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Le processus constitutionnel au Népal

Suite à la formation d’un parlement intérimaire qui regroupe les principaux partis politiques et les maoïstes, le processus de paix au Népal dépend désormais de la rédaction d’une constitution qui mette fin de manière permanente au conflit, qui réponde au mécontentement généralisé à l’origine de celui-ci et qui prémunisse le pays contre l’émergence de nouvelles violences.

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Synthèse

Suite à la formation d’un parlement intérimaire qui regroupe les principaux partis politiques et les maoïstes, le processus de paix au Népal dépend désormais de la rédaction d’une constitution qui mette fin de manière permanente au conflit, qui réponde au mécontentement généralisé à l’origine de celui-ci et qui prémunisse le pays contre l’émergence de nouvelles violences. La plupart des acteurs politiques ont accepté la demande des maoïstes, qui réclament la formation d’une assemblée constituante chargée d’élaborer un nouveau système politique. Les royalistes s’inquiètent quant à eux du futur de la monarchie, qui a de fait été suspendue. Le plus grand défi est désormais de maintenir un consensus au niveau des dirigeants tout en consolidant un processus impliquant une grande variété d’acteurs afin de limiter le champ d’action d’éventuels semeurs de troubles et de garantir une légitimité populaire sur le long terme. Les troubles qui ont récemment secoué les plaines du Téraï illustrent le danger qu’il y a à ignorer le mécontentement populaire. Les principaux acteurs politiques doivent préparer sérieusement leur participation à l’Assemblée constituante. Sous la houlette de la mission des Nations unies au Népal récemment créée (la MINUN), la communauté internationale devrait, d’une part, faire pression sur les parties pour qu’elles respectent à la fois les engagements qu’elles ont pris dans le cadre de l’accord de paix global et les normes internationales et, d’autre part, apporter une assistance technique au processus électoral.

La constitution intérimaire promulguée le 15 janvier 2007 a mis en place un cadre juridique pour la révision de la constitution et repris les principes directeurs qui avaient été convenus lors des négociations entre les parties. Deux objectifs vont de pair dans le cadre du processus de rédaction de la nouvelle constitution : la consolidation de la paix et une réforme politique à plus long terme. Ce processus constitutionnel offre l’occasion de consolider l’intégration des maoïstes dans le courant politique dominant, de déterminer l’avenir de la monarchie et de combler des fissures ethniques, régionales et de castes déjà anciennes. Pour mener à bien ce processus, il faudra établir un équilibre délicat entre les revendications des élites et une large participation du public. Si l’équipe dirigeante qui regroupe le parti principal et les maoïstes ne parvient pas à équilibrer ces demandes parfois contradictoires ou si le processus tombe en panne, le Népal pourrait connaître un regain de violence.

On observe aussi des tensions au sujet du calendrier de mise en œuvre : un processus rapide profiterait de la dynamique initiée avec la signature de l’accord de paix mais risquerait de ne pas aller au fond des choses. Les élections et l’assemblée ne seront pas parfaites mais elles devront être suffisamment efficaces : les élections doivent être convaincantes et l’assemblée doit être vue comme travaillant de manière adéquate. Un nombre limité d’acteurs nationaux et internationaux, notamment les dirigeants du parti principal et l’Inde, jugeront de l’équité des élections. Si leurs conclusions ne correspondaient pas à l’humeur internationale (ce fut le cas à plusieurs reprises par le passé), on pourrait s’attendre à l’émergence de nouveaux problèmes.

Le processus constitutionnel doit établir un équilibre complexe entre les élites. Il doit donner de l’espace politique aux maoïstes tout en limitant leurs possibilités de recourir à la violence ou à la coercition contre leurs opposants politiques. La consolidation d’un système politique multipartite renforcera naturellement les partis politiques dominants mais accentuera sur le court terme leurs différences et pourrait encourager un retour aux tactiques politiques qui prévalaient au parlement et qui étaient loin d’être exemplaires. La transition du rôle du palais royal dans le système politique népalais pourrait également présenter des difficultés : les responsables politiques ont habilement dépossédé la royauté de tous ses pouvoirs de manière progressive, sans prendre le risque de provoquer une réaction violente. Mais une tentative de modifier de manière décisive les structures de pouvoirs traditionnelles se heurtera à la résistance des institutions conservatrices – non seulement le palais royal mais aussi des éléments de l’armée, du pouvoir judiciaire et de la bureaucratie.

Jusqu’à présent, le processus constitutionnel s’est attelé à la formation d’un consensus parmi les élites au détriment d’un débat politique ou d’une consultation populaire significatifs. Des négociations à huis clos ont été menées sous le contrôle d’une poignée de responsables de l’Alliance des sept partis (ASP) et de maoïstes ; un contrôle parlementaire limité n’a même pas reconnu le concept d’opposition. La constitution intérimaire attribue au Premier ministre et au gouvernement de larges pouvoirs qui ne sont soumis qu’à des contrôles minimaux ; le compromis passé sur l’indépendance des institutions, par exemple la justice, a affaibli le principe de séparation des pouvoirs. Certaines dispositions, comme celle prévoyant un droit de grâce illimité, semblent indiquer que ces arrangements intérimaires pourraient permettre à l’élite politique de balayer les méfaits du passé sous le tapis.

Il serait exagéré de parler d’une “nouvelle dictature” mais il est vrai que le processus de paix a jusqu’à présent davantage favorisé une oligarchie réunissant les dirigeants des partis politiques plutôt qu’une véritable démocratie populaire. Les responsables des partis n’ont pas fait preuve d’un grand intérêt pour le pluralisme : le parlement intérimaire n’aura pas d’opposition officielle ; les royalistes pourraient être exclus de l’assemblée constituante ; il sera très difficile pour de nouveaux partis de s’inscrire pour les élections et, de toutes façons, des décisions “de consensus” laisseront la plus grande partie du pouvoir entre les mains des dirigeants des partis. La négociation en amont des questions importantes menace également de nuire au processus constitutionnel. Par exemple, la réponse des maoïstes et de l’ASP au mécontentement populaire observé dans le Téraï fut de présenter des propositions en faveur du fédéralisme, évitant ainsi une discussion sérieuse sur l’une des principales préoccupations de l’assemblée constituante.

L’abrogation de la constitution de 1990 montre qu’un nouvel ordre constitutionnel n’acquerra une légitimité que s’il procède d’une participation du public visible. Divers efforts pour éduquer la population en ce sens ont déjà commencé, que ce soit par des initiatives locales ou par des projets bénéficiant de financements internationaux, et on s’attend désormais à des changements considérables dans ce domaine. Toutefois, il n’existe aucune structure institutionnelle pour canaliser et traiter les résultats des consultations populaires. La commission de rédaction de la constitution intérimaire a sollicité la participation du public mais ne disposait pas d’un mandat suffisamment clair ni des mécanismes adéquats pour examiner les propositions reçues. La version qu’elle a présentée a donc entraîné la frustration et le mécontentement du public. L’assemblée constituante devra faire mieux si elle souhaite assurer une plus grande légitimité au nouveau texte.

Par ailleurs, les principaux partis n’ont guère accordé d’attention aux difficiles questions de procédure qu’implique la réforme constitutionnelle. Peu d’entre eux ont initié des changements internes pour régler leurs problèmes de corruption, de clientélisme et d’exclusion, qui ont généré un soutien populaire en faveur des maoïstes. Pourtant, renforcer la démocratie au sein des partis et leur responsabilité serait directement profitable au processus constitutionnel.

Les maoïstes avaient accepté de rejoindre le système politique multipartite en novembre 2005. Ils ont besoin de la période de transition et des élections de l’assemblée constituante, prévues pour juin 2007, pour justifier cette stratégie auprès des cadres de leur parti. Ceci pourrait les encourager à démocratiser le parti communiste et à promouvoir leur programme populiste par une véritable campagne politique ouverte mais ils pourraient aussi être tentés de continuer à employer les tactiques d’intimidation et de coercition dont ils sont familiers. Il est difficile aujourd’hui de cerner leurs véritables intentions : s’ils n’ont pas abandonné tous les moyens illégitimes auxquels ils avaient habituellement recours, ils s’efforcent cependant de se donner une image plus modérée et plus ouverte au compromis.

Katmandou/Bruxelles, 26 février 2007

Il faut finalement porter au crédit du gouvernement népalais et des maoïstes que le processus de paix a été davantage mené au niveau national qu’il n’a été imposé par la communauté internationale, et que les principaux acteurs politiques népalais ont bien voulu admettre les erreurs passées et en tirer les leçons. La communauté internationale a néanmoins un rôle important à jouer, même s’il n’est qu’auxiliaire, dans le soutien du processus de rédaction de la constitution. En plus de financer l’éducation de la population en vue de sa participation à la rédaction de ce texte, les donateurs devraient tirer parti du considérable capital intellectuel du pays, par exemple en finançant l’organisation d’événements mettant en jeu  des universitaires, des juristes et des activistes locaux (publications, émissions radiophoniques, articles de presse). Au contraire, une aide qui se bornerait à reproduire au Népal des modèles employés ailleurs ou qui se contenterait de poursuivre les petits objectifs politiques des donateurs serait certainement contreproductive.

Executive Summary

With the formation of an interim legislature incorporating mainstream parties and Maoists, Nepal’s peace process hinges on writing a constitution that permanently ends the conflict, addresses the widespread grievances that fuelled it and guards against the eruption of new violence. Most political actors have accepted the Maoist demand for a constituent assembly (CA) tasked with framing a new dispensation, although royalists are worried over the future of the monarchy, which has in effect been suspended. The major challenge is to maintain leadership-level consensus while building a broad-based and inclusive process that limits room for spoilers and ensures long-term popular legitimacy. Recent unrest in the Tarai plains illustrates the dangers of ignoring popular discontent. Key political actors need to prepare more seriously for the CA. Led by the newly established United Nations mission in Nepal (UNMIN), the international community should pressure all sides to abide by their stated commitments and global norms and provide technical assistance to the electoral process.

The interim constitution promulgated on 15 January 2007 established a framework for constitutional change and enshrined the guiding principles agreed in earlier negotiations. The new constitution’s drafting process has to address the twin objectives of peacebuilding and longer-term political reform. It offers an opportunity to cement the Maoists’ integration into mainstream democratic politics, to determine the monarchy’s fate and to tackle long-standing ethnic, regional and caste fissures. But successful constitutional processes require a delicate balance of elite accommodations and broad public participation. If the joint mainstream party/Maoist leadership fails to balance these sometimes competing demands, or the process stalls, violent conflict may emerge once more.

There is also a tension over timescales – a speedy process would maintain momentum but could cut too many corners. The elections and assembly will not be perfect but they have to be good enough: the polls must be plausible, and the assembly must be seen to work adequately. The initial arbiters of the election’s fairness will be a small number of critical domestic and international constituencies, primarily the major party leaderships and India. If their judgement is out of step with the national mood – as it often has been in the past – it will produce new problems.

The constitutional process has to build a complex equilibrium among elites. It must provide political space for the Maoists while limiting their options to use violence or coercion against political opponents. The consolidation of a competitive multiparty system naturally bolsters the mainstream political parties but in the short term will heighten their differences with each other and may encourage a return to the less than edifying tactics of earlier parliamentary politics. Managing the transition in the palace’s role may also present difficulties: political leaders have skillfully stripped royal powers comprehensively but gradually, with no single step sufficient to prompt a backlash. But a decisive alteration of traditional power structures will still encounter resistance from conservative institutions – not just the palace but also elements of the army, judiciary and bureaucracy.

So far the process has concentrated on building elite consensus at the expense of intense political debate or extensive public consultation. A handful of SPA and Maoist leaders have controlled closed-door negotiations; limited parliamentary scrutiny has not even extended to recognising the concept of an opposition. The interim constitution has granted the prime minister and cabinet sweeping authority, subject to minimal checks and balances; the compromised independence of institutions such as the judiciary has weakened the principle of separation of powers. The inclusion of provisions such as the unrestricted authority to grant pardons suggests that interim arrangements may enable the political elite to sweep past misdeeds under the carpet.

Warnings of a “new dictatorship” are exaggerated but the peace process has so far delivered an oligarchy of party leaders rather than a popular democracy. Party leaders have shown little appetite for pluralism: the interim legislature will have no official opposition, royalist parties may be excluded from the CA, new parties will find it very hard to register for elections, and in any case, “consensus” decisions will leave most power in the hands of party leaders. Ad-hoc pre-negotiation of important issues threatens to undermine the constitutional process. For example, the SPA-Maoist response to Tarai discontent was to push forward proposals for federalism, thus pre-empting any meaningful discussion of one of the CA’s central concerns.

The demise of the 1990 Constitution illustrates that no new constitutional order will gain legitimacy unless it visibly incorporates public input. Diverse education efforts, including both local initiatives and internationally-funded projects, have already begun; expectations of significant changes have been aroused. However, there are no institutional structures to channel, process and consider the results of consultation. The Interim Constitution Drafting Commission invited public input but lacked a clear mandate or adequate mechanisms to deal with submissions. The result was public frustration and dissatisfaction with the end product. The CA process will need to do better if it is to deliver greater legitimacy.

Mainstream parties have devoted scant consideration to the difficult questions of procedure involved in constitutional reform. Few have embarked on internal changes to tackle their own problems of corruption, patronage and exclusion that fuelled support for the Maoists. Strengthening parties’ internal democracy and accountability would directly benefit the constitution-making process.

The Maoists first agreed to join multiparty politics in November 2005. They need to use the transitional period and the CA elections, scheduled for June 2007, to justify this strategy to their cadres. This could encourage them to democratise and make the most of open political campaigning on their populist agenda but it will also tempt them to retain their tried and tested tactics of intimidation and coercion. To date, the picture is mixed: while they have not given up all illegitimate means, they are working to present a moderate, compromising image.

It is to the credit of Nepal’s government and the Maoists that the peace process has largely been internally driven rather than internationally imposed and that the key political players have shown a willingness to recognise and learn from past errors. The international community, nevertheless, has an important, if ancillary, role in supporting the constitution-making process. In addition to funding grassroots education, donors should build on the country’s considerable intellectual capital, for example by funding publications, radio shows and news articles by local scholars, lawyers and activists. Aid that promotes transplanted models or that pursues donors’ narrowly conceived political goals, however, would likely be counterproductive.

Kathmandu/Brussels, 26 February 2007

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