Ouzbékistan, ne pas relâcher les sanctions
Ouzbékistan, ne pas relâcher les sanctions
Op-Ed / Europe & Central Asia 4 minutes

Ouzbékistan, ne pas relâcher les sanctions

Un an après le massacre d'Andijan, l'UE a tout intérêt à faire preuve de fermeté avec le régime d'Islam Karimov.

L'Union européenne aura une occasion unique de démontrer sa capacité à rester unie et ferme sur un dossier difficile : le renouvellement des sanctions envers l'Ouzbékistan. Après le massacre perpétré dans la ville d'Andijan en mai de l'année dernière et la répression qui s'est abattue sur la ville aussitôt après, l'Union européenne avait agi avec rigueur et fermeté en imposant des sanctions ciblées sur les officiels ouzbeks directement impliqués dans le massacre. Un an plus tard, les ministres des Vingt-Cinq vont devoir se prononcer sur le maintien de ces sanctions. Les Etats-Unis de M. Bush, engoncés dans le désastre de leur propre politique étrangère, ont soutenu jusqu'au bout le dictateur ouzbek et n'ont pris aucune sanction contre lui. Il les a remerciés en leur donnant six mois pour fermer leurs bases militaires dans le pays. Face à la mollesse d'une administration américaine pourtant prompte à utiliser la menace, la fermeté de l'UE envers le régime ouzbek est d'autant plus remarquable et nécessaire.

Trois options s'offrent aux ministres : 1. renforcer les sanctions existantes en y incluant le responsable suprême : le président Islam Karimov ; 2. prolonger les sanctions existantes ; 3. les lever ou les adoucir sous prétexte d'ouvrir un "dialogue" avec le gouvernement ouzbek. La tendance naturelle des chancelleries semble pencher pour un adoucissement des sanctions afin d'ouvrir un dialogue. Cette tendance s'observe peut-être plus à Berlin qu'ailleurs, l'Allemagne ayant particulièrement soigné sa relation avec Tachkent. Dialoguer avec Islam Karimov et son régime est-il encore possible ? Le dernier Européen de poids à avoir pris ce risque, bien avant le massacre d'Andijan, est probablement le Français Jean Lemierre, président de la Banque européenne de reconstruction et de développement. Contre l'avis de plusieurs organisations de défense des droits de l'homme, M. Lemierre avait courageusement maintenu son projet de tenir l'assemblée annuelle de la banque à Tachkent en 2003. Il arrivait avec des promesses substantielles pour le gouvernement ouzbek, qui auraient dû être attractives pour n'importe quel dirigeant soucieux du développement économique de son pays, contre quelques gestes concrets en matière de démocratisation et de respect des droits humains. Non seulement M. Lemierre ne reçut en retour que de vagues promesses jamais tenues, mais Karimov démontra aux naïfs qui croient au dialogue sa conception toute personnelle des échanges : dès que M. Lemierre aborda, dans son discours d'ouverture, les questions de démocratisation et de droits de l'homme, le président ouzbek ôta les écouteurs de traduction et se boucha ostensiblement les oreilles en les recouvrant de ses mains. Un geste plus grossier serait-il donc nécessaire aux Européens pour leur faire comprendre que cet homme ne comprend pas et ne désire pas le dialogue ?

Certains croient voir dans la nomination toute récente de Vladimir Norov au poste de ministre des Affaires étrangères un signe d'ouverture. Ancien ambassadeur à Berlin, M. Norov a été nommé ministre cet été, alors qu'il était ambassadeur auprès de l'Union européenne à Bruxelles. Sa connaissance de l'Europe, son ouverture d'esprit en font certes une personnalité appréciable pour "dialoguer" avec l'Europe. Mais pourra-t-il influencer en quoi que ce soit la politique intérieure du régime, celle-là même qui, plus que jamais, devient inadmissible pour ce créateur de normes qu'est l'Union européenne ? On peut en douter. Au vu de la situation sur le terrain, les rencontres amicales avec un ministre, par ailleurs fort avenant et fin diplomate, ne suffiront plus.

Or la situation intérieure ne s'est guère améliorée depuis l'an dernier. La plupart des organisations non gouvernementales étrangères ont été chassées du pays. Les journalistes dignes de ce nom paient un tribut élevé à l'exercice de leur profession. Arrestations, tortures, enfermement dans des asiles psychiatriques : tout est bon pour empêcher toute expression de la moindre divergence de vue avec la ligne officielle.

Tous ceux qui ont mis leurs convictions en sourdine afin de "dialoguer" avec M. Karimov doivent aujourd'hui se rendre à l'évidence : le régime ouzbek est désormais l'un des plus répressifs d'Eurasie. Son autisme prépare en Ouzbékistan le terrain idéal pour les extrémistes à tous crins. Une population poussée au désespoir qui n'a plus rien à perdre saura bien un jour reconnaître les amis de son bourreau. L'Union européenne, qui a peu investi dans le pays, a tout à gagner et peu à perdre en faisant preuve de fermeté avec le régime de M. Karimov. L'administration Bush a été bien mal payée de sa volonté affichée de fermer les yeux sur les abus du régime. La Russie, fort empressée à signer un accord de coopération avec M. Karimov l'an dernier, n'a pas réussi elle non plus à engager un "dialogue" sérieux sur les questions qui lui tiennent à coeur, entre autres sur l'ouverture des frontières ouzbeks, dont la rigidité asphyxie le Tadjikistan et le sud du Kirghizistan. Fort consciente des dangers qu'un régime aussi dur dans un pays aussi instable fait peser sur toute la région, elle n'a à ce jour enregistré aucun succès tangible quant à la situation intérieure de l'Ouzbékistan, alors qu'elle s'est profilée généreusement comme le pays défenseur de Karimov sur la scène internationale. L'Union européenne serait bien mal inspirée de suivre son exemple. Comme beaucoup de personnages de son style, M. Karimov sait reconnaître la valeur de ses adversaires à leur capacité à lui tenir tête. Une Union européenne incapable de tenir le cap qu'elle s'est fixé l'an dernier perdrait immédiatement en crédibilité. Or un dialogue efficace ne peut se bâtir sans crédibilité.

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