Report / Europe & Central Asia 5 minutes

Sortir le Kosovo de l’impasse: la responsabilité de l’Europe

La stratégie privilégiée par l’Union européenne (UE) et les États-Unis, qui consistait à porter le Kosovo à l’indépendance sous la surveillance du Conseil de sécurité des Nations unies a échoué, après la menace officielle de la Russie d’y opposer son veto. Une tension croissante chez les Albanais du Kosovo, qui pourraient bientôt, à défaut d’une autre option crédible, déclarer unilatéralement l’indépendance, laisse entrevoir en Europe le risque d’un nouveau conflit déstabilisateur et violent.

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Synthèse

La stratégie privilégiée par l’Union européenne (UE) et les États-Unis, qui consistait à porter le Kosovo à l’indépendance sous la surveillance du Conseil de sécurité des Nations unies a échoué, après la menace officielle de la Russie d’y opposer son veto. Une tension croissante chez les Albanais du Kosovo, qui pourraient bientôt, à défaut d’une autre option crédible, déclarer unilatéralement l’indépendance, laisse entrevoir en Europe le risque d’un nouveau conflit déstabilisateur et violent. S’ils veulent éviter le chaos sur le pas de leur porte, l’UE et ses États membres doivent dorénavant accepter l’immense responsabilité de mener le Kosovo à une indépendance surveillée.

L’Europe prend de sérieux risques en s’abstenant d’agir. Avant la fin de l’année, les responsables albanais du Kosovo se trouveront très probablement face à une forte pression interne pour déclarer l’indépendance, avec ou sans soutien externe. S’ils le font sans ce soutien, le Kosovo pourrait voler en éclat : la Serbie revendiquerait l’enclave se trouvant au nord de la rivière Ibar, les Serbes fuiraient les autres régions du Kosovo, et huit ans de renforcement des institutions sous accompagnement international seraient perdus. L’implosion déstabiliserait les pays voisins en accentuant le fractionnement sur une base ethnique. L’UE, rapidement, verrait arriver des flots de réfugiés et ressentirait le coup de fouet que cette déroute donnerait aux réseaux du crime organisé dans les Balkans, déjà responsables de la majeure partie de la distribution d’héroïne en Europe, de 30 pour cent du commerce sexuel des femmes dans le monde et qui facilitent les migrations illégales.

L’échec à s’engager discréditerait également la Politique extérieure et de sécurité commune (PESC) de l’UE ainsi que ses efforts pour devenir un acteur crédible sur la scène internationale dans d’autres conflits. En effet, comme le veut sa stratégie de sécurité officielle, « c'est de la consolidation de nos réalisations dans [les Balkans] que dépend la crédibilité de notre politique étrangère ».

Plus vite l’UE, ou au moins une large majorité de ses États membres, se déclarera prête à soutenir le projet d’un Kosovo indépendant, meilleures seront ses chances d’anticiper ces conséquences néfastes. Le Groupe de contact constitué de six États (France, Allemagne, Italie, Russie, Royaume-Uni et États-Unis), qui accompagne les orientations politiques au Kosovo, a prévu une période de quatre mois pour de nouvelles négociations entre Pristina et Belgrade. Celles-ci ont commencé la deuxième semaine du mois d’août mais compte tenu des positions bien arrêtées de chacune des parties, il est très peu probable qu’elles enregistrent de grandes avancées. Les États membres de l’UE et les États-Unis devraient s’assurer qu’elles ne mettront pas à mal le plan pour une indépendance surveillée du Kosovo élaboré par l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies et ancien président finlandais Martti Ahtisaari au cours d’une laborieuse année de diplomatie (plan Ahtisaari). Ils devraient également utiliser ces quatre mois pour renforcer une alliance qui coordonnera la transition du Kosovo vers l’indépendance.

Les États-Unis sont investis de deux grandes responsabilités : assumer leur rhétorique résolument en faveur de l’indépendance du Kosovo en la traduisant en actes significatifs – le président Bush a bel et bien échoué à convaincre le président russe lors de leur récent sommet en bord de mer à Kennebunkport – mais aussi utiliser leur influence considérable auprès des Albanais du Kosovo pour qu’ils continuent à coopérer de manière constructive durant les prochains mois, qui seront hautement sensibles. Mais c’est l’UE qui, en fin de compte, détient la clef. Le plan Ahtisaari prévoit qu’elle envoie un représentant spécial doté du personnel nécessaire en vue de coordonner la surveillance civile de l’indépendance conditionnelle ainsi qu’une mission « État de droit ». Il prévoit également que les processus de candidature à l’adhésion apporteront au Kosovo indépendant le soutien et la motivation économiques dont il aura besoin pour ne pas devenir un État défaillant. L’UE a approuvé le plan Ahtisaari mais nombre de ses membres se montrent réticents à aller plus loin sans l’aval du Conseil de sécurité. Les membres européens du Groupe de contact doivent redoubler d’efforts pour encourager l’UE à prendre ses responsabilités.

Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon, a demandé au Groupe de contact de lui présenter un compte-rendu des négociations entre Belgrade et Pristina dans quatre mois, d’ici le 10 décembre. C’est à ce moment que, sachant qu’il est fort peu probable qu’une solution acceptable par les deux parties soit trouvée, l’UE, les États-Unis et l’OTAN devront être prêts à lancer, en collaboration avec le gouvernement du Kosovo, la mise en œuvre de l’essence du plan Ahtisaari et notamment la période de transition de 120 jours qu’il prévoit. Cette période de transition devrait être utilisée par le plus d’États membres possible pour reconnaître officiellement l’indépendance conditionnelle de l’État, pour adopter et mettre en place les lois qui définiront la formation de l’État ainsi que ses institutions, prévues par le plan Ahtisaari et par le gouvernement du Kosovo (actuel ou, en fonction des échéances électorales, son successeur), et pour inviter l’UE et l’OTAN à prendre leurs responsabilités et par ces organisations pour le faire, et enfin la mission d'administration intérimaire des Nations unies au Kosovo (UNMIK) devrait se retirer en bon ordre. Au terme de cette période, en avril-mai 2008, le Kosovo pourrait acquérir le statut d’indépendance conditionnelle, sous la surveillance de l’UE et de l’OTAN.

Il n’est pas nécessaire que tous les États membres de l’UE reconnaissent le Kosovo pendant la transition ni même en avril-mai 2008. L’UE dispose de procédures, « l’abstention constructive » et la « coopération renforcée », qui permettent de prendre des décisions et d’agir même en l’absence d’unanimité. En revanche, il est essentiel de lancer les missions européennes au Kosovo (et de réformer la mission de l’OTAN) au bon moment. Si ce degré minimal d’unité au sein de l’UE ne peut être atteint, les États-Unis et certains États européens importants devront tenter de reproduire les éléments fondamentaux de la surveillance et des missions de protection internationales avec leurs propres moyens. 

Il est difficile de dire à quel point un tel effort improvisé pourrait être soutenu par ses initiateurs et dans quelle mesure il permettrait de donner au Kosovo la perspective motivante de l’éventuelle adhésion à l’Union européenne dont il aurait besoin pour se développer. Ce qui ne fait aucun doute, en revanche, c’est l’énorme tort que l’UE s’occasionnerait en échouant de manière si spectaculaire à se poser en acteur international homogène capable de faire face à une grave question sécuritaire à ses frontières.

 

Sans le concours du Conseil de sécurité pour l’indépendance, la Serbie sera d’autant moins disposée à abandonner le Kosovo. Le nouvel État sera hanté pendant des années par la résolution 1244 du Conseil de sécurité, si elle n’est pas révoquée. En 1999, au terme du conflit avec l’OTAN, elle reconnaissait à la Serbie le droit de conserver formellement sa souveraineté pour la période d’intérim sur la province qu’elle avait confié aux Nations unies. La Serbie continuera à revendiquer cette souveraineté et, avec la Russie, tentera d’empêcher l’adhésion du Kosovo aux institutions internationales. Belgrade remettra d’autant plus en cause l’opportunité d’une majorité serbe au Nord sous la dépendance de Pristina, et la défense de l’intégrité territoriale du Kosovo par une autorité internationale s’en trouvera d’autant plus affaiblie. La Russie pourrait décider d’en utiliser l’issue dans son propre intérêt dans les conflits gelés dans le Sud-Caucase et en Moldavie.

Toutes ces conséquences sont nuisibles et auraient pu être aisément évitées si le Conseil de sécurité avait ouvert la voie à l’indépendance dans les lignes du plan Ahtisaari. Mais les conséquences de l’immobilisme européen seront encore pires, pour le Kosovo, les Balkans et l’UE elle-même. Il est temps de le reconnaître et d’agir.

Pristina/Belgrade/New York/Bruxelles, 21 août 2007

Executive Summary

The preferred strategy of the European Union (EU) and the U.S. to bring Kosovo to supervised independence through the United Nations Security Council has failed, following Russia’s declared intention to veto. With Kosovo Albanians increasingly restive and likely soon to declare unilateral independence in the absence of a credible alternative, Europe risks a new bloody and destabilising conflict. To avoid chaos on its doorstep, the EU and its member states must now accept the primary responsibility for bringing Kosovo to supervised independence.

The risks to Europe of inaction are substantial. Before the end of the year, Kosovo Albanian leaders will be under what is likely to be irresistible internal pressure to declare independence, with or without external support. If they act and are not supported, Kosovo would fracture: Serbia reclaiming the land pocket north of the Ibar River, Serbs elsewhere in Kosovo fleeing, and eight years of internationally guided institution-building lost. The implosion would destabilise neighbouring countries, increasing pressure for further fractures along ethnic lines. The EU would quickly experience refugee flows and feel the impact of the boost that disorder would give to organised crime networks in the Balkans that already distribute most of Europe’s heroin, facilitate illegal migration and are responsible for nearly 30 per cent of women victims of the sex trade worldwide.

Failure to act would also discredit the EU’s Common Foreign and Security Policy (CFSP) and its efforts to project itself as a credible international actor in conflicts elsewhere. As its own official security strategy declares, “the credibility of our foreign policy depends on the consolidation of our achievements [in the Balkans]”.

The sooner the EU, or a significant majority of its member states, declares itself ready to back an independent Kosovo, the better the chances of forestalling such damage to the EU. The six-nation Contact Group (France, Germany, Italy, Russia, the UK and U.S.) that has been guiding Kosovo policy has authorised a four-month period for new talks between Pristina and Belgrade. These started in the second week of August but, given entrenched positions, are highly unlikely to achieve a breakthrough. The EU members and the U.S. should ensure that they do not unravel the blueprint for Kosovo’s supervised independence crafted by the UN Secretary-General’s special envoy, former Finnish President Martti Ahtisaari, during a year of painstaking diplomacy (the Ahtisaari plan). They should also use the four months to secure an alliance that will coordinate Kosovo’s transition to independence.

The U.S. has considerable responsibilities, both to match its strong rhetoric on behalf of Kosovo independence with more consistent action toward that goal – President Bush signally failed to press Russian President Putin at their recent seaside summit in Kennebunkport – and to use its unparalleled influence with the Kosovo Albanians to keep them cooperative and constructive during the sensitive months ahead. But ultimately the EU is the key. The Ahtisaari plan foresees it sending a special representative with a large staff to coordinate civilian supervision of conditional independence and a rule of law mission, as well as providing through its membership candidacy processes the economic support and motivation that can ensure an independent Kosovo does not become a failed state. The EU has backed the Ahtisaari plan but a number of its members are sceptical about proceeding with it in the absence of a Security Council blessing. The EU members of the Contact Group need to do heavy lifting to prepare the organisation to meet its responsibilities.

UN Secretary-General Ban Ki-moon has requested that the Contact Group report back to him on the Belgrade-Pristina talks in four months, by 10 December. This is the point at which, assuming, as seems overwhelmingly likely, that no agreed solution emerges from those talks, the EU, U.S. and NATO need to be ready to start coordinated action with the Kosovo government to implement the essence of the Ahtisaari plan, including the 120-day transition period it envisages. That transition period should be used to accumulate statements of recognition of the conditionally independent state from as many governments as possible; to adopt and set in place the state-forming legislation and related institutions foreseen by the Ahtisaari plan; for the Kosovo government (the present one or, depending on the date of elections, its successor) to invite the EU and NATO to take up their responsibilities and for those organisations to do so; and for the UN Interim Administration Mission in Kosovo (UNMIK) to withdraw in an orderly fashion. At the end of this period – in April/May 2008 – Kosovo would be conditionally independent, under EU and NATO supervision.

Not all EU member states need to recognise Kosovo during the transition or even in April/May 2008. The EU has procedures – “constructive abstention” and “enhanced cooperation” – that allow decisions to be taken and action to be set in motion when unanimity is not available. What is vital is to get the EU missions into Kosovo (and to reform the NATO mission) in a timely fashion. If that minimum degree of EU unity is not possible, the U.S. and some major European states would have to try to reproduce the basic elements of the international supervision and protection missions out of their own resources.

How sustainable such an ad hoc effort would be by those making it, and how effective it could be in giving Kosovo the motivational prospect of eventual European integration it needs to flourish, would be questionable. What would not be in doubt is the huge damage the EU would inflict on itself by having so obviously failed to act as a coherent international player to meet a major security challenge on its borders.

Without UN Security Council cover for independence, Serbia will be even more reluctant to let go of Kosovo. The new state will be haunted for years by an unrevoked Security Council Resolution 1244, which in 1999, at the end of the conflict with NATO, acknowledged Serbia’s formal retention of sovereignty for the interim period over the province it turned over to the UN. Serbia will continue to claim that sovereignty and, with Russia, will try to block Kosovo’s membership in international institutions. Belgrade will challenge Pristina’s ownership of the Serb-majority north all the harder, and international authority to defend Kosovo’s territorial integrity will be the weaker. Russia may seek to use the outcome for its own purposes in the frozen conflicts in the South Caucasus and Moldova.

These are all undesirable consequences, and ones that could largely have been avoided if the Security Council had paved the way to Kosovo’s independence under the Ahtisaari plan. But the consequences of inaction by the EU will be worse – for Kosovo, the Balkans and the EU itself. It is time to recognise this and act.

Pristina/Belgrade/New York/Brussels, 21 August 2007

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