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Sri Lanka : pour une action internationale face à la dérive autoritaire

Alors que la 22ème session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU s’ouvre la semaine prochaine, le gouvernement sri-lankais n’a accompli aucun progrès en matière de réconciliation ou de responsabilité, et il a accéléré la dérive autoritaire du pays en portant atteinte à la justice et à l’opposition politique, ce qui menace la stabilité et la paix durables.

Synthèse

Les attaques du gouvernement contre la justice et l’opposition ont accéléré la dérive autoritaire du Sri Lanka et menacent la stabilité et la paix durables. Le limogeage éminemment politique de la présidente de la Cour suprême démontre l’intolérance du gouvernement face à la critique et la faiblesse de l’opposition. En neutralisant le dernier contrepouvoir institutionnel face à l’exécutif, le gouvernement a franchi un cap dangereux, réduisant les chances futures d’un transfert de pouvoir à l’issue d’élections libres, équitables et pacifiques. La communauté internationale doit agir. Le Sri Lanka doit être immédiatement déféré devant le Groupe d’action ministériel du Commonwealth (CMAG). Pour sa part, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU (CDH) doit voter une nouvelle résolution exigeant l’adoption de mesures concrètes dans des délais précis afin de rétablir l’Etat de droit, enquêter sur les violations des droits de l’homme et les crimes de guerre présumés commis par les forces gouvernementales et les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), et décentraliser le pouvoir au profit des régions tamoules et musulmanes du Nord et de l’Est.

Le Sri Lanka est confronté à deux crises de gouvernance intrinsèquement liées qui se renforcent. La neutralisation de l’indépendance de la justice et des autres contrepouvoirs face à l’exécutif et l’armée va nourrir les tensions ethniques provoquées par l’absence de partage du pouvoir et de respect pour les droits des minorités. Les deux crises se sont aggravées suite au refus du gouvernement Rajapaksa de respecter la résolution sur la responsabilité et la réconciliation votée par le CDH en mars 2012. Colombo affirme avoir appliqué la plupart des recommandations de la Commission leçons et réconciliation (LLRC), conformément aux exigences du Conseil. Mais en réalité, aucun progrès tangible n’a été réalisé sur les questions clés :

  • le gouvernement n’a mené aucune enquête crédible sur les allégations de crimes de guerre, disparitions et autres violations graves des droits de l’homme ;
     
  • au lieu d’établir des institutions indépendantes de contrôle et d’enquête, le gouvernement a en pratique éliminé les dernières traces d’indépendance de la justice en limogeant la présidente de la Cour suprême ;
     
  • aucun progrès n’a été accompli quant à la résolution durable et équitable du conflit ethnique à travers la décentralisation dans un cadre constitutionnel ;
     
  • l’armée continue de contrôler tous les aspects de la vie dans le Nord et d’intimi­der et de marginaliser l’administration civile ;
     
  • plus de 90 000 personnes demeurent déplacées dans le Nord et l’Est, et l’armée continue d’accaparer des terres, sans aucun recours pour les habitants ni processus équitable de gestion des conflits fonciers ;
     
  • les forces de sécurité ont réprimé des manifestations pacifiques organisées par des Tamouls dans le Nord, détenu des étudiants accusés sans preuves tangibles de travailler pour le LTTE, et harcelé des hommes politiques tamouls ;
     
  • le gouvernement a également eu recours à la force contre des manifestations et critiques dans le Sud : des soldats ont été déployés après le limogeage de la présidente de la Cour suprême afin d’empêcher cette dernière et ses partisans de se rendre dans le bâtiment de la Cour, et des groupes progouvernementaux ont attaqué des avocats manifestant contre le limogeage.

Les analystes et les critiques ont dénoncé la dérive autoritaire grandissante du Sri Lanka depuis les dernières années de la guerre civile, mais la situation s’est encore détériorée depuis l’année dernière. La volonté et la capacité du chef de l’Etat à obtenir le limogeage de la présidente de la Cour suprême, en ignorant des décisions judiciaires contraires, l’opposition ferme de la société civile et l’inquiétude prononcée de la communauté internationale, confirme son hégémonie politique. Cette manœuvre achève le « coup constitutionnel » entamé en septembre 2010 avec l’adoption du dix-huitième amendement, qui a aboli la limite à deux mandats présidentiels et l’indépendance  des institutions de contrôle du gouvernement, et signale clairement aux détracteurs du gouvernement que leurs critiques dérangent.

La consolidation du pouvoir ouvre la voie à d’autres décisions qui pourraient saper davantage les chances d’établir une paix durable. Le président et ses deux puissants frères, le ministre de la Défense Gotabaya et le ministre du Développement économique Basil, ont exprimé leur intention de réduire, voire de supprimer, les prérogatives pourtant limitées des provinces. Le gouvernement est ouvertement hostile à un véritable partage du pouvoir entre le centre et le Nord à majorité tamoule, et l’identité et le pouvoir politique tamouls sont constamment menacés par les transformations économiques et politiques menées par l’armée dans la Province du Nord.

Ces derniers mois ont connu un regain d’attaques par des activistes bouddhistes contre des magasins et des sites religieux musulmans, sans que le gouvernement prenne de véritable mesure pour les en dissuader. Si de telles provocations continuent, la modération des musulmans sri-lankais pourrait être sérieusement mise à l’épreuve. L’histoire du Sri Lanka étant marquée par la résistance violente contre un pouvoir étatique considéré comme injuste, la dérive autoritaire ne fait qu’accroitre les risques de violence politique.

Les Sri-lankais qui se sont battus pour préserver leur démocratie, quelle que soit leur origine ethnique, méritent d’obtenir un soutien international plus déterminé. La résolution votée par le CDH en 2012 constitue une première étape importante, mais des actions supplémentaires sont requises, à commencer par le vote d’une résolution plus ferme par le CDH en mars 2013, qui doit exiger des réformes concrètes pour mettre fin à l’impunité et rétablir l’Etat de droit, demander au Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) de surveiller les violations et d’enquêter sur les nombreuses allégations crédibles de crimes de guerre commis par les deux camps lors des derniers mois du conflit, et, si possible, d’identifier les responsables.

Le secrétaire général du Commonwealth doit déférer le Sri Lanka devant le Groupe d’action ministériel de l’organisation, qui doit exiger l’adoption de mesures significatives par le gouvernement afin de rétablir l’indépendance de la justice. Si ce dernier venait à refuser, le Commonwealth devrait modifier le lieu de la réunion des chefs d’Etat prévue en novembre 2013 à Colombo, ou, à défaut, les pays participants devraient y envoyer des représentants de plus faible rang.

Face à une dérive autoritaire grandissante et dangereuse, tous les gouvernements et institutions multilatérales qui ont des relations actives avec le Sri Lanka doivent repenser leur approche et réévaluer leurs programmes, y compris en matière de relations militaires et d’aide bilatérale et multilatérale au développement, notamment de la part des Nations unies, de la Banque mondiale, de la Banque asiatique de développement et du Fonds monétaire international.

Colombo/Bruxelles, 20 février 2013

Executive Summary

Government attacks on the judiciary and political dissent have accelerated Sri Lanka’s authoritarian turn and threaten long-term stability and peace. The government’s politically motivated impeachment of the chief justice reveals both its intolerance of dissent and the weakness of the political opposition. By incapacitating the last institutional check on the executive, the government has crossed a threshold into new and dangerous terrain, threatening prospects for the eventual peaceful transfer of power through free and fair elections. Strong international action should begin with Sri Lanka’s immediate referral to the Commonwealth Ministerial Action Group (CMAG) and a new resolution from the UN Human Rights Council (HRC) calling for concrete, time-bound actions to restore the rule of law, investigate rights abuses and alleged war crimes by government forces and the Liberation Tigers of Tamil Eelam (LTTE), and devolve power to Tamil and Muslim areas of the north and east.

Sri Lanka is faced with two worsening and inter-connected governance crises. The dismantling of the independent judiciary and other democratic checks on the executive and military will inevitably feed the growing ethnic tension resulting from the absence of power sharing and the denial of minority rights. Both crises have deepened with the Rajapaksa government’s refusal to comply with the HRC’s March 2012 resolution on reconciliation and accountability. While the government claims to have implemented many of the recommendations of its Lessons Learnt and Reconciliation Commission (LLRC) – a key demand of the HRC’s resolution – there has in fact been no meaningful progress on the most critical issues:

  • the government has conducted no credible investigations into allegations of war crimes, disappearances or other serious human rights violations;
     
  • rather than establish independent institutions for oversight and investigation, the government has in effect removed the last remnants of judicial independence through the impeachment of the chief justice;
     
  • there has been no progress toward a lasting and fair constitutional settlement of the ethnic conflict through devolution of power;
     
  • the military still controls virtually all aspects of life in the north, intimidating and sidelining the civilian administration;
     
  • more than 90,000 people remain displaced in the north and east, amid continued land seizures by the military, with no effective right of appeal and no fair process for handling land disputes;
     
  • government security forces have broken up peaceful Tamil protests in the north, detained students on questionable charges of working with the LTTE and actively harassed Tamil politicians;
     
  • the government has responded with force to protest and dissent in the south, too, deploying troops to prevent the newly impeached chief justice and supporters from visiting the Supreme Court while pro-government groups attacked lawyers protesting the impeachment.

Analysts and government critics have warned of Sri Lanka’s growing authoritarianism since the final years of the civil war, but developments over the last year have worsened the situation. The president’s willingness and ability to push through the impeachment – in the face of contrary court rulings, unprecedented opposition from civil society and serious international concern – confirms his commanding political position. The move completes the “constitutional coup” initiated in September 2010 by the eighteenth amendment, which removed presidential term limits and the independence of government oversight bodies. It has sent a clear message to domestic critics that their dissent is unwelcome.

The consolidation of power paves the way for moves that could further set back chances of sustainable peace. The president and his two most powerful brothers – Defence Secretary Gotabaya and Economic Development Minister Basil – have signalled their intention to weaken or repeal the provinces’ already minimal powers. As the government makes explicit its hostility to meaningful power sharing between the centre and the Tamil-speaking north and east, Tamil identity and political power are being systematically undermined by the military-led political and economic transformation of the northern province.

Recent months have also seen an upsurge in attacks by militant Buddhists on Muslim religious sites and businesses. The government has done little to discourage these. Should such provocations continue, the remarkable moderation of Sri Lanka’s Muslims could face serious tests. Given the country’s history of violent resistance to state power perceived as unjust, the authoritarian drift can only increase the risk of an eventual outbreak of political violence.

Sri Lankans of all ethnicities who have struggled to preserve their democracy deserve stronger international support. The HRC’s 2012 resolution was an important first step, but more is needed. This should begin with a stronger HRC resolution in March 2013, which must demand concrete reforms to end impunity and restore the rule of law; mandate the Office of the High Commissioner for Human Rights (OHCHR) to monitor violations and investigate the many credible allegations of war crimes committed in the final months of the war by both sides; and, where possible, identify individuals most responsible.

The Commonwealth secretary general should formally refer Sri Lanka to the Commonwealth Ministerial Action Group (CMAG), which should insist that the government take substantial steps to restore the independence of the judiciary. Were it to refuse, the Commonwealth should relocate its November 2013 heads of government meeting, currently scheduled to take place in Colombo, or at the very least participants should downgrade their representation.

All governments and multilateral institutions with active ties to Sri Lanka must rethink their approach and review their programs in light of Colombo’s deepening and dangerous authoritarian drift. This includes military-to-military relations and bilateral and multilateral development assistance, including from the UN, World Bank, Asian Development Bank and International Monetary Fund.

Colombo/Brussels, 20 February 2013

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