Paris-Moscou, sombre partenariat
Paris-Moscou, sombre partenariat
Is Moscow the Big Winner from War in the Middle East?
Is Moscow the Big Winner from War in the Middle East?
Op-Ed / Europe & Central Asia 3 minutes

Paris-Moscou, sombre partenariat

Depuis quelques années, lorsqu’il s’agit de décrire les relations entre l’Union européenne et la Russie, le mot à la mode en Russie est celui de «partenaires». Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev l’utilisent particulièrement en période de crises très graves. Lors du conflit en Géorgie d’août 2008, alors que la guerre des médias faisait rage entre Russes et Européens, les dirigeants à Moscou ne cessaient de parler de leurs «partenaires occidentaux ou européens». Dans la polémique soulevée en France et en Russie par la possibilité de la vente à l’armée russe de navires de type Mistral, ce vocabulaire est passé tout à coup de Moscou à Paris. Nicolas Sarkozy estime en effet qu’on ne peut pas parler de véritable partenariat avec Moscou sans faire pleinement confiance aux Russes, y compris dans le domaine de la défense.

Il a partiellement raison. La Russie d’aujourd’hui n’est certes plus l’Union soviétique, ni dans sa puissance ni dans ses prétentions idéologiques sur l’Europe occidentale et le reste du monde. Elle est un pays de poids moyen dont les échanges avec l’Europe sont aussi essentiels pour elle que pour l’Union européenne. Que serait le Trésor russe sans les devises que les Européens lui paient chaque mois pour l’achat de matières premières, plus particulièrement de son gaz? Où en serait la sécurité énergétique des Européens sans cet immense voisin aux ressources énergétiques presque illimitées? Malgré les divergences en matière de droits de l’homme et de respect des normes démocratiques, il est évident que les partenariats stratégiques entre la Russie et l’Union européenne font déjà de ces deux espaces géographiques une zone économiquement très interdépendante.

Mais lorsqu’il s’agit de défense, les partenariats prennent du plomb dans l’aile. Alors que Nicolas Sarkozy vient de réintégrer la France dans les structures de commandement de l’OTAN, Dmitri Medvedev publie tout juste la nouvelle doctrine de défense de la Fédération de Russie dans laquelle l’Alliance atlantique est désignée comme la première menace sécuritaire pour la Russie, bien avant le terrorisme. S’agit-il là d’un effet de manche à destination de son opinion publique? Peut-être, car les observateurs les plus proches du Kremlin ont du mal à croire que le président tienne vraiment l’OTAN pour le plus grand défi sécuritaire d’un pays qui se vide et dans lequel les tendances centrifuges et la criminalité organisée font peser une menace bien plus forte sur la viabilité de l’Etat russe qu’une alliance de démocraties en réflexion profonde sur sa mission… Mais le président Medvedev a décidé de désigner l’OTAN comme son ennemi numéro un. Et la France fait partie de l’OTAN. Serait-il donc bien raisonnable d’armer un «partenaire» qui vient de désigner l’alliance que la France a choisie de pleinement réintégrer comme son principal ennemi sans d’abord éclaircir ce point?

Les petits voisins de la Russie s’alarment de ce réarmement russe à leur frontière. Et pas seulement les ex-soviétiques… La très neutre Finlande s’inquiète à tel point que les Finlandais débattent désormais ouvertement de la possible adhésion de leur pays à l’OTAN. La Géorgie aussi est particulièrement nerveuse. Le président Medvedev ne cesse d’accuser Tbilissi de réarmer et de poster du matériel militaire lourd sur les lignes de séparation avec l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie. La mission d’observation de l’Union européenne sur le terrain nie complètement ces affirmations russes et d’aucuns se demandent pourquoi le président russe continue à tenir ces propos belliqueux. Chercherait-il un prétexte pour lancer, lorsque les conditions internationales le lui permettraient, une attaque en règle sur Tbilissi comme le croient les Géorgiens? On ose espérer qu’il n’en est rien, mais Nicolas Sarkozy devrait toutefois s’assurer auprès de la mission européenne qu’il a contribué à créer, qui de son «partenaire» ou de ses observateurs dit, en fin de compte, la vérité sur cette question sensible.

Enfin, les accords qui ont mis fin à la guerre de Géorgie en 2008 ont été signés par Nicolas Sarkozy en sa qualité de président de l’Union européenne et Dmitri Medvedev au nom de la Fédération de Russie. Or Moscou continue à ignorer l’un de ses points clés et maintient des troupes au-delà des positions d’avant le conflit. Paris semble s’accommoder sans trop de mal qu’un accord signé par le président de la République française, au nom de 500 millions d’Européens qu’il représentait en 2008, soit si simplement bafoué et versé aux oubliettes de l’histoire.

Vendre des Mistral à Moscou pourrait certainement renforcer les liens de partenariat entre la France et la Russie. Mais il serait sage pour les deux parties de dégager d’abord les cieux de ces encombrants nuages qui continuent à gêner la visibilité dans les relations avec les Russes. Paris aurait beaucoup à perdre en crédibilité dans la région, et en Russie même, si des Mistral français devaient être livrés à la Russie avant que la question de la sécurité des voisins immédiats, particulièrement de la Géorgie, et celle de la désignation de l’OTAN, donc de la France, comme ennemi principal de la Fédération de Russie ne soient abordées en toute sincérité. A moins que l’Elysée ne s’accommode d’une France qui ne serait plus qu’une puissance mercantile…

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