Le statut final du Kosovo est une affaire européenne
Le statut final du Kosovo est une affaire européenne
Escalation in Northern Kosovo: Causes, Dangers and Prospects
Escalation in Northern Kosovo: Causes, Dangers and Prospects
Op-Ed / Europe & Central Asia 4 minutes

Le statut final du Kosovo est une affaire européenne

Alors que le Kosovo bout d'impatience, les dernières négociations de Vienne sur son statut n'ont pu débloquer des positions diamétralement opposées, et les déclarations de Poutine mettent les Occidentaux dans l'embarras.

Il aurait fallu ne rien connaître aux Balkans ou croire aux miracles pour imaginer que les choses se débloqueraient lors des dernières négociations de Vienne sur le statut final du Kosovo. Pour satisfaire le gouvernement russe qui clame ne vouloir soutenir qu'une solution acceptable pour Belgrade et Pristina, le médiateur de l'ONU Martti Ahtisaari avait réuni à Vienne les deux parties pour deux semaines de négociations qui s'achevèrent il y a dix jours sans progression aucune.

Après quatorze mois de discussions restait-il toutefois quelque chose à négocier entre deux entités dont les positions demeurent diamétralement opposées? La proposition finale d'Ahtisaari représente un compromis qui équilibre un Kosovo fonctionnel tout en garantissant les droits de la communauté serbe.

Pour le premier ministre serbe, Vojislav Kostunica, il s'agissait par principe de ne rien lâcher à Vienne. De ne pas admettre que son pays puisse être amputé de quinze pour cent de son territoire. D'ignorer que c'est la Serbie et non ses voisins qui s'est bercée du rêve meurtrier d'une Grande Serbie, au début des années 90, ce qui plongea les Balkans dans une décennie d'horreurs.

Accepter le départ du Kosovo, après celui du Monténégro qui a quitté à pas feutrés l'accolade du grand frère par référendum l'an dernier, serait un coup trop fort porté à l'orgueil national serbe. Kostunica incarne le regard dénué de recul critique que continue à porter la majorité des Serbes sur les guerres des années 90.

Pour le président serbe, Boris Tadic, plus pragmatique que son premier ministre et surtout beaucoup plus lucide sur le passé lourd qu'il lui faut gérer, il s'agissait de ne rien lâcher à Vienne avant la formation du nouveau gouvernement serbe (le résultat des élections de janvier oblige les partis à de nombreuses tractations). Si le parti de Kostunica obtient le contrôle des ministères forts, l'espoir de voir l'armée et les «services» livrer au tribunal international de La Haye les leaders serbes de Bosnie Karadzic et Mladic recherchés pour crimes contre l'humanité serait nul. Et la coopération avec l'Union européenne repoussée aux calendes grecques. L'enjeu pour Tadic est donc purement politique et de politique purement intérieure serbe.

La communauté internationale s'est montrée plus qu'accommodante dans sa volonté d'adapter la marche vers un statut final du Kosovo au calendrier politique serbe. Martti Ahtisaari avait déjà repoussé la présentation de son rapport afin de ne pas perturber les élections du 21 janvier et c'est désormais la difficulté à former un nouveau gouvernement à Belgrade qui risque de retarder encore le processus.

Pour le président du Kosovo, Fatmir Sejdiu, et son premier ministre Agim Ceku, le statut final de la province ne peut être qu'une indépendance claire vis-à-vis de Belgrade. Si tout le monde à Pristina semble prêt à accepter un certain degré de contrôle international durant les premières années d'indépendance, aucune force politique n'envisage autre chose que la reconnaissance d'un Etat kosovar.

Le Kosovo bout d'impatience. Le taux de chômage y est parmi les plus élevés d'Europe. Gouverné depuis huit ans par mandat international, ses institutions sont faibles. Comment attirer des investisseurs dans une région qui n'a aucun statut international? Comment s'expatrier pour travailler à l'étranger, lorsqu'on ne dispose d'autre document qu'un certificat de l'ONU qu'aucun garde-frontière européen n'accepte comme titre de voyage?

Sejdiu et Ceku se sont rendus à Vienne par obligation, tout en sachant que leur population refuse d'envisager à la fois un Kosovo aux institutions encore plus faibles que celles du projet de M. Ahtisaari ainsi que de nouveaux délais dans la détermination du statut final. Ils savent également que le moindre dérapage sérieux, le moindre mouvement de foule contre du personnel international sur le terrain fournirait des arguments de poids à tous ceux qui voient avec crainte le Kosovo devenir indépendant.

Parviendront-ils à retenir leur base si la perspective d'une date butoir claire pour le règlement du statut final n'est pas bientôt fixée pour les prochains mois? On peut en douter. Le sentiment de fatigue générale face à une communauté internationale qui hésite et semble se laisser mener par les impératifs de Belgrade risque de faire le nid des extrémistes kosovars. A force de vouloir éviter à la Serbie de tomber dans les mains des nationalistes, la communauté internationale pourrait aboutir à jeter le Kosovo dans les bras des siens...

La Russie de Vladimir Poutine ne joue pas, sur ce dossier, un rôle très positif. Le président russe est allé jusqu'à suggérer que le statut final du Kosovo fasse école pour les autres entités indépendantes non reconnues dans l'espace ex-soviétique. En tirant ce parallèle, Poutine a certainement plongé non seulement les Occidentaux, mais ses propres diplomates, dans l'embarras.

La comparaison semblait si difficile à tenir que l'on pouvait légitimement se demander ce que Poutine cherchait à obtenir en échange. Une reconnaissance d'une Transnistrie ou d'une Abkhazie indépendantes? Probablement pas. Mieux que quiconque, M. Poutine connaît la boîte de Pandore qu'une telle démarche pourrait ouvrir dans le Caucase russe. Une garantie que la Géorgie ne rejoigne jamais l'OTAN? Ce serait bien mal connaître le fonctionnement de l'Alliance atlantique.

Alors, ne serait-ce qu'un coup de bluff de la grande puissance retrouvée, heureuse d'affirmer son pouvoir et... d'ennuyer l'Europe? Cette dernière hypothèse semble, hélas, ne pas être la plus absurde. La position russe a déjà eu le mérite de renforcer les doutes des pays de l'Union réticents à l'indépendance du Kosovo. Or une désunion des Vingt-Sept sur le dossier du Kosovo aurait des conséquences désastreuses non seulement sur la stabilité dans les Balkans, mais également sur la capacité de l'Europe à se poser comme une puissance capable de faire le ménage chez elle et à régler ses propres conflits.

Européens et Américains paient le prix fort en monnaies sonnantes et trébuchantes ainsi qu'en hommes postés sur le terrain. Ce sont eux et non les Russes qui assumeront le coût d'un délai. La Suisse est d'ailleurs partie prenante de ces efforts européens. Et Micheline Calmy-Rey est, à ce stade, la seule ministre des Affaires étrangères du continent qui ait eu le courage de parler, dès l'an dernier, de l'indépendance du Kosovo, alors que le mot reste tabou dans toutes les autres capitales.

Le statut final du Kosovo est donc déjà une affaire strictement européenne. Moscou devrait le comprendre. User de son veto à New York pour bloquer la résolution d'un conflit en Europe serait un geste qui laisserait des traces profondes dans les relations qui déjà se détériorent entre la Russie et l'Europe. On peut espérer que la sagesse l'emportera cette semaine lorsque le dossier sera renvoyé au Conseil de sécurité.

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