Ouzbékistan : pourquoi l'Europe ne doit pas lever l'embargo
Ouzbékistan : pourquoi l'Europe ne doit pas lever l'embargo
Op-Ed / Europe & Central Asia 3 minutes

Ouzbékistan : pourquoi l'Europe ne doit pas lever l'embargo

" Le plus petit dénominateur commun ". On préfèrerait que les décisions de l'Union européenne en matière de politique extérieure suivent un autre principe. Pourtant, de plus en plus souvent, c'est cette règle que nous semblons suivre. Cette tendance n'ignore pas seulement le sort des victimes, elle fragilise aussi l'influence de l'Union européenne.

En 2005, les forces de sécurité ouzbèkes tuèrent 750 civils qui manifestaient dans la ville d'Andijan. En réponse à ce massacre, l'UE imposa un ensemble de sanctions comprenant un embargo sur les armes. Pendant ces quatre dernières années, les sanctions ont été abandonnées une à une a l'exception de l'embargo sur les armes. L'embargo lui-même sera levé lors de la réunion des ministres européens des Affaires étrangères du 26 et 27 octobre, à moins que son maintien ne fasse l'unanimité.

Sur le plan des droits de l'homme, rien n'a changé depuis 2005, et rien n'a été fait pour désigner les responsables du massacre. Par conséquent, la levée de l'embargo serait un nouvel exemple de l'affaiblissement des réactions européennes face aux violations des droits de l'homme.

En plus de l'embargo sur les armes, les sanctions de l'UE comprennent l'interdiction ciblée de voyager, le gel des avoirs et des restrictions commerciales. Elles permettent d'interdire aux hommes d'affaires birmans liés à la junte de faire du commerce en Europe. Elles entravent l'activité des banques iraniennes. Elles empêchent les pays qui massacrent leurs civils de se servir d'armes européennes.

Cet ensemble a des lacunes : il n'empêche pas Mugabe de se présenter au sommet de Lisbonne ; quand Pékin finance la junte de Naypyidaw, les restrictions européennes sur le commerce et les avoirs n'ont plus beaucoup de sens ; enfin, un embargo sur les armes n'a que peu d'utilité quand il vise une autocratie qui se fournit dans les marchés voisins. En Ouzbékistan, le régime n'a pas besoin des technologies européennes : les fusils soviétiques suffisent pour tuer ses citoyens.

Les critères qui définissent le maintien des sanctions ont été revus à la baisse eux aussi. L'embargo qui pèse sur la Chine depuis le massacre de Tien An Men il y a vingt ans ne sera levé que si son abandon fait l'unanimité. En Ouzbékistan, c'est le maintien de l'embargo qui doit faire l'unanimité.

On conçoit les raisons internes d'une telle faiblesse. La difficulté de préserver l'unanimité chez les 27 en est une. Reste que le message donné au dehors est celui d'une indulgence sélective. Il arrive d'ailleurs que les Etats se moquent des propres mesures qu'ils ont soutenues : les sanctions de l'UE venaient d'entrer en vigueur quand le ministre ouzbek des Affaires étrangères, pourtant interdit de voyage, se fit soigner en Allemagne.

L'Europe n'est pas une puissance mondiale au sens traditionnel. Pourtant, elle inclut certaines des forces de sécurité les plus importantes du monde, et elle est à la pointe de l'aide au développement. Elle est une puissance normative : un leader social et culturel dont la légitimité repose sur la diversité, l'intégration et la primauté du droit. Puissance normative, elle ne peut pas se permettre d'agir en désaccord avec ses propres principes sans détruire son image et son influence.

Si l'UE échoue à suivre les principes dont elle se réclame pourtant, c'est parce qu'une tension existe entre l'intérêt national et l'intérêt de l'Union dans son ensemble. Dans le domaine des relations extérieures, la prérogative des Etats l'emporte quand les intérêts nationaux et européens s'opposent. L'égoïsme d'un seul endommage la crédibilité de tous.

Toute société qui se réclame d'un ensemble de principes mais en suit un autre se fait du tort a elle-même. Qu'on pense combien les relations extérieures des Etats-Unis ont souffert quand des combinaisons oranges enchaînées derrières les grillages de Guantanamo et d'ailleurs ont révélé un espace où les principes du pays n'avaient plus cours.

L'embargo sur les armes qui pèse contre l'Ouzbékistan est largement symbolique, mais les symboles importent pour une puissance comme l'Europe. L'abandonner, ce serait éroder un peu plus l'influence de l'Union.

Avec la levée de cette sanction et l'affaiblissement d'autres sanctions, le message qui est donné aux partenaires de l'UE est le suivant : que notre discours sur l'éthique et les lois ne vous trompe pas - si vous avez quelque chose à nous offrir, nous sommes prêts à décréter l'embargo sur nos valeurs.
 

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