Sri Lanka: un massacre sponsorisé?
Sri Lanka: un massacre sponsorisé?
For Lanka, A Long Road to Democratic Reform Awaits
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Op-Ed / Asia 3 minutes

Sri Lanka: un massacre sponsorisé?

Vice-président pour l'Europe de International Crisis Group à Bruxelles, appelle Colombo à traiter correctement les Tigres qui se rendent et à respecter la population tamoule.

La tragédie qui vient de se dérouler au Sri Lanka semble surréaliste. D'un côté, une poignée d'irréductibles guérilleros, les Tigres tamouls, ont pris en otage pendant plusieurs semaines de combats intenses, plus de 200?000 civils de cette population tamoule qu'ils prétendaient "libérer". De l'autre, l'armée régulière du Sri Lanka, saisissant la perspective d'une victoire totale sur les Tigres, a pilonné sans relâche, durant des semaines cette bande de terre étroite au nord-est de l'île où étaient retranchés ses leaders et ses derniers combattants. Depuis samedi dernier, l'armée annonce que la guerre est finie et qu'elle a vaincu les LTTE. Les leaders du mouvement, ainsi que des centaines de ses partisans, se seraient donné la mort ou auraient été tués au combat, selon les communiqués du gouvernement, sans qu'aucun témoin neutre n'ait pu avoir accès au théâtre des opérations. Les grands perdants de cette équation sont évidemment les civils: plus de 6500 tués et 13?000 blessés, dont 1000 enfants, durant les derniers 100 jours de combat. L'accès des agences humanitaires aura été extrêmement restreint jusqu'aux derniers jours du conflit.

Les réactions de la "communauté internationale" n'auront pas été brillantes face à ce drame. Français, Britanniques et Américains, ont essayé, sans grand succès, d'amener le Conseil de sécurité des Nations unies à faire pression sur les combattants, et plus particulièrement sur le gouvernement sri lankais. Les réticences chinoises et russes ont retardé une expression claire et non ambiguë du Conseil de sécurité sur la nécessité pour les combattants de cesser les massacres. Il aura fallu attendre le 14 mai pour que l'ambassadeur russe à l'ONU, au nom du Conseil de sécurité qu'il préside en ce mois de mai, finisse par exprimer haut et fort ces préoccupations.

Il est toutefois remarquable que, face à l'ampleur de la tragédie, les pressions internationales n'aient pas réussi à raisonner le gouvernement de Colombo. Son combat contre les Tigres était plus que justifié. Ces derniers, en utilisant des civils comme boucliers humains, se sont comportés en criminels de guerre et ceux qui en réchapperont devront répondre de leurs actes. Mais du côté gouvernemental aussi, ceux qui auront pris la décision d'y aller à l'artillerie lourde sur des zones surpeuplées, devraient se souvenir que la justice internationale pourrait les rattraper. Les images satellites disponibles montrent avec clarté le peu de cas qu'il a été fait des populations civiles. Ceux qui auront donné les ordres de ces bombardements et ceux qui les auront entérinés dans le gouvernement devront être poursuivis pour grave enfreinte au droit humanitaire international.

Comment construire désormais une paix durable au Sri Lanka? Quel moyen reste-t-il à la communauté internationale pour se faire entendre alors que les armes finissent par se taire dans le nord-est de l'île?

Après les appels à la retenue, il est temps de toucher au nerf de la guerre: à son financement. Il paraît, en effet, étonnant que le gouvernement de Colombo ait pu faire la sourde oreille aux appels de l'Union européenne, alors que cette dernière reste l'un de ses plus grands bailleurs de fonds. A Washington, Colombo cherche à obtenir un prêt de 1,9 milliard de dollars du Fonds monétaire international. Il est essentiel que le FMI ne lâche rien avant de s'être assuré que le gouvernement du Sri Lanka garantisse un accès direct du CICR à tous les combattants qui se rendent. Un message très clair doit être envoyé de la direction du FMI à Colombo sur la nécessité de mettre en place un dialogue avec les régions du nord-est.

La reconstruction ne se fera pas sans une pacification, sans des signes concrets envers les Tamouls qu'ils ne seront pas des citoyens de second rang face aux Cinghalais dans le Sri Lanka d'après-guerre

Qu'en est-il des combattants du LTTE qui se rendent? L'Europe doit faire savoir, immédiatement, au gouvernement de Colombo qu'elle n'acceptera pas la thèse d'un "suicide collectif" des combattants du LTTE. Un gouvernement qui n'a rien à cacher, n'a plus, après la victoire annoncée, aucune raison de restreindre l'accès des humanitaires aux zones de combat.

Accepter que la guerre contre les Tigres tamouls se termine dans un énorme bain de sang, sans que personne ne s'en émeuve, a déjà des conséquences très graves. Pour le Sri Lanka, tout d'abord: comment les Tamouls pourront-ils accepter la paix de Colombo après une telle preuve du peu de cas qu'on y fait du sang des civils tamouls? Pour le monde, ensuite: si les grandes puissances n'arrivent pas à faire comprendre à un gouvernement aussi dépendant de l'extérieur la nécessité absolue de respecter et protéger les populations civiles et les combattants qui se rendent, alors les portes de la barbarie, en ce début de XXIe siècle, semblent définitivement ouvertes pour tous les massacreurs en puissance…
 

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