A woman holds a child as she marks the one-year anniversary of the mass kidnapping of more than 200 schoolgirls from a secondary school in Chibok by Boko Haram militants in Abuja, Nigeria, on 14 April 2015. REUTERS/Afolabi Sotunde
A woman holds a child as she marks the one-year anniversary of the mass kidnapping of more than 200 schoolgirls from a secondary school in Chibok by Boko Haram militants in Abuja, Nigeria, on 14 April 2015. REUTERS/Afolabi Sotunde
Report / Africa 20+ minutes

Nigéria : les femmes et Boko Haram

Les femmes ont subi les violences et les mauvais traitements de Boko Haram, mais ce ne sont pas seulement des victimes : certaines ont volontairement rejoint les jihadistes, d’autres combattent l’insurrection, font partie des équipes de secours ou participent aux initiatives lancées en faveur de la réconciliation. Les expériences des femmes devraient façonner les politiques de lutte contre l’insurrection et leur contribution à une paix durable devrait être facilitée.

  • Share
  • Enregistrer
  • Imprimer
  • Download PDF Full Report

Synthèse

L’apparition puis l’insurrection de Boko Haram ont radicalement transformé la vie de milliers de femmes et de filles, propulsées de gré ou de force vers de nouveaux rôles, hors de la sphère domestique. Certaines ont rejoint le mouvement pour échapper à leur condition, d’autres ont été enlevées et réduites en esclavage. Sept années de conflit ont affecté différemment les individus en fonction de leur sexe. Si les disparus sont, de façon disproportionnée, des hommes, les femmes constituent l’immense majorité du 1,8 million de déplacés internes dans le Nord-Est du Nigéria. Qu’elles aient été épouses, esclaves, ou combattantes, beaucoup d’entre elles portent aujourd’hui les stigmates de l’association avec les insurgés, et sont bannies de leurs communautés, notamment à cause du flou qui règne entre les statuts de militant, de sympathisant, et d’acolyte contraint. Même si Boko Haram subit de sérieux revers, il reste capable de lancer des attaques et de commettre de nombreux attentats-suicides. Il est indispensable de comprendre le vécu des femmes dans le conflit, comme victimes mais aussi comme protagonistes, pour élaborer des politiques et des programmes qui s’attaquent aux racines du mouvement insurrectionnel, et des stratégies pour le juguler et faciliter la contribution des femmes à une paix durable.

Depuis son émergence en 2002, Boko Haram a prêté une attention toute particulière aux femmes, tant dans sa rhétorique que dans ses actions, en partie en raison du vif débat sur leur place dans la société qui agite le Nord-Est du pays. Comme d’autres mouvances du renouveau islamique, le mouvement a appelé à de plus grandes restrictions pour les femmes dans certains domaines, tout en soutenant leur accès à une éducation islamique et en offrant une autonomisation financière. Dans un contexte où le système patriarcal, la pauvreté, la corruption, les mariages précoces et l’analphabétisme limitent depuis longtemps leurs chances dans la vie, certaines femmes ont vu en Boko Haram une occasion de faire avancer leurs libertés ou de surmonter l’adversité. Nombre d’entre elles ont apprécié son ancrage religieux et moral.

Par la suite, Boko Haram a commencé à enlever des femmes et des jeunes filles, pour des raisons à la fois politiques et pragmatiques, y compris pour protester contre l’arrestation de militantes ou de parentes de certains dirigeants du mouvement. Le rapt de plus de 200 écolières près de Chibok en 2014 a été l’apogée très médiatisée d’une tendance bien plus large. Le groupe a enlevé des chrétiennes, et plus tard des musulmanes, pour punir des communautés qui lui résistaient, pour affirmer symboliquement sa domination et pour se constituer un capital. En offrant des « épouses » aux militants, il a attiré des recrues masculines et stimulé ses combattants. Parce que les femmes n’étaient pas considérées comme une menace, les sympathisantes, volontaires ou recrutées de force, ont pu au début circuler plus facilement dans les zones contrôlées par le gouvernement et y agir en tant qu’espionnes, messagères, recruteuses et contrebandières. C’est pour cette raison qu’à partir de mi-2014, Boko Haram s’est tourné vers les femmes pour commettre des attentats-suicides. Confronté à un manque croissant d’effectifs, il a aussi entraîné les femmes au combat.

En tant que membres de groupes d’autodéfense (parfois appelés comités de vigilance), dont la Force d’intervention civile conjointe (Civilian Joint Task Force, CJTF), des centaines de femmes aident les forces de sécurité, en particulier pour fouiller les femmes aux barrages, collecter des renseignements et identifier des suspects, mais aussi parfois pour se battre contre Boko Haram. D’autres travaillent dans des organisations non gouvernementales (ONG) ou des associations de femmes, ou bien prennent en charge à titre privé des victimes de la guerre. Dans certains cas, le conflit a ouvert des perspectives pour l’activisme féminin, comme l’illustrent la création de plusieurs ONG dirigées par des femmes à Maiduguri, et l’engagement nigérian dans la campagne internationale Ramenez nos filles (Bring Back Our Girls).

Les attaques de Boko Haram, la persécution des suspects par l’armée et sa stratégie d’évacuation des zones contestées ont forcé plus d’un million de femmes et de jeunes filles à fuir. Certaines, soupçonnées d’être des militantes, sont en prison. Des centaines de milliers de femmes sont dans des camps gouvernementaux, où la nourriture est rare et les soins médicaux médiocres ; dans les camps qui ne dépendent pas des autorités, la situation peut être pire encore. Séparées de leurs maris et de leurs fils, enrôlés ou tués par Boko Haram, ou arrêtés par les forces de sécurité, de nombreuses femmes assument désormais seules la protection et le bien-être économique de leurs familles.

Le dur traitement des déplacés dans les camps et les centres de détention pourrait saper les avancées militaires. Si la corruption dans la distribution de l’aide et les mauvais traitements persistent, ils pourraient nourrir les rancœurs des communautés et les mener à rejeter l’autorité de l’Etat. Dans le même temps, la stigmatisation des femmes et des jeunes filles qui ont été ou sont soupçonnées d’avoir été membres de Boko Haram risque de les laisser, ainsi que leurs enfants, dans un isolement et une aliénation générant de nouvelles frustrations et une résistance de nature comparable à celles qui ont permis l’émergence de Boko Haram.

La façon dont les dynamiques du genre contribuent à alimenter l’insurrection de Boko Haram démontre clairement qu’intégrer les femmes à la prise de décision à tous les niveaux est indispensable à une paix durable. Pour contrer le mouvement et reconstruire une société paisible dans le Nord-Est, le gouvernement et ses partenaires internationaux doivent s’attaquer aux discriminations liées au sexe, mieux protéger les femmes et les jeunes filles touchées par la violence et soutenir la réintégration économique et sociale des femmes, tout en valorisant leur rôle dans la construction d’une paix durable. A court terme, la priorité devrait être de rassembler les familles. A plus long terme, il est vital d’améliorer l’accès à l’éducation, et notamment l’équilibre entre les sexes, aussi bien dans les écoles publiques que dans les écoles coraniques qu’il faut moderniser.

Recommandations

Pour mieux protéger les femmes et les filles victimes de la violence et mieux répondre aux besoins humanitaires immédiats

Au gouvernement du Nigéria :

  1. Examiner minutieusement la population adulte, majoritairement féminine, des zones reprises à Boko Haram, à l’aide d’équipes comprenant des officiers de protection d’organisations de la société civile du pays et formées par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) afin d’assurer une prise en charge adéquate des personnes suspectes comme des victimes.
     
  2. Mettre en œuvre d’urgence une meilleure régulation de la distribution des vivres et une aide spécifique pour les femmes aussi bien dans les camps de déplacés que dans les communautés d’accueil, y compris un accès à des informations et des services en matière de santé sexuelle et reproductive pour les femmes et les filles ; assurer aux organisations humanitaires locales et internationales l’accès aux camps de déplacés, et transférer dès que possible la supervision de ces derniers à des organisations civiles.
     
  3. Développer d’urgence des programmes pour augmenter le recrutement des femmes dans les forces de police locales et les déployer dans des camps de déplacés dès que possible.
     
  4. Instaurer des mécanismes de notification pour permettre aux femmes et aux filles de signaler les violences sexuelles et sexistes dans les camps de déplacés et les communautés d’accueil, et garantir que les autorités, y compris la justice et la police, enquêtent sérieusement sur les allégations d’abus par les forces de sécurité et/ou les groupes d’autodéfense qui les assistent.
     
  5. Développer des programmes de soutien spécifiques, en partenariat avec des organisations de femmes, des associations religieuses, et des centres de santé, pour les femmes victimes d’abus sexuels, afin d’éviter qu’elles et leurs enfants ne fassent l’objet de discrimination, de violence, ou de stigmatisation.
     
  6. Opérer une distinction entre les idéologues de Boko Haram et ceux et celles qui ont rejoint le mouvement pour d’autres raisons et assurer des enquêtes transparentes et équitables concernant les suspects masculins et féminins de Boko Haram, dans le respect du droit international, y compris en tenant compte du niveau d’implication et de la gravité des crimes commis ; garantir à toutes les personnes incarcérées, y compris aux femmes, des conditions de détention humaines, sous le contrôle d’organisations humanitaires ; et s’assurer que les enfants reçoivent des soins adaptés.

Pour soutenir la réintégration économique et sociale des femmes et renforcer leur rôle dans l’instauration d’une paix durable

Au gouvernement du Nigéria :

  1. S’engager pour une meilleure représentation des femmes dans les programmes financés par le gouvernement et soutenir les initiatives qui leur font une place pour la consolidation de la paix dans le Nord-Est.
     
  2. S’assurer que les plans de développement et de reconstruction publics et privés reposent sur une analyse de l’insurrection et de la contre-insurrection tenant compte des spécificités liées au sexe.
     
  3. Faire du regroupement des familles une priorité, notamment en y allouant davantage de ressources et en établissant une base de données fédérale pour faciliter la recherche des personnes disparues.
     
  4. Faciliter l’accès au crédit et aux terres pour les femmes, en tenant compte du fait que les femmes isolées, et en particulier les veuves chargées de famille, ont besoin d’une aide spécifique pour relancer des activités productives, par exemple dans l’artisanat traditionnel, le commerce ou l’agriculture.

Aux gouvernements des états du Nord concernés, en particulier de l’état du Borno :

  1. Impliquer les responsables communautaires, y compris de groupes religieux, pour faciliter la réintégration et la réhabilitation de toutes les femmes libérées par Boko Haram, et fournir, dans la mesure du possible, une assistance psychosociale.
     
  2. Concevoir des programmes visant à renforcer la participation des femmes à la vie politique et à la gouvernance locale.
     
  3. Faire de l’amélioration de l’accès des filles à l’école primaire et secondaire une priorité ; et développer un programme pour moderniser l’éducation coranique en garantissant l’égal accès des filles et des garçons.
     
  4. Développer des approches et une sensibilisation à partir des communautés pour traiter la question du stigmate social qui touche les anciennes épouses et esclaves de Boko Haram ainsi que les enfants dont le père est un membre de Boko Haram, y compris en augmentant drastiquement l’investissement dans les écoles du Nord-Est afin de permettre à ces enfants de fréquenter l’école au même titre que les autres enfants de la région ; et améliorer la cohérence des politiques de réintégration en ouvrant un débat public sur ce sujet alimenté par la publication d’un document-pilote.

Aux donateurs, agences des Nations unies et ONG internationales :

  1. Etendre et améliorer les aspects des programmes d’aide prenant en compte le sexe, et ce dans toutes les zones affectées par Boko Haram.
     
  2. En partenariat avec des ONG dirigées par des femmes, renforcer les programmes visant à s’attaquer aux stéréotypes liés au sexe et à favoriser la prise de conscience du rôle des femmes, y compris dans la consolidation de la paix et la reconstruction post-conflit.

Abuja/Dakar/Bruxelles, 5 décembre 2016

I. Introduction

Le président Muhammadu Buhari, élu en 2015, s’est rapproché des pays voisins du bassin du lac Tchad, le Cameroun, le Tchad, et le Niger, et, malgré les faiblesses structurelles de son armée, a lancé une campagne militaire plus puissante contre Boko Haram, le mouvement insurrectionnel jihadiste qui déstabilise le Nord-Est du Nigéria depuis 2010.[fn]Sur le Nord-Est et Boko Haram, voir les rapports Afrique de Crisis Group N°s 168, Northern Nigeria: Background to Conflict, 20 décembre 2010 ; 216, Curbing Violence in Nigeria (II): The Boko Haram Insurgency, 3 avril 2014 ; et le briefing N°120, Boko Haram sur la défensive ?, 4 mai 2016. Sur l’armée nigériane, voir le rapport Afrique N°237, Nigeria: The Challenge of Military Reform, 6 juin 2016.Hide Footnote L’effort régional semble avoir poussé Boko Haram dans ses retranchements, mais il tient encore des positions, lance des attaques meurtrières contre les civils et les forces de sécurité, et est profondément ancré dans certaines communautés. Alors même que le combat continue, le gouvernement, au niveau fédéral comme au niveau des états fédérés, et ses partenaires internationaux, doivent réfléchir attentivement à la façon de traiter les diverses conséquences du conflit sur une population locale hétérogène, faute de quoi Boko Haram ou des groupes similaires demeureront une menace régionale à long terme.

Le présent rapport analyse les parcours de femmes et de jeunes filles dans le Nord-Est afin de façonner des interventions qui visent à mieux soulager leur souffrance, à favoriser leur contribution à une paix durable et à atténuer la menace que présentent les femmes membres de Boko Haram. Il se penche sur les normes patriarcales que le mouvement a exploitées pour attirer des recrues, et explore les rôles multiples et changeants des femmes, comme captives précieuses, épouses ou esclaves de militants, combattantes forcées ou volontaires, chargées de familles déplacées, responsables communautaires, mères, épouses et filles. Il identifie des priorités politiques adaptées aux expériences des femmes, y compris, dans l’immédiat, l’assistance et la protection humanitaire, et, à plus long terme, la reprise d’une vie normale de celles qui ont été stigmatisées du fait de leur lien avec Boko Haram, et les rôles des femmes dans un Nord-Est en paix.

L’analyse repose sur une recherche conduite dans le Nord-Est, dans la capitale fédérale, Abuja, et dans le Sud-Est du Niger auprès de victimes, de prisonniers ou de partisans de Boko Haram, ainsi que de responsables communautaires, de représentants du gouvernement, de travailleurs humanitaires et d’universitaires.[fn]Boko Haram a affecté les régions frontalières du Cameroun, du Tchad et du Niger, mais le présent rapport se concentre sur les femmes et les jeunes filles du Nord-Est du Nigéria, où le mouvement est né et est le plus actif. Le Nord-Est comprend les états du Borno, de Yobe, de l’Adamawa, de Taraba, de Bauchi et de Gombe. Les zones les plus touchées par Boko Haram sont le Borno, le Nord de l’Adamawa, et certaines parties des états de Yobe, de Bauchi et de Gombe.Hide Footnote De nombreux déplacés et réfugiés ont été interrogés dans des camps, officiels ou non, au Nigéria et au Niger. Des entretiens ont aussi été conduits dans un centre de réhabilitation pour d’anciens membres du groupe à Maiduguri, et avec des individus suspectés de faire partie de Boko Haram, détenus au Niger.

II. Les femmes, le patriarcat et l’islam dans le Nord-Est

L’attrait de Boko Haram auprès de certaines femmes et l’importance des femmes et des jeunes filles pour le mouvement s’inscrivent dans le contexte des sociétés très patriarcales du Nord-Est, du respect général des principes islamiques, mais aussi des remises en cause des croyances et pratiques établies. Les normes religieuses et culturelles de la région, codifiées dans la loi, définissent depuis longtemps le statut des femmes par le mariage et la maternité, les confinant à un rôle essentiellement domestique. Leur place dans les sphères privée et publique a été contestée avec virulence à la fois par l’élite politique et religieuse dominée par les hommes, et par la société civile, y compris des militantes. Ce que dit l’islam et comment le codifier est au cœur du débat.

A. Un patriarcat enraciné

La domination masculine a globalement été gravée dans la loi. Le colonialisme n’a guère remis en cause les structures patriarcales du Nord du pays, majoritairement musulman, et l’indépendance non plus.[fn]L’administration coloniale s’est appuyée sur le modèle d’administration indirecte via les émirats du Nord et n’a quasiment rien fait pour promouvoir l’accès des filles à l’éducation. Les missionnaires chrétiens dispensaient l’essentiel de l’éducation occidentale. Le Code pénal dont s’est doté le Nord en 1960, inspiré du modèle soudanais, fait mention du droit du mari de « prendre des mesures pour corriger sa femme » ; Jamila M. Nasir, « Sharia Implementation and Female Muslims in Nigeria’s Sharia States », in Philip Ostien (ed.), Sharia Implementation in Northern Nigeria 1999-2006: A Sourcebook, vol. 3 (Ibadan, 2007), p. 89.Hide Footnote En 2003, sous la pression de religieux conservateurs, l’état du Borno et onze autres états du Nord ont promulgué une version plus stricte de la Charia (loi islamique), contenant des éléments de droit pénal islamique.[fn]Sur la Charia, voir le rapport de Crisis Group, Northern Nigeria, op. cit. ; Johannes Harnischfeger, Democratization & Islamic Law. The Sharia Conflict in Nigeria (Francfort, 2008). Le fait que le droit pénal issu de la Charia ne soit appliqué que dans l’état de Bauchi a été un sujet de plainte important pour Boko Haram.Hide Footnote D’autres dispositions ont renforcé la domination masculine et réduit davantage les droits et libertés des femmes, y compris en matière d’accès à l’éducation et à l’emploi. Conformément à la norme en vigueur dans tout le pays, les musulmanes du Nord-Est n’ont généralement pas accès à la propriété foncière ou immobilière.[fn]Sur les 56,2 pour cent des habitants du Nord-Est qui possèdent des terres, 4 pour cent seulement sont des femmes, soit le pourcentage le plus bas du Nigéria. « Gender in Nigeria Report », British Council, 2012. Les femmes possèdent quelques biens mobiliers, ont accès aux terres arables et participent à l’économie agropastorale, mais les titres de propriété des terres individuelles, communales ou familiales reviennent généralement aux hommes ou aux responsables communautaires.Hide Footnote Alors que le droit civil fédéral du Nigéria ne reconnait pas les unions polygames, les douze états du Nord ont légalisé la polygamie au début des années 2000.

Les femmes musulmanes du Nord sont politiquement marginalisées. En 2007, seulement six des 360 députés siégeant dans les parlements des douze états du Nord étaient des femmes ; aucune n’était du Borno. Les épouses d’hommes politiques ou de chefs traditionnels ne jouent généralement pas un rôle public important, en partie du fait de la purdah (une pratique qui consiste à isoler les femmes du reste de la société).[fn]Ce déséquilibre du pouvoir, conjugué à une grande pauvreté, a contribué au fait que les femmes et les jeunes filles ont, de façon disproportionnée, un statut socioéconomique plus bas. Le mariage précoce, dès la fin de la puberté, est l’une des principales raisons pour lesquelles le Nord-Est présente le plus faible taux de scolarisation du Nigéria et un taux élevé d’analphabétisme parmi les femmes.[fn]En 2013, 49 pour cent des hommes et 72 pour cent des femmes du Nord-Est étaient analphabètes, contre une moyenne de 15 pour cent pour les deux sexes dans le Sud-Est. « Nigeria Demographic and Health Survey (DHS) 2013 », National Population Commission, juin 2014, p. 37. Une étude réalisée dans les années 1990 montrait que l’âge du mariage se situait entre douze et quinze ans pour les filles kanuri et entre dix-huit et vingt ans pour les garçons kanuri. Editha Platte, Kanuri Women of Borno (Nigeria): Perspectives from the little kingdom of Musune (Maiduguri, 2011).Hide Footnote Ceci s’accompagne d’une différence d’âge souvent importante entre maris et femmes, qui renforce la domination masculine, et de l’un des indices de fécondité les plus élevés au monde. L’âge moyen au mariage a légèrement augmenté dans les villes et là où les filles ont accès à l’éducation.[fn]L’indice de fécondité du Nord-Est est de 6,3 enfants par femme, contre 5,5 au niveau national et 4,3 dans le Sud, et environ un tiers des jeunes filles du Nord-Est ont leur premier enfant entre quinze et dix-neuf ans. « DHS », op. cit., p. 68. L’analphabétisme, la pauvreté, les grossesses précoces et l’accès limité aux maternités aident à comprendre la mortalité maternelle élevée avec 1 549 décès pour 100 000 naissances d’enfant vivant, soit cinq fois la moyenne nationale. « Gender in Nigeria Report 2012: Improving the Lives of Girls and Women in Nigeria: Issues, Policies, Action », British Council Nigeria, p. 39. En 2013, l’âge médian du premier mariage dans le Nord-Est était 16,4 ans pour les femmes actuellement âgées de vingt à 49 ans, et 25,5 ans pour les hommes actuellement âgés de 30 à 49 ans. DHS, op. cit., p. 57-58. Les pratiques du mariage varient selon l’ethnie, la religion, l’éducation, et le degré d’urbanisation.Hide Footnote

De nombreuses femmes et jeunes filles du Nord-Est subissent depuis longtemps l’oppression et les violences sexistes, mais ces stéréotypes méritent d’être nuancés. Malgré un contexte culturel, religieux et légal qui les contraignent de façon disproportionnée, de nombreuses femmes sont des acteurs économiques à part entière ; certaines vendent des biens sur les marchés ou de chez elles, ou pratiquent des activités agricoles, et d’autres ont un travail de bureau.[fn]Les femmes qui font des travaux domestiques ou vivent recluses vendent souvent de la nourriture ou d’autres biens de chez elles, ou envoient les enfants le faire dans la rue ou sur les marchés. Cela constitue une source substantielle de revenus pour les femmes dans le Nord. Polly Hill, « Hidden Trade among the Hausa », Man: Journal of the Royal Anthropological Institute, no. 4 (1969), p. 392-409 ; Yakubu Zakaria, « Entrepreneurs at Home: Secluded Muslim Women and Hidden Economic Activities in Northern Nigeria », Nordic Journal of African Studies, vol. 10, no. 1 (2001), p. 107-123.Hide Footnote 

Women who do domestic work or are secluded often sell food or other goods from home or send children to hawk on the streets or markets. This is a substantial source of female income in the North. Polly Hill, “Hidden Trade among the Hausa”, Man: Journal of the Royal Anthropological Institute, no. 4 (1969), pp. 392-409; Yakubu Zakaria, “Entrepreneurs at Home: Secluded Muslim Women and Hidden Economic Activities in Northern Nigeria”, Nordic Journal of African Studies vol. 10, no. 1 (2001), pp. 107-123.Hide Footnote

B. La condition féminine au centre des débats

La condition féminine est devenue un thème central dans un débat politique dominé par les hommes, en particulier avec le développement d’un revivalisme islamique et son influence grandissante sur la vie politique du Nord. Les revivalistes considèrent le corps de la femme comme le champ de bataille d’un conflit global entre l’islam et l’Occident. Ainsi, tous les états du Nord-Est ont refusé de signer le Child Rights Act (CRA) qui fixe l’âge minimum du mariage à dix-huit ans pour les hommes et les femmes, empêchant ainsi son application sur leur territoire. Certains groupes revivalistes islamiques militent pour la généralisation de la purdah, longtemps limitée aux élites religieuses et politiques.[fn]Les groupes salafistes sont montés en puissance dans le Nord-Est depuis les années 1970 et partagent globalement l’objectif de promouvoir une vision rigoriste de l’islam fondée sur la Charia, d’éradiquer les innovations « hérétiques » et, pour beaucoup, d’établir un Etat islamique. Rapport de Crisis Group, Northern Nigeria, op. cit., p. 13-20, 57. Certaines personnalités politiques du Nord ont avancé que le CRA était « une manœuvre pour introduire les principes occidentaux dans le but ultime de réduire la population musulmane ». La citation est le résumé proposé par une observatrice critique de cette position, alors ministre fédérale de la Condition féminine, Hajiya Miriam Inna Ciroma, musulmane du Borno. « Islam is no hindrance to women’ Child’s Rights – Gov », This Day, 29 août 2005.Hide Footnote

Aussi paradoxal que cela puisse paraitre pour des observateurs étrangers, bien des femmes s’engagent auprès de mouvements islamiques non violents, comme Izala, le principal groupe salafiste du Nigéria.[fn]Izala a été fondé en 1978 dans la ville de Kaduna, dans le Nord du pays, par le Sheikh Abubakar Gumi, ancien Grand Cadi de la région, fortement influencé par la doctrine wahhabite.Hide Footnote L’islam salafiste défend des positions conservatrices, y compris sur les rôles publics des femmes et les relations avec l’islam soufi établi et les non-musulmans. Mais il encourage l’éducation, islamique et occidentale, des femmes, et permet aux croyants de s’affranchir de l’islam des clercs soufis établis. De nombreuses femmes y trouvent le moyen d’améliorer leurs vies sur une base islamique, à leurs propres conditions.[fn]Elisha Renne, « Educating Muslim Women and the Izala Movement in Zaria City, Nigeria », Islamic Africa, vol. 3, no. 1 (2012), p. 55-86 ; Adeline Masquelier, Women and Islamic Revival in a West African Town (Bloomington, 2009) ; Roman Loimeier, « Boko Haram: The Development of a Militant Religious Movement in Nigeria », Africa Spectrum, vol. 47, nos. 2-3 (2012), p. 141.Hide Footnote Dans un contexte de corruption endémique, de pauvreté généralisée et d’anomie sociale, elles sont nombreuses à accorder de l’importance à l’ordre moral qu’offre l’islam.[fn]C’est la raison pour laquelle de nombreuses femmes et la plupart des groupes musulmans, y compris opposants comme Izala et le soufi Tijaniyya, ont soutenu l’application de la Charia.Hide Footnote Des groupes de la société civile dans le Nord-Est invoquent parfois l’islam pour contester les structures patriarcales et les inégalités entre les sexes.[fn]Ibrahim N. Sada, Fatima L. Adamu, Ali Ahmad, « Promoting Women’s Rights through Sharia in Northern Nigeria », British Council and Department for International Development, 2006.Hide Footnote

Alors que les hommes dominent le débat politique et religieux sur la place des femmes dans la société, certaines d’entre elles ont aussi élevé la voix. Dans l’état du Borno, des femmes issues d’un certain nombre d’organisations de la société civile et de corps de métier comme le droit, le monde universitaire et la santé, et des fonctionnaires (y compris les quelques directrices de ministères) militent pour davantage de droits et de libertés pour les femmes.[fn]Les ONG dirigées par des femmes se plaignent du manque de soutien de donateurs et des ONG internationales (ONGI) à qui il est reproché de très peu travailler avec les militantes de la société civile et de ne pas faire appel à leurs connaissances locales. Entretiens de Crisis Group, Maiduguri, août 2016. Les difficultés rencontrées par les ONG de femmes musulmanes ne sont pas nouvelles. Voir Fatima L. Adamu, « A Double-edged Sword: Challenging Women’s Oppression within Muslim Society in Northern Nigeria », Gender and Development, vol. 7, n°1 (1999), p. 56-61.Hide Footnote

Les dirigeants de Boko Haram se sont engouffrés dans la brèche créée par le patriarcat, les restrictions imposées aux femmes et aux jeunes filles (en particulier par les membres des familles patriarcales) et les dramatiques difficultés socioéconomiques dans le Nord-Est pour attirer des sympathisants. De même, le débat sur la place et le rôle des femmes a donné l’occasion d’invoquer l’autorité religieuse pour justifier les assertions du mouvement et a rendu les femmes et les filles importantes pour sa rhétorique et ses actions.

III. Boko Haram : des rôles nouveaux pour les femmes

Boko Haram, la rébellion et la contre-insurrection ultérieures ont radicalement changé la vie de milliers de femmes et de jeunes filles, les propulsant de gré ou de force, ou parce qu’elles n’avaient pas d’autre option, vers de nouveaux rôles hors de la sphère domestique. Certaines ont rejoint le mouvement, d’abord en tant que membres d’une communauté religieuse, puis comme rebelles, tandis que beaucoup sont la cible de sa violence. Certaines combattent Boko Haram au sein de groupes d’autodéfense locaux ; d’autres jouent des rôles essentiels en matière de secours et de réconciliation, tandis que beaucoup de celles qui ont dû fuir les combats endossent de nouvelles responsabilités. La façon dont les rôles évoluent et impactent la discrimination ou l’autonomisation des femmes est riche d’enseignements pour le relèvement et la stabilité du Nord-Est.

A. Les sympathisantes de Mohamed Yusuf

Bien avant que Boko Haram ne se tourne vers la violence de masse, quand il n’était encore qu’un mouvement revivaliste islamique parmi d’autres dans le Nord du Nigéria, son fondateur Mohamed Yusuf a attiré des femmes dans ses rangs.[fn]A l’époque, son groupe était un des éléments actifs d’une constellation de mouvements qui appelaient à l’étude du Coran et à une pratique islamique purifiée en réponse aux maux de la société. Yusuf (1970-2009) a dirigé Boko Haram à partir de 2002, jusqu’à ce qu’il fasse l’objet d’une exécution extrajudiciaire par la police. L’année suivante, Abubakar Shekau a pris la relève, et selon des sources de Maiduguri, la veuve de Yusuf est devenue l’une de ses quatre épouses. Voir le rapport de Crisis Group, Curbing Violence in Nigeria (II), op. cit.Hide Footnote L’une des raisons pour lesquelles Boko Haram, un peu comme Izala, plaisait à beaucoup de femmes, jeunes en particulier, était qu’il offrait la possibilité d’étudier le Coran et d’apprendre l’arabe. Certaines avaient reçu une éducation occidentale dans les écoles gouvernementales et, comme l’ont fait des hommes, ont déchiré leurs certificats comme gage de leur nouvelle allégeance et de leur rejet de l’Etat nigérian, jugé immoral et décevant.[fn]Entretiens de Crisis Group, femmes membres de Boko Haram, centre d’accueil mis en place par l’état du Borno, Maiduguri, juin 2016 ; représentantes de la Fédération des associations de femmes musulmanes au Nigéria (Federation of Muslim Women’s Associations of Nigeria, Fomwan), Maiduguri, 13 août 2016.Hide Footnote Le fait que Yusuf encourage le mariage au sein de son mouvement et réduise les exigences financières et obligations sociales traditionnelles est un autre facteur, les jeunes femmes y trouvant une façon d’échapper aux pressions familiales. Pour des femmes assignées à des travaux pénibles comme l’agriculture ou l’approvisionnement en eau, la purdah, telle que promue par le groupe, a pu être une alternative intéressante.[fn]Entretiens de Crisis Group, Maiduguri, juin, août 2016. Une femme de 55 ans, originaire de Damasak, dans l’état du Borno, a souligné que la situation avait changé dans sa région sous l’influence de Yusuf qui encourageait les mariages rapides et simples, et a décrété que la dot irait à la mariée et non à sa famille. Entretien de Crisis Group, réfugiée ayant échappé à Boko Haram, Chettimari, Niger, mai 2016.Hide Footnote

Comme de nombreux autres dirigeants salafistes dans le monde, Yusuf a particulièrement insisté sur le traitement du corps de la femme comme preuve de l’adhésion à l’islam véritable. Il a encouragé le port du niqab, un vêtement de style saoudien introduit au Nigéria dans les années 1970 et qui recouvre intégralement le visage et le corps.[fn]Pour les hommes, Yusuf préconisait le style wahhabite, typiquement le port d’une longue barbe, d’un turban, et d’un pantalon au-dessus de la cheville.Hide Footnote Au début, les femmes pouvaient aller l’écouter prêcher à la mosquée, où elles étaient tenues à l’écart des hommes. A l’issue d’un débat entre les responsables religieux de Boko Haram sur l’autorisation, pour les femmes, d’apparaitre en public, il a été décidé qu’elles recevraient un enseignement chez elles et ne seraient plus tolérées à la mosquée. Yusuf tenait la mixité pour une preuve d’impiété.[fn]Zainab Usman, Sherine El-Taraboulsi, Khadija Gambo Hawaja, « Gender Norms and Female Participation in Radical Movements in Northern Nigeria », Nigeria Stabilisation and Reconciliation Programme, British Council, Department for International Development, 2014, p. 24. Mohamed Yusuf, This is Our Doctrine and Our Method in Proselytization (Ibadan, forthcoming), traduction anglaise de Hādhihi ‘Aqīdatunā wa-Manhaj Da’wa tinā (Maiduguri, 2009).Hide Footnote Une mixité à l’occidentale constituait un motif majeur pour considérer une école comme impure (haram). Contrairement à Izala, Boko Haram exigeait la purdah pour ses adeptes de sexe féminin.

B. Le soulèvement

La répression qui a suivi les confrontations violentes survenues en juin et juillet 2009 à Maiduguri et dans plusieurs autres villes, a conduit à l’exécution extrajudiciaire de Yusuf par la police nigériane ainsi qu’à l’assassinat d’un certain nombre d’autres dirigeants du mouvement et d’au moins un millier de ses partisans.[fn]Les adeptes féminins de Yusuf n’ont pas directement participé aux violences de 2009 ; « Bien qu’il y ait eu des femmes parmi les disciples de Mohamed Yusuf, aucune n’a été arrêtée ou retrouvée morte. Cela peut tenir au fait que le dirigeant de l’organisation les a évacuées pour les protéger lorsque l’invasion de son enclave est devenue imminente. » Usman Gaji Galtimari, « Report of the Administrative Committee of Inquiry into the Boko Haram Insurgency in Borno State » (Maiduguri, 2009), vol. 2, chapitre 2.Hide Footnote De nombreux membres se sont enfuis vers les zones rurales et les pays voisins, où ils se sont réorganisés et ont commencé à se livrer à des représailles sous la forme d’attaques terroristes et d’opérations de guérilla, sous la direction d’Abubakar Shekau, un adjoint de Yusuf. Boko Haram a recruté des femmes et des hommes, principalement de Maiduguri et d’autres zones urbaines, par un mélange de coercition et de mesures incitatives. En 2013, les forces de sécurité et des groupes citoyens d’autodéfense (la Force d’intervention civile conjointe, Civilian Joint Task Force, CJTF) l’ont repoussé hors de Maiduguri, mais au fur et à mesure que l’insurrection s’étendait aux zones rurales, davantage de femmes des villages, de toutes origines sociales, étaient recrutées ou contraintes à adhérer. Nombre d’entre elles se sont mariées avec des membres de Boko Haram.

1. Les femmes dans l’insurrection de Boko Haram

L’importance des femmes et des jeunes filles pour Boko Haram découle de leur rôle et de la façon dont elles sont perçues dans la société, que ce soit dans le Nord-Est ou au Nigéria dans son ensemble. En tant qu’épouses, elles améliorent le statut social et fournissent des services sexuels ou domestiques (parfois sous la contrainte), ce qui en fait un précieux élément pour attirer de potentielles recrues masculines. Leur adhésion, consentie ou forcée, à la version de l’islam prônée par le mouvement peut aussi contribuer à la propagation de son idéologie auprès d’autres femmes, mais également, potentiellement, de jeunes hommes. Les femmes peuvent remplir des fonctions très différentes des stéréotypes traditionnels. Avec l’évolution du conflit, elles sont devenues recruteuses, espionnes, main d’œuvre, combattantes, et kamikazes, volontaires ou forcées.

S’adresser aux femmes et aux jeunes filles de certaines communautés a contribué à attirer des sympathisants, à établir une idéologie politique en opposition avec l’Etat et parfois à attaquer les institutions nigérianes dans les domaines qui paraissaient les plus sensibles. Aux débuts de l’insurrection, à partir de fin 2010, les militants ont pris pour cible des individus, essentiellement des hommes, soupçonnés de soutenir les forces de sécurité dans leur répression initiale du mouvement. Boko Haram a commencé à enlever des femmes et des enfants à partir de la mi-2013, d’abord des chrétiens de la zone de Gwoza, dans le Sud-Est de l’état du Borno. Shekau a rendu ces rapts publics, exigeant que le gouvernement libère les femmes et les enfants de plusieurs dirigeants de Boko Haram, y compris ses propres épouses, arrêtés en 2012. Il a soulevé cette question à plusieurs reprises.[fn]Vidéo d’Abubakar Shekau, 30 septembre 2012, extrait traduit par Elodie Apard, « Le jihad en vidéo », Politique africaine, n°138 (2015), p. 146. Dans un message de janvier 2012 adressé au président Jonathan, Shekau a déclaré, « vous avez pris nos femmes et avez fait d’elles ce que vous vouliez ». Ibid., p. 59 (traduction de Crisis Group).Hide Footnote Un accord a été négocié entre les autorités et Boko Haram et un échange a eu lieu, mais les enlèvements de femmes sont devenus une tactique majeure.

Le 14 avril 2014, Boko Haram a capturé plus de 200 écolières dans la ville de Chibok, au sud de l’état du Borno. Cet événement a pris une ampleur mondiale, d’éminentes militantes de la société civile à travers tout le pays rejoignant la campagne internationale Bring Back Our Girls. La réponse de l’Etat a été hésitante. Il a fallu trois semaines au président Goodluck Jonathan pour faire une déclaration, et son épouse, Patience, a émis l’hypothèse que cet enlèvement n’avait jamais eu lieu.[fn]« First Lady Labels Women Activists Terrorists, Orders Arrest », International Centre for Investigative Reporting, 5 mai 2014.Hide Footnote Cela a alimenté une polémique croissante sur les résultats de Jonathan, à tel point que certains de ses alliés ont prétendu, sans aucun indice tangible, que l’enlèvement était un stratagème des élites du Nord pour affaiblir son gouvernement. Boko Haram a annoncé qu’il allait forcer les écolières, chrétiennes pour la plupart, à se convertir, tout en essayant de les utiliser comme monnaie d’échange.[fn]Les filles de Chibok n’auraient pas été forcées à se convertir mais des conversions sous forte pression ont été mentionnées par d’autres anciennes prisonnières. « Boko Haram did not rape, abuse freed Chibok girls – Source », Reuters, 9 novembre 2016.Hide Footnote Les filles de Chibok restent un problème symbolique majeur. La libération de 21 d’entre elles par Shekau en octobre 2016 a constitué une bonne nouvelle pour le président Buhari.

Il y a eu beaucoup d’autres enlèvements. En avril 2015, un rapport bien documenté estimait que Boko Haram avait kidnappé plus de 2 000 filles et jeunes femmes, pour la plupart célibataires, au cours des douze mois précédents. Mais ce chiffre n’est qu’à titre indicatif. Au plus fort de l’insurrection, Boko Haram a probablement eu quelques centaines de milliers de femmes sous son contrôle, et les enlèvements étaient nombreux. La pratique est restée courante pendant une bonne partie du deuxième semestre de 2015, alors que le mouvement étendait davantage son contrôle territorial dans l’état du Borno.[fn]« “Our Job is to Shoot, Slaughter and Kill”: Boko Haram’s Reign of Terror in North-East Nigeria », Amnesty International, avril 2015. Sur les évolutions plus récentes, voir « “Beyond Chibok”: Over 1.3 Million Children Uprooted by Boko Haram », Unicef, avril 2016.Hide Footnote Les sources disponibles indiquent que les militants tuaient essentiellement des hommes (civils et militaires) mais enlevaient généralement des femmes. Dans une vidéo, Shekau demande à ses hommes de tuer les hommes mais « d’épargner les vieux, les femmes, les fous et les repentants ».[fn]Bien sûr, un grand nombre de femmes ont été tuées lors des attaques. Par exemple, 59 femmes choa qui tentaient de fuir Kirenowa en juin 2014 ont été pourchassées et abattues dans la mosquée du village voisin, Ngalori. Entretiens de Crisis Group, femmes arabes choa, Maiduguri, 14 août 2016. Mais la plupart des sources disponibles indiquent que les insurgés tuent beaucoup plus d’hommes que de femmes. Par exemple, un survivant raconte qu’il n’y avait que trois femmes parmi les 43 personnes tuées lors d’une attaque en février 2016 contre Kache, un campement arabe choa de la zone de gouvernement local (Local Government Area, LGA) de Marte, dans l’état du Borno. La plupart des femmes ont pu s’enfuir, mais seulement cinq hommes. Entretien de Crisis Group, Maiduguri, 18 juin 2016. Voir également les incidents décrits dans « “Our Job is to Shoot …” », op. cit., p 37, 40-41, 43, 48. Les données disponibles sur les personnes tuées par Boko Haram (par exemple, www.cfr.org and www.crisis.acleddata.com) ne font pas la différence entre les victimes hommes et femmes. « Boko Haram: Shekau claims responsibility for attack on Giwa Barracks, threatens to attack universities, Civilian-JTF », Premium Times, 24 mars 2014.Hide Footnote

Au-delà de l’espoir de faire libérer ses propres détenues, les raisons pour lesquelles Boko Haram enlève des femmes et des jeunes filles sont probablement multiples. Dans certaines localités, des motivations ethniques ont joué un rôle ; en effet, comme le mouvement recrute dans certaines communautés plus que dans d’autres, l’histoire de l’hostilité entre communautés est parfois venue s’inscrire dans son combat jihadiste. Le fait d’avoir d’abord ciblé des femmes essentiellement issues de communautés chrétiennes et de les avoir contraintes à se convertir suggère qu’il cherchait à propager sa version de l’islam autant qu’à punir ses adversaires locaux.[fn]Entretiens de Crisis Group, déplacés, Maiduguri, Yola et Jalingo, 14 juin 2016. Au cours du soulèvement de juillet 2009, Yusuf et ses adeptes ont retenu des chrétiens, dont des femmes, prisonniers dans leur « Markas » (base) de Maiduguri, et auraient tué ceux qui refusaient de se convertir. Galtimari, « Report… », op. cit. ; entretien de Crisis Group, représentant de l’Association chrétienne du Nigéria (Christian Association of Nigeria, CAN) de l’état du Borno, Maiduguri, mai 2016.Hide Footnote Des rapports préliminaires font état de viols collectifs de femmes chrétiennes, alors que les musulmanes ont été épargnées.[fn]Atta Barkindo, Benjamin Tyavkase Gudaku, Caroline Katgurum Wesley, « Our Bodies, Their Battle Ground. Boko Haram and Gender-Based Violence against Christian Women and Children in North-Eastern Nigeria since 1999 », Nigeria’s Political Violence Research Network, rapport no. 1, 2013.Hide Footnote

Au plus fort de l’insurrection, Boko Haram a probablement eu quelques centaines de milliers de femmes sous son contrôle, et les enlèvements étaient nombreux.

De nombreux témoignages d’anciennes captives font état d’insurgés cherchant à obtenir leur allégeance par un mélange de menaces, de prêches et de promesses.[fn]Entretiens de Crisis Group, anciens captifs de Boko Haram et déplacés, Abuja, 3 juin 2016.Hide Footnote En procédant de la sorte, Boko Haram semble suivre un schéma typique de la zone du lac Tchad à l’époque précoloniale selon lequel, au moyen de razzias et d’asservissement, femmes et enfants sont enlevés et intégrés au groupe victorieux.

Avec l’émergence, soutenue par l’Etat, de groupes civils d’autodéfense pour combattre Boko Haram dans toutes les communautés à partir de 2013, les jihadistes s’en sont pris autant aux musulmans qu’aux chrétiens, tuant les hommes et enlevant les femmes, y compris des musulmanes. Par exemple, quand ils ont pris Kareto, dans l’état du Borno, en 2015, ils ont traité durement les femmes musulmanes parce qu’elles avaient assisté, sous la pression des militaires, à l’exhibition des cadavres de jihadistes tués.[fn]Entretien de Crisis Group, réfugié, Chettimari, Niger, mai 2016.Hide Footnote

Des motivations économiques peuvent aussi expliquer le nombre croissant d’enlèvements. Comme dans les guerres du dix-neuvième siècle dans la zone du lac Tchad, Boko Haram a utilisé les femmes et les jeunes filles comme récompenses pour ses combattants, un atout de poids puisqu’il n’est pas toujours facile de rassembler les fonds nécessaires pour le mariage.[fn]« En l’absence de trafics lucratifs et de soutien financier étranger, Boko Haram compense … par toute une série de pillages. Les humains deviennent une richesse. » Christian Seignobos, « Boko Haram et le lac Tchad », Afrique contemporaine, no. 255 (2016), p. 99. Sur l’histoire de la captivité en Afrique subsaharienne, voir Jane Guyer, « Wealth in People and Self-realization in Equatorial Africa », Man, vol. 28, no. 2 (1993), p. 243-265. Une ancienne prisonnière a rapporté avoir surpris de longues conversations entre les combattants sur leurs perspectives de mariage. Le fait que Boko Haram ait parfois libéré des femmes plus âgées, par exemple lorsque les vivres commençaient à manquer, ou lorsque les combats se rapprochaient, mais jamais les plus jeunes, démontre la valeur de ces dernières.[fn]Entretiens de Crisis Group, universitaire ayant interrogé d’anciens captifs, Paris, 29 mars 2016 ; ancienne prisonnière, Chettimari, Niger, 19 mai 2016.Hide Footnote

Le traitement des femmes et des jeunes filles nubiles, y compris des veuves, semble être une prérogative des dirigeants de Boko Haram, et un sujet de contentieux au sein du mouvement. Dans un enregistrement de 2016, Mamman Nur, chef d’une faction dissidente de Boko Haram, a reproché à Shekau de ne pas avoir tenu son engagement de marier les filles de Chibok à des membres du mouvement. Boko Haram semble avoir fait une distinction entre esclaves et épouses, en fonction de leur religion, épargnant davantage à ces dernières les mauvais traitements.[fn]« L’islam autorise à prendre les femmes infidèles pour esclaves, et le moment venu, on commencera à emmener les femmes pour les vendre au marché. » « Boko Haram: Shekau claims responsibility of attack on Giwa barracks, threatens to attack universities, Civilian-JTF », Premium Times, 24 mars 2014. Mais même ce point est controversé, Nur ayant critiqué Shekau pour avoir réduit en esclavage des musulmanes qu’il ne considérait pas fidèles à sa version de l’islam.[fn]« Dès lors qu’ils [les musulmans qui n’adhèrent pas à Boko Haram] sont des apostats, alors ce qu’ils devraient faire c’est se repentir, et non être retenus comme esclaves. » David Otto, « Boko Haram “Exposed” – The Greatest Betrayal Ever – How Shakau Was Forced to Pledge Allegiance to ISIL », 9 août 2016.Hide Footnote

Les femmes enlevées sont généralement gardées sous surveillance, tenues de porter le niqab, et souvent forcées à écouter des sermons et à suivre un enseignement coranique.[fn]Les leçons mettaient l’accent sur « le fait de prendre soin de son mari, d’avoir une bonne morale et d’apprendre l’arabe ». Entretien de Crisis Group, ancienne prisonnière, refuge, Maiduguri,16 juin 2016.Hide Footnote Par la suite, elles peuvent être mises au travail, par exemple comme transporteuses, y compris lors d’attaques, ou cuisinières. Si la rigueur morale affichée par le mouvement a pu protéger les prisonnières d’abus sexuels, comme cela semble avoir été le cas pour plusieurs filles de Chibok, des viols extraconjugaux ont été rapportés dans les camps de Boko Haram. Les viols semblent avoir été plus fréquents pour les captives poussées à se marier, souvent très jeunes, même par rapport au standard local, avec des combattants.[fn]Sur les filles de Chibok, voir Aboubakar Yahaya, « The Ongoing Violations of Women’s Rights in the Context of Insurgency in Borno State, Nigeria », in Habu Galadima & Moses T. Aluaigba (eds.), Insurgency and Human Rights in Northern Nigeria (Kano, 2015), p. 44. Plus généralement, voir
« “Those Terrible Weeks in Their Camp”. Boko Haram Violence against Women and Girls in Northeast Nigeria », Human Rights Watch, octobre 2014, p. 3.Hide Footnote

Après la répression de 2009, un certain nombre de femmes déjà adeptes de Boko Haram ont quitté Maiduguri pour suivre leurs maris vers d’autres villes ou dans la forêt de Sambisa, une large zone de savane au sud de Maiduguri où Boko Haram a établi des bases. D’autres sont restées en arrière pour s’occuper de leurs familles ou aider clandestinement leur mari. D’autres encore ont continué à rejoindre le mouvement de leur plein gré.[fn]Entretien de Crisis Group, responsable communautaire, Maiduguri, 14 août 2016.Hide Footnote

Dans les zones contrôlées par Boko Haram, le mariage pouvait apporter une certaine forme de sécurité et de prospérité aux femmes et à leur famille élargie. Dans un village proche de Kerenowa dans la zone de gouvernement local (Local Government Area, LGA) de Marte, dans l’état du Borno, les insurgés ont épousé 80 jeunes filles, offrant des dots de 15 000 nairas (environ 70 dollars en 2014), une somme considérable pour une région rurale déchirée par la guerre.[fn]Entretien de Crisis Group, chef de projet d’une ONG locale, Maiduguri, 11 août 2016.Hide Footnote

Des pères ont donné leurs filles à des combattants sous la pression de Boko Haram, et parfois des femmes ont choisi de tels mariages contre la volonté de leur famille. Une femme de Wasala, un village kanuri proche de Banki, dans le LGA de Bama, a ainsi divorcé pour épouser le naqib de Boko Haram à Banki. Elle souligne que son nouveau mari s’occupait mieux d’elle et lui donnait plus d’argent que le premier. Elle regrette d’avoir perdu ses économies lorsque les militaires ont repris son village, brulé leur maison et l’ont arrêtée.[fn]Entretien de Crisis Group, refuge mis à disposition par le gouvernement, Maiduguri, 15 juin 2016. Un naqib (en arabe, « celui qui enquête, vérifie ») est au-dessus de l’amir (chef de village) dans la hiérarchie de Boko Haram.Hide Footnote En 2014, des anciens de l’ethnie kanuri et des responsables nigériens s’inquiétaient du nombre faible mais croissant de femmes célibataires quittant la région de Diffa pour rejoindre des zones contrôlées par Boko Haram, afin de faire des affaires ou un mariage « profitable ».[fn]Entretien de Crisis Group, ancien de l’ethnie kanuri, Niamey, décembre 2014.Hide Footnote

Des motivations économiques peuvent aussi expliquer le nombre croissant d’enlèvements.

Certaines ont pu devenir des épouses de combattants de Boko Haram sans l’avoir voulu. Une jeune fille de 19 ans de Banki rapporte que, lorsqu’elle s’est mariée en 2013, elle ne savait pas que son mari, un commerçant en bagagerie qui s’absentait parfois pendant des semaines d’affilée, était membre de l’organisation. Elle ne l’avait jamais vu avec une arme jusqu’à ce que des combats avec l’armée éclatent près de chez eux, et qu’ils partent dans la forêt de Sambisa. Ses parents lui ont dit de le suivre, probablement par peur de représailles de Boko Haram s’ils l’empêchaient d’accompagner son mari.[fn]Entretien de Crisis Group, ancienne captive, refuge mis à disposition par le gouvernement, Maiduguri, 16 juin 2016.Hide Footnote

Boko Haram attache une grande importance à l’éducation coranique des femmes, pour qu’elles puissent participer à la vie de la communauté religieuse et se plier à ses règles. Certaines femmes ont rejoint le mouvement parce qu’elles ont trouvé ce positionnement intéressant et qu’elles étaient désireuses « d’acquérir un savoir, de mémoriser le Coran, et de mieux connaitre l’islam … des occasions uniques ».[fn]« Motivations and Empty promises: Voices of Former Boko Haram Combatants and Nigerian Youth », Mercy Corps, avril 2016, p. 15. Leur engagement se renforçant, elles ont peu à peu considéré que toute personne qui ne soutenait pas la cause était un apostat, un non-musulman, et un ennemi à combattre. Nombre d’entre elles étaient impliquées dans les travaux domestiques, mais aussi dans le recrutement d’autres femmes, de leurs maris ou de jeunes hommes, l’espionnage, la transmission de messages et la contrebande (y compris de nourriture).[fn]Ibid ; entretiens de Crisis Group, déplacés, Yola, juin 2016 ; Jacob Zenn et Elizabeth Pearson, « Women, Gender and the Evolving Tactics of Boko Haram », Journal of Terrorism Research, vol. 5, no. 1 (2014), p. 46-57.Hide Footnote Pendant un certain temps, comme l’armée et la CJTF se concentraient sur les suspects de sexe masculin, ces missions convenaient parfaitement aux femmes, considérées comme inoffensives et pouvant circuler plus facilement que les hommes dans les zones contrôlées par le gouvernement.

Contrairement à d’autres groupes insurrectionnels en Afrique de l’Ouest, comme ceux du Libéria ou de Sierra Leone, Boko Haram ne compte pas de brigade féminine. Néanmoins, face au manque de combattants, en particulier à partir de 2014, des femmes et des filles ont été entrainées au combat et ont participé à des attaques.[fn]« “Our Job is to Shoot …” », op. cit. p. 72 ; « Getting behind the profiles of Boko Haram members and factors contributing to radicalisation versus working towards peace », Network for Religious and Traditional Peacemakers, Finn Church Aid et Kaiciid Dialogue Centre, octobre 2016.Hide Footnote La femme d’un dirigeant de Boko Haram dans les collines de Gwoza aurait porté une arme à feu et tué un membre d’un groupe d’autodéfense.[fn]Entretien d’un analyste de Crisis Group dans une fonction antérieure, ancienne captive, Abuja, septembre 2013 ; entretien de Crisis Group, président de la CJTF de Gwoza, Maiduguri, 22 juin 2016 ; Adam Higazi, « A Conflict Analysis of Borno and Adamawa States », rapport non publié pour le Danish Refugee Council, Yola, février 2016. Le témoignage de l’ancienne captive est rapporté en partie dans « “Those terrible weeks …” », op. cit. p. 26.Hide Footnote Des militantes armées ont été aperçues dans la forêt de Sambisa, conduisant leurs propres motos. Des femmes auraient été impliquées dans une embuscade contre l’armée en 2016. Le 10 juillet 2014, des femmes armées, âgées de quatorze à 21 ans, et se battant « comme des professionnelles », ont attaqué Kirenowa, LGA de Marte dans l’état du Borno.[fn]Entretien d’un analyste de Crisis Group dans une fonction antérieure, responsable des femmes dans un camp de déplacés, Yola, 18 octobre 2015 ; entretien de Crisis Group, responsable de la société civile et analyste des conflits, Maiduguri, 12 août 2016 ; récit recueilli par le Nigeria Stabilisation and Reconciliation Programme (NSRP), consulté par Crisis Group, Maiduguri, 12 août 2016.Hide Footnote

L’utilisation de jeunes femmes comme kamikazes, tactique jusqu’alors inédite dans l’histoire du Nigéria, a été très médiatisée. Ces attaques, qui ont fait des centaines de morts, sont devenues le symbole de la brutalité du mouvement insurrectionnel. Le premier attentat-suicide a eu lieu en 2011, mais les femmes kamikazes, généralement munies d’une ceinture d’explosifs improvisés, ont pris de l’importance seulement à partir de la seconde moitié de 2014. Les attaques ont augmenté en fréquence et en intensité, mais ont décliné à partir de mi-2015, essentiellement parce que l’armée a coupé les lignes d’approvisionnement de Boko Haram et amélioré les mesures de prévention, y compris aux postes de contrôle.

Les plus jeunes filles kamikazes sont souvent des victimes elles-mêmes, dotées d’une faible capacité de discernement, trompées par leurs proches, et peut-être droguées.[fn]Entretien de Crisis Group, ancien agent de l’Etat ayant interrogé des individus ayant survécu à leurs tentatives d’attentats-suicides, Abuja, février 2016. Le premier attentat-suicide commis par une femme semble avoir eu lieu à Maiduguri en juin 2013 et non à Gombe en juillet 2014 comme cela a souvent été affirmé. Voir Hamza Idris et Ibrahim Sawab, « Women as Boko Haram’s new face », Daily Trust, 6 juillet 2013. Pour une analyse plus approfondie sur les attentats-suicides, voir Mia Bloom et Hilary Matfess, « Women as Symbols and Swords in Boko Haram’s Terror », Prism, vol. 6, no. 1 (2016), p. 1-8 ; et Patricia Taft et Kendall Lawrence, « Confronting the Unthinkable: Suicide Bombers in Nigeria », The Fund for Peace, 2016.Hide Footnote Mais les femmes kamikazes plus âgées semblent s’être portées volontaires. Une femme qui a passé deux ans en captivité dans la LGA de Gwoza rapporte avoir vu sept femmes recrutées comme kamikazes et envoyées à Maiduguri en mars-avril 2015. Elles auraient été mues par leur dévouement au jihad et visiblement endoctrinées sur le long terme, y compris par la promesse d’accéder directement au paradis (al-jinnah). Certaines étaient des veuves de combattants. Globalement, il ne semble pas que le mouvement ait manqué de volontaires.[fn]Entretien de Crisis Group, ancienne captive de Boko Haram, Jalingo, état de Taraba, 14 juin 2016.Hide Footnote

2. La riposte

Certaines femmes ont lutté contre Boko Haram au sein des groupes d’autodéfense qui ont vu le jour sous diverses formes à travers le bassin du lac Tchad, en particulier la CJTF de l’état du Borno.[fn]L’émergence et l’impact des groupes d’autodéfense dans le bassin du lac Tchad feront l’objet d’un prochain rapport de Crisis Group.Hide Footnote Cette implication semble avoir été tardive, et due en partie au fait que les femmes étaient de plus en plus actives au sein du groupe insurrectionnel. Au début, il n’y avait aucune femme dans ces groupes, mais au fil du temps, elles ont commencé à les rejoindre pour diverses raisons. Certaines l’ont fait par indignation ou par amertume, cherchant à se venger après avoir vu Boko Haram massacrer leurs proches. D’autres ont proposé d’aider la CJTF aux postes de contrôle à la suite de protestations contre la fouille de femmes par des hommes. D’autres encore ont discrètement transmis à la CJTF des informations sur les membres de Boko Haram et leurs activités à Maiduguri, sans pour autant rejoindre le groupe.[fn]Entretien de Crisis de Group, responsable de la société civile, Maiduguri, 22 octobre 2016.Hide Footnote

Il y a actuellement 122 femmes officiellement membres de la CJTF dans l’état du Borno, mais elles sont sans doute plus nombreuses à collaborer avec le groupe de façon informelle.[fn]Entretien de Crisis Group, commandant de la CJTF, Maiduguri, octobre 2016. Sur les femmes membres de groupes d’autodéfense, voir par exemple « Stories of Borno’s fierce, female Civilian JTF personnel », Daily Trust, 8 octobre 2016.Hide Footnote Certaines ont bénéficié d’un entrainement militaire, sont armées de fusils et d’autres armes et se battent aux côtés des hommes, parfois au cours d’opérations avec l’armée. Les membres féminins de groupes d’autodéfense surveillent également les camps de déplacés et aident à identifier les individus suspectés d’appartenir à Boko Haram, par exemple en interrogeant les femmes et les filles aux postes de contrôle pour empêcher les attentats-suicides.

3. Œuvrer pour la paix

S’ils ont pu être occultés par la violente confrontation entre Boko Haram et l’Etat, il y a eu des efforts féminins non violents pour la résolution du conflit dans le Nord-Est. Certaines femmes, souvent issues de grandes familles qui attachent de l’importance à l’éducation et ont permis à leurs filles d’y accéder, agissent depuis longtemps pour défendre la place de la femme dans les sphères publique et privée. Elles l’ont généralement fait au sein du monde islamique plutôt qu’en formulant une critique de l’extérieur.

C’est le cas de la Fédération des associations de femmes musulmanes au Nigéria (Federation of Muslim Women’s Associations in Nigeria, Fomwan), qui combine efforts en faveur de la diffusion de l’islam et tentatives d’améliorer le statut socioéconomique des femmes, des jeunes et des enfants, via des formations, l’enseignement, l’aide humanitaire et sanitaire, la microentreprise et les actions de plaidoyer.[fn]Entretien de Crisis Group, représentantes de la Fomwan, Maiduguri, 13 août 2016.Hide Footnote L’organisation Alternative pour la promotion et la protection des droits des femmes (Women’s Rights Advancement and Protection Alternative, Wrapa) agit, elle, contre la violence conjugale, les mutilations génitales féminines et le mariage précoce, et elle a tenu un rôle central dans le succès de la campagne de soutien à deux jeunes femmes condamnées à mort au nom de la Charia au début des années 2000. Plus récemment, elle a essayé de pousser les imams à évoquer les droits des femmes dans leurs prêches.[fn]« Women’s rights: WRAPA “khutba” to the rescue », Daily Trust, 27 mai 2016.Hide Footnote

A mesure que le conflit lié à Boko Haram s’intensifiait, ces organisations se sont impliquées dans des actions de plaidoyer, en particulier lors des enlèvements de Chibok. Elles ont trouvé de puissants soutiens dans d’autres campagnes internationales et nationales, comme Bring Back Our Girls, un rassemblement de militantes (et de militants) disposant d’un profond ancrage dans les capitales politique et économique, Abuja et Lagos, ce qui a évité que le problème ne tombe dans l’oubli.

4. Fuir sous la contrainte

Au total, l’insurrection et la contre-insurrection ont contraint près de deux millions de personnes du Nord-Est, dont plus de la moitié sont des femmes et des jeunes filles, à quitter leur domicile.[fn]Environ 1,8 million de personnes ont été déplacées dans les états de l’Adamawa, du Borno, de Gombe et de Yobe. « Nigeria: Humanitarian Dashboard », Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), 13 octobre 2016. « Nigeria Regional Refugee Response Plan January-December 2016 », Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), décembre 2016. « Stories of Borno’s fierce, female Civilian JTF personnel », op. cit. Quelque 53 pour cent des déplacés seraient des femmes. Certains des principaux camps de déplacés accueillent plus de deux fois plus de femmes adultes que d’hommes. Displacement Tracking Matrix, Round XI Report, Organisation internationale pour les migrations (OIM), août 2016.Hide Footnote Le meurtre de nombreux civils, la destruction de villes et de villages par Boko Haram et par l’armée, la perte des moyens de subsistance et le manque de nourriture dans une économie de plus en plus déstructurée sont les principales raisons de ces déplacements. Au début, les gens ont fui vers les centres urbains, où ils pensaient que le gouvernement les protégerait, ou vers des états ou pays voisins. Avec l’avancée de l’insurrection, certains ont dû se déplacer à plusieurs reprises. Maiduguri, qui a fait l’objet d’attaques répétées mais n’a jamais été prise par Boko Haram, accueille environ un million de déplacés. La contre-attaque de l’armée, des groupes d’autodéfense et des alliés régionaux du Nigéria, qui s’est consolidée en 2015, a fait des centaines de milliers de déplacés supplémentaires, les civils qui avaient jusque-là survécu dans des secteurs contrôlés par Boko Haram s’enfuyant pour se mettre à l’abri, ou étant transférés par l’armée.[fn]Briefing de Crisis Group, Boko Haram sur la défensive ?, op. cit.Hide Footnote

Dans de nombreuses zones, il n’est plus resté que des femmes et des enfants, les hommes et les garçons les plus âgés ayant été recrutés de force ou tués par Boko Haram, ou arrêtés par l’armée.[fn]Le nombre plus faible d’hommes parmi les déplacés a probablement plusieurs causes, mais les hommes valides trouvés dans les zones préalablement contrôlées par Boko Haram sont fortement soupçonnés par les forces de sécurité. Des disparitions de masse d’hommes adultes ont été rapportées. Amnesty International a diffusé une vidéo censée montrer le meurtre de masse de prisonniers dans le Nord-Est. « Nigeria: Gruesome footage implicates military in war crimes », 5 août 2014. Les femmes du camp de déplacés de Bama ont manifesté en 2016, pour demander aux autorités de faire la lumière sur le sort de « leurs » hommes, dont elles avaient été séparées et qui avaient été emmenés vers un lieu inconnu lors de la « libération » de leur zone. Courriel de Crisis Group, expert humanitaire, octobre 2016.Hide Footnote Les forces de sécurité et l’Etat ont eu du mal à décider que faire des milliers de survivants. Les nécessités de la survie dans les secteurs contrôlés par Boko Haram et la frontière ténue entre victimes et criminels ont nourri les soupçons à l’égard des déplacés. Cette suspicion, conjuguée aux mauvais résultats et aux abus des responsables nigérians – et de certains de leurs partenaires internationaux – censés aider les déplacés ont créé une crise humanitaire avec de graves risques à long terme.

Les personnes trouvées dans les zones « libérées » par les militaires sont examinées afin d’identifier les membres de Boko Haram. Dans l’état du Borno, les soldats et la CJTF dirigent la procédure localement, souvent en lien avec les responsables communautaires, les chefs de quartier dans les villes et les chefs de village. Les suspects sont transférés vers des centres de détention dans des casernes ou ailleurs, tandis que les autres personnes touchées par le conflit sont envoyées dans des camps de déplacés formels où une nouvelle enquête peut avoir lieu. La plupart des déplacés partent ensuite vers des communautés d’accueil ou des camps informels. D’autres prennent part à des programmes expérimentaux de déradicalisation. Pour les femmes, il existe un seul lieu de ce type pour le moment, un centre d’accueil à Maiduguri, évoqué ci-dessous. Il y a également un centre de réhabilitation à Maiduguri, qui fonctionne comme lieu de transit. En septembre 2016, 500 femmes et enfants détenus par l’armée y ont été envoyés pour y trouver un soutien social, un toit et de la nour-riture, avant d’être remis à leurs familles en novembre.[fn]Communication de Crisis Group, agent d’une organisation internationale basé à Maiduguri, 24 novembre 2016.Hide Footnote Les critères de distinction sont obscurs.[fn]Entretiens de Crisis Group, responsables sécuritaires et agences internationales, Maiduguri, juin 2016.Hide Footnote

Les enquêtes s’avèrent difficiles, car dans les zones contrôlées par Boko Haram, la plupart des habitants sont contraints à s’associer aux insurgés, d’une manière ou d’une autre, pour sauver leur vie. Repérer les membres actifs est délicat et le risque d’erreur, important. L’armée peut ainsi en arriver à incarcérer des femmes vulnérables qui ont été enlevées, capturées ou empêchées de quitter leurs communautés par Boko Haram avec des femmes qui ont activement soutenu la rébellion.

La détention d’insurgés présumés se fait de manière extrajudiciaire, avec très peu de contrôle extérieur. Les suspects, y compris des femmes et des enfants dans une section distincte, seraient encore détenus à la caserne de Giwa à Maiduguri.[fn]Entretien de Crisis Group, agent d’une organisation internationale, Maiduguri, juin 2016, et communication, novembre 2016.Hide Footnote En juin 2015, Amnesty International a rapporté de nombreuses allégations faisant état de torture, de famine, et de milliers de décès sur le site entre 2011 et 2015. En mai 2016, l’organisation a souligné que les conditions de détention restaient absolument déplorables, constatant un taux de mortalité élevé chez les détenus ainsi que chez les enfants et les bébés incarcérés avec eux.[fn]Voir « Stars on Their Shoulders, Blood on Their Hands. War Crimes Committed by the Nigerian Military », juin 2015, et « If You See It, You Will Cry: Life and Death in Giwa Barracks », 10 mai 2016, deux documents d’Amnesty International. En août 2015, l’armée a affirmé conduire des enquêtes et qualifié le rapport de 2016 d’« infondé ». Voir « Nigerian military react to Amnesty International report of human rights abuse », 6 août 2015, « Military debunks Amnesty report », 12 mai 2016, sur defenceinfo.mil.ng. Le président Buhari a dit qu’il devrait y avoir une enquête officielle du gouvernement. « Nigeria’s Giwa barracks “place of death”, rights group says », CNN,
14 mai 2016.Hide Footnote
L’accès des agences internationales et le contrôle des conditions de détention se sont légèrement améliorés, mais chaque entrée est « une nouvelle négociation » avec l’armée.[fn]En 2016, les autorités nigérianes ont autorisé le personnel de l’ONU à se rendre auprès de femmes et d’enfants détenus dans la caserne de Giwa. Entretien de Crisis Group, Maiduguri, 22 juin 2016.Hide Footnote

Pour ceux qui restent libres à l’issue de l’enquête, les conditions de vie de déplacé dépendent du contexte sécuritaire local et du type de site où ils s’installent. Plus de 80 pour cent d’entre eux sont hébergés dans des communautés d’accueil, les autres dans des camps informels ou administrés par le gouvernement dans tout l’état du Borno et dans les états et pays voisins. Le camp de Bama, une ville désertée et encerclée par Boko Haram au sud-est de Maiduguri, ressemble presque à une prison à ciel ouvert, tandis qu’à Monguno, au nord-est de Maiduguri, les déplacés sont libres de leurs mouvements et ont relancé le marché local. Les déplacés sont généralement sous le contrôle de l’armée, souvent en coopération avec la police et la CJTF. Les entrées et les sorties des camps sont surveillées dans les lieux comme Bama, Banki ou Maiduguri. Les restrictions en matière de mobilité sont justifiées par des considérations sécuritaires, pour éviter les attaques contre les déplacés en dehors des camps et faire cesser les infiltrations par Boko Haram.[fn]Entretien de Crisis Group, employé d’une ONGI de retour du Borno, Dakar, juillet 2016. Le 30 janvier 2016, Boko Haram a tué plus de 80 personnes dans le village de Dalori, près du camp de déplacés de Dalori, l’un des plus grands de Maiduguri. Des bombes ont été posées au camp de Malkohi, à Yola, dans l’état d’Adamawa, tuant sept déplacés le 11 septembre 2015, ainsi qu’à celui de Dikwa, état du Borno, tuant 60 personnes le 10 février 2016.Hide Footnote

Dans certaines zones du Borno central, des femmes ont été renvoyées dans leurs LGA depuis les camps de Maiduguri et d’ailleurs, mais elles demeurent le plus souvent dans des camps parce que leurs maisons ont été détruites, et que le risque sécuritaire demeure élevé dans les secteurs plus reculés. Ailleurs, comme dans une bonne partie du Sud du Borno, de Yobe et du Nord de l’Adamawa, les zones rurales deviennent plus accessibles, et des déplacés commencent à retourner dans leurs villages.

La situation humanitaire des déplacés est difficile, même si elle diffère selon les régions. D’importants manques de nourriture et de sérieux problèmes sanitaires ont été signalés. Les agences étatiques, celles du gouvernement fédéral, les bailleurs de fonds et les ONG internationales se rejettent la responsabilité.[fn]Comparer par exemple « IDPs protest caused by break down of agreement with NEMA – Borno govt », Vanguard, 27 août 2016 ; « IDPs’ protest: NEMA denies breach of MoU with Borno govt », TG News, 28 août 2016 ; et « NSCDC alerts public on syndicates sponsoring protests in Borno IDPs camps », Daily Post, 28 août 2016.Hide Footnote Certains membres du gouvernement tiennent Boko Haram pour seul responsable, et de fait, la violence du mouvement a dévasté la production agricole et les infrastructures sanitaires. Mais la contre-insurrection a également étouffé délibérément l’activité économique pour priver Boko Haram de vivres, de réseaux d’affaires et de protection. D’autres responsables minimisent la gravité de la situation humanitaire ou accusent les organisations internationales et les déplacés d’exagération. La corruption et le détournement de l’aide alimentaire et des fonds de soutien par des agents publics, ainsi que l’insuffisance de l’aide, ont certainement contribué au problème. Des déplacés ont dénoncé la mauvaise gestion et la corruption à de nombreuses reprises.[fn]Entretiens de Crisis Group, travailleurs humanitaires opérant dans l’état du Borno, Dakar, juin 2016. « Humanitarian groups using Boko Haram crisis to make money, says Borno govt », The News, 16 octobre 2016. « Borno IDPs protest inadequate food supply », Vanguard, 26 juillet 2016 ; « Borno IDPs protest poor feeding », The New Telegraph, 26 août 2016 ; « Again, Borno IDPs protest poor method of feeding in camps », Vanguard, 30 août 2016.Hide Footnote

Les déplacés en dehors des camps administrés par le gouvernement reçoivent généralement encore moins de nourriture et de soins médicaux, mais plusieurs camps gouvernementaux présentent des niveaux très élevés de mortalité et de malnutrition infantile et une faible couverture vaccinale. Cela ne concerne pas uniquement les camps proches des zones encore contrôlées par Boko Haram, où la limitation compréhensible des déplacements restreint l’activité économique et l’accès aux services sanitaires, mais également ceux qui sont à priori à l’abri de Boko Haram, autour de la ville de Maiduguri.[fn]Commentaire de Crisis Group, « North-eastern Nigeria and Conflict’s Humanitarian Fallout », 4 août 2016. Courriels de Crisis Group, responsables humanitaires, octobre 2016.Hide Footnote

Dans les camps, les femmes et les jeunes filles rencontrent des problèmes spécifiques. Enfermées dans des lieux où la plupart des gardes et une bonne partie du personnel sont des hommes, nombreuses sont celles qui ont été victimes de violences sexuelles et sexistes, ou ont dû recourir au « sexe de survie » avec les responsables des camps ou le personnel de sécurité en échange de nourriture, d’argent, ou de la permission de quitter le camp. Sur plusieurs sites, l’exploitation sexuelle était connue comme étant tellement courante que les parents préféraient marier leurs filles à un âge précoce.[fn]Entretiens de Crisis Group, agent de protection d’ONG locales et d’agences internationales, Maiduguri, août 2016. « Nigeria: Officials Abusing Displaced Women. Girls Displaced by Boko Haram and Victims Twice Over », Human Rights Watch, 31 octobre 2016 ; « Rapid Protection Assessment Report, Borno State, Nigeria », Protection Sector Working Group, mai 2016.Hide Footnote

Crisis Group interview, INGO worker returning from Borno, Dakar, July 2016. On 30 January 2016, Boko Haram killed more than 80 in Dalori village, close to Dalori IDP camp, one of the largest in Maiduguri. Bombs were planted at Malkohi camp in Yola, Adamawa state, killing seven IDPs on 11 September 2015, and at Dikwa camp, Borno state, killing 60 on 10 February 2016.Hide Footnote

IV. La stigmatisation et les dilemmes de la réintégration

En raison de la frontière ténue entre militant de Boko Haram, personne enlevée, esclave, épouse, partisan, victime et sympathisant, de nombreuses femmes et filles portent les stigmates de l’association. Ceux-ci – plus forts encore pour celles qui ont eu des enfants avec des combattants de Boko Haram, même contre leur gré – sont un obstacle majeur à leur réinsertion dans la vie communautaire. Dans les camps de déplacés et les communautés d’accueil de Maiduguri ou d’ailleurs dans le Nord-Est, les enfants nés de mères qui ont été violées ou mariées de gré ou de force à des combattants de Boko Haram sont considérés comme ayant un « mauvais sang » par leurs pères, et comme potentiel danger pour l’avenir.

Le président Buhari a publiquement cherché à contrer cette tendance en prenant un enfant de Boko Haram dans ses bras. Les conséquences de l’exclusion de la société sont significatives tant pour les perspectives sociales, politiques et économiques de l’individu que pour la cohésion et la stabilité de la société dans le Nord-Est. L’isolement et l’aliénation risquent de générer de nouvelles frustrations et des résistances comparables à celles qui ont permis l’avènement de Boko Haram. Les enfants des femmes stigmatisées pourraient à terme rejeter les institutions de l’Etat.

Rien ne confirme les soupçons de certains observateurs selon lesquels les conditions de vie déplorables dans les camps seraient le résultat d’une politique délibérée de certaines autorités pour punir les femmes et leurs enfants récemment sortis des zones tenues par Boko Haram.[fn]Entretiens de Crisis Group, travailleurs humanitaires opérant dans l’état du Borno, Dakar, juin 2016.Hide Footnote Néanmoins, même les femmes qui ont été enlevées, maltraitées ou forcées au « mariage » par le mouvement portent les stigmates de l’association. La peur de la « contagion » et, plus concrètement, des attentats-suicides, fait partie du problème. Ainsi, des restrictions existent, dans certaines zones, sur les nouvelles arrivées de déplacés à Maiduguri. Dans le camp de Bama par exemple, seuls les enfants nécessitant des soins médicaux prolongés sont autorisés à partir, parfois sans leurs parents. Aussi compréhensible que soit cette crainte, il est important d’avoir conscience de son coût. La restriction des déplacements encourage    le manque d’attention par les autorités, crée des conditions propices aux abus et à l’extorsion, et peut nourrir le ressentiment.

La stigmatisation peut aussi être un frein à la réintégration à la vie communautaire normale. Dans les camps de déplacés de Maiduguri, même les femmes qui ont été enlevées et violées ou réduites en esclavage sont souvent socialement isolées, qualifiées d’« épouses de Boko Haram » et de « femmes de Sambisa ». Compte tenu des normes dominantes selon lesquelles les relations sexuelles hors mariage sont socialement inacceptables, ces femmes courent le risque d’être rejetées par leur famille, et leur sort risque d’être pire encore si elles ont eu des enfants hors mariage, n’ayant alors aucun moyen de dissimuler leur situation. Il faut néanmoins se méfier des généralisations : le jugement social peut tenir compte du degré de soutien de l’individu à Boko Haram. Celles qui sont perçues comme ayant été forcées ne sont pas nécessairement considérées de la même façon que les femmes soupçonnées d’être restées plus volontairement.

Une ancienne captive se rappelle avoir été bien accueillie par des soldats à leur avant-poste après avoir échappé à Boko Haram. Des femmes musulmanes et chrétiennes rencontrées pour ce rapport dans des communautés d’accueil et des camps de déplacés, qui avaient fui Boko Haram après des mois, voire des années de captivité, ou qui avaient été libérées par des militaires, étaient socialement intégrées parmi les autres déplacés et racontaient leur expérience de victimes du groupe insurrectionnel. Le fait d’être nombreuses à avoir vécu des expériences similaires, et parfois d’avoir été libérées ou de s’être échappées ensemble les y aidait. Ainsi, si de nombreux cas de stigmatisation ont été rapportés, certaines femmes sont traumatisées, pas stigmatisées. Le problème de la stigmatisation et du traumatisme varie selon les familles, les individus et les communautés.[fn]Entretiens de Crisis Group, Abuja, 3 juin 2016 ; Fufore, 8-9 juin 2016 ; Jalingo, 12-14 juin 2016 ; « “Bad Blood”: Perceptions of Children Born of Conflict-related Sexual Violence and Women and Girls Associated with Boko Haram in Northeast Nigeria », Unicef et International Alert, février 2016.Hide Footnote

Quelques femmes et enfants de membres de Boko Haram ont été placés dans un centre de « déradicalisation », un « refuge » créé à cette fin à Maiduguri par les autorités de l’état du Borno en mai 2016. Dès le début, le centre a accueilli 62 femmes et adolescentes venues de deux villages des LGA de Bama et Dikwa dans l’état du Borno, dont la plupart, en tant que femmes d’insurgés, sont considérées comme dangereuses, et leurs 26 enfants. Elles sont sous la responsabilité de travailleuses sociales et il leur est interdit de quitter les lieux, qui sont gardés par des hommes en armes.

Ce projet-pilote illustre les dilemmes de la réintégration et de la « déradicalisation ». Le défi consiste à déterminer quel aspect du « radicalisme » le programme entend contrer : le recours à la violence, une certaine forme de violence, l’idéologie, ou un aspect d’une idéologie ? Seules quelques-unes des femmes membres de Boko Haram ont pris les armes et ont combattu. La plupart semblent avoir eu un rôle plus domestique et n’ont pas nécessairement été impliquées dans ou exposées à la violence de masse. Elles ont été endoctrinées à des degrés variables, certaines restant encore fidèles au mouvement, tandis que d’autres l’avaient rejeté. Il semble que certaines pourraient être réintégrées à la société plus facilement que d’autres, mais il pourrait y avoir de la résistance de la part des populations locales. Ces femmes ont continué à montrer une certaine réticence à reconnaitre les atrocités commises, qu’elles considéraient souvent comme un élément inhérent à un tel conflit.

Le travail de « déradicalisation » dans le centre consiste notamment à montrer les conséquences de la violence, en particulier des attentats-suicides.[fn]Une femme membre du personnel a expliqué qu’une ONG de Maiduguri montrait des vidéos pour exposer les femmes et les jeunes filles à la réalité, à savoir que contrairement à ce qu’a dit Boko Haram à certaines d’entre elles, les kamikazes et d’autres sont bien tués dans l’explosion. Certaines femmes auraient été choquées car elles connaissaient les kamikazes et n’avaient pas mesuré ce que les attaques impliquaient. Entretien de Crisis Group, Maiduguri, 10 août 2016.Hide Footnote Des prédicateurs islamiques viennent pour partager un récit qui diffère en tout point de la doctrine du mouvement, et les travailleuses sociales interagissent avec elles quotidiennement. Certaines des femmes placées dans le centre ont exprimé le désir d’être scolarisées pour compléter leur éducation islamique ; et certaines y ont suivi des cours.[fn]Entretiens de Crisis Group, Maiduguri, 15-17 juin 2016. « Nigeria: The women who love Boko Haram », Al Jazeera, 22 septembre 2016.Hide Footnote

 

V. Tenir compte des femmes : un ordre du jour politique

Au vu de la situation des femmes dans le Nord-Est, l’Etat et ses partenaires internationaux devraient rapidement s’attaquer à l’ensemble des défis. Des mesures sont nécessaires pour répondre aux besoins humanitaires et de protection immédiats, mais aussi à la question de plus long terme de la réintégration. Tout cela doit se faire dans le contexte d’un effort plus large pour améliorer la condition de toutes les femmes dans le Nord-Est. Comme beaucoup de guerres, celle menée contre Boko Haram a aggravé la situation économique.

La remise en cause des schémas établis donne l’occasion à certaines femmes d’endosser des rôles plus épanouissants, mais la grande majorité a subi une perte supplémentaire d’autonomie. La violence a dispersé les familles. De nombreuses femmes sont isolées dans des camps ou des centres urbains, sans nouvelles de leur mari, de leurs parents ou de leurs enfants. Il est trop dangereux de rentrer chez elles, et dans la plupart des régions, leurs biens ont été détruits ou pillés par Boko Haram ou par l’armée. Les familles organisées autour d’une femme seule sont majoritaires dans certains camps de déplacés.[fn]L’OIM a décompté 1 200 foyers dont une femme seule a la charge dans le camp de déplacés de l’hôpital général de Bama. Les femmes chargées de famille constituent ainsi 12,8 pour cent de sa population. Displacement Tracking Matrix, op. cit.Hide Footnote Le drame que constitue la guerre et les défis du redressement et de la reconstruction sont des arguments majeurs pour faire en sorte de répondre aux besoins immédiats des femmes, mais aussi pour leur donner les moyens de devenir des actrices du changement.

A. Perfectionner l’enquête

Dans cette guerre, l’un des camps a eu largement recours au recrutement forcé, rendant complexe la distinction entre victime et criminel. Les autorités devraient s’assurer que l’armée ne place pas systématiquement en détention toutes les femmes trouvées dans les zones récemment reprises à Boko Haram. Les stratégies de survie ambigües que certaines femmes ont dû adopter ne devraient pas être retenues contre elles sans nuance. Les nécessaires contrôles de sécurité devraient aussi impliquer des agents de protection des deux sexes, issus d’organisations de la société civile nationales et formés par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Les responsables de ce processus devraient être sensibles à la situation difficile à laquelle de nombreuses femmes ont fait face.

B. Apporter une aide et une protection adaptées aux femmes victimes

Les camps peuvent sembler être une solution appropriée pour les personnes qui se trouvent dans des zones récemment reprises à Boko Haram, ne serait-ce que pour les protéger des représailles et des soupçons de leur communauté, jusqu’à leur réintégration. Il est néanmoins essentiel de fournir une aide adéquate à ces nouveaux déplacés, tout comme à ceux qui sont installés depuis longtemps dans des zones plus sûres, ainsi qu’à leurs communautés d’accueil. Il devrait y avoir davantage de contrôle dans la distribution de la nourriture et de l’aide, et pour faciliter l’accès aux organisations humanitaires locales et internationales. L’Agence nationale de gestion des urgences (National Emergency Management Agency, NEMA), responsable du fonctionnement des camps officiels, devrait garantir la protection des déplacés, notamment face aux violences sexuelles et sexistes. La gestion de l’accès aux camps, actuellement prérogative de l’armée, devrait être transférée à des organisations civiles dès que possible.

Face à la vulnérabilité particulière de la population déplacée, majoritairement féminine, il est nécessaire de porter une attention spécifique aux violences sexuelles et sexistes, et d’assurer l’accès à des informations et des services sur la santé sexuelle et reproductive. Les autorités devraient mettre en place des mécanismes d’orientation pour les femmes et les filles dans les camps de déplacés et les communautés d’accueil. Les allégations de maltraitance de la part des forces de sécurité et/ou de la CJTF devraient faire l’objet d’une enquête, en veillant à assurer le respect des procédures légales et un caractère public aux cas significatifs.

La prédominance des hommes au sein des organisations impliquées dans la protection et la gestion de camps de déplacés accueillant une population essentiellement féminine est un point faible.[fn]Entretiens de Crisis Group, travailleurs humanitaires opérant dans l’état du Borno, Dakar, juin 2016.Hide Footnote Les gouvernements, au niveau fédéral et des états fédérés, ainsi que les partenaires internationaux devraient coopérer sans plus tarder afin de développer des programmes pour augmenter le recrutement des femmes dans les forces de police locales et autres corps amenés à intervenir dans les camps.[fn]Les autorités ont récemment annoncé que 100 policières allaient être déployées dans les camps de déplacés à la suite de plaintes d’abus sexuels. « Northern Nigeria Internal Security Sitrep Week Ending 12 November 2016 », peccaviconsulting.wordpress.com, 15 novembre 2016.Hide Footnote Les experts internationaux devraient également proposer aux soldats, à la police, aux représentants de la NEMA et de l’Agence étatique de gestion des urgences (State Emergency Management Agency, SEMA) de l’état du Borno qui travaillent dans les camps, des formations sur la protection des civils prenant en compte la situation particulière des femmes.

C. Traiter de façon équitable les femmes soupçonnées d’avoir commis des crimes violents

Sans ignorer la responsabilité des femmes soupçonnées de crime, les autorités doivent assurer un traitement équitable et transparent de tous les dossiers liés à Boko Haram ; il sera vital de faire une distinction entre les idéologues de Boko Haram et ceux qui les ont suivis pour d’autres motifs. Ceux qui, après enquête, sont placés en détention provisoire en attendant de comparaitre devant le tribunal, doivent être détenus dans des prisons civiles, et non militaires, et dans des conditions acceptables, avec un accès aux agences humanitaires. Les enfants devraient recevoir les soins adéquats. Compte tenu de l’ampleur de la violence, de l’implication dans les mauvais traitements des insurgés et des forces de sécurité, ainsi que des faiblesses du système judiciaire, des modalités de traitement adéquates doivent être conçues pour l’ensemble des suspects, qui ne peuvent rester éternellement dans un vide juridique. Cette procédure doit inclure la participation des femmes, en particulier celles du Nord-Est.

D. Réintégrer les femmes victimes dans leurs communautés

Le regroupement des familles, seul filet de protection pour beaucoup, devrait constituer une priorité. Une base de données fédérale devrait être établie pour faciliter la recherche des personnes disparues, et davantage de moyens devraient être consacrés au rassemblement des familles. De même, un effort est requis pour lutter contre la stigmatisation. Pour favoriser la réintégration et la réhabilitation des femmes et des jeunes filles libérées par Boko Haram, un processus de réconciliation reposant sur les communautés, avec une participation importante des femmes, devrait être encouragé, en particulier en invitant des groupes de femmes de diverses zones du Borno à participer au dialogue.

Tous les plans de développement et de reconstruction, publics et privés, devraient reposer sur une analyse de l’insurrection et de la contre-insurrection prenant en compte la question des femmes. La conception de programmes devrait tenir compte du fait que, dans le Nord-Est, la religion peut faciliter l’aide et jouer un rôle-moteur pour promouvoir des changements positifs pour les femmes en général. Les musulmans et les chrétiens devraient s’impliquer ensemble, afin de contribuer à surmonter les divisions qui se sont creusées avec l’insurrection. Il faut des programmes pour faciliter l’accès des femmes au crédit et aux terres. Les foyers dont des femmes seules ont la charge nécessitent un soutien particulier pour la relance d’activités de production, par exemple artisanales, commerciales, ou agricoles.

Les veuves devraient faire l’objet d’une attention particulière, car les femmes isolées sont plus susceptibles d’être manipulées par les jihadistes. Comme au Rwanda, une allocation mensuelle, pendant plusieurs années, pour les veuves de guerre devrait être prévue, et les ONG locales devraient être soutenues pour apporter une assistance juridique gratuite sur les questions d’héritage et de propriété.[fn]Selon la Charia, les veuves peuvent hériter des biens de leur mari si elles ont des témoins ou bien s’il y a des registres tenus par les chefs de villages ou de districts, mais cela peut s’avérer plus difficile dans certains cas.Hide Footnote Le fait que les familles des soldats tués au combat reçoivent souvent peu de soutien risque d’entamer le moral des militaires. Les veuves des soldats devraient recevoir une pension du gouvernement fédéral, y compris pour leur permettre de se loger si elles doivent quitter les casernes.

Les enfants dont les pères sont des membres de Boko Haram ainsi que leurs mères ne doivent pas devenir des parias. Des approches communautaires et des initiatives de sensibilisation sont nécessaires, ainsi qu’une augmentation significative de l’investissement dans l’éducation en général, en faisant de la scolarisation de ces enfants avec d’autres enfants de la région une priorité.

E. Intensifier les efforts pour autonomiser les femmes dans le Nord-Est

Pour remédier de façon plus structurelle aux déséquilibres entre hommes et femmes, des efforts sont nécessaires principalement dans trois directions. Il faut prêter attention aux programmes qui permettent de renforcer la participation des femmes à la vie politique et à la gouvernance locale, y compris en envisageant une politique de discrimination positive avec des quotas, comme dans de nombreux autres pays d’Afrique de l’Ouest. L’amélioration de l’accès des filles à l’enseignement primaire et secondaire devrait constituer une priorité, mais compte tenu de l’intérêt pour et de la légitimité de l’enseignement coranique dans le Nord-Est, il devrait aussi être modernisé par l’introduction d’un double cursus (comme dans l’état de Kano) et en rémunérant les enseignants afin que les élèves n’aient pas à mendier pour l’entretien des écoles. Des clauses strictes devraient conditionner l’attribution de subventions aux écoles à l’équilibre entre les sexes.

Les groupes islamiques traditionnels devraient donner aux femmes les moyens de s’engager pour soulager la crise humanitaire. Ces courants ont également un important rôle à jouer dans la lutte contre les idéologies religieuses violentes, et dans le soutien à l’éducation et à la participation citoyenne des femmes. Enfin, l’Etat devrait prendre des mesures pour lutter contre la discrimination fondée sur le sexe et les stéréotypes ancrés dans la loi et la pratique, pour que les femmes et les jeunes filles aient plus de contrôle sur leurs propres vies.

VI. Conclusion

Dans le Nord-Est, les femmes subissent la violence et des mauvais traitements effro-yables, qui s’ajoutent au fardeau d’un patriarcat oppressant. Leur exploitation par Boko Haram, y compris la violence sexuelle et sexiste, s’éloigne nettement des normes sociales du courant dominant de l’islam moderne et se rapproche davantage de schémas d’esclavage et de razzia qui remontent au dix-neuvième siècle voire avant. Néanmoins, la perception des femmes comme victimes passives de Boko Haram, largement répandue après l’enlèvement des filles de Chibok, est trompeuse, et doit faire l’objet d’une révision substantielle. La violence contre les femmes ne doit pas dissimuler le fait que beaucoup d’entre elles sont des actrices du conflit, et parfois, commettent des actes de violence. Beaucoup ont été exploitées, maltraitées et déplacées, tandis que d’autres ont activement participé à l’insurrection et à la contre-insurrection.

Inversement, la reconquête par le Nigéria des zones contrôlées par Boko Haram n’allège pas nécessairement la souffrance des femmes. Dans une société profondément divisée, traumatisée, cela nourrit aussi de nouvelles formes de violence, d’exclusion et de coercition à l’égard de ceux qui sont soupçonnés de complicité avec les insurgés. Reconnaitre les meilleurs résultats des forces armées dans la lutte contre Boko Haram sous la présidence de Buhari ne doit pas conduire à ignorer les abus dont elles sont responsables, abus qui sont susceptibles de nourrir une nouvelle rébellion.

Il est nécessaire de comprendre les diverses façons dont les femmes traversent et participent au conflit pour façonner les politiques visant à apaiser leurs souffrances et à ouvrir la voie à la réconciliation et la reconstruction de la société. Les femmes ont besoin de l’aide des autorités et de leurs partenaires internationaux, mais une réflexion et une planification minutieuses sont nécessaires pour garantir qu’elle soit effectivement apportée.

Chacun devrait prendre en compte le contexte historique de discrimination fondée sur le sexe, enracinée dans la loi et les pratiques culturelles, et la façon dont le mouvement insurrectionnel a plus encore nui aux femmes, de diverses façons, allant des abus sexuels à la destruction des perspectives économiques, et diversifier les programmes en conséquence. Il faudrait s’assurer que les plans de développement et de reconstruction reposent sur une analyse du conflit prenant en compte la situation des femmes. Enfin, il faut encourager les femmes non seulement à prendre davantage leur vie en main, mais aussi à devenir actrices et décisionnaires de la reconstruction du Nord-Est. Les autorités fédérales et leurs partenaires doivent reconnaitre que, même si l’Etat a un rôle central à jouer, la religion peut également constituer une ressource pour faciliter ce processus et promouvoir des changements positifs pour les femmes de façon plus générale.

Abuja/Dakar/Bruxelles, 5 décembre 2016

Annexe A : Carte du Nigéria

Map of Nigeria. CRISIS GROUP

Annexe B : Etat du Borno : nombre estimé de déplacés par LGA

Borno State: Estimated Number of IDPs Per LGA. IOM based on data from OCHA, NEMA and other partners.

Annexe C : Glossaire

Amir : Terme arabe signifiant chef, utilisé pour désigner un chef de village dans la hiérarchie de Boko Haram.

CAN : Association chrétienne du Nigéria – Christian Association of Nigeria –, l’association chrétienne œcuménique la plus importante du pays.

CJTF : Force d’intervention civile conjointe – Civilian Joint Task Force –, un comité de vigilance qui s’est développé dans l’état du Borno en 2013 pour lutter contre Boko Haram.

CRA : Child Rights Act, une loi fédérale visant à améliorer la protection des droits des enfants.

DHS : Demographic and Health Survey, un programme mondial pour fournir des données fiables sur la démographie et la santé.

Fomwan : Fédération des associations de femmes musulmanes au Nigéria –Federation of Muslim Women’s Associations in Nigeria.

Haram : Qualificatif arabe pour designer toutes les choses impures et interdites selon le Coran.

IDP : Déplacés internes – Internally Displaced Person.

ONGI : Organisation non gouvernementale internationale.

OIM : Organisation internationale pour les migrations, l’agence des Nations unies, impliquée surtout dans l’assistance aux déplacés et aux réfugiés.

Izala : Terme arabe signifiant « suppression », appellation courte de la Société pour la suppression de l’innovation et le rétablissement de la Sunna –Society for the Removal of Innovation and the Reestablishment of the Sunna –, un mouvement salafiste islamiste né dans le Nord du Nigéria.

LGA : Zone de gouvernement local – Local Government Area –, le niveau administratif intermédiaire entre le village et l’Etat au Nigéria.

NEMA : Agence nationale de gestion des urgences – National Emergency Management Agency.

ONG : Organisation non gouvernementale.

Naqib : Terme arabe signifiant contrôleur, un responsable local dans la hiérarchie de Boko Haram.

Niqab : Voile intégral couvrant tout le corps à l’exception des yeux, typique de l’islam salafiste.

Purdah : Une forme d’isolement des femmes, pratiquée dans certaines cultures islamiques.

SEMA : Agence étatique de gestion des urgences – State Emergency Management Agency.

SGBV : Violences sexuelles et sexistes – Sexual and Gender-based Violence.

UNHCR : Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés – UN High Commissioner for Refugees –, l’agence des Nations unies.

Wrapa : Alternative pour la promotion et la protection des droits des femmes – Women’s Rights Advancement and Protection Alternative, organisation nigériane impliquée dans la promotion des droits des femmes et des filles.

Subscribe to Crisis Group’s Email Updates

Receive the best source of conflict analysis right in your inbox.