of trust between the state and the people. The current regime, which took over after a transition from military rule in 2011, is still fragile. The president’s “Renaissance” program, a high-level platform of reforms on which he was elected, raised hopes but has yet to show tangible results. Social protests are already on the rise. This situation stirs political ambitions, and tensions surrounding the formation of the new national unity government in August 2013 revealed a fragile democracy. Moreover, as in the rest of the Sahel-Sahara region, the state and security apparatus are suspected of being infiltrated by transnational criminal networks. The risks are high when deep socio-economic distress is added to insufficient democratic consolidation.

However, these weaknesses should not obscure a more nuanced reality. In 2009, the attempt by then-President Mamadou Tandja to forcibly remain in power showed that some institutions and civil society are willing to fight to protect democracy. The military admittedly intervened in political life to stop Tandja, but returned to the barracks after a relatively short transition. These gains are certainly still weak. The historically influential military could intercede again in the event of an institutional deadlock. Corruption and impunity remain endemic, and some civil society representatives have been co-opted by the ruling elites. As in Mali, frustration over democratic shortcomings feeds the expansion of an Islamic civil society that is particularly vocal in its criticism; it can represent either a radical, potentially violent protest movement or a peaceful attempt to “re-moralise” public life.

Finally, the Tuareg issue has not been fully resolved in Niger, though it appears better managed than in neighbouring Mali. Far from being homogeneous, Tuareg society is divided along generation, clan and social fault lines; some elites are well integrated into the administration and have little reason to turn against the state, while others raise the spectre of a resurgent conflict, out of conviction or to defend their privileged position as middlemen. The population has grown tired of rebellions that have failed to keep their promises, but many youths from the north have few alternatives to trafficking and armed activities.

Rather than a security state, the people of Niger need a government that provides services, an economy that creates employment, as well as the rule of law and a reinforced democratic system. President Issoufou should keep the initial focus of his agenda on these goals and recognise that national security and stability depend at least as much on those issues as on narrow counter-terrorism military responses.

Dakar/Brussels, 19 September 2013

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