Report / Europe & Central Asia 3 minutes

Risques énergétiques en Asie centrale

Le pétrole et le gaz semblent être aussi bien une bénédiction qu’un fardeau pour les pays d’Asie centrale.

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Synthèse

Le pétrole et le gaz semblent être aussi bien une bénédiction qu’un fardeau pour les pays d’Asie centrale. Les trois producteurs de pétrole et de gaz de la région, le Kazakhstan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan, semblent présenter les symptômes de la « malédiction des ressources naturelles » : les États riches en énergie ne parviennent pas à prendre leur essor ou ne développent que des économies déséquilibrées et instables. Leur position géographique et leur histoire au sein de l’Union soviétique les ont liés à la Russie, à travers laquelle la majeure partie de leurs exportations énergétiques doit passer. Moscou, qui n’a pas hésité à couper le robinet du gaz pour faire peser des pressions commerciales ou politiques, s’avère être un partenaire peu fiable pour les consommateurs étrangers. Un faible niveau d’investissement, la corruption et une mauvaise gestion flagrante pourraient contribuer à la diminution des réserves de l’Ouzbékistan et du Turkménistan avant qu’ils ne diversifient leurs relations avec les marchés ou leurs économies. La question de l’énergie amènera probablement l’instabilité dans cette région d’Asie centrale et il y a peu de chances qu’elle devienne un facteur d’amélioration de la sécurité énergétique à court terme en Europe.

Le principal problème de l’énergie est la malédiction des ressources naturelles. Le Kazakhstan s’est révélé meilleur gestionnaire que les autres mais des difficultés sont à prévoir : davantage d’argent a été dépensé dans des projets pharaoniques comme Astana, la nouvelle capitale, que dans la santé ou l’éducation. La corruption s’est infiltrée dans tout le gouvernement et les régions productrices de pétrole se plaignent déjà de ce qu’elles considèrent comme un développement inégal. La croissance a été considérable mais les disparités devant la richesse se sont accrues plus rapidement. Le pays affiche un revenu par habitant équivalent à celui de la Bulgarie mais aussi une espérance de vie d’une décennie inférieure. L’économie ne se diversifie pas, la production a été ralentie par une monnaie surévaluée et, si les prix de l’énergie devaient chuter, c’est tout le pays qui en subirait les conséquences.

Tous ces problèmes sont encore plus graves au Turkménistan, cette grande puissance exportatrice de gaz pillée par Saparmurat Niazov, dictateur excentrique et violent qui gouverna le pays comme son fief personnel jusqu’à sa mort, en décembre 2006. Le gaz était essentiellement vendu à l’entreprise russe Gazprom, qui maintenait ses prix bas pendant que M. Niazov amassait des fortunes à l’étranger. Malgré un revenu par habitant relativement élevé, la plupart des Turkmènes sont pauvres. L’investissement dans la production d’énergie a diminué et le pays manque des compétences techniques nécessaires. Reste encore à voir si la situation va changer avec le nouveau chef de l’État, protégé de M. Niazov, arrivé au pouvoir grâce à des élections marquées par des irrégularités.

L’Ouzbékistan est le pays qui dispose le moins de pétrole et de gaz des trois producteurs. Cet importateur net de pétrole a vendu à la Russie une grande partie de sa production de gaz, déjà amoindrie, à prix réduit. Le secteur énergétique a un certain nombre d’effets délétères sur les Ouzbeks ; une grande partie de l’argent est confisquée par les élites et ne pénètre pas à l’intérieur du pays, mais il est aussi utilisé pour soutenir un système de sécurité lourd et violent. Sans oublier l’approvisionnement en gaz souvent coupé en hiver, de manière à pouvoir le vendre à l’étranger et faire entrer dans les caisses environ un demi milliard de dollars ; des villes entières se retrouvent sans chauffage durant des hivers particulièrement rigoureux, ce qui provoque souvent des manifestations.

Il est probable que les problèmes liés à la malédiction des ressources naturelles alimentent les tensions autour de la succession présidentielle au Kazakhstan et en Ouzbékistan. Aucun des deux pays n’a en effet acquis les institutions qui permettraient de surmonter un éventuel choc des prix ou de gérer les tensions créées par les imprévus des ressources naturelles. L’argent coule à flots dans les puissants cercles présidentiels. La compétition risque de faire rage lorsque les responsables actuels devront laisser leur place. En Ouzbékistan, les services de sécurité chercheront à rester présents dans les affaires, dont ils tirent la majeure partie de leur revenu.

En dépit de ces problèmes, l’Europe et la Chine comptent sur la région pour apaiser leurs inquiétudes relatives à la sécurité énergétique. Les décideurs européens prévoient de développer leurs relations avec les États d’Asie centrale et la sécurité énergétique est un élément important de cette volonté, qui d’une certaine manière est tout à fait légitime : le Kazakhstan dispose de la onzième réserve de pétrole au monde et probablement de la plus grande capacité de croissance de la production de tous les pays non membres de l’OPEP. Mis à part la Russie, ce pays est le seul à être en mesure de fournir la Chine en pétrole par oléoduc direct. Mais les flots de pétrole coulant actuellement vers la Chine dépendent de la Russie et, plus important encore, les quantités de gaz qui pourraient éventuellement être acheminées d’Asie centrale vers l’Europe sont insuffisantes pour modifier le paradigme des relations énergétiques entre l’Europe et la Russie. Ce qui pourrait apaiser les inquiétudes européennes, plutôt que de tenter d’accroître l’approvisionnement en Asie centrale, c’est l’engagement d’un véritable dialogue avec la Russie, la rénovation des infrastructures obsolètes, la fin des subventions intérieures russes pour limiter la demande intérieure et enfin l’utilisation rationnelle de l’énergie.

L’inquiétude devrait moins porter sur la sécurité énergétique des pays occidentaux que sur ces pays d’Asie centrale : ils représentent une source d’insécurité généralisée pour la région et d’insécurité humaine pour ses habitants. Les revenus considérables générés doivent se traduire en résultats à leur mesure. Les priorités pour y parvenir sont une bonne gouvernance, des dépenses efficaces et le développement de l’État de droit. Le pétrole et le gaz offrent un raccourci vers l’enrichissement, mais il n’y a pas de raccourci vers le développement politique et économique nécessaire pour que ces pays prennent le chemin de la paix et de la prospérité.

Bruxelles/Bichkek, 24 mai 2007

Executive Summary

Oil and gas are proving as much a burden as a benefit to Central Asia. The three oil and gas producers in the region – Kazakhstan, Turkmenistan and Uzbekistan – are showing signs of the “resource curse” under which energy-rich nations fail to thrive or develop distorted, unstable economies. Geography and their history in the Soviet Union have bound them to Russia, through which most of their energy exports must be transported. Moscow is proving to be an unreliable partner for foreign consumers as it has been willing to cut off pipelines to apply commercial or political pressure. Low investment, corruption and gross mismanagement in Uzbekistan and Turkmenistan may mean that their supplies run low before they can diversify their links to markets or their economies. Central Asia is likely to see energy create instability within the region; the chances are low that it will be a factor in improving European energy security any time soon.

Foremost among the energy problems is the resource curse. Kazakhstan has been the most skilful in the use of its money but it is showing all the signs of problems to come: more has been spent on Pharaoh-like projects such as the new capital Astana than on healthcare or education. Corruption infuses the government and oil-producing regions are already restive over what they see as unequal development. Growth has been impressive but the wealth gap has widened faster. The country now has about the same income per person as Bulgaria but life expectancy is a full decade lower. The economy remains undiversified, manufacturing has been stunted by an over-valued currency and the whole country will be subject to a shock if energy prices come down.

All these problems are even more extreme in Turkmenistan, a major gas exporter that was pillaged by the eccentric and brutal dictator Saparmurat Niyazov who ran the country as his personal fiefdom until his death in December 2006. Gas was mostly sold to the Russian firm Gazprom, which kept prices low while Niyazov amassed a fortune outside the country. Despite a relatively high per capita income, most Turkmen live in poverty. Investment in energy production has faltered and the country lacks key technical skills. It remains to be seen if this will change under the new leader, a close protégé of Niyazov, who came to power in a rigged election.

Uzbekistan has the least oil and gas of the three producers. It is a net oil importer and much of its declining gas output has been sold to Russia at low prices. The energy sector has a number of deleterious effects on the Uzbek people; most of the money goes to the elite and stays outside the country, while some is used to support a massive and brutal security system. On top of this, domestic gas supplies are often cut in winter so the gas can be sold abroad raising about half a billion dollars; entire cities sit unheated in freezing weather, often provoking protests.

Resource curse issues are likely to worsen tensions over presidential succession in Kazakhstan and Uzbekistan; neither country has developed institutions that could weather any price shock or manage the tensions that resource windfalls create. As money flows to powerful presidencies, competition is likely to be keen when the current leaders leave the scene. In Uzbekistan, the security services will want to keep a hand in the business that provides them with a major share of their income.

Despite these problems, Europe and China have been looking to the region to ease anxieties over energy security. European policy-makers plan to expand their relations with the Central Asian states and energy security is a key factor driving this. To some degree this is legitimate: Kazakhstan has the eleventh largest oil reserves in the world and probably has the greatest capacity for production growth of any non-OPEC member. The country is the only one apart from Russia that can supply China with oil by direct pipeline. But current oil flows to China are dependent on Russia, and more importantly, the amount of gas that could potentially flow from Central Asia to Europe is not enough to change the paradigm of Europe’s energy relationship with Russia. Fuller engagement with Russia, improvements to creaking infrastructure, an end to Russian domestic subsidies to cut domestic demand and conservation would do more to ease European concerns than attempts to expand purchases from Central Asia.

The concern should be less about the West’s energy security and more about these countries as a source of generalised insecurity for the region and the human security of their inhabitants. The enormous revenues being generated need to be translated into commensurate outcomes. In order to do this, good governance, effective spending, and the development of the rule of law are priorities. Oil and gas may be shortcuts to wealth, but there is no shortcut to the political and economic development that will take these countries on paths to peace and prosperity.

Brussels/Bishkek, 24 May 2007

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