Kosovo: temporiser à l'infini n'est pas un plan
Kosovo: temporiser à l'infini n'est pas un plan
Escalation in Northern Kosovo: Causes, Dangers and Prospects
Escalation in Northern Kosovo: Causes, Dangers and Prospects
Op-Ed / Europe & Central Asia 4 minutes

Kosovo: temporiser à l'infini n'est pas un plan

A l’issue d’une navette entre Belgrade et Pristina, les diplomates de la troïka ont évoqué pour la première fois une partition de la province.

Il aura fallu à la Serbie vingt ans de troubles civils, une guerre ravageuse et huit ans de protectorat international sur un morceau de son territoire, pour que son premier ministre Vojislav Kostunica déclare enfin avoir un plan pour l’avenir du Kosovo. Le seul problème c’est que personne, pas même le moindre responsable politique à Belgrade, ne semble savoir de quoi il s’agit. Malgré la rhétorique intransigeante de Belgrade exigeant que le Kosovo reste un territoire serbe, les autorités serbes — au travers de plusieurs coalitions gouvernementales ces dernières années — n’ont jamais fait de proposition quant à la façon dont les 90 % de la population albanaise de cette province dissidente pourrait un jour revivre de fait sous administration serbe.

Bien sûr, penser au sort de la population du Kosovo n’a jamais été le point fort de la Serbie ; après tout c’est le lieu où Belgrade s’est lancé dans une campagne d’épuration ethnique en 1999, massacrant des milliers de civils albanais et chassant près de 800 000 autres vers les pays voisins. Il n’y aura que les bombardements de l’Otan qui forceront un changement de politique. Si Belgrade dispose désormais bel et bien d’un plan, la seule chose que l’on sache à son propos nous vient de déclarations vaguement formulées, parfois même contradictoires, de la part du jeune ministre des Affaires étrangères, Vuk Jeremic, et du ministre pour le Kosovo, Slobodan Samardzic. En continuant de rejeter toute idée d’indépendance du Kosovo, le «plan» semble n’avoir aucun fondement et ne représente que le plus petit dénominateur commun nationaliste de la politique nationale serbe. La réponse avancée par Belgrade à la question du statut du Kosovo est de faire appel à l’Ouest pour sauver la démocratie serbe aux dépens de la stabilité régionale, et de lui demander de supporter tous les coûts financiers, juridiques et sécuritaires liés au refus d’indépendance du Kosovo et au maintien par la force de la souveraineté serbe. Belgrade n’a pas discuté de la manière, ni même de son intention d’intégrer les Albanais à la société, l’économie et la politique serbes. Elle n’a pas non plus mentionné leur avoir proposé les mêmes représentations parlementaires, garanties en matière de droits humains, droits culturels et protections particulières que ceux que les Albanais se verraient obligés de fournir à la minorité serbe du Kosovo, comme prévu dans la proposition de l’ONU. Une proposition élaborée avec soin par l’envoyé spécial de l’ONU Martti Ahtisaari après dix-huit mois de vaines négociations entre les deux camps pour parvenir à un accord.

Mais Belgrade espère que Bruxelles et Washington sautent sur cette offre et ignorent le fait que cela représente dans son ensemble une codification du statu quo. En raison du blocage de la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU, une troïka comprenant l’Union européenne, les Etats-Unis et la Russie vient de relancer un nouveau tour de négociations sur le statut du Kosovo, ne faisant que répéter les efforts précédents d’Ahtisaari. Durant la période initiale de navettes diplomatiques, on attend de la troïka qu’elle consulte Belgrade et Pristina dans l’espoir d’arriver, d’une manière ou d’une autre, à un compromis acceptable pour tous. Absolument rien ne laisse à penser que la position de Belgrade à l’égard du Kosovo changera lors de ces échanges politiques, quelle que soit la pression exercée. Les politiciens serbes sont dans l’incapacité de formuler un plan d’intégration des Albanais à la vie politique, sociale et économique de la Serbie parce que cela reviendrait à placer le gouvernement serbe face à des risques de politique interne irréversibles. Un tel plan rencontrerait de profondes difficultés au Parlement, largement dominé par les nationalistes. Encouragé par Moscou (qui poursuit ses propres intérêts cyniques), Belgrade semble même renforcer ses positions, à l’image d’une résolution du Parlement datant du 24 juillet dernier et qui autorise le gouvernement à prendre toutes les mesures qu’il estime nécessaires pour protéger la souveraineté serbe au Kosovo. Les autorités serbes travaillent aussi à la partition de la province, sorte de plan B et poursuite de la politique de Slobodan Milosevic. Elles espèrent qu’en bloquant et en retardant l’indépendance du Kosovo, les Albanais déclarent unilatéralement l’indépendance, ce qui diviserait la communauté internationale, ou s’adonnent à des violences qui donneraient bonne figure aux Serbes.

Entre-temps, l’horloge tourne et le Kosovo a besoin de réponses. Pendant huit ans, les Albanais du Kosovo ont attendu, assez ou — parfois, hélas — moins patiemment, de la communauté internationale qu’elle les tirent du vide juridique international et trouve une solution à leur statut. Bien que surpassant très largement en nombre toutes les minorités, les Albanais ont accepté de mettre en place un état multiethnique avec le régime de protection des minorités le plus élaboré jamais vu en Europe. Il leur apparaît désormais que la communauté internationale est à court d’excuses pour justifier les retards dans le projet de résolution de statut qu’elle a elle-même imaginé, et pour lequel les Albanais ont concédé tout ce qui était possible, manquant presque de compromettre la capacité de fonctionnement du nouvel Etat. Les Etats-Unis et l’Europe leur ont ­demandé de patienter encore cent vingt jours. Passé ce délai, la pression en vue d’une déclaration unilatérale d’indépendance se fera de plus en plus grande, qu’ils aient ou non un ­appui international.

Au final, Pristina ne demande rien de moins que l’indépendance, ce que Belgrade se refuse à accepter, laissant la troïka là où Ahtisaari s’était retrouvé bloqué : une ­impasse entre les parties et la nécessité pour le Conseil de sécurité de ­trancher. Etant donné le désir écrasant de la population du Kosovo de se libérer d’un Etat qui a tenté de l’éliminer et Belgrade ne proposant aucune alternative réaliste, la communauté internationale n’a pas d’autre choix que d’accorder au Kosovo son indépendance.

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