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Les plaines du Teraï au Népal : une région troublée

Les manifestations organisées dans les plaines du Teraï ont révélé les faiblesses du processus de paix au Népal.

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Synthèse

Les manifestations organisées dans les plaines du Teraï ont révélé les faiblesses du processus de paix au Népal. Elles pourraient faire dérailler le train des élections de l’assemblée constituante au mois de novembre et, en cas de mauvaise gestion de ces soulèvements, pourraient déclencher une nouvelle forme de conflit. Les Madhesis, habitants des plaines représentant environ un tiers de la population du pays, ont protesté, parfois violemment, contre la discrimination qui les a dans les faits exclus de la vie publique. Des semaines de manifestations et d’affrontements opposant les rivaux politiques ont récemment fait plusieurs dizaines de morts. Le gouvernement a bien proposé de réfléchir à une représentation politique accrue, à l’usage de la discrimination positive en faveur des groupes marginalisés ou au fédéralisme mais il traîne des pieds quand il s’agit d’amorcer un dialogue. La tension monte depuis des années mais a largement été ignorée par les élites politiques et les observateurs internationaux et l’escalade des manifestations a même choqué leurs représentants. Les problèmes ne pourront être résolus qu’en renforçant le processus politique national et en le rendant à la fois inclusif et réactif, en commençant par organiser des élections libres et régulières pour former une assemblée constituante dans l’année.

Les plaines du Teraï s’étendent le long de la frontière sud et abritent la moitié de la population népalaise, dont nombre ne sont pas issus de la communauté madhesi (des groupes ethniques à la fois indigènes et récemment venus des collines). Bénéficiant d’infrastructures, d’une agriculture, et d’un développement industriel relativement satisfaisants et d’une porte vers l’Inde grâce à une frontière ouverte, le Teraï est une région essentielle sur le plan économique. Mais elle est également particulièrement importante politiquement parlant : c’est à la fois un bastion historique des grands partis et le seul axe routier entre des districts des collines et montagnes qui seraient autrement inaccessibles.

Les chefs du mouvement madhesi doivent prendre une décision difficile : ils ont mobilisé le soutien public mais ont également irrité certaines sections locales importantes. Il faut maintenant choisir entre une stratégie de compromis et une confrontation sans répit. Le Madhesi Janadhikar Forum (MJF) est devenu une puissante organisation parapluie mais il manque d’organisation et de stratégie politique claire. Il fait son entrée dans l’arène politique mais s’il veut affronter les partis en place, il devra d’abord faire face à ses rivaux madhesi en lice pour les mêmes votes. De plus, les groupes armés madhesi prolifèrent. Certains ont vu leurs effectifs grimper rapidement, et leurs stratégies et comportements vont affecter le processus politique.

L’humeur des habitants du Teraï est de plus en plus au conflit, et la relation de confiance entre la plupart des Madhesi et le gouvernement s’est fortement dégradée. Selon la plupart, les violences vont probablement se poursuivre. Des griefs non résolus et le contrecoup de l’insurrection maoïste, qui n’a pas laissé de place à la réconciliation et qui a accru la tolérance envers la violence, créent un mélange explosif. Les émeutes ont laissé entrevoir une lueur d’espoir aux royalistes ultraconservateurs et aux fondamentalistes hindous, notamment de l’autre côté de la frontière, qui y voient l’occasion d’interrompre le processus de paix.

Les principaux partis ont modifié leur rhétorique mais sont plus réticents que jamais à s’engager en faveur d’un système plus inclusif. Les grèves dans les plaines du Teraï ont fait pression sur Katmandou mais pas suffisamment pour obtenir des concessions immédiates. Les grands partis, en particulier le Congrès népalais, comptent sur leur électorat fidèle du Teraï mais ne savent pas vraiment comment se positionner face à ces changements permanents. Incapables de rivaliser avec le radicalisme des groupes madhesi, ils n’ont pas non plus réussi à mettre en valeur les points positifs de leur bilan, la réforme de la législation sur la citoyenneté. La compétition, au sein du gouvernement de coalition, freine toute tentative d’action audacieuse. Pour les maoïstes, la violence dans le Teraï a été révélatrice : dirigée surtout contre leurs cadres, elle a ébranlé leur apparente domination. Ils demeurent néanmoins bien organisés, politiquement cohérents et déterminés à réaffirmer leur position.

S’engager dans des négociations sérieuses sera un processus délicat, car aucun parti n’acceptera de perdre la face. Mais les questions importantes sont posées clairement et permettent d’aboutir à un compromis raisonnable :

  • représentation équitable : il est indispensable de s’assurer que le système électoral confère aux Madhesi un véritable rôle dans l’assemblée constituante ;
     
  • fédéralisme et autonomie : le gouvernement doit encore traduire son engagement en faveur du fédéralisme en actes ; sans devancer l’assemblée constituante, il doit, pour prouver le sérieux de son projet, passer certaines étapes, telles que la création d’une commission de recherche technique qui serait à même d’élaborer une base de connaissances qui servirait aux futurs débats ;
     
  • reconstruction de la confiance : la confiance en le gouvernement national et local ne pourra être rétablie que grâce à une gouvernance décente, à une sécurité publique fondée sur le consentement des communautés locales et des services mieux assurés ;
     
  • réparation des violentes répressions de manifestations : il faut répondre aux demandes de compensation, respecter des manifestants décédés et encourager les commissions d’enquête, et
     
  • progression vers l’usage de la discrimination positive : certaines initiatives à court terme afin d’améliorer la représentation des Madhesi dans les parties et organes étatiques pourraient jeter les bases de mesures à plus long terme pour mettre fin aux inégalités.

Régler le problème des plaines du Téraï implique de régler d’abord certaines questions à Katmandou pour ensuite affronter non seulement celui des Madhesi mais aussi celui de tous les groupes exclus. Lorsqu’ils s’intéressent à leurs griefs et cherchent une résolution, les partis doivent faire preuve d’unité et passer par une assemblée constituante élue et légitime, afin de trouver une solution durable. Cela requiert un changement de vision et une habile stratégie d’équilibre politique. Le gouvernement de Katmandou doit agir immédiatement pour regagner la confiance des Madhesi, mais se prononcer sur d’autres questions majeures avant les élections de l’assemblée constituante pourrait compromettre le processus constitutionnel. En dépit de l’instabilité, il est toujours possible et même indispensable d’organiser les élections. Mais la refonte de l’identité de l’État et des institutions pour permettre à tous les citoyens de sentir qu’ils font partie de la nation est un travail de longue haleine qui posera des problèmes au sein de l’assemblée constituante mais aussi à l’extérieur.

Katmandou/Bruxelles, 9 juillet 2007

Executive Summary

Unrest in the Tarai plains has exposed the weaknesses of Nepal’s peace process, could derail elections for a constituent assembly in November and, if not properly addressed, could start a new form of conflict. Madhesis – plainspeople who are some one third of the country’s population – have protested, sometimes violently, against the discrimination that has in effect excluded them from public life. Weeks of demonstrations and clashes between political rivals recently left several dozen dead. The government has offered to address issues such as increased electoral representation, affirmative action for marginalised groups and federalism but has dragged its feet over implementing dialogue. Tension had been building for several years but was largely ignored by the political elites and international observers, and the scale of the protest shocked even its own leaders. The problems will only be resolved by strengthening the national political process and making it both inclusive and responsive – starting with free and fair elections to a constituent assembly later this year.

The Tarai plains stretch the length of the southern border and are home to half the total population, including many non-Madhesis (both indigenous ethnic groups and recent migrants from the hills). With comparatively good infrastructure, agriculture, industrial development and access to India across the open border, the Tarai is crucial to the economy. It is also an area of great political importance, both as a traditional base for the mainstream parties and as the only road link between otherwise inaccessible hill and mountain districts.

The leaders of the Madhesi movement face difficult choices: they have mobilised public support but have also angered powerful constituencies. They now need to decide between a strategy of accommodation or continued confrontation. The Madhesi Janadhikar Forum (MJF) has emerged as a powerful umbrella group but lacks an organisational base and clear agenda. It is entering the electoral fray but if it is to challenge the established parties, it must first deal with rival Madhesi politicians competing for the same votes. There has also been a proliferation of Madhesi armed groups; some have expanded significantly in numbers, and their strategy and attitudes will affect the political process.

The mood among Tarai residents is increasingly confrontational, with collapse of trust between most Madhesis and the government. Most believe that further violence is likely. Unresolved grievances and the hangover from the Maoist insurgency, especially the lack of reconciliation and the greater tolerance for violence, make a volatile mix. The unrest has given a glimmer of hope to diehard royalists and Hindu fundamentalists, including some from across the border, who see it as a chance to disrupt the peace process.

The mainstream parties have changed their rhetoric but are as reluctant as ever to take action that would make for a more inclusive system. Strikes in the Tarai squeezed Kathmandu but not enough to force immediate concessions. Mainstream parties, particularly the Nepali Congress, rely on their Tarai electoral base but are unsure how to deal with the new state of flux. Unable to compete with Madhesi groups in radicalism, they have also been ineffective at communicating the positive steps they have taken, such as reforming citizenship laws. Competition within the governing coalition is hindering any bold moves. For the Maoists, the Tarai violence was a wake-up call: much of it was directed against their cadres, whose appearance of dominance was shattered. Nevertheless, they remain well organised, politically coherent and determined to reassert themselves.

Engaging in serious negotiations will be a delicate process, with no party wanting to lose face. But the key issues are clear and still offer room for a reasonable compromise:

  • fair representation: the critical issue is ensuring the electoral system gives Madhesis a serious stake in the constituent assembly;
     
  • federalism and autonomy: the government’s commitment to federalism has yet to translate into action; without pre-empting the constituent assembly, steps are needed to demonstrate more serious intent, such as formation of a technical research commission that could develop a knowledge base for future discussions;
     
  • rebuilding trust: confidence in national and local government will only come if there is decent governance, public security based on local community consent and improved delivery of services;
     
  • redress for heavy-handed suppression of protests: demands for compensation, honouring of dead protestors and follow-through on a commission of enquiry need to be met; and
     
  • steps towards affirmative action: some immediate moves to increase Madhesi representation in parties and state bodies could pave the way for longer-term measures to remove inequalities.

Fixing the Tarai means first fixing some issues in Kathmandu and then dealing not only with Madhesis but all excluded groups. Cross-party unity in listening to grievances and pushing for their resolution through a legitimate, elected constituent assembly is the only way to a lasting solution. This requires a change in outlook and a delicate political balancing act: the Kathmandu government must do some things immediately in order to earn Madhesi trust but deciding any major issues before the elections to the constituent assembly could compromise the constitutional process. Despite the instability, elections are still possible and essential. But reshaping state identity and institutions to make all Nepali citizens feel part of the nation is a long-term task that will present challenges in the constituent assembly and beyond.

Kathmandu/Brussels, 9 July 2007

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