Report / Europe & Central Asia 4 minutes

Une armée pour le Kosovo?

À quelques mois d’une décision de la communauté internationale qui devrait faire du Kosovo un État, la planification dans le domaine de la sécurité ne tient pas le rythme. La communauté internationale devra éviter de créer un État faible ; le Kosovo devra se doter d’institutions adéquates pour assurer l’État de droit et l’inviolabilité de ses frontières ainsi que pour combattre le crime organisé transnational et le terrorisme.

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Synthèse

À quelques mois d’une décision de la communauté internationale qui devrait faire du Kosovo un État, la planification dans le domaine de la sécurité ne tient pas le rythme. La communauté internationale devra éviter de créer un État faible ; le Kosovo devra se doter d’institutions adéquates pour assurer l’État de droit et l’inviolabilité de ses frontières ainsi que pour combattre le crime organisé transnational et le terrorisme. Il ne faudrait pas abandonner certains éléments importants pour la création d’un État durable dans le seul but d’obtenir une reconnaissance de l’indépendance du Kosovo. L’un des éléments essentiels d’une structure sécuritaire post-indépendance devrait être une armée formée en partie sur le Corps de protection du Kosovo (KPC) ; cette formation participerait à des missions internationales, par exemple de maintien de la paix, et serait placée les premières années sous le contrôle strict de l’OTAN, avec des effectifs et des capacités limitées.

Les besoins d’un Kosovo indépendant en termes de sécurité sont clairs. Il s’agit de garantir la stabilité interne et la sûreté du Kosovo face aux attaques extérieures. Mais dans le même temps, celui-ci ne doit pas représenter une menace pour ses voisins. Les structures sécuritaires existantes doivent être placées sous le contrôle des nouvelles institutions d’un gouvernement démocratique. Les structures armées informelles existantes, qu’il s’agisse des successeurs de l’Armée de libération du Kosovo (KLA) ou d’autres groupes d’insurgés liés au crime organisé, doivent être réduites au minimum. Les minorités ethniques, en particulier les serbes du Kosovo, doivent être protégées et non menacées par les structures sécuritaires de l’État.

L’OTAN devrait être prête à maintenir sur place sa force de maintien de la paix (KFOR) sur une longue période afin d’assurer la protection externe de territoire et, dans une moindre mesure, de contribuer à la stabilité intérieure ; elle doit résister aux pressions exercées pour réduire cette force puis la faire disparaître complètement avant que les relations du nouvel État avec la Serbie soient pleinement normalisées et que les deux États soient devenus membres du Partenariat pour la paix dans le cadre de l’OTAN.

D’aucuns affirmeront que, en présence de la KFOR, une entité pauvre et divisée comme le Kosovo n’a pas besoin de sa propre armée. Mais une démilitarisation totale est impossible à mettre en pratique, le manque de confiance ne permettant pas de la maintenir sur la durée. La démilitarisation ne serait qu’une façade derrière laquelle les groupes paramilitaires clandestins se regrouperaient et menaceraient la sûreté du nouvel État – et celle de ses voisins – de même que le respect de l’État de droit. Une armée officielle encadrée sous le contrôle de l’OTAN est l’instrument le plus approprié tant pour encourager la démilitarisation progressive de la société que pour permettre au Kosovo d’adhérer aux accords de sécurité collective en vigueur dans la région, qui sont le fondement d’une sécurité et d’une démilitarisation durables.

Si elle est bien gérée, une armée peut aider à établir une identité stable et multiethnique – ou au moins neutre sur le plan ethnique – dans le nouvel État. La création d’une armée professionnelle unie et représentative dans un État profondément divisé entre la majorité albanaise et une minorité serbe récalcitrante requiert d’opérer une sélection soigneuse de ses composantes. On ne peut forcer l’adhésion de tous mais l’on ne peut pas non plus créer une telle armée sans tenir compte des institutions existantes ni des attentes de la majorité, qui a choisi pour la défendre le KPC, organe de protection civil qui dérive de la KLA.

Il sera difficile de changer l’identité du Kosovo, dont les repères sont exclusivement albanais, après la détermination du statut. La communauté internationale devrait être réaliste et user de l’influence dont elle dispose au sein de la société kosovare. Étant donné qu’il a évolué dans une certaine mesure à partir de racines paramilitaires, qu’il dépend de l’expertise de l’OTAN et qu’il est disposé à entreprendre une transformation en profondeur, le KPC lui offre la communauté internationale une occasion de modeler la nouvelle armée qu’elle aurait tort de refuser.

L’armée devrait consister en une force multiethnique aux effectifs réduits, entre 2000 et 3000 hommes, dotés d’un équipement léger et qui seraient formés par une mission spéciale de l’OTAN selon un programme et un calendrier transparents ; elle serait opérationnelle d’ici 2011/2012. Plutôt que d’exercer des fonctions de maintien de l’ordre à l’intérieur des frontières, l’armée devrait se tourner vers l’extérieur : elle mènerait ses premières opérations dans le cadre d’initiatives régionales ou d’autres opérations internationales de maintien de la paix, et rejoindrait finalement le Partenariat pour la paix (PPP) puis l’OTAN. Un premier déploiement de cette force à l’étranger pourrait avoir lieu dès le début de l’année 2007 et s’appuierait sur l’expertise accumulée par le KPC, en matière de déminage par exemple. Les activités de l’armée liées à la sécurité intérieure devraient être strictement limitées et ne pas s’étendre au-delà du mandat actuel du KPC, qui englobe la protection civile, l’ingénierie et la reconstruction.

Ces décisions devraient faire l’objet d’accords dans le cadre du règlement du statut définitif du Kosovo, accords qui préciseraient les restrictions concernant les effectifs et les capacités des forces armées ainsi que le rôle de l’OTAN par rapport à l’armée. Celui-ci, qui n’a pas nécessairement à être négocié avec Pristina et Belgrade, pourrait même faire l’objet d’une conclusion du Conseil de l’Atlantique nord de l’OTAN ou du Groupe de contact, qui guide le processus de détermination du statut. Il serait cependant plus judicieux d’utiliser l’influence de la communauté internationale durant ce processus afin de clarifier ce sujet sensible plutôt que de le laisser de côté et de reporter ces décisions. L’objectif serait l’entrée du Kosovo dans le PPP, en même temps que celle de la Serbie ; à cette occasion, lesdits accords seraient renouvelés. Les mécanismes du PPP pourraient servir à préparer l’armée à prendre le relais de la KFOR, permettant en fin de compte un retrait complet de cette dernière.

L’OTAN et l’UE devraient maintenir la pression sur Pristina pour qu’elle propose des solutions créatives afin d’amener les serbes du Kosovo à participer davantage à la vie publique, dans le domaine de la sécurité et dans l’armée en particulier. La tradition serbe devrait être représentée dans l’armée aux côtés de la tradition albanaise qui était celle de la KLA et du KPC. L’OTAN et l’UE devraient également travailler ensemble pour créer un environnement qui soit favorable aux initiatives prises par Pristina. Le rythme de l’adhésion de la Serbie à l’UE et à l’OTAN devrait dépendre en partie de la façon dont elle se comporte avec son voisin du sud, en particulier si elle encourage ou non l’intégration des serbes du Kosovo dans les structures du nouvel État.

Pristina/Belgrade/Bruxelles, 28 juillet 2006

Executive Summary

The international community is just months away from decisions that are expected to make Kosovo a state, but planning for the security ramifications has not kept pace. It must avoid creating a weak state; the future Kosovo needs adequate institutions to ensure the rule of law and the inviolability of its borders, and to combat transnational organised crime and terrorism. Elements important for building a sustainable state must not be traded away to achieve recognition of Kosovo’s independence. A key component of post-independence security structures should be an army built in part upon the Kosovo Protection Corps (KPC), albeit a small one oriented to international missions like peacekeeping and subject in the first years to strict NATO control and limitations on its size and capabilities.

An independent Kosovo’s security needs are clear. It requires internal stability and safety from external attack but at the same time, it must not be a threat to its neighbours. Existing formal security structures must be placed under the control of the new institutions of democratic government. Existing informal armed structures, both the legacy of the insurgent Kosovo Liberation Army (KLA) and those linked to organised crime, must be minimised. Ethnic minorities – particularly Kosovo’s Serbs – must be protected, not threatened, by the state’s security structures.

NATO should be prepared to maintain its Kosovo Force peacekeepers (KFOR) in the state for a long period to provide external protection and, to a lesser extent, contribute to internal stability, resisting pressures to reduce and then eliminate it altogether before the new state’s relations with Serbia are fully normalised and both states have become members of the Partnership for Peace (PfP) program.

Some will argue that with KFOR there, a poor and divided place like Kosovo does not need its own military, but full demilitarisation is impracticable. There is insufficient trust to sustain it. It would become a façade, behind which unofficial paramilitary groups would coalesce, making the new state – and its neighbours – less rather than more secure, and less amenable to the rule of law. A small official army, developed under NATO oversight, is the most appropriate tool, both to prompt the gradual demilitarisation of society and to enable Kosovo’s entry into regional collective security arrangements, which are the key to sustainable demilitarisation and security.

If managed well, an army can help develop a stable, multi-ethnic or at least ethnically neutral, identity for the new state. Fashioning a united, representative and professional army for a state deeply divided between the Albanian majority and the rejectionist Serb minority requires a careful choice of building blocks. Unwilling elements cannot be forced to cohere but such an army also cannot be created without regard to existing institutions and the expectations of the majority, who invest hope and authority in the KLA-derived civil protection body, the KPC.

Steering Kosovo’s post-status identity away from exclusively Albanian markers is going to be an uphill task. The international community should be realistic and use the levers available to it in Kosovo society. With its partial evolution from paramilitary roots, dependency on NATO expertise, and willingness to undergo substantial change, the KPC offers it an opportunity to exercise a free hand in moulding the army that it should not refuse.

That army should be a small, lightly-equipped, multi-ethnic force of between 2,000 and 3,000 personnel, trained by a dedicated NATO mission to a transparent plan and schedule, and brought to operational capability by 2011-2012. It should not duplicate any police functions but should instead be constructed with an outward orientation, to take its first operational steps in regional initiatives and international peacekeeping operations, and eventually gain membership in PfP and NATO itself. An opportunity should be found as early as 2007 for the first deployment abroad, drawing upon expertise built up in the KPC, like demining. The army’s internal security tasks should be severely limited, not much beyond the KPC’s present civil protection, engineering and reconstruction mandate.

All this should be framed by accords reached as part of Kosovo’s final status settlement. These should also specify a range of limitations on the army’s numbers and capabilities, and NATO’s role in its governance. Not necessarily negotiated with Pristina and Belgrade, this could even take the form of a conclusion of NATO’s North Atlantic Council, or of the six-nation Contact Group guiding the status process. It is better, however, to use the leverage the international community possesses during the final status settlement to create clarity on this sensitive issue, than to leave it hanging, to be dealt with afterwards. The aim should be to graduate Kosovo into the PfP, together with Serbia, when the accords should be superseded by new treaty arrangements. PfP mechanisms can be used to prepare the army to take over security roles from KFOR, eventually allowing for KFOR’s complete withdrawal.

NATO and the EU should maintain pressure on Pristina to be creative in bringing Kosovo Serbs on board, in the security sphere and army in particular. Serb tradition should be represented in the army, complementing the Albanians’ KLA and KPC tradition. NATO and the EU should also work together to create a supportive environment for Pristina’s initiatives. Serbia’s pace of accession to the EU and NATO should be partially dependent upon how it treats its southern neighbour, in particular whether it encourages or discourages Kosovo Serbs from integrating into the new state’s structures.

Pristina/Belgrade/Brussels, 28 July 2006

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