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Thaïlande du Sud : l’impact du coup d’état

Si le coup d’État de septembre 2006 fut un hic dans développement démocratique de la Thaïlande, il a cependant ouvert la voie à une meilleure gestion du conflit en cours dans le sud du pays, en majorité musulman.

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Synthèse

Si le coup d’État de septembre 2006 fut un hic dans développement démocratique de la Thaïlande, il a cependant ouvert la voie à une meilleure gestion du conflit en cours dans le sud du pays, en majorité musulman. Le gouvernement intérimaire du Premier ministre Surayud Chulanont a réformé quelques unes des plus mauvaises politiques de son prédecesseur et semble faire preuve d’une volonté de répondre aux revendications de longue date. Mais les engagements pris oralement à Bangkok sont difficiles à traduire en de véritables changements sur le terrain et, alors que la violence augmente, les relations entre les forces de sécurité et les communautés locales restent tendues. En dehors du sud, les Thaïs sont favorables à un retour à des mesures sévères contre les militants présumés et font pression en ce sens. Le gouvernement doit certes répondre aux attaques qui s’intensifient mais il doit le faire avec prudence : des arrestations arbitraires et des blessés parmi les populations civiles ne feraient qu’accroître le soutien dont bénéficient déjà les insurgés.

Depuis à peine un mois qu’il est au pouvoir, Surayud a présenté des excuses historiques aux musulmans du sud pour les abus qu’ils ont subis dans le passé ; il a annoncé la suppression d’une liste noire d’insurgés présumés, ce qui a entraîné une diminution du nombre d’arrestations arbitraires ; et il a relancé les principales institutions de gestion des conflits qui avaient été démantelées par Thaksin Shinawatra en mai 2002.

Ces mesures, ajoutées à l’acquittement de 56 musulmans détenus pendant plus de deux ans pour des inculpations sans grande importance et à l’octroi de la liberté sous caution dans plusieurs affaires liées au conflit, ont été bien accueillies dans le sud. Toutefois, certaines des mesures judiciaires qui étaient censées apaiser les musulmans ont en fait aliéné la population boudhiste locale, renforçant les tensions inter-communautaires et frustrant la police. D’autre part, la restructuration des forces de sécurité, dont le but est d’améliorer la coopération entre les différents services, semble dans certains cas exacerber les tensions plutôt que les atténuer.

Des efforts d’accommodation de l’identité malaise musulmane, particulièrement dans le système éducatif, pourraient aider à couper court aux accusations militantes selon lesquelles le gouvernement tenterait d’étouffer ou de diluer la culture malaise et l’islam en Thaïlande. Néanmoins, les tentatives d’introduire le patani, dialecte malais, dans les écoles primaires publiques et de promouvoir son usage dans les services publics n’ont pas abouti en l’absence d’un soutien politique au plus haut niveau.

Les groupes d’insurgés ont répondu à la nouvelle approche du gouvernement en intensifiant les violences et la propagande destinée à nuire aux efforts de conciliation. Certains signes indiquent d’autre part qu’ils ont organisé une vague de manifestations qui réclamaient la libération de suspects séparatistes et le retrait des forces de sécurité de certaines zones. L’organisation politique des insurgés au niveau des villages s’est considérablement améliorée au cours des dix-huit derniers mois mais il n’est pas certain que cette amélioration soit entièrement due à un accroissement du soutien des populations locales. De nombreux villageois craignent à la fois les insurgés et les forces de sécurité et se retrouvent pris entre les deux.

Il faut évidemment apporter une réponse militaire aux tueries quotidiennes par les insurgés bien armés de civils et de membres des forces de sécurité mais la nature clandestine de ces groupes et leur tendance à trouver refuge parmi la population civile fait qu’une stratégie purement militaire est vouée à l’échec. Le gouvernement doit trouver un équilibre lui permettant d’assurer la sécurité des populations tout en protégeant les droits de l’Homme dans le pays.

La loi martiale est toujours en vigueur, de même qu’un décret proclamant l’état d’urgence fort impopulaire qui accorde l’immunité aux officiers de police et militaires. Le gouvernement intérimaire n’a quasiment fait aucun progrès pour juger les abus passés et de nouveaux rapports crédibles concernant exécutions extrajudiciaires et torture continuent d’être publiés. Armer les civils afin qu’ils assurent eux-mêmes leur défense au sein de programmes volontaires n’est pas non plus la solution puisque les armes pourraient tout aussi bien tomber entre les mains des insurgés et accroître les risques de violence.

En revanche, toute solution qui serait perçue comme un apaisement équivaudrait à un suicide politique de la part des dirigeants thaïs, qui ont besoin du soutien des électeurs en dehors du sud ; or, la plupart de ces électeurs ne trouvaient rien à redire à l’approche rigoureuse de Thaksin.

Le général Sonthi Boonyaratglin, qui a mené le coup d’État, et le Premier ministre Surayud ont adopté une mesure importante qui consiste à appuyer des négociations comme étant la solution ultime au conflit mais ils reconnaissent que des pourparlers constructifs avec les insurgés sont encore loin d’être acquis. Les discussions préliminaires conduites avec des séparatistes exilés font du surplace depuis qu’il est devenu évident en 2006 que ceux-ci n’avaient que peu d’influence sur le terrain. En fin de compte, une autonomie négociée sous une forme ou sous une autre pourrait être la seule solution mais les conditions qui permettraient de mener un dialogue à cette fin ne sont pas réunies pour le moment :

  • Le gouvernement s’est montré incapable d’identifier les chefs à la tête de l’insurrection. En fait, il n’est même pas certain qu’il y ait une équipe dirigeante capable de contrôler les divers groupes armés.
     
  • La population thaïe est en grande partie hostile à l’idée de négocier avec les insurgés et le gouvernement intérimaire ne dispose pas d’une grande marge de manœuvre politique.
     
  • Des négociations constructives requièrent la participation d’un gouvernement issu d’élections démocratiques.

La capacité du gouvernement Surayud à se concentrer sur le conflit dans le sud se trouve limitée par d’autres priorités nationales. Il est aussi soumis à une pression croissante exigeant des résultats sur les thèmes qui ont été avancés pour justifier le coup d’État : restaurer la stabilité, remettre l’économie sur les rails et engager des poursuites contre l’ancien Premier ministre Thaksin, accusé de corruption et de lèse-majesté. L’impact combiné des attentats à la bombe perpetrés à Bangkok le jour de l’An, d’une série de bourdes économiques et de divisions au sein même du gouvernement et du groupe qui a mené le coup d’État a porté atteinte à la confiance du public et repoussé le sud plus bas sur la liste des priorités.

Jakarta/Bruxelles, 15 mars 2007

À seulement six mois des élections démocratiques prévues, le gouvernement intérimaire se trouve bien limité dans ses actions. Mais il peut et il devrait adopter un certain nombre de mesures afin d’ouvrir la voie pour son successeur.

Executive Summary

The September 2006 coup in Thailand, despite its damage to democratic development, opened the way for improved management of the conflict in the Muslim South. Prime Minister Surayud Chulanont’s interim government has overhauled some of its predecessor’s worst policies and signalled willingness to address longstanding grievances. But verbal commitments in Bangkok have been difficult to translate into changes on the ground, and relations between security forces and local communities continue to be strained while violence mounts. Thais outside the South have exerted pressure for a return to heavy-handed crackdowns on suspected militants. The government must respond to the escalating attacks, but with care – widespread arbitrary arrests and civilian casualties would only increase support for insurgents.

Barely a month in office, Surayud made an historic apology to southern Muslims for past abuses, announced an end to blacklisting of suspected insurgents leading to a significant decrease in arbitrary arrests, and revived key conflict management institutions disbanded by Thaksin Shinawatra in May 2002.

These steps, together with the acquittal of 56 Muslims detained for over two years on trivial charges, and the granting of bail in several conflict-related cases, were welcomed in the South. However, some of the justice measures designed to assuage Muslim grievances have alienated the local Buddhist population, raising communal tensions and frustrating police. The restructuring of the security forces, designed to improve interagency cooperation, also appears in some cases to be exacerbating rather than easing tensions.

Efforts to accommodate Malay Muslim identity, particularly in the education system, may help undercut militant claims the government is trying to destroy or dilute Malay culture and Islam. However, attempts to introduce the Patani Malay dialect as an additional language in state primary schools and to promote its use in government offices have fallen flat in the absence of high-level political support.

Insurgent groups have responded to the government’s new approach by stepping up violence and propaganda aimed at undermining conciliation efforts. There are also strong indications they have contrived a rash of protests demanding the release of separatist suspects and the withdrawal of security forces from some areas. The insurgents’ village-level political organisation has improved significantly in the last eighteen months but it is not clear how much this reflects an increase in local support. Many villagers fear both the insurgents and the security forces and are caught between the two.

Daily killings of civilians and security forces by well-armed insurgents clearly necessitate a military response but the clandestine nature of the groups and their tendency to shelter among civilian populations mean a purely military strategy is bound to fail. The government needs to balance providing security with protecting human rights.

Martial law is still in force, alongside an unpopular Emergency Decree granting police and military officers immunity from prosecution. The interim government has made almost no progress on providing justice for past abuses, and credible reports of torture and extrajudicial killings persist. Arming civilians to defend themselves in village defence volunteer programs is no solution either, as the arms are as likely to fall into the hands of insurgents and increase the possibility of violence.

On the other hand, anything seen as appeasement would be politically suicidal for Thai leaders dependent for support on voters outside the South, most of whom had no problem with Thaksin’s get-tough approach.

Coup leader General Sonthi Boonyaratglin and Prime Minister Surayud have taken the critical step of backing negotiations as the ultimate solution to the conflict but acknowledge that meaningful talks with insurgent leaders are a long way off. Preliminary discussions with exiled separatists faltered in 2006 when it became clear they had little influence on the ground. Ultimately, some form of negotiated autonomy may be the only answer, but the conditions that would make dialogue possible are not in place:

  • The government has been unable to identify the leadership of the insurgency. Indeed, it is not clear that there even exists an overall leadership capable of controlling the various groups committing the violence.
     
  • The Thai public is largely hostile to the idea of negotiations, and the embattled interim government does not have a lot of political capital to spare.
     
  • Meaningful negotiations require a government with a democratic mandate.

The Surayud government’s ability to focus on the conflict has been limited by competing priorities in Bangkok, and pressure is mounting to deliver on the core issues used to justify the coup: restoring stability, getting the economy back on track and prosecuting former Prime Minister Thaksin for alleged corruption and lèse majesté. The combined impact of bombings in Bangkok on New Year’s Eve, a series of economic blunders and divisions within the government and the coup group has undermined public confidence and pushed the South further down the agenda.

With only six months remaining before democratic elections are scheduled to be held, there are obvious limits on what the interim government can achieve. But it can and should still initiate a number of measures to set the course for its successor.

Jakarta/Brussels, 15 March 2007

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