Obama et le problème des prisonniers en Afghanistan
Obama et le problème des prisonniers en Afghanistan
Toward a Self-sufficient Afghanistan
Toward a Self-sufficient Afghanistan
Op-Ed / Asia 3 minutes

Obama et le problème des prisonniers en Afghanistan

En dépit des nombreux aléas de son intervention en Afghanistan, c’est la question des détenus qui polarise aujourd’hui Washington. Le débat a repris vigueur le mois dernier, lorsque le président afghan Hamid Karzaï a exigé que les autorités afghanes reprennent immédiatement le contrôle de la prison de Bagram. Positionnement stratégique pour Karzaï au vu de la sortie prévue des troupes américaines en 2014, il s’impose pour assurer la souveraineté du pays, son futur en tant que leader politique et prévenir une résurgence talibane.

Depuis longtemps, la légitimité de la prison de Bagram et son utilité stratégique au sein de la base militaire dans la province de Parwan est mise en question. En août 2009, le general Stanley McChrystal, alors aux commandes des forces de l’OTAN et des troupes américaines en Afghanistan, dénonce les détentions extrajudiciaires de Bagram comme une  « faille stratégique », et met en garde contre une perte du soutien public afghan pour les forces étrangères dans le pays.

Au sein de la communauté internationale, la mainmise américaine sur Bagram ne fait pas non plus l’unanimité. Elle a mis à mal un partenariat déjà délicat entre les États-Unis et les États membres de l’OTAN, dont certains se lassent de l’attitude de Washington face à une guerre sans fin contre le terrorisme qui dépasse largement les règles d’engagement prévues dans la convention de Genève.

En juillet 2010, un accord entre les États-Unis et Kaboul promettait de transférer le contrôle du centre de détention de Bagram aux Afghans, ainsi que de créer en parallèle un centre judiciaire afghan à Parwan. Parce que mal financé, corrompu et enclin à l’usage de la torture, le système pénal afghan est jugé trop dysfonctionnel pour assurer le contrôle du centre avant 2014. Si le transfert de responsabilités s’en est trouvé repoussé à deux reprises, le fonctionnement des détentions arbitraires sous tutelle américaine est aussi à déplorer.

Au sein de sa nouvelle politique militaire, Obama a mis en place un processus d’audience pour déterminer le statut et l’affiliation politique des détenus : talibans, al-Qaida ou autre groupes d’insurgés. Ces audiences, cependant, sont loin des standards de droit international. Les détenus n’ont accès ni aux informations ni aux témoignages les concernant, qui consistent en majorité de ouï-dire sur leurs activités terroristes. N’ayant un droit de visite que très limité et sans avocats, les détenus n’ont pas la possibilité de se constituer une défense solide. Violant de façon évidente le droit international à un procès équitable, la Maison-Blanche a toutefois réussi par des faux-semblants de procédure à éviter toute accusation.

Pour Karzaï, la défense des droits de l’homme et du respect des procédures judiciaires importe peu. La reprise de Bagram est ici d’ordre stratégique. Marginalisés dans les négociations entre les États-Unis et les talibans, Karzaï et ses acolytes veulent revenir sur le devant de la scène. Dans ces conditions, Bagram peut leur conférer davantage de poids. Le contrôle des talibans qui y sont détenus offrirait à Karzaï la possibilité d’atteindre certaines personnalités et de renforcer son pouvoir de négociation avec les talibans. Ces derniers seraient ainsi encouragés à créer un dialogue direct avec le gouvernement afghan, ce qu’ils ont méprisé jusqu'à présent.

L’inefficacité du processus de collaboration entre les États-Unis et l’Afghanistan se répercute en conséquence sur les dossiers en attente. Leur nombre a sérieusement augmenté, créant une surpopulation carcérale qui a doublé entre mars et novembre 2011, atteignant 3 000 détenus. Avec un partage d’information miné par les mesures sécuritaires des États-Unis, les juges et procureurs afghans n’ont aucun droit de regard sur les dossiers qui devraient pourtant légalement leur parvenir, selon l’accord transitionnel de Bagram. Le rapport d’une commission constitutionnelle afghane recommande donc que les procureurs locaux commencent à libérer les détenus dont les dossiers leur arrivent incomplets. Ce qui ajoute aux inquiétudes quant à la viabilité d’un transfert de contrôle.

Obama et Karzaï devront, pour assurer la transition, s’engager à trouver une solution au problème de détention. La Maison-Blanche devra préparer un accord avec Kaboul détaillant et adressant les enjeux légaux et sécuritaires que le transfert du centre encoure. D’autre part, la communauté internationale devra en partenariat avec le gouvernement afghan s’assurer du bon procédé des institutions légales sur place, particulièrement pour protéger les dossiers sensibles tout en respectant les standards de procédures équitables.

Tant que les deux parties continueront à bafouer le droit international, il sera difficile d’instaurer un dialogue convainquant sur l’établissement d’un État de droit.
 

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