Commentary / Europe & Central Asia 14 minutes

Kosovo-Serbie : Trouver le moyen d’avancer

Les relations entre le Kosovo et la Serbie se sont détériorées ces derniers mois, reflétant les tensions sous-jacentes concernant les municipalités du nord du Kosovo. Dans cet extrait de l'édition de printemps de la Watch List 2023, Crisis Group encourage l'UE à jouer un rôle de médiateur et à promouvoir la normalisation des relations entre les deux pays.

Après avoir contribué à apaiser des mois d’escalade des tensions entre le Kosovo et la Serbie, l’Union européenne s’efforce à présent de désamorcer les différends qui opposent depuis longtemps les deux voisins. Le point de friction le plus sensible est le niveau d’autonomie de quatre municipalités du nord du Kosovo, qui abritent une majorité de Serbes, et leur lien avec la Serbie. Les habitants de cette région ont commencé à protester contre le contrôle de Pristina il y a deux ans, et les manifestations sont devenues de plus en plus violentes. En novembre 2022, les représentants des Serbes du Nord se sont retirés des institutions gouvernementales du Kosovo. Les manifestations ont cessé à la fin du mois de décembre 2022, grâce aux efforts de rétablissement de la paix déployés par l’UE. Le 27 février 2023, le Premier ministre du Kosovo, Albin Kurti, et le président de la Serbie, Aleksandar Vučić, se sont accordés sur les grandes lignes d’un accord, grâce à la médiation de l’UE menée par le haut représentant, Josep Borrell, et le représentant spécial pour le dialogue Belgrade-Pristina, Miroslav Lajčák. L’accord est immortalisé dans l’Agreement on the Path to Normalisation (accord de normalisation), dont le libellé reste vague.

Pourtant, depuis la fin du mois de février, les parties ont avancé à une allure d’escargot dans la mise en œuvre de l’accord du 27 février, ainsi que d’une annexe ultérieure, et les pourparlers sur les prochaines étapes se sont enlisés. En fin de compte, il s’agit pour Pristina et Belgrade de trouver une solution non seulement pour le nord du Kosovo, mais aussi pour des questions de normalisation plus larges telles que le statut politique du Kosovo. Pour l’heure, il devient essentiel de réaliser au moins quelques progrès dans la mise en œuvre de l’accord du 27 février et des engagements antérieurs, même s’ils sont hésitants, et de poursuivre les pourparlers. Un échec des discussions conduirait presque certainement à de nouvelles crises.

Pour dynamiser les efforts de médiation et éviter que la sécurité ne se détériore davantage, l’UE devrait :

  • Accompagner les pourparlers, notamment par une participation de haut niveau de l’UE, tout en amenant des représentants des municipalités serbes à la table des négociations afin qu’ils aient leur mot à dire sur la manière dont ils seront gouvernés.
  • Insister auprès des parties pour qu’elles élaborent et étoffent un calendrier qui leur permette de respecter leurs engagements dans le cadre de l’accord du 27 février et des accords antérieurs. Dans le cas où les parties auraient du mal à se mettre d’accord sur les prochaines étapes et sur la manière de les programmer, Bruxelles pourrait devoir les encourager à avancer en annonçant son propre calendrier, en coordination avec les Etats membres de l’UE et des partenaires tels que les Etats-Unis.
  • Travailler en étroite collaboration avec les parties (y compris les représentants des Serbes du Nord du Kosovo) ainsi qu’avec d’autres acteurs influents, tels que les Etats-Unis, afin de parvenir à un accord sur un modèle d’autonomie approprié pour les Serbes du Nord qui permette aux municipalités du nord de recevoir certains services de la Serbie tout en connectant la région à la gouvernance nationale kosovare.
  • Reconnaître le rôle important que joue la mission de maintien de la paix de l’Otan (KFOR) dans la dissuasion des conflits et chercher des moyens de démontrer que la mission est soutenue politiquement, par exemple en demandant aux représentants de l’UE au Kosovo, y compris dans le cadre de la mission Eulex de maintien de l’Etat de droit, au bureau de liaison de la Commission européenne et aux ambassades des Etats membres d’exprimer clairement leur soutien.
Des femmes serbes se tiennent derrière un drapeau alors qu'elles participent à une manifestation à la suite d'un conflit gouvernemental entre le Kosovo et la Serbie, dans la partie à majorité serbe de Mitrovica au Kosovo, 23 novembre 2022. AFP / Armend Nimani

Crise dans le Nord

Le différend de longue date entre le Kosovo et la Serbie a été l’un des principaux facteurs de conflit dans les Balkans dans les années 1990, et a conduit à la séparation du Kosovo (à majorité albanaise) de la Serbie à la fin de cette décennie. Alors même que la plupart des Etats membres de l’UE ont collaboré avec les Etats-Unis pour obtenir la déclaration d’indépendance du Kosovo en 2008, Belgrade et Pristina n’ont jamais normalisé leurs relations. Deux problèmes majeurs continuent de peser sur les relations entre les deux voisins. Le premier est le refus tenace de la Serbie de se joindre aux plus de 100 autres pays (dont la majeure partie des Etats membres de l’UE, sauf cinq) qui ont reconnu l’indépendance du Kosovo. L’autre est la question de l’intégration de la minorité serbe du Kosovo dans l’architecture gouvernementale, en particulier dans les quatre municipalités les plus septentrionales où les Serbes sont majoritaires.

Le statut politique des Serbes du Nord du Kosovo constituera le défi le plus difficile à relever lors des négociations et représente le plus grand risque de violence à l’heure actuelle. Même si la Serbie continue officiellement de revendiquer un droit souverain sur l’ensemble du Kosovo, elle a, dans la pratique, renoncé à exercer son autorité sur la majeure partie du territoire du Kosovo. Il n’en va pas de même dans le Nord, où Belgrade et Pristina détiennent toutes deux des éléments du pouvoir de l’Etat et où les autorités locales, qui conservent des liens étroits avec la Serbie, jouissent d’une autonomie considérable, dans un climat général d’équilibre précaire.

La Serbie souhaite que l’autonomie du Nord soit élargie et officialisée, mais le Kosovo traîne les pieds. En 2013, puis en 2015, Pristina a accepté de former une « association/communauté » de municipalités serbes dans le Nord. Ce terme hybride maladroit est le reflet du différend sur la nature de l’entité créée et il est tout à fait emblématique de l’ampleur des divergences entre les deux parties. La Serbie souhaite que cette entité jouisse de pouvoirs exécutifs et constitue un niveau de gouvernement distinct, entre les autorités centrales et locales. Les Kosovars – gouvernement et opposition confondus – craignent qu’un tel arrangement n’ouvre la porte soit à la sécession des municipalités du nord, soit à des fractures internes et à des dysfonctionnements rappelant ceux de la Bosnie voisine. Ils insistent pour que l’association/communauté ne soit rien de plus qu’un organe de coordination pour les municipalités qui la composent. Par conséquent, malgré les accords de 2013 et 2015, et les dispositions connexes de l’accord de février 2023, rien n’a encore été fait pour que l’entité prévue prenne concrètement forme.

Depuis 2011, Pristina a lentement placé les zones à majorité serbe du Kosovo sous sa pleine juridiction.

Cette question concentre de plus en plus les tensions, en partie parce que, depuis 2011, Pristina a lentement placé les zones à majorité serbe du Kosovo sous sa pleine juridiction. Auparavant, ces territoires disposaient de deux autorités municipales parallèles, l’une relevant de Pristina et l’autre de Belgrade, cette dernière faisant office d’administration municipale. Mais l’UE a commencé à faire pression sur la Serbie pour que les habitants du Nord, réticents, intègrent le système administratif du Kosovo. En 2013, Belgrade a officiellement dissous ses conseils municipaux au Kosovo et a poussé les Serbes du Kosovo à se présenter aux élections organisées par Pristina. En échange, Pristina et l’UE ont fermé les yeux sur la subordination presque totale des dirigeants politiques serbes du Kosovo au Parti progressiste serbe, au pouvoir à Belgrade, et l’ont même quelque peu facilitée.

Cette situation a provoqué un enchevêtrement de juridictions et de loyautés. D’une part, en 2015, les administrations municipales, la police et le système judiciaire relevaient officiellement de Pristina. D’autre part, leurs dirigeants d’origine serbe continuaient à devoir rendre des comptes à Belgrade. D’importantes institutions serbes sont restées en place, notamment une grande université et un centre médical à Mitrovica Nord, l’une des municipalités à majorité serbe, et les régimes de sécurité sociale et de retraite serbes ont continué à fonctionner dans la région. Les habitants du Nord se sont accrochés à des éléments de l’identité serbe tout en s’adaptant à contrecœur au système du Kosovo, ils ont conservé des documents personnels serbes et conduisent des voitures portant des plaques d’immatriculation serbes.

Peu après son arrivée au pouvoir à Pristina en mars 2021, le gouvernement du Premier ministre Kurti a pris des mesures plus fermes pour intégrer le Nord au reste du Kosovo, ce qui a provoqué une réaction brutale et ouvert la voie à une escalade des protestations. Les nouveaux dirigeants ont pris des mesures énergiques contre les réseaux de contrebande dans lesquels plusieurs dirigeants du Nord sont impliqués. Ils ont également interdit l’utilisation de plaques d’immatriculation serbes. Après l’arrestation de plusieurs Serbes très connus, la population locale craint d’être injustement visée et redoute de voir la situation s’aggraver. Les Serbes du Nord ont réagi en se révoltant; ils ont bloqué les routes, incendié les bureaux du gouvernement et tiré sur la police. Les manifestants étaient aussi bien des femmes que des hommes, les femmes étant plus souvent sur les barricades pendant la journée et les hommes pendant la nuit.

Chaque vague de manifestations a entrainé une escalade. Pristina a cherché à protéger ses troupes en déployant des unités de police spéciales militarisées et en établissant des bases fortifiées. Les manifestants ont pris de plus en plus d’armes. Fin juillet 2022, leurs rangs avaient été renforcés par du personnel militaire serbe en service, en violation de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité des Nations unies, qui exigeait que toutes les forces armées serbes se retirent du Kosovo. Le 31 juillet, les dirigeants de la KFOR, la force de maintien de la paix de l’Otan en place au Kosovo depuis 1999 et qui jouit de la confiance des deux parties, sont intervenus en forçant Belgrade à retirer ses troupes (la plupart d’entre elles, si ce n’est toutes, sont désormais de l’autre côté de la frontière) et en intimant à Pristina de modérer sa riposte.

A la fin de l’année 2022, la confiance limitée qui s’était instaurée entre les habitants du Nord et Pristina avait disparu, emportant avec elle les progrès réalisés dans l’intégration du Nord depuis dix ans. En novembre 2022, le gouvernement a licencié le commandant de la police du district nord pour avoir refusé d’appliquer les règles interdisant de conduire avec des plaques d’immatriculation serbes et tous les responsables serbes du Nord – maires, membres de l’assemblée, policiers, juges et autres fonctionnaires, en grande majorité des hommes – ont démissionné de leur poste. Aujourd’hui, les policiers ne peuvent toujours pas postuler à leur ancien emploi et les élus ne peuvent pas non plus reprendre le travail, ce qui, dans un contexte où les hommes sont la principale source de revenus, a des répercussions sur leur niveau de vie et oblige les autres membres de leur famille à trouver du travail.

Les Serbes ont ensuite boycotté les élections anticipées organisées le 23 avril 2023 pour remplacer les démissionnaires. La petite minorité non serbe des quatre municipalités du Nord est la seule à avoir voté et c’est ainsi que les élections ont amené une liste de nouveaux fonctionnaires locaux composée exclusivement d’Albanais. La Serbie a ressuscité les vestiges de ses administrations municipales. Entre-temps, les anciens policiers d’origine serbe ont continué à patrouiller, bien que sans uniforme, en prenant soin de ne pas croiser les officiers albanais qui ont pris leur poste.

Nouvelle donne ou retour au flou?

Inquiète de l’escalade des tensions, l’UE a réuni les parties pour des pourparlers en 2011. Les pourparlers ont commencé sous forme de discussions techniques mais le niveau de représentation s’est progressivement élevé; ils sont aujourd’hui dirigés par le haut représentant Borrell et le représentant spécial Lajčák. Fin février, les parties sont parvenues à un accord, qui a été annoncé mais pas signé. Cet accord s’inspire du traité d’Etat allemand de l’époque de la guerre froide, signé en 1972 par la République fédérale d’Allemagne et la République démocratique allemande. Ce traité avait permis à des tiers d’établir des relations avec les deux Etats, bien qu’aucun d’entre eux n’ait officiellement reconnu l’autre, et avait permis aux deux Etats de rejoindre les Nations unies. L’accord entre le Kosovo et la Serbie s’inspire largement, parfois au mot près, du traité allemand et aspire également à permettre aux cinq Etats membres de l’UE qui ne reconnaissent pas l’indépendance du Kosovo de changer leur position, sans exiger la même chose de la Serbie.

L’accord n’est pas très détaillé, mais il comporte néanmoins quelques engagements notables. Le Kosovo a accepté de mettre en place « un niveau approprié d’autogestion » pour sa communauté serbe et de « formaliser » le statut de l’Eglise orthodoxe serbe. Ces deux mesures sont considérées comme un moyen de donner un nouveau souffle aux promesses faites par le passé d’accorder une certaine autonomie aux municipalités du Nord. Pour sa part, la Serbie a accepté de reconnaître les passeports, diplômes, plaques d’immatriculation et tampons douaniers du Kosovo (sur le papier, l’accord prévoit une reconnaissance mutuelle, mais dans la pratique, le Kosovo accepte déjà les documents serbes). Belgrade s’est également engagée à ne pas s’opposer à l’adhésion de Pristina à « toute organisation internationale », un engagement censé ouvrir la voie à l’adhésion du Kosovo au Conseil de l’Europe et, à terme, à d’autres organismes, dont les Nations unies. Les deux parties ont réaffirmé que les accords passés restaient en vigueur.

Bruxelles n’a pas été en mesure de forcer Belgrade et Pristina à entamer la mise en œuvre de l’accord de février.

Les pourparlers organisés sous l’égide de l’UE ont permis d’arrêter la spirale destructrice, mais après la signature de l’accord de février, les avancées ont ralenti. Bruxelles n’a pas été en mesure de forcer Belgrade et Pristina à entamer la mise en œuvre de l’accord de février. On ignore quand l’une ou l’autre partie se décidera à respecter ses engagements. Chacune des parties redoute de prendre l’initiative, craignant de subir un revers politique interne et de voir l’autre partie revenir sur sa parole. La Serbie, en tout cas, agit comme si l’accord n’était pas encore contraignant. Elle a voté contre la demande d’adhésion du Kosovo au Conseil de l’Europe le 24 avril. Elle ne respecte pas non plus d’autres parties de l’accord. La principale obligation du Kosovo, de son côté, est de mettre en place l’association/communauté, ce qui n’a pas encore été fait. Comme nous l’avons déjà mentionné, cette obligation remonte à 2013 et a été reconduite dans l’accord de février 2023. Les parties ont signé une « annexe de mise en œuvre » le 18 mars, mais seulement après l’avoir dépouillée de la plupart de ses projets de dispositions et du calendrier correspondant. Les seuls résultats tangibles obtenus après février ont été la création d’un « comité de suivi conjoint », le 18 avril, et l’adoption d’une déclaration sur les personnes disparues qui engage les parties à prendre une série de mesures, telles que d’accorder un accès mutuel aux documents classifiés et la coopération dans la recherche des lieux de sépulture, le 2 mai, les détails opérationnels devant être précisés ultérieurement.

La situation est préoccupante. La poursuite des pourparlers et des progrès continus, même à petite échelle, sont nécessaires pour que la situation reste calme dans le Nord. En cas de rupture du dialogue, les parties pourraient être fortement tentées de s’affronter à nouveau dans les municipalités du Nord.

Ce que l'EU peut faire

Le défi pour les médiateurs de l’UE est avant tout de maintenir le dialogue – y compris par une participation de haut niveau qui montre clairement la priorité que Bruxelles lui accorde – et de veiller à ce qu’il soit suffisamment participatif. Il est certain que Belgrade et Pristina doivent continuer à être présents à la table des négociations. Compte tenu des événements de ces deux dernières années, il est difficile d’imaginer que les Serbes du Nord du Kosovo puissent accepter un retour à la réintégration, à moins d’y être obligés par Belgrade. Même dans ce cas de figure, cela pourrait ne pas suffire sans un minimum d’adhésion de la population du Nord. Alors que les habitants du Nord dépendent de la bonne volonté de la Serbie à bien des égards, certains d’entre eux pourraient rejeter un accord entre Belgrade et Pristina s’ils considèrent qu’il leur accorde trop peu d’autonomie. Ce risque serait d’autant plus grand si les représentants des Serbes du Nord n’étaient pas présents à la table des négociations pour contribuer à l’élaboration de l’accord, quel qu’il soit. L’UE devrait donc insister auprès de Pristina et Belgrade pour qu’ils invitent des représentants des Serbes kosovars à participer au dialogue.

Quant à la mission des médiateurs, elle consistera principalement à transformer la longue liste d’accords conclus mais non respectés, et dans certains cas ambigus, entre les parties avant et après février, en une série de mesures pratiques à court, moyen et long termes pour construire une relation bilatérale durable entre la Serbie et le Kosovo. Une approche mesure par mesure pourrait être la plus constructive. L’objectif à court terme pourrait être, par exemple, que le Kosovo prenne une mesure crédible, comme entériner sa volonté de modifier sa législation si nécessaire, pour faire avancer la question de l’autonomie des Serbes du Kosovo. En retour, la Serbie pourrait commencer à accepter tous les documents officiels du Kosovo. A l’étape suivante, les Serbes pourraient mettre fin à leur boycott et revenir dans les institutions du Kosovo à condition que Pristina soit suffisamment flexible pour réintégrer ceux qui ont démissionné et organiser de nouvelles élections municipales dans le nord. La police spéciale albanaise devrait être retirée des zones à majorité serbe et ses bases démantelées dans le cadre de ce processus. Cette évolution ouvrirait la voie à une dernière étape qui verrait le Kosovo promulguer l’association/communauté et la Serbie pleinement normaliser ses relations, y compris en acceptant que d’autres états établissent des relations avec le Kosovo.

L’adhésion du Kosovo à des organisations internationales devrait également être envisagée dans ce cadre. Certaines, comme le Conseil de l’Europe, sont à portée de main. En effet, malgré le vote négatif de la Serbie, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a approuvé la candidature du Kosovo le 24 avril et l’a transmise à l’Assemblée parlementaire (les Etats n’ont pas de droit de veto au sein du Comité des ministres). D’autres, comme l’ONU et l’Otan, prendront plus de temps, mais des étapes intermédiaires sont possibles à moyen terme, comme le statut d’observateur (accordé par l’Assemblée générale) et le Partenariat pour la paix de l’Otan.

Compte tenu du manque de confiance entre les parties, il pourrait s’avérer difficile, voire impossible, qu’elles se mettent d’accord sur un calendrier de mise en œuvre de ces actions. L’UE devra peut-être les encourager à agir, en définissant à son niveau un ensemble raisonnable de premières mesures, puis en coordonnant les pressions diplomatiques exercées par ses Etats membres et ses alliés. Washington et les capitales de l’UE exigent avec de plus en plus d’insistance que Pristina respecte ses engagements concernant l’association/communauté. Ce type de pression pourrait être développé pour constituer une stratégie visant le Kosovo au même titre que la Serbie.

Une fois que les grandes lignes d’un calendrier auront été établies, le négociateur de l’UE, Miroslav Lajčák, devrait aider les parties à s’y tenir. En collaboration avec les Etats-Unis, qui ont fait de cette question une priorité, il devrait aider les parties à élaborer une mesure d’autonomie pour les Serbes du Kosovo qui leur permette de conserver certains services gouvernementaux serbes dont ils bénéficient actuellement (scolarisation, soins de santé, sécurité sociale et pensions) tout en les intégrant dans l’administration de l’Etat du Kosovo. Cet arrangement représenterait une formalisation de certains privilèges dont ils jouissent actuellement et ferait reculer certains des actes de provocations du gouvernement Kurti visant à leur imposer son autorité.

Il est important que les médiateurs et les parties abordent la question de l’autonomie avec une certaine ouverture d’esprit.

Il est important que les médiateurs et les parties abordent la question de l’autonomie avec une certaine ouverture d’esprit. Le concept original d’une association ou d’une communauté de municipalités n’est pas nécessairement le meilleur cadre pour l’autonomie, et l’UE ne devrait pas hésiter à explorer d’autres solutions avec les parties. Dix années ont passé depuis que l’idée de créer une association/communauté a germé, sans qu’elle ne se concrétise. On peut donc supposer que le concept pourrait avoir besoin d’être actualisé. Bruxelles devrait réagir par rapport à la crainte du Kosovo que tout pas vers l’autonomie entraînerait les mêmes problèmes que ceux auxquels la Bosnie est confrontée, et insister sur la nature inhabituelle du cadre de la Bosnie (adopté pour mettre fin à une guerre dévastatrice), tout en citant des exemples où un certain degré d’autonomie a aidé des communautés à coexister pacifiquement en Europe et dans d’autres parties du monde.

Pour que ce processus fonctionne, il pourrait également être nécessaire de procéder à des changements juridiques au Kosovo, afin de permettre à tout accord sur l’autonomie serbe d’entrer en vigueur, et de procéder à de nouvelles élections locales dans les quatre municipalités du Nord, pour que les maires et les membres de l’assemblée municipale qui se sont retirés puissent reprendre leurs fonctions. Pristina devrait proposer un système permettant aux officiers de police et aux autres fonctionnaires non élus de retrouver leur poste, et commencer ainsi à rétablir la confiance du public dans les institutions, qui s’est érodée au cours de l’année écoulée. Si des mesures législatives s’avèrent nécessaires, les législateurs kosovars devraient les prendre.

La situation dans le Nord du Kosovo restera probablement tendue même si les négociations se poursuivent. La présence de la KFOR en tant que force de maintien de la paix constituera donc un filet de sécurité essentiel. La mission jouit d’un respect inégalé dans les régions serbes en raison de sa neutralité formelle à l’égard de l’indépendance du Kosovo, et parmi les Kosovars parce qu’elle représente l’Otan, l’alliance qui les a sauvés de l’oppression serbe. Plus qu’une mission traditionnelle de maintien de la paix, la KFOR joue un rôle diplomatique important, avertissant discrètement les deux parties lorsqu’elle estime que leurs actions pourraient générer des effusions de sang. Sa présence a contribué à dissuader les acteurs locaux d’aller trop loin et a globalement permis d’éviter que les manifestations ne dégénèrent. La délégation de l’UE, la mission Eulex de maintien de l’Etat de droit et son unité de police lourdement armée à Mitrovica, ainsi que tous les Etats membres devraient continuer à soutenir publiquement le rôle de premier plan joué par la KFOR pour garantir la sécurité. Il s’agit d’accorder à la mission le crédit qu’elle mérite pour renforcer à la fois la confiance locale dans la KFOR mais aussi la capacité des soldats de la paix à continuer d’accomplir leur mission essentielle.

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