Briefing / Europe & Central Asia 2 minutes

Assassinat politique en Asie centrale : la fin de l’isolement de l’Ouzbékistan peut bien attendre

Des signes révélateurs semblent indiquer que les forces de sécurité ouzbèkes ont assassiné, en octobre 2007, l’un des journalistes kirghizes les plus en vue, Alisher Saipov, durant la préparation des élections présidentielles qui se sont déroulées en fin d’année en Ouzbékistan, sans doute en raison de son implication au sein du parti Erk (Liberté), parti d’opposition dominant actif depuis Istanbul.

Synthèse

Des signes révélateurs semblent indiquer que les forces de sécurité ouzbèkes ont assassiné, en octobre 2007, l’un des journalistes kirghizes les plus en vue, Alisher Saipov, durant la préparation des élections présidentielles qui se sont déroulées en fin d’année en Ouzbékistan, sans doute en raison de son implication au sein du parti Erk (Liberté), parti d’opposition dominant actif depuis Istanbul. Si les faits sont avérés, il semblerait que les organes de sécurité, sur lesquels le président Islam Karimov s’appuie pour rester au pouvoir, sont de plus en plus enclins à réagir dès qu’ils perçoivent le moindre danger, même s’ils doivent pour cela recourir à des frappes préventives en territoire étranger. Ce pourrait être un signe non seulement de l’implacabilité du régime mais aussi de sa fragilité grandissante. À tout le moins c’est le signe pour les États-Unis et l’Union européenne (UE) qu’ils doivent résister à la tentation, en réponse à la réélection suspecte de Karimov en décembre 2007, de se rapprocher de Tachkent dans l’espoir apparent de reprendre ou maintenir des bases militaires utiles aux opérations en Afghanistan et de prendre de court la Russie.

Au Kirghizstan, le meurtre de Saipov a ébranlé l’establishment et embarrasse profondément les organes de maintien de l’ordre. Politiciens et enquêteurs judiciaires ont officiellement rejeté la thèse de l’assassinat politique présentée par la police secrète ouzbèke et imputent plutôt sa mort aux relations douteuses que la victime entretenait avec des fondamentalistes islamistes. Mais certains signes semblent trahir l’intérêt voire la responsabilité de Tachkent.

La mort de Saipov a mis à nu la politique profondément ambigüe que le Kirghizstan applique à l’égard de son puissant voisin. Les organes de sécurité et de maintien de l’ordre kirghizes semblent avoir eu connaissance de menaces ouzbèkes à l’encontre du journaliste sans avoir rien fait pour les neutraliser. De fait, Bichkek se plaint de ce que, dans le sud du pays, des Kirghizes d’origine ouzbèke ont des revendications excessives pour réclamer davantage de pouvoir politique dans les zones frontalières, et a quasiment donné carte blanche aux services spéciaux ouzbèkes sur son propre territoire.

Cependant, en privé, de hauts responsables kirghizes expriment leur frustration face à la situation politique en Ouzbékistan. Ils déplorent que la brutalité de Karimov et son insistance bornée à se maintenir au pouvoir soient les principaux facteurs qui expliquent la croissance d’un mouvement islamiste radical clandestin dans le pays et se plaignent de ce que son gouvernement refuse de se pencher sur les questions de sécurité que cela pose. La rudesse et la paranoïa du président, disent-ils, ont aliéné jusqu’à son entourage proche et ils s’inquiètent de ce que son départ, le moment venu, laissera un vide dangereux qui pourrait faciliter l’arrivée massive de réfugiés transfrontaliers.

Le 16 janvier 2008, Karimov a prêté serment pour un troisième mandat après avoir défait trois candidats lors d’élections vivement critiquées par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) mais dont la Communauté des États indépendants, fortement influencée par Moscou, s’est félicitée. Les responsables ouzbèkes estiment que l’UE et les États-Unis vont désormais adoucir leur position envers l’Ouzbékistan et il se pourrait qu’ils aient raison. Karimov a reçu un diplomate européen dès le lendemain de son investiture et l’amiral qui dirige de commandement central américain la semaine suivante.

L’affaire Saipov, si le régime ouzbèke était effectivement responsable, indique toutefois qu’il serait malavisé de chercher à alléger les sanctions que l’UE avait mises en place après les massacres perpétrés en mai 2005 dans la ville ouzbèke d’Andijan, à restaurer l’aide que les États-Unis avait réduite, ou plus généralement à diminuer l’isolement politique du régime de Karimov. Ces mesures avaient envoyé un message fort : en dépit du mépris officiel affiché par Tachkent envers l’Europe, les Ouzbèkes ont par exemple déployé de grands efforts diplomatiques pour que Bruxelles lève ses sanctions. Néanmoins, Saipov a été assassiné moins de deux semaines après l’annonce par l’UE de la suspension de certaines restrictions aux déplacements de responsables ouzbèkes accordées pour “inciter… des mesures concrètes” de la part de Tachkent.

L’Occident souhaite ouvrir un dialogue constructif avec Karimov, mais faire des concessions unilatérales sans contrepartie ne fera probablement qu’encourager un régime dangereux et imprévisible, un régime qui a stimulé la montée de l’islam radical tandis qu’il laissait son peuple être gagné par la misère et devenait lui-même une menace pour ses voisins. Miser sur un dialogue constructif dans ces conditions serait un pari géopolitique bien risqué.

Bichkek/Och/Bruxelles, 14 février 2008

I. Overview

There are strong indications that Uzbek security forces murdered one of Kyrgyzstan’s most prominent journalists, Alisher Saipov, in October 2007 during the build-up to Uzbekistan’s end of year presidential elections, most likely because of his involvement in Erk (Freedom), a leading exile opposition party. If this is the case, it would appear that the security organs, which are the key to keeping President Islam Karimov in power, are increasingly willing to move against any perceived danger, even if it involves pre-emptive strikes in foreign territory. This may be a sign not only of the ruthlessness of the regime but also of its increasing fragility. At the least it underlines the need for the U.S. and the European Union (EU) to resist the temptation to respond to Karimov’s dubious December 2007 re-election with efforts at re-engagement, in the apparent hope of regaining or retaining military bases for Afghanistan operations or of outflanking Russia. 

Saipov’s murder shook Kyrgyzstan’s establishment and deeply embarrassed its law enforcement agencies. Politicians and police investigators officially denied it was a political assassination carried out by Uzbekistan’s secret police, claiming instead it was the result of the victim’s dubious dealings with Islamic fundamentalists, but there are strong circumstantial and other indications of Tashkent’s motives and responsibility.

The killing laid bare a deeply ambiguous Kyrgyzstan government policy with regard to its powerful neighbour. Kyrgyz security and law enforcement bodies appear to have been aware of Uzbek threats against Saipov and to have done nothing to neutralise them. Indeed, Bishkek complains that its ethnic Uzbek citizens in southern Kyrgyzstan make excessive demands for political power in the border areas, and it allows Uzbek special services virtual carte blanche on its territory.

However, senior Kyrgyz officials privately express frustration at the political situation in Uzbekistan. They complain that Karimov’s single-minded insistence on retaining power and his brutality are the main factors in the development of a radical Islamic underground but that his government refuses to discuss the resulting security issues. The president’s abrasive character and paranoia, they say, have alienated even his inner circle, and worry that his departure, whenever it happens, will leave a dangerous vacuum and create the possibility of massive cross-border refugee flows.

On 16 January 2008, Karimov was sworn in for a third presidential term after defeating three candidates in an election that was strongly criticised by the Organization for Security and Co-operation in Europe (OSCE), though praised by the heavily Moscow-influenced Commonwealth of Independent States. Uzbek officials subsequently expressed confidence the EU and U.S. would now soften their line on Uzbekistan, and they may be right. Karimov received a senior EU diplomat the day after his inauguration and the admiral who leads the U.S. Central Command a week later.

The Saipov affair, if the Uzbek regime indeed was responsible, indicates, however, that any efforts to soften the sanctions the EU put in place after the May 2005 massacre in the Uzbek city of Andijon, to restore the aid the U.S. reduced or otherwise to lessen the Karimov regime’s political isolation, would be misguided. Those measures sent a strong message; in spite of Tashkent’s official contempt for Europe, for example, it has deployed major diplomatic resources to have the Brussels sanctions removed. Nevertheless, Saipov was murdered less than two weeks after the EU announced it was suspending some of its travel restrictions on Tashkent officials to “encourage … positive steps” by the Uzbeks.

The West wants to start a meaningful dialogue with Karimov, but offering unilateral and unreciprocated concessions is likely simply to encourage a dangerous and unpredictable regime that has stimulated the rise of radical Islam while bringing misery to its own people and becoming an increasing menace to its neighbours. It would be a poor geopolitical bet.

Bishkek/Osh/Brussels, 14 February 2008

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