Une décision française plus que bienvenue en Afghanistan
Une décision française plus que bienvenue en Afghanistan
Op-Ed / Asia 3 minutes

Une décision française plus que bienvenue en Afghanistan

L’annonce par le président de la République d’un renfort de la présence française en Afghanistan est une bonne nouvelle pour ce pays et pour la cohésion de la communauté internationale. Six ans après l’éviction du régime taliban, la présence internationale sur place semble, en effet, bien essoufflée. Pourtant, bien que tous les signaux d’alarme soient sur le rouge, tout n’est pas perdu en Afghanistan.

Beaucoup d’erreurs auront été commises par les Américains, l’ONU et la communauté internationale dans son ensemble depuis leur entrée dans le pays en fin 2001. Non seulement sur le plan militaire, mais également et peut-être surtout sur le plan politique. Était-il nécessaire d’offrir, par exemple, aux Seigneurs de la guerre une place prépondérante à la Loya Jirga ? Fallait-il vraiment précipiter des élections parlementaires qui aboutirent à conférer un pouvoir de blocage à des potentats locaux dont la seule légitimité résidait dans les milices armées dont ils disposaient ? Non, bien sûr. Et sur ce sujet-là, comme sur bien d’autres malheureusement, l’autisme de la première administration Bush, l’empressement des Européens de regarder ailleurs, trop heureux d’y assumer le moins de responsabilités possible et les décisions onusiennes chaotiques auront fortement contribué à créer les conditions pour le retour des talibans dans le Sud.

Était-ce une raison pour que la France se retire de ce conflit et ignore les difficultés de l’Alliance atlantique sur les bords de l’Hindou Kouch ? Non, bien sûr. Ceux qui, à l’Assemblée nationale, s’élèvent contre la décision de l’Élysée devraient mieux peser l’impact immédiat que l’annonce française aura sur le moral des insurgés qui utilisent à des fins de propagande toute hésitation occidentale. Par les mises en garde publiques et les mandats à court terme qu’elles imposent à leurs troupes en Afghanistan – les fameux « caveats » – les capitales occidentales ont contribué à faire planer le doute sur leur volonté d’engagement à long terme. Cela joue en faveur de l’insurrection et contre ceux qui essaient de construire un État viable sur les ruines de trente années de guerre.

L’annonce française contribuera grandement à envoyer un message fort sur l’engagement ferme de la communauté internationale à ne pas permettre le retour des talibans au pouvoir. Bien qu’il puisse être regrettable que la Constitution de la Ve République octroie au chef de l’État le pouvoir décisionnaire sur tout envoi de soldats à l’étranger sans nécessité d’en débattre à l’Assemblée nationale, les voix qui se sont élevées au Palais-Bourbon contre cet engagement français devraient toutefois modérer leur critique. Si les talibans devaient reprendre le pouvoir à Kaboul, cela signifierait non seulement une défaite cuisante infligée à l’ONU, aux Européens et aux Américains, mais une menace immédiate et directe pour la sécurité de la région et notre sécurité. N’oublions pas que quelques projets d’attentats de grande envergure sur le territoire français ont été déjoués in extremis au début de cette décennie.

La victoire en Afghanistan ne sera pas seulement militaire. Il est urgent pour tous les acteurs engagés sur place de s’attaquer aux racines de la violence en construisant un État afghan qui soit enfin à l’écoute des besoins de la population et réponde à ses attentes. Le peuple afghan dans son ensemble a le sentiment que les promesses n’ont pas été tenues. Les acteurs internationaux ont trop souvent créé des structures parallèles à celle de l’État afghan, dirigées par des étrangers, souvent en uniforme, dans des zones où la situation sécuritaire n’exigeait pas une telle action militarisée. Les Équipes de Reconstructions Provinciales (« PRTs » dans le jargon international) ne sont plus justifiables dans le Nord et leurs fonctions devraient être désormais assumées en grande partie par les autorités afghanes. Il est urgent de démontrer à la population afghane que la coalition internationale sur place contribue à construire l’État afghan, de manière concertée. Le manque de coordination entre les différentes agences et les différents pays occidentaux engagés là-bas a fortement contribué à amoindrir l’efficacité des efforts fournis durant les six dernières années. Cela doit être corrigé. Et rien n’est plus intolérable pour des pays, comme le Canada, par exemple, dont les hommes sont au front dans le Sud, de devoir subir les critiques interminables de pays qui ne s’engagent pas.

Paris fait l’expérience, dans la conduite de l’opération de l’Union européenne au Tchad, à quel point les conseils d’alliés qui ne se mouillent pas sont accueillis avec un sourire grinçant par les puissances engagées dont les soldats risquent leur vie sur le terrain. La France pourra désormais peser d’un poids nouveau sur les décisions prises par les acteurs internationaux à Kaboul.

S’il est grand temps pour les États-Unis de prendre conscience que leurs actions unilatérales dans la conduite des combats affaiblissent la volonté d’engagement des autres, il était temps également pour les puissances européennes de réaffirmer leur volonté d’engagement en Afghanistan. Ne voir dans la nouvelle approche française qu’une simple tactique élyséenne de rapprochement transatlantique serait faire preuve d’un manque de hauteur de vue. La stabilité de l’Afghanistan contribuera à la paix en Eurasie et la défaite sans possible retour des talibans est un élément clé de la sécurité mondiale.

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