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Pakistan : dissensions dans les territoires du nord

Presque soixante ans après l’indépendance du Pakistan, le statut constitutionnel des Territoires du nord (Gilgit et le Baltistan, territoires administrés par le gouvernement fédéral), qui faisaient autrefois partie de l’ancien État princier de Jammu-et-Cachemire et qui sont désormais sous contrôle pakistanais, demeure incertain et l’autonomie politique reste un rêve lointain.

Synthèse

Presque soixante ans après l’indépendance du Pakistan, le statut constitutionnel des Territoires du nord (Gilgit et le Baltistan, territoires administrés par le gouvernement fédéral), qui faisaient autrefois partie de l’ancien État princier de Jammu-et-Cachemire et qui sont désormais sous contrôle pakistanais, demeure incertain et l’autonomie politique reste un rêve lointain. Les habitants de la région sont aigris par la réticence d’Islamabad à transférer le pouvoir à leurs représentants élus et un mouvement nationaliste, qui revendique l’indépendance de la région, est en train de gagner du terrain. La montée de l’extrémisme sectaire est la conséquence alarmante du refus d’Islamabad à reconnaître les droits politiques fondamentaux des habitants de ces territoires. Profitant des faiblesses de ce système, les organisations religieuses qui poursuivent des objectifs sectaires attisent le feu de la haine religieuse dans une région où sunnites, chiites et ismaéliens ont coexisté de façon pacifique pendant des siècles.

Avant l’indépendance du Pakistan, les Territoires du nord faisaient partie du Jammu-et-Cachemire et constituaient une composante essentielle de la frontière stratégique nord de l’Inde impériale. En 1947, cette région s’est rebellée contre le Maharadja du Cachemire et a choisi d’être pleinement intégrée au Pakistan. Une soixantaine d’années plus tard, l’armée pakistanaise, arbitre de la politique au Cachemire, insiste pour que les Territoires du nord restent au sein de l’État de Jammu-et-Cachemire (objet d’une dispute territoriale) et pour qu’une éventuelle décision concernant le statut constitutionnel de cette région soit subordonnée à une solution de la dispute sur le Cachemire. Il en résulte que les Territoires du nord ne sont pas inclus dans la constitution pakistanaise et que, contrairement aux Zones tribales, ils ne sont pas représentés au parlement national. La région demeure dans l’incertitude constitutionnelle.

Tout comme les Territoires du nord, l’Azad-Cachemire, l’autre composante de l’ancien État princier qui est passé sous contrôle pakistanais, est un territoire disputé. Islamabad a toutefois accordé à l’Azad-Cachemire une autonomie officielle et une constitution propre. Au contraire, les Territoires du nord sont administrés par Islamabad en vertu du Legal Framework Order de 1994, un instrument administratif qui lui permet de renforcer son contrôle sur la région tout en refusant de reconnaître les droits politiques et civils fondamentaux de ses habitants. Sur place, beaucoup estiment que la décision de maintenir des arrangements politiques si différents entre les Territoires du nord et l’Azad-Cachemire relève de la discrimination religieuse. De fait, si l’Azad-Cachemire comprend, tout comme le Pakistan, une écrasante majorité sunnite, les Territoires du nord sont la seule région sous contrôle pakistanais à abriter une majorité chiite.

En dépit du verdict important énoncé par la Cour suprême du Pakistan en 1999 – qui ordonnait à Islamabad d’étendre dans les six mois les libertés fondamentales aux Territoires du nord et de permettre à leurs habitants d’être gouvernés par leurs représentants élus – la région est toujours sous le contrôle administratif de la capitale par le biais du ministère fédéral consacré au Cachemire et aux Territoires du nord, dont le ministre est également le directeur exécutif non élu. Le Conseil législatif des Territoires du nord, parlement élu de la région, n’a en fait aucun pouvoir et ce sont les bureaucrates militaires et civils qui administrent ces territoires. En privant les institutions élues d’un minimum de compétences et en marginalisant les forces politiques modérées, Islamabad a renforcé les groupes sectaires et leur a permis de bien s’implanter dans la région

L’attitude de l’armée à l’égard des jihadistes sunnites a également favorisé les conflits sectaires dans les Territoires du nord, comme il a été observé pour la première fois sous la présidence du général Zia Ul-Haq (1977/1988) : l’État a renforcé les islamistes sunnites aux dépens de la minorité chiite. Depuis, de violents affrontements sectaires se sont produits dans ces territoires. Sous la présidence de Pervez Musharraf, également chef de l’armée, cette dernière a maintenu son alliance avec les islamistes sunnites pour de multiples raisons aussi bien internes qu’externes, ce qui a affaibli plus encore les forces modérées dans une région autrefois exempte d’extrémisme religieux. Par ailleurs, le gouvernement militaire n’a pris aucune mesure significative pour faire face en général aux problèmes constitutionnels et du non-transfert de pouvoir politique aux Territoires du nord.

Parce que le gouvernement militaire de Musharraf refuse de leur accorder un espace politique et de reconnaître leurs droits fondamentaux, les populations des Territoires du nord sont de plus en plus mécontentes et les groupes extrémistes profitent du vide politique existant pour promouvoir leurs objectifs sectaires. La mise en application des recommandations de la Cour suprême et l’extension des libertés politiques et des droits fondamentaux à ces territoires pourraient permettre de restaurer une partie de la bonne volonté qui s’est effritée au fil du temps du fait d’une mauvaise gestion. Pour cela, il faut néanmoins que le Pakistan lui-même se dote d’un système démocratique. Ce sont les gouvernements élus démocratiquement qui ont été à l’origine de toutes les évolutions politiques qui ont eu lieu dans les Territoires du nord. Mais on peut imaginer que, au moins jusqu’à ce que le Pakistan ait à nouveau un gouvernement de ce type, Islamabad s’opposera à toute délégation substantielle de pouvoir vers une région qui reste perçue comme une monnaie d’échange dans la rivalité qui l’oppose à l’Inde à propos du Cachemire.

Islamabad/Bruxelles, 2 avril 2007

Executive Summary

Almost six decades after Pakistan’s independence, the constitutional status of the Federally Administered Northern Areas (Gilgit and Baltistan), once a part of the former princely state of Jammu and Kashmir and now under Pakistani control, remains undetermined, with political autonomy a distant dream. The region’s inhabitants are embittered by Islamabad’s unwillingness to devolve power to its elected representatives, and a nationalist movement, which seeks independence, is gaining ground. The rise of sectarian extremism is an alarming consequence of this denial of basic political rights. Taking advantage of the weaknesses in the imposed dispensation, religious organisations espousing a narrow sectarian agenda are fanning the fires of sectarian hatred in a region where Sunnis, Shias and Ismailis have peacefully coexisted for several centuries.

Prior to Pakistan’s independence, the Northern Areas were part of the princely state of Jammu and Kashmir and a key component of Imperial India’s strategic northern frontier. In 1947, the region successfully rebelled against the Maharaja of Kashmir and supported full integration into Pakistan. Almost 60 years later, Pakistan’s military, the arbiter of its Kashmir policy, insists that the Northern Areas remain part of the disputed state of Jammu and Kashmir and that any delineation of the region’s constitutional status will have to wait for a solution of the Kashmir dispute. As a result, the Northern Areas are not included in the Pakistan constitution and, unlike the Federally Administered Tribal Areas (FATA), are not represented in the parliament. The region has been left in a constitutional limbo.

Like the Northern Areas, Azad Jammu and Kashmir (AJK), the other part of the former princely state under Pakistan’s control, is also considered disputed territory. Yet, Islamabad has granted AJK at least nominal autonomy, including its own constitution. In stark contrast, it administers the Northern Areas under the Legal Framework Order (LFO) of 1994, an administrative instrument used to strengthen its hold over the region while denying its residents basic political and civil rights. Many locals believe sectarian bias is behind the decision to maintain widely different political arrangements to the Northern Areas and AJK. Unlike AJK, which, like Pakistan, has an overwhelming Sunni majority, the Northern Areas are the only Shia-majority region under Pakistani control.

Violating a landmark verdict by the Pakistan Supreme Court in 1999, which directed Islamabad to extend, within six months, fundamental freedoms to the Northern Areas, allowing its people to be governed by their elected representatives, the region is still ruled by executive fiat from Islamabad through the federal ministry for Kashmir Affairs and Northern Areas (KANA), whose minister is its unelected chief executive. The Northern Areas Legislative Council (NALC), the region’s elected legislature, is powerless, and civil and military bureaucrats run affairs. By depriving elected institutions of even a modicum of authority and marginalising moderate political forces, Islamabad has empowered sectarian groups and allowed them to secure a firm foothold in the region.

The military’s patronage of Sunni jihadis has also promoted sectarian strife in the Northern Areas, first witnessed during General Zia-ul-Haq’s rule (1977-1988), when the state empowered Sunni Islamists at the cost of the Shia minority. Since then, violent sectarian clashes have frequently occurred in the Northern Areas. Under President and Army Chief Pervez Musharraf, the military has retained its alliance with Sunni Islamists for multiple goals, domestic and external, further weakening moderate forces in a region where religious extremism was once unknown. Nor has the military government taken any meaningful steps to address the wider issues of constitutional neglect and political disempowerment in the Northern Areas.

With the denial of political space and basic rights under Musharraf’s military government, discontent in the Northern Areas is on the rise, and the political vacuum is being exploited by extremist groups to promote their sectarian goals. Implementing the recommendations of Pakistan’s Supreme Court and extending basic rights and political freedoms to the Northern Areas could restore some of the goodwill frittered away by long mismanagement. For that to happen, however, Pakistan itself must have a democratic dispensation. Democratically-elected governments in Islamabad have initiated whatever political development has taken place in the Northern Areas. At least until there is again such a government, Islamabad will resist devolving any meaningful power to a region that is perceived as a bargaining chip in its rivalry with India over Kashmir.

Islamabad/Brussels, 2 April 2007

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