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Réformer la police afghane

Le maintien de l’ordre est un élément central du renforcement de l’État, dans la mesure où une institution nationale crédible qui fournit sécurité et justice à la population est indispensable à la légitimité du gouvernement.

Synthèse

Le maintien de l’ordre est un élément central du renforcement de l’État, dans la mesure où une institution nationale crédible qui fournit sécurité et justice à la population est indispensable à la légitimité du gouvernement. Pourtant, les citoyens afghans craignent davantage la police qu’ils ne se sentent protégés par elle. Plutôt que de mettre l’accent sur son pouvoir de coercition, la réforme devrait se concentrer sur la redevabilité, la représentation ethnique et le professionnalisme et reconnaître la nécessité de dépolitiser et d’institutionnaliser les nominations et procédures. Il est contre-productif de considérer la police comme une unité de combat auxiliaire dans la lutte contre l’insurrection, comme c’est le cas de plus en plus souvent dans le Sud tourmenté du pays. L’Afghanistan, comme toute autre démocratie, a besoin des services de la police plutôt que de sa force.

L’état de la Police nationale afghane (PNA), presque six ans après la chute des Talibans, reflète l’échec de la communauté internationale à saisir l’importance de la réforme globale des secteurs du maintien de l’ordre et de la justice, en dépit des leçons tirées par d’autres pays qui ont payé au prix fort leur sortie de plusieurs années de conflit armé. Le gouvernement du président Karzaï n’a toujours pas la volonté politique de mettre fin à la culture d’impunité et à l’intervention/interférence de l’aspect politique dans les nominations et les opérations. Les tentatives de court-circuiter la construction des institutions sont aggravées par l’explosion du marché des stupéfiants, en partie symptomatique de l’état des services de maintien de l’ordre mais surtout de l’importance/influence de la corruption sur les réformes envisagées. Dans le même temps, les défis posés par l’insurrection montante mettent en évidence la nécessité d’un règlement rapide.

Certains changements et améliorations ont eu lieu. Dans certaines zones urbaines, la « quincaillerie » d’équipement et de bâtiment, au moins, a été clairement rénovée ; les officiers de police disposent de nouveaux uniformes et certains sont mieux équipés. De nouveaux systèmes et structures au sein du ministère de l’Intérieur reflètent au moins un semblant de professionnalisme. Cependant, le retour sur investissement humain et financier est assez faible.

Il est essentiel pour la police d’éradiquer la corruption et d’assurer son autonomie opérationnelle – supervisée – si elle veut fournir un service professionnel et cohérent aux citoyens plutôt que d’être un outil coercitif au service des élites au pouvoir. L’équipement adéquat des officiers est nécessaire à leur efficacité et leur moral, mais en fin de compte, seul l’esprit de service de proximité peut faire la différence et inspirer confiance. Une institution chargée du maintien de l’ordre digne de confiance serait en mesure de prêter main forte à presque tous les processus qui nécessitent d’être accomplis dans le pays, de la sécurité à l’instauration d’une relation de confiance avec les investisseurs et la définition d’objectifs de développement, en passant par les droits des femmes et des minorités. Gagner la confiance et bâtir une véritable institution nationale, c’est aussi s’assurer que la population est représentée dans le façonnement des structures de commande et de contrôle. Les déséquilibres ethniques et entre les hommes et les femmes doivent également être éliminés au plus vite. 

L’évaluation et l’épuration des plus hauts gradés de la police grâce au processus de réforme pay and rank sont essentielles à la professionnalisation du service. Mais ce processus s’avère être une tâche difficile : les membres de réseaux de factions et d’ententes pour le marché des stupéfiants se disputent les postes au sein de la police, notamment pour la surveillance des routes du trafic, les plus lucratifs. Ces difficultés soulignent la nécessité de dépolitiser le service, d’assurer le développement professionnel et d’institutionnaliser son commandement et son contrôle. Pour atteindre ces objectifs, le processus de réforme devrait prévoir la nomination d’un commissaire de police et renforcer la surveillance civile. La communauté internationale, qui apporte les fonds, a le droit, et le devoir auprès des citoyens afghans et de ses propres contribuables, d’exiger le respect des processus et critères convenus.

Cependant, les projets de réforme concurrents et contradictoires au sein de la communauté internationale, qui privilégient souvent la formation et les effectifs par rapport à d’autres questions politiques plus complexes, nuisent aux progrès accomplis et révèlent l’absence d’institutions compétentes et flexibles pour superviser la réforme de la police. La décision des États-Unis de donner un rôle primordial au département de la Défense dans ses programmes de police a contribué à gommer la frontière entre l’armée et la police. D’autres institutions et États donateurs ne pourront prétendre à davantage d’influence que s’ils sont prêts à prendre des engagements, fournir plus de ressources et adopter un véritable projet stratégique. La mission de police de l'Union européenne en Afghanistan (EUPOL) a pris la relève de l’Allemagne en tant que partenaire clef pour la réforme de la police mais elle manque encore d’effectifs et d’un mandat fort. Tous les programmes et les pays donateurs doivent aujourd’hui s’engager à travailler ensemble au sein de l’International Police Coordination Board (IPCB), développer en priorité une stratégie de réforme globale et la soutenir par des promesses de financements sur plusieurs années en conditionnant le versement des fonds à la réalisation de progrès mesurables.

Il est positif que la communauté internationale reconnaisse le besoin fondamental de réformer, mais la raison principale n’est autre que l’insécurité grandissante et la police est appelée à intervenir dans des missions pour lesquelles elle n’est ni équipée ni entraînée. Ainsi, le nombre de victimes au sein des forces de police augmente et leurs responsabilités en matière de lutte contre l’insurrection compromettent leur tâche principale, celle de travailler avec les communautés et de les protéger. Kaboul et ses partenaires doivent reconnaître que les différentes branches sécuritaires de l’État remplissent différentes fonctions. La création d’une police auxiliaire a davantage brouillé la distinction entre les agences de sécurité et a donné la priorité au nombre de policiers – n’importe quel type de policiers – plutôt qu’à la qualité du service. Un service de maintien de l’ordre de qualité est essentiel à la démocratie, et un fonctionnement démocratique est essentiel à la lutte contre l’insurrection. Ces deux éléments ne sont pas incompatibles et ne doivent pas être perçus comme tels. Afin de faire de la réforme de la police en Afghanistan un succès, son objectif doit être la création d’un service civil digne de confiance, qui soit chargé de l’application de la loi, et qui soit redevable devant cette dernière.

Kaboul/Bruxelles, 30 août 2007

Executive Summary

Policing goes to the very heart of state building, since a credible national institution that helps provide security and justice for the population is central to government legitimacy. However Afghanistan’s citizens often view the police more as a source of fear than of security. Instead of emphasising their coercive powers, reform should focus on accountability, ethnic representation and professionalism, along with an urgent need to depoliticise and institutionalise appointments and procedures. It is counter-productive to treat police as an auxiliary fighting unit in battling the insurgency, as has been happening with increasing frequency in the troubled south. Afghanistan, like any other democracy, requires police service more than police force.

The state of the Afghan National Police (ANP) nearly six years after the fall of the Taliban reflects the international community’s failure to grasp early on the centrality of comprehensive reform of the law enforcement and justice sectors, despite similar hard-learned lessons in other countries attempting to emerge from years of armed conflict. President Karzai’s government still lacks the political will to tackle a culture of impunity and to end political interference in appointments and operations. Attempts to shortcut institution building are compounded by an exploding narcotics trade – partly symptomatic of the state of policing but even more clearly a major corrupting influence on attempted reforms. At the same time, the challenges of a growing insurgency are pushing quick fixes to the fore.

There have certainly been some changes and improvements. In some urban centres, at least the “hardware” of equipment and buildings is visibly improved; the police have new uniforms and some are better equipped. New systems and structures at the interior ministry (MOI) provide at least a shell of professionalism. However the return on invested human and financial capital is modest.

Rooting out corruption and ensuring operational autonomy – with oversight – are critical if the police are to provide a professional, consistent service to citizens rather than acting as a coercive tool of governing elites. Properly equipping police is important for efficiency and morale but ultimately it is an ethos of community service that can make the real difference by fostering wider trust. A trusted law enforcement institution would assist nearly everything that needs to be achieved in the country from security, through gender rights and minority rights, to building investor confidence and development goals. Part of earning trust and building a true national institution is ensuring that the population is reflected in the make-up of the command and control structures. Both ethnic and gender imbalances also need to be addressed urgently.

Testing and vetting of police leadership through the pay and rank reform (PRR) process is vital to professionalising the service. However, it is proving an uphill battle as factional networks and drug alliances compete for posts, particularly lucrative ones that oversee smuggling routes. These challenges underscore the necessity of depoliticising the service, ensuring professional development and institutionalising command and control. To meet these goals, the reform process should include the appointment of a police commissioner and strengthened civilian oversight. The international community, which provides the funds, has the right – indeed duty to the Afghan people and its own taxpayers – to insist that agreed processes and criteria are followed.

However, the international community’s competing and conflicting visions of reform, with training and numbers often put ahead of more difficult political issues, is undermining progress and highlights the lack of experienced, flexible institutions to oversee police reform. The U.S. decision to give a leading role in its police programs to the Department of Defense has further blurred the distinction between the military and police. Other donor nations and institutions will only be able to assert more influence if they are prepared to step up with commitments, resources and a clear strategic vision. The European Union Police Mission to Afghanistan (EUPOL) has just taken over from Germany as key partner on police reform but so far lacks numbers and a robust mandate. All programs and donor countries must now commit to work together in the International Police Coordination Board (IPCB), make development of an overarching reform strategy a priority and back that strategy by multi-year financial pledges with disbursement of funds conditioned to measurable progress.

It is promising that the international community recognises the vital need for reform but the urgency is driven by the growing insecurity, and the police are being asked to take on roles for which they are neither equipped nor trained. As a result, police casualties are increasing, even as counter-insurgency responsibilities undermine their main task of working with and protecting communities. Kabul and its partners need to acknowledge that different security arms of the state have different roles. The creation of an auxiliary police has further blurred distinctions between the security agencies and prioritised boots on the ground – any boots – over building quality. Good policing is vital for democracy, and democratic functioning is vital for counter-insurgency; the two are not and must not be seen as mutually exclusive. If police reform in Afghanistan is to succeed, the goal should be creation of a trusted, civilian service, which enforces – and is accountable to – the rule of law.

Kabul/Brussels, 30 August 2007

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