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Le Pakistan après le meurtre de Benazir Bhutto : une piste à suivre pour aller de l’avant

Synthèse

Déjà fortement marqué par huit ans de régime militaire, le fragile système politique du Pakistan a essuyé un terrible revers le 27 décembre 2007 lorsque l’ancien Premier ministre Benazir Bhutto a été assassinée. Ce meurtre, commis à seulement quelques jours d’élections parlementaires prévues pour le 8 janvier 2008 et désormais reportées au 18 février prochain, a mis fin aux efforts américains de négocier un accord de partage des pouvoirs avec le président Pervez Musharraf, accord jugé irréaliste par la dirigeante du Parti du peuple pakistanais (PPP) de centre-gauche. La popularité dont jouissait Mme Bhutto et la conviction que Musharraf et ses alliés sont responsables de l’assassinat de celle-ci ont, directement ou non, provoqué des manifestations violentes à travers le pays.

Pour rétablir la stabilité au Pakistan et pour que le pays puisse contribuer aux efforts internationaux de lutte contre la terreur, il faut à présent opérer une transition rapide afin de légitimer un gouvernement civil. Cela implique le départ de Musharraf, dont les efforts continus pour se maintenir au pouvoir à tout prix sont incompatibles avec la réconciliation nationale ; la formation d’un gouvernement intérimaire de consensus et d’une Commission électorale neutre ; et le report rapide des élections pour permettre de créer les conditions nécessaires – notamment la restauration d’une justice indépendante – pour que celles-ci se déroulent de façon juste et libre.

Le décès de Benazir Bhutto a redessiné de façon encore plus nette l’écart qui sépare le régime de Musharraf, soutenu par l’armée, et la majorité pakistanaise modérée, qui n’exigera à présent certainement rien moins qu’une véritable démocratie parlementaire. Au Pakistan, nombreux sont ceux qui craignent que la survie même de la fédération dépende de l’issue de cette lutte.

Faisant mentir le slogan qu’il a pourtant répété à maintes reprises, “le Pakistan d’abord”, Musharraf placé la survie du régime et son propre destin politique au premier plan, comme il l’avait déjà fait en novembre. Il avait alors imposé la loi martiale, suspendu la constitution, emprisonné des milliers d’avocats et de politiciens, et mis à pied un certain nombre de juges dans le seul objectif d’empêcher la Cour suprême de mettre en cause la légitimité de sa réélection en tant que président par un Collège électoral sous influence et en fin de mandat.

Musharraf a renoncé à son titre de Chef des Armées le 28 novembre sous la pression des États-Unis mais la légitimité de sa réélection reste contestée. Il a officiellement déclaré la suspension de la loi martiale le 15 décembre dernier, mettant ainsi fin à l’état d’urgence et relançant l’application de la constitution. Toutefois, non seulement il n’a pas réintégré les juges qui avaient été congédiés ni annulé les décrets répressifs qu’il avait adoptés mais il a également, de façon unilatérale et sans aucun fondement juridique, proclamé des amendements à la constitution destinés à priver les tribunaux et le parlement des prérogatives constitutionnelles qui leur permettraient de contester ces changements.

Le PPP de Bhutto et la Ligue musulmane de centre-droit de l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif (Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz) avaient accepté avec réticence de participer aux élections prévues pour le 8 janvier, motivés surtout par le désir de révéler l’intention de Musharraf d’en falsifier les résultats. Tribunaux et gouvernements intérimaires partiaux, Commission électorale sous influence, médias bâillonnés, restrictions de l’activité des partis politiques, et certains agissements des agences de sécurité sont autant d’atteintes aux conditions qui auraient assuré des élections justes et libres.

Les acteurs internationaux qui soutiennent le régime, en particulier les États-Unis, continuent d’envoyer des signes montrant leur volonté de maintenir Musharraf à la présidence parce qu’ils croient que lui et l’Armée (son seul appui) sont les seuls garants de la stabilité d’un pays d’une importance cruciale dans la région. Mais après le meurtre de Benazir Bhutto et maintenant que la colère populaire s’exprime pleinement, la tenue d’élections qui ne seraient pas considérées comme libres et justes aurait des conséquences désastreuses. La personne de Musharraf est devenue si impopulaire que son maintien au pouvoir garantit des troubles internes croissants. En continuant à le soutenir, les gouvernements occidentaux pourraient bien non seulement perdre la bataille pour gagner le soutien des Pakistanais mais ils pourraient bien également se trouver face à la perspective cauchemardesque d’un pays qui abrite une population de 165 millions de personnes, en majorité musulmane, doté de l’arme nucléaire et qui glisse dans un conflit interne violent auquel seules les forces extrémistes auraient à gagner.

Le parti de Bhutto survivra à la disparition de celle-ci et, si ses successeurs agissent avec sagesse, il demeurera une force de modération et de stabilité au Pakistan. Le parti de Sharif s’est engagé avec le PPP pour restaurer la démocratie, la paix et la stabilité dans le pays. Les États-Unis et leurs alliés occidentaux doivent reconnaître que Musharraf non seulement n’est pas indispensable au pays mais qu’il représente désormais un danger grave pour la stabilité de celui-ci. Au lieu d’appuyer un dirigeant autoritaire et fortement impopulaire considéré comme complice du décès du personnage politique le plus apprécié au Pakistan, ils devraient plutôt soutenir le peuple pakistanais et le fonctionnement d’institutions démocratiques. Il est temps que l’Occident admette que seul un gouvernement élu en toute légitimité et dirigé par l’un des partis modérés du Pakistan disposerait de l’autorité et de l’appui populaire nécessaires pour ramener le pays vers ses attaches démocratiques modérées.

En résumé, les événements politiques susceptibles de survenir au cours des deux prochains mois au profit du Pakistan et pour lesquels la communauté internationale devrait apporter un appui solide et constant, en particulier les acteurs qui sont le plus à même de les influencer comme les États-Unis, sont :

  • la démission de Musharraf, dont les fonctions présidentielles seraient alors exercées temporairement en vertu de la constitution par le président du Sénat, Mohammadmian Soomro,, qui désignerait des gouvernements intérimaires neutres aux niveaux national et provincial avec le consensus des principaux partis politiques dans les quatre unités qui composent la fédération ;
     
  • le report et l’annonce d’une nouvelle date pour la tenue des élections. La Commission électorale a annoncé le 2 janvier un report pour le 18 février. La date est raisonnable en elle-même mais la Commission n’a fait aucun commentaire à propos des autres changements cruciaux mentionnés dans le présent briefing et qui sont nécessaires à la restauration de la démocratie au Pakistan ;
     
  • la pleine restauration de la constitution, d’une justice indépendante et de garanties contre les arrestations et la détention arbitraires  et autres libertés fondamentales garanties par la constitution comme la liberté de paroles, d’association et de réunion ;
     
  • la formation d’une nouvelle Commission électorale du Pakistan, avec le consensus de l’ensemble des principaux partis politiques ; et
     
  • le transfert du pouvoir et de l’autorité légitime à un pouvoir civil.

Islamabad/Bruxelles, 2 janvier 2008

I. Overview

Gravely damaged by eight years of military rule, Pakistan’s fragile political system received a major blow on 27 December 2007, when former Prime Minister Benazir Bhutto was assassinated. Her murder, days before the parliamentary elections scheduled for 8 January 2008 and now postponed to 18 February, put an end to a U.S. effort to broker a power-sharing deal with President Pervez Musharraf which the centre-left Pakistan Peoples Party (PPP) leader had already recognised was unrealistic. Her popularity and the belief Musharraf and his allies were responsible, directly or indirectly, have led to violent countrywide protests.

Stability in Pakistan and its contribution to wider anti-terror efforts now require rapid transition to legitimate civilian government. This must involve the departure of Musharraf, whose continued efforts to retain power at all costs are incompatible with national reconciliation; an interim consensus caretaker government and a neutral Election Commission; and brief postponement of the elections to allow conditions to be created – including the restoration of judicial independence – in which they can be conducted freely and fairly. 

Bhutto’s death has drawn the battle lines even more clearly between Musharraf’s military-backed regime and Pakistan’s moderate majority, which is now unlikely to settle for anything less than genuine parliamentary democracy. Many in Pakistan fear that the federation’s very survival could depend on the outcome of this struggle.

Belying his reiterated slogan of “Pakistan first”, Musharraf is placing regime survival and his personal political fortune first, just as he did in November. That month he imposed martial law, suspended the constitution, imprisoned thousands of lawyers and politicians and sacked the judiciary with the sole objective of preventing the Supreme Court from challenging the legitimacy of his re-election as president by a lame-duck and stacked Electoral College. 

Musharraf gave up his position of Army Chief on 28 November under U.S. pressure, but the legitimacy of his presidential election remains contested. He withdrew martial law formally on 15 December, ending the emergency and reviving the constitution. At the same time, however, he not only did not restore the dismissed judges or void the repressive decrees he had issued but also unilaterally and without any legal basis proclaimed amendments to the constitution purporting to deny the courts and the parliament their constitutional prerogatives to challenge his changes.

Bhutto’s PPP and the centre-right Muslim League (Pakistan Muslim League-Nawaz, PML-N) of former Prime Minister Nawaz Sharif had reluctantly agreed to participate in the 8 January elections, motivated primarily by the desire to expose Musharraf’s intention to rig the vote. Stacked courts, partial caretaker governments, a subservient Election Commission, the gagging of the media, curbs on political party mobilisation and association and the actions of the security agencies all undermined the essential conditions for free and fair elections.

The regime’s international backers, particularly the U.S., continue to give signs of wanting to retain Musharraf in the presidency in the belief that he and the military (his sole support base) are the only guarantors of stability in a crucial country. But after Bhutto’s murder, and with the extent of popular anger now evident, elections that are not seen as free and fair would have disastrous consequences. The person of Musharraf has become so unpopular that his continuation in a position of power guarantees increasing domestic turmoil. By continuing to back him, Western governments might not just lose the battle for Pakistani hearts and minds, but could also be faced with the nightmare prospect of a nuclear-armed, Muslim-majority country of 165 million descending into violent internal conflict from which only extremist forces would stand to gain.

Bhutto’s party will survive her demise, and will, should her successors act wisely, remain a force for moderation and stability in Pakistan. Sharif’s party has vowed to work with the PPP to restore democracy, peace and stability in the country. The U.S. and its Western allies must recognise that Musharraf is not only not indispensable, but he is now a serious liability. Instead of backing a deeply unpopular authoritarian ruler who is seen as complicit in the death of Pakistan’s most popular politician, they must instead support democratic institutions and the people of Pakistan. It is time that the West acknowledges that only a legitimate elected government, led by one of the moderate parties, would have the authority and the popular backing to return Pakistan to its moderate democratic moorings.

In summary, the policy outcomes that need to happen over the next two months, and which should be strongly and consistently supported by the international community, and particularly those like the U.S. most capable of influencing them, are:

  • Musharraf’s resignation, with Senate Chairman Mohammadmian Soomro taking over under the constitution as acting president and appointing neutral caretaker governments at the national and provincial levels with the consensus of the major political parties in all four federal units;
     
  • postponement of the polls, accompanied with the announcement of an early new election date. The Election Commission announced on 2 January a postponement until 18 February. This is reasonable in and of itself but it said nothing about the other crucial changes discussed in this Briefing and which are needed if this step is to contribute to restoration of democracy in Pakistan;
     
  • full restoration of the constitution, including an independent judiciary and constitutionally guaranteed fundamental freedoms of speech, assembly and association and safeguards against illegal arrest and detention;
     
  • reconstitution of the Election Commission of Pakistan, with the consensus of all major political parties; and
     
  • the transfer of power and legitimate authority to elected civilian hands.

Islamabad/Brussels, 2 January 2008

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