A civilian trains to throw Molotov cocktails to defend the city, as Russia's invasion of Ukraine continues, in Zhytomyr, Ukraine March 1, 2022. REUTERS / Viacheslav Ratynskyi
Commentary / Global 20+ minutes

Dix conflits à surveiller en 2023

L'invasion de l'Ukraine par la Russie a provoqué des ondes de choc dans le monde entier. Comme le montre notre état des lieux de 2023, d'autres crises se profilent également

Le fera-t-il ou ne le fera-t-il pas ? L’an dernier, à la même époque, cette question était sur toutes les lèvres. Le président russe Vladimir Poutine avait massé près de 200 000 soldats aux frontières de l’Ukraine. Les services de renseignement des Etats-Unis avaient averti que la Russie se préparait à une guerre sans merci. Tous les indices pointaient du doigt une attaque imminente, hormis un élément de taille : cela semblait impensable. 

Il est vrai que la Russie avait attaqué l’Ukraine en 2014 et qu’au printemps 2021, elle avait organisé la répétition générale d’un scénario d’invasion, en renforçant ses troupes à la frontière avant de les renvoyer chez elles. Poutine semblait de plus en plus irrité par le refus de Kiev de se plier à sa volonté. Il avait ouvertement tourné en dérision l’identité et la souveraineté nationales ukrainiennes. Le choc a pourtant été grand lorsque les forces russes ont donné l’assaut, et que force a été de constater qu’une puissance dotée de l’arme nucléaire en 2022 pouvait chercher à conquérir un voisin par la force sans avoir été provoquée. La guerre a dévasté l’Ukraine ; elle a également assombri la situation mondiale pour longtemps.

Pour la Russie, le résultat à ce jour est catastrophique. Une offensive qui était censée assujettir l’Ukraine, affaiblir l’Occident et renforcer le Kremlin a, jusqu’à présent, accompli exactement l’inverse. Elle a donné un coup de fouet au nationalisme ukrainien et poussé Kiev à se rapprocher de l’Europe. Elle a donné un nouveau souffle à l’OTAN, qui était à la dérive. L’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’organisation, qui semble en bonne voie, modifiera considérablement l’équilibre des forces en Europe du Nord et fera plus que doubler la longueur des frontières de la Russie avec les Etats membres de l’OTAN. La guerre a exposé les faiblesses de l’armée russe que ses opérations en Syrie (2015) et en Ukraine (2014 et 2015) avaient masquées. Elle a démontré la détermination et la compétence de l’Occident, que les fiascos de l’Afghanistan, de l’Irak et de la Libye avaient fragilisé (même si les choses auraient probablement été différentes si les Etats-Unis avaient eu un autre gouvernement).  

La guerre est pourtant loin d’être terminée. L’économie russe s’est adaptée aux lourdes sanctions imposées par l’Occident. Le Kremlin semble convaincu que la Russie a l’endurance nécessaire. Moscou pourrait encore imposer un règlement peu satisfaisant et créer un précédent problématique porteur d’un risque d’agression ailleurs. Si, en revanche, Poutine se sentait véritablement en danger, du fait des avancées ukrainiennes ou pour d’autres raisons, il n’est pas impossible – improbable, mais difficile à exclure complètement – qu’il utilise l’arme nucléaire en dernier ressort. Quoi qu’il arrive en Ukraine, l’Occident et la Russie resteront probablement dans une trajectoire périlleuse à deux doigts de la confrontation.

Pour la Chine, la guerre a surtout été un casse-tête. Même si le président chinois Xi Jinping a publiquement soutenu Poutine et que la Russie est parvenue à résister aux sanctions grâce aux échanges commerciaux entre les deux pays, le soutien matériel de Pékin a été plutôt limité. Xi n’a pas envoyé d’armes. Il semble s’impatienter face aux tribulations et aux bravades nucléaires de Poutine. La Chine ne veut pas affaiblir Moscou et il est peu probable qu’elle puisse contraindre Poutine à trouver un accord. Mais elle ne souhaite pas non plus provoquer les capitales occidentales en se faisant complice de l’invasion. La Chine observe avec circonspection les alliés des Etats-Unis en Asie, qui renforcent leurs défenses et semblent plus déterminés que jamais à rester proches de Washington, tout en voulant conserver l’accès aux marchés chinois. La guerre a ravivé les craintes d’un assaut chinois sur Taïwan. Mais alors que cette invasion semblait déjà trop risquée pour Pékin à court terme, même avant la guerre, elle est – du moins pour l’heure – encore moins probable. Les lourdes sanctions imposées à la Russie ne sont pas passées inaperçues aux yeux de la Chine, tout comme les échecs de Moscou sur le champ de bataille. 

Quant à la relation – entre les Etats-Unis et la Chine – qui dominera les prochaines décennies, la guerre Russie-Ukraine n’en a pas changé les fondamentaux. La visite de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des Etats-Unis, à Taïwan en août dernier a agacé Pékin, mais la rencontre trois mois plus tard entre le président des Etats-Unis Joe Biden et Xi Jinping a auguré d’une reprise du dialogue. La concurrence entre les deux pays continue cependant à imprimer les politiques étrangères des deux pays. Les visées chinoises sur Taïwan ne sont pas près de disparaître. Les deux plus grandes économies du monde restent indissociables, mais le découplage technologique est en cours.

Explorez la version interactive de la liste de cette année. Mapbox / Crisis Group

La guerre a mis en lumière l’influence et l’autonomie des puissances non occidentales de taille moyenne. La Turquie, qui a longtemps été sur la corde raide entre son adhésion à l’OTAN et ses liens avec Moscou, a négocié, avec les Nations unies, un accord pour acheminer les céréales ukrainiennes sur les marchés mondiaux via la mer Noire. Cette initiative fait suite à des années pendant lesquelles la Turquie a réaffirmé sa position à l’étranger, notamment en faisant pencher l’équilibre des forces dans les affrontements en Libye et dans le Caucase du Sud et en développant les ventes de drones. Pour l’Arabie saoudite, le retrait brutal du pétrole russe du marché a été une aubaine. Il a obligé Biden à rendre visite au prince héritier saoudien Mohammed bin Salman alors qu’il avait juré de l’ignorer lorsqu’il avait pris ses fonctions. Riyad a décidé, avec d’autres producteurs de pétrole, de maintenir des prix élevés, suscitant la fureur de Washington. L’Inde, qui est à la fois un partenaire des Etats-Unis en matière de sécurité et un gros acheteur d’armes russes, a dans le même temps acheté du pétrole russe à prix réduit et critiqué Poutine pour ses menaces nucléaires. Il ne s’agit pas d’un mouvement coordonné des non-alignés. Mais les puissances de taille moyenne qui revendiquent leur statut se sentent libres de tracer leur propre voie et, même si peu d’entre elles sont favorables à une rivalité entre les grandes puissances, elles sauront saisir les opportunités qu’apporte la multipolarité.

Plus au sud, la guerre a mis les nerfs à vif. La plupart des capitales non occidentales ont voté à l’Assemblée générale des Nations unies contre l’agression de la Russie. Mais très peu ont condamné publiquement Poutine ou imposé des sanctions. Elles ont de bonnes raisons de ne pas rompre avec Moscou, qu’il s’agisse, principalement, des échanges commerciaux, des liens historiques, ou de leur dépendance aux mercenaires du groupe Wagner lié au Kremlin. Elles considèrent qu’elles n’ont aucun intérêt à choisir un camp ou à assumer les coûts d’une guerre que beaucoup considèrent comme le problème de l’Europe. La frustration à l’égard de l’Occident joue également un rôle, qu’elle soit liée à la diffusion du vaccin contre la Covid-19, à la politique migratoire ou à l’injustice climatique. Beaucoup considèrent qu’il y a deux poids deux mesures dans l’indignation suscitée par l’Ukraine, compte tenu des interventions de l’Occident dans d’autres pays et de son passé colonial. De nombreux dirigeants du sud estiment, particulièrement s’agissant de la question des sanctions, que les gouvernements occidentaux ont fait passer leur lutte contre la Russie avant l’économie mondiale.

En dehors de l’Europe, les principales répercussions de la guerre sont économiques.

En effet, en dehors de l’Europe, les principales répercussions de la guerre sont économiques. La nervosité financière générée par l’invasion et l’annonce des sanctions a fait vaciller des marchés que la Covid-19 avait déjà éprouvés. Les prix des denrées alimentaires et des carburants se sont envolés, provoquant une crise du coût de la vie. Même si les prix ont baissé entretemps, l’inflation reste galopante, amplifiant les problèmes d’endettement. La pandémie et la crise économique sont deux des nombreuses menaces qui, avec le changement climatique et l’insécurité alimentaire, se renforcent mutuellement et pourraient frapper les pays vulnérables et alimenter les troubles. Sur la liste de cette année, le Pakistan en est l’exemple le plus frappant. De nombreux pays sont dans la même situation.

L’année 2022 a-t-elle donné des raisons d’être optimiste pour l’année à venir ? Etant donné la détresse dans laquelle se trouve l’Ukraine, il pourrait sembler malvenu de chercher à voir le bon côté de la guerre. Mais si Kiev s’était moins défendu, si l’Occident avait été moins uni sous la bannière de Biden et si la Russie l’avait emporté, l’Europe, et sans doute le monde, serait aujourd’hui dans une situation plus dangereuse encore. Poutine n’a pas été le seul homme fort à traverser une année difficile. Plusieurs dirigeants populistes, dont la politique a récemment semé la discorde, ont également pris du plomb dans l’aile. Jair Bolsonaro a été battu au Brésil. L’ancien président des Etats-Unis Donald Trump apparaît, pour l’instant, comme une figure politique affaiblie. Marine Le Pen n’a pas remporté la présidence française. En Italie, où les populistes ont remporté le pouvoir, ils se sont plutôt rapprochés du centre une fois élus. Le populisme d’extrême droite n’est pas à bout de souffle, mais certains de ses fervents adeptes ont subi des revers. En outre, la diplomatie multilatérale a, dans l’ensemble, tiré son épingle du jeu. Malgré leurs profondes divergences, la Chine, la Russie et les puissances occidentales continuent de considérer le Conseil de sécurité des Nations unies comme une plateforme de gestion des crises, en dehors de l’Ukraine. Un accord qui pourrait mettre fin à la terrible guerre en Ethiopie et les liens plus étroits tissés entre la Colombie et le Venezuela montrent que la conciliation dans d’autres pays peut se frayer un chemin malgré les évènements qui secouent l’Europe.

L’année a pourtant été globalement déconcertante, d’autant qu’elle est la dernière d’une longue série. La pandémie a mis une grande partie du globe sens dessus dessous. Une foule en colère a pris d’assaut le Capitole des Etats-Unis. Les températures dans certaines parties du monde menacent la survie de l’humanité. Aujourd’hui, une guerre majeure fait rage en Europe, son instigateur évoque la possibilité d’une escalade nucléaire, et plusieurs pays pauvres sont confrontés à des crises de la dette, à la faim et à des conditions météorologiques extrêmes. Aucun de ces évènements n’est arrivé sans crier gare et pourtant, il y a quelques années, ils auraient été inenvisageables. Ils surviennent également alors que de plus en plus de personnes sont tuées dans des conflits et que le nombre de personnes déplacées ou souffrant de la faim, souvent à cause de la guerre, n’a jamais été aussi élevé depuis la seconde guerre mondiale.

Les grandes puissances vont-elles entrer en guerre en 2023 ou braver un tabou nucléaire vieux de près de 80 ans ? Les crises politiques, les difficultés économiques et la dégradation du climat provoqueront-elles un effondrement social, pas seulement dans certains pays, mais dans une grande partie du monde ? Les réponses les plus pessimistes aux grandes questions de cette année semblent sans fondement. Mais après ces dernières années, il serait déraisonnable d’écarter l’impensable. 

Dix conflits à surveiller en 2023

1. Ukraine
2. Arménie et Azerbaïjan
3. Iran
4. Yémen
5. Ethiopie
6. La République démocratique du Congo et les Grands Lacs
7. Le Sahel
8. Haïti
9. Pakistan
10. Taïwan

1. Ukraine

Jusqu’à présent, l’Ukraine a résisté à l’assaut de la Russie, grâce à la vaillance des Ukrainiennes et des Ukrainiens et à l’aide occidentale. Mais un an après le début des combats, on ne voit toujours pas la lumière au bout du tunnel.

Lorsque le Kremlin a lancé son invasion tous azimuts en février, il s’attendait apparemment à mettre en déroute le gouvernement ukrainien et à installer un régime plus docile. Mauvais calcul. La résistance de l’Ukraine a été aussi féroce que la planification de la Russie a été maladroite. Repoussée de la périphérie de Kiev au printemps, Moscou a concentré ses forces à l’est et au sud. Puis, à la fin de l’été, les troupes ukrainiennes, équipées d’armes plus puissantes fournies par l’Occident, ont également progressé dans ces régions.

Alissa de Carbonnel s’entretient pour Crisis Group avec Maxim, un volontaire au centre d’accueil pour les déplacés internes à l’Université Lviv Technical, Ukraine, juin 2022. CRISIS GROUP / Jorge Gutierrez Lucena

Moscou a alors fait monter les enchères. Elle a mobilisé peut-être 300 000 troupes supplémentaires, mais les données ne sont pas fiables. Le nombre de Russes qui ont fui le pays est au moins aussi élevé et l’armée souffre toujours d’une pénurie de personnel et de matériel. Le Kremlin a également annoncé l’annexion de certaines parties de l’Ukraine, y compris des territoires qu’il ne contrôle pas. Il a lancé une campagne punitive de frappes aériennes sur les infrastructures ukrainiennes. Cette attaque a provoqué des pannes d’électricité et de nombreuses régions sont devenues pratiquement invivables. Près d’un Ukrainien sur trois a été déplacé au cours de l’année écoulée.

A ce jour, aucun signe ne laisse présager que Kiev ou Moscou reculeront. Les Ukrainiennes et les Ukrainiens considèrent chaque nouvelle attaque et chaque révélation d’abus perpétrés par la Russie (y compris les exécutions sommaires et les abus sexuels) comme une raison supplémentaire de se battre. En Russie, la propagande et l’oppression découragent l’opposition. Aucune des deux parties ne fait preuve d’un véritable engouement pour entamer des pourparlers de paix. La population ukrainienne est, à juste titre, peu encline à céder des territoires qu’elle a déjà récupérés. Moscou, bien qu’elle se dise ouverte à la diplomatie, continue à exiger la capitulation de Kiev et tourne en dérision le gouvernement ukrainien qu’elle qualifie de nazis contrôlés par un Occident dégénéré. L’escalade orchestrée par Poutine après chaque revers pourrait lui fermer petit à petit ses propres voies de sortie.

L’impasse s’installe, mais personne ne sait combien de temps elle durera. Les deux camps retranchés cherchent des ouvertures pour avancer. Une nouvelle attaque du centre de l’Ukraine depuis le Belarus, bien que très médiatisée, semble improbable étant donné les chances de réussite minimes. Moscou espère que le froid hivernal et les prix élevés du gaz, provoqués par les boycotts occidentaux des hydrocarbures russes, inciteront les Européennes et les Européens à refréner leur soutien à l’Ukraine. Mais l’unité occidentale ne présente jusque-là que peu de failles. De nombreuses capitales européennes sont convaincues que la défaite de l’Ukraine enhardirait Moscou et les mettrait en danger. La visite du président ukrainien Volodymyr Zelenskyy à Washington à la fin de l’année 2022 a confirmé qu’il bénéficiait du soutien des deux grands partis, malgré les clameurs qui s’élèvent depuis l’aile droite du Parti républicain.

Moscou et les capitales occidentales se sont efforcées d’éviter les affrontements directs.

Quant au scénario véritablement cataclysmique – une escalade potentiellement nucléaire entre l’OTAN et la Russie – à la fois Moscou et les capitales occidentales se sont efforcées d’éviter les affrontements directs. L’Occident a, par exemple, rejeté l’idée de zones d’exclusion aérienne et s’est abstenu de fournir certaines armes de pointe. La Russie a évité les frappes sur le territoire de l’OTAN. Poutine a mentionné plusieurs fois la puissance nucléaire de la Russie, probablement pour mettre en garde l’Occident, mais il a récemment fait marche arrière dans son discours. Une frappe nucléaire n’aurait guère d’utilité militaire et pourrait déclencher justement l’implication directe de l’OTAN que Moscou espère éviter. Cette possibilité ne peut pourtant pas être écartée, en particulier si Poutine sent qu’il perd son emprise sur le pouvoir. La guerre a probablement créé le risque de confrontation nucléaire le plus élevé depuis 60 ans. Elle plante également le décor de ce qui pourrait être une longue impasse, l’Europe étant prête à vivre des épreuves de force de plus en plus dangereuses, quoi qu’il arrive en Ukraine.

Il est certain que les dirigeants occidentaux devraient garder la porte ouverte à un règlement en faisant comprendre au Kremlin les avantages, notamment en termes d’allègement des sanctions, qui découleraient d’un accord acceptable pour l’Ukraine. Pour l’instant, cependant, ils estiment que, malgré toutes les horreurs de la guerre, il vaut mieux soutenir l’Ukraine, même au risque d’une escalade nucléaire, que de laisser la Russie l’emporter par une campagne militaire brutale et à coup de menace nucléaire. C’est un calcul difficile à faire et il déconcerte parfois d’autres parties du monde. Mais jusqu’à présent, cela a été le bon.

2. Arménie et Azerbaïjan

Si la guerre en Ukraine s’est répercutée sur les crises du monde entier, son impact a été particulièrement important dans le Caucase du Sud. Deux ans après la dernière guerre pour le Haut-Karabakh, l’Arménie et l’Azerbaïdjan semblent se diriger vers une nouvelle confrontation. Les incursions de la Russie en Ukraine ont contrarié les stratégies régionales.

Une nouvelle guerre serait plus courte, mais tout aussi dramatique que le conflit de six semaines qui a eu lieu en 2020. Cette guerre, qui a tué plus de 7 000 soldats, a vu les forces azerbaïdjanaises mettre en déroute les Arméniens de certaines parties de l’enclave du Haut-Karabakh et des zones voisines, toutes tenues par les forces arméniennes depuis le début des années 1990. Moscou a finalement négocié un cessez-le-feu.

Un soldat azerbaïdjanais posté sur la route de Shusha, une ville du Haut-Karabakh contrôlée par les forces azerbaïdjanaises. De l’autre côté de la barrière grillagée, un poste de contrôle russe surveille la route parallèle empruntée par les Arméniens. CRISIS GROUP

Depuis lors, la balance a encore penché davantage en faveur de l’Azerbaïdjan. L’armée arménienne n’a pas reconstitué ses troupes ni son stock d’armes, car la Russie, son courtier en armes traditionnel, est à court de matériel. L’Azerbaïdjan, en revanche, a renforcé ses effectifs. Son armée est largement supérieure à celle de l’Arménie, elle est bien mieux équipée et bénéficie du soutien de la Turquie. L’augmentation de la demande européenne de gaz azerbaïdjanais a également donné du courage à Bakou.

Les difficultés rencontrées par la Russie en Ukraine ont également une incidence sur d’autres aspects. Dans le cadre du cessez-le-feu de 2020, des soldats de la paix russes ont été déployés dans les zones du Haut-Karabakh encore habitées par des Arméniens. La Russie a renforcé ses gardes-frontières et son personnel militaire le long de certaines parties de la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan qui, depuis la guerre, sont devenues de nouvelles lignes de front. L’idée était que ces contingents, bien que modestes, dissuaderaient les attaques, parce que Bakou préfèrerait éviter de titiller Moscou.

Mais plusieurs embrasements ont eu lieu l’année dernière, malgré la présence des forces russes. En mars et en août, les troupes azerbaïdjanaises ont conquis de nouveaux territoires dans le Haut-Karabakh, notamment des positions stratégiques dans les montagnes. En septembre, les forces azerbaïdjanaises ont envahi des territoires à l’intérieur même de l’Arménie. Les attaques ont été de plus en plus sanglantes.

Historiquement, c’était Moscou qui dirigeait les efforts de pacification dans le Haut-Karabakh.

La guerre en Ukraine a également mis les pourparlers de paix au second plan. Historiquement, c’était Moscou qui dirigeait les efforts de pacification dans le Haut-Karabakh. Le cessez-le-feu de 2020 était censé ouvrir les échanges commerciaux dans la région, notamment en rétablissant une route directe à travers l’Arménie, de l’Azerbaïdjan à son exclave Nakhitchevan, à la frontière iranienne. L’amélioration des échanges commerciaux pourrait ouvrir la voie à un compromis sur l’épineuse question de l’avenir du Haut-Karabakh. (Après la guerre de 2020, Erevan a abandonné ses exigences d’un statut spécial pour le Haut-Karabakh qui dataient de plusieurs décennies, mais elle demande toujours des droits spéciaux et des garanties de sécurité pour les Arméniens qui y vivent. Bakou, de son côté, soutient que les habitants d’origine arménienne peuvent jouir des mêmes droits que n’importe quel citoyen azerbaïdjanais).

Fin 2021, Moscou a accepté la nouvelle médiation menée par l’Union européenne (UE) entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, espérant qu’elle renforcerait les efforts de paix de la Russie, qui n’avaient guère progressé. Depuis le début de la guerre en Ukraine, cependant, Moscou considère que la diplomatie de l’UE s’inscrit dans une volonté plus large de limiter l’influence de la Russie. Malgré les perches tendues par les capitales occidentales, le Kremlin refuse de s’engager plus avant.

Deux projets d’accord circulent donc actuellement – l’un préparé par la Russie et l’autre élaboré par l’Arménie et l’Azerbaïdjan avec le soutien de l’Occident (les deux parties proposant des textes contradictoires dans plusieurs sections). Chaque projet aborde le commerce et la stabilisation de la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, le sort des Arméniens du Haut-Karabakh étant laissé à un processus séparé qui n’a pour l’instant pas été encore initié. La voie bilatérale soutenue par l’Occident est probablement plus prometteuse, en partie parce qu’elle est locale, bien que la réaction de Moscou si elle devait déboucher sur un accord soit difficile à prévoir. Dans tous les cas, les deux parties sont dans des situations très différentes. Bakou a toutes les cartes en main, et en matière d’échanges commerciaux et de relations étrangères, elle aurait plus à gagner d’un accord que d’une solution militaire.

Le risque est que les pourparlers n’aboutissent à rien ou qu’une nouvelle flambée de violence fasse échouer à la fois les plans de Moscou et ceux soutenus par l’Occident, et que l’Azerbaïdjan prenne, par la force, ce qu’il est en mesure de prendre.

3. Iran

Les manifestations massives contre le régime, la répression impitoyable de l’Iran et la fourniture d’armes à la Russie ont laissé la République islamique plus isolée que jamais à l’heure où une crise visant son programme nucléaire se profile.

Les manifestations qui ont secoué le pays s’imposent comme la menace majeure défiant l’autorité de la République islamique depuis le Mouvement vert de 2009. Des dizaines de milliers de personnes, principalement des jeunes, sont descendues dans la rue pour braver le régime : en première ligne, des femmes et des filles de tous âges qui refusent le hijab obligatoire, qu’elles considèrent comme un symbole de la misogynie et de l’oppression généralisée.

Le gouvernement iranien a réagi en tuant des centaines de personnes, dont des dizaines d’enfants. Les manifestants sont officiellement exécutés après des procès que les groupes de défense des droits humains considèrent comme des simulacres. Des milliers de personnes sont en prison, où beaucoup sont soumises à d’horribles tortures. Le régime dépeint comme un complot de l’étranger ce qui est en fait l’expression du sentiment populaire antigouvernemental, en particulier chez les jeunes et dans les périphéries depuis longtemps négligées par le pouvoir en place. Peu de gens sont dupes.

Le défi pour les jeunes manifestantes et manifestants héroïques en Iran est de convaincre leurs compatriotes plus âgés de la classe moyenne, dont beaucoup sympathisent avec eux, mais craignent la violence du régime ou un changement radical. Ils pourraient être plus nombreux à les rejoindre si les manifestations arrivaient à atteindre une masse critique, ce qui est peu probable sans leur adhésion – sauf si un autre élément déclencheur faisait pencher la balance ou si des chefs de file émergeaient au sein des manifestants. Rien n’indique pour l’instant que le régime va se fracturer. Mais aucune répression ne peut étouffer la profonde colère de la société. Quelque chose s’est brisé. Le régime ne peut pas revenir en arrière.

Les pourparlers pour relancer l’accord nucléaire de 2015, au point mort depuis septembre, sont désormais gelés.

Pendant ce temps, les pourparlers pour relancer l’accord nucléaire de 2015, au point mort depuis début septembre, sont désormais gelés. Les capacités nucléaires de Téhéran ont progressé à pas de géant au cours des dernières années. Elle a développé ses compétences pour enrichir l’uranium, le compte à rebours avant la création d’une bombe nucléaire iranienne est aujourd’hui proche de zéro. La surveillance par l’Agence internationale de l’énergie atomique est considérablement réduite. Les Etats-Unis et leurs alliés ont longtemps espéré éviter d’avoir à choisir entre la possibilité que l’Iran se dote d’une bombe nucléaire ou recourir à la force pour l’en empêcher, mais ce moment tant redouté pourrait se profiler à l’horizon.

Même s’ils parviennent à s’en dépêtrer pendant quelques mois, la date d’octobre 2023, à laquelle les restrictions de l’ONU sur les missiles balistiques iraniens expireront, sera charnière. La seule solution qui se présente aux dirigeants occidentaux pour éviter l’expiration de ces restrictions – qu’ils considèrent essentielles pour contenir la prolifération de missiles et de drones par l’Iran, en particulier pour aider la Russie en Ukraine – serait de rétablir les sanctions de l’ONU. Cela inciterait probablement l’Iran à se retirer du traité de non-prolifération nucléaire – un casus belli potentiel pour les Etats-Unis et Israël. Toute attaque de leur part contre le programme nucléaire iranien risquerait de déclencher un engrenage de représailles dans la région. Et les risques sont nombreux : l’Iran ne décolère pas contre l’Arabie saoudite qui soutient des chaînes satellite accusés par Téhéran d’alimenter les manifestations, et la confrontation pluridimensionnelle entre l’Iran et Israël pourrait s’intensifier avec le nouveau gouvernement d’extrême droite israélien.

Dans ce contexte, il serait judicieux de garder la porte ouverte à la diplomatie. Les capitales occidentales, outrées par la répression de la République islamique à l’égard de sa population, exaspérées par ses livraisons d’armes à la Russie et mises sous pression par une partie de leur électorat qui condamne ardemment quiconque recommande le dialogue, craignent à juste titre d’œuvrer à la survie du régime en s’entretenant avec Téhéran. Elles ont pour l’instant choisi de ne pas rompre totalement les contacts – en partie parce que certaines doivent négocier la libération d’otages, mais surtout parce qu’elles gardent à l’esprit la menace nucléaire. Compte tenu de l’animosité ambiante, les perspectives de pourparlers pour désamorcer la crise nucléaire semblent peu prometteuses. Mais une meilleure compréhension des lignes rouges à ne pas dépasser pourrait contribuer à contenir les tensions jusqu’à ce qu’il y ait plus d’espace pour une désescalade et un engagement diplomatique substantiel. Il est difficile d’imaginer que les manifestants puissent tirer profit d’une crise nucléaire – il est en revanche probable que le régime en difficulté en profite pour faire diversion à l’intérieur du pays et renforcer son emprise.

4. Yémen

Le Yémen est dans l’incertitude. La trêve conclue en avril entre les rebelles houthi et le gouvernement internationalement reconnu du pays, qui est principalement soutenu par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, a pris fin en octobre. Il n’y a pas encore eu d’affrontements majeurs, mais les deux parties se préparent à reprendre les hostilités.

La trêve négociée par l’ONU a été une lueur d’espoir inattendue dans un conflit brutal qui durait depuis huit ans. En novembre 2021, les Houthi, qui contrôlent la majeure partie du nord-ouest du Yémen, semblaient proches de la victoire. S’ils avaient pris la ville de Marib et les installations pétrolières et gazières avoisinantes, ils auraient gagné la guerre dans le nord, fourni à leur quasi-Etat les fonds dont il avait tant besoin et sonné le glas du gouvernement du président de l’époque, Abed Rabbo Mansour Hadi. Leur offensive a été évitée lorsque les forces affiliées aux Emirats arabes unis ont expulsé les Houthi des territoires stratégiques du Marib et du Shabwah voisin en janvier 2022. Les Houthi ont répondu par des frappes transfrontalières de missiles et de drones contre les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite. C’est à ce moment-là que la guerre en Ukraine a provoqué des pénuries mondiales de nourriture et de carburant qui ont exercé de nouvelles pressions sur les belligérants.

Début avril, l’ONU a annoncé une trêve de deux mois entre le gouvernement de Hadi et les Houthi.

L’impasse qui en a résulté a ouvert la voie à la médiation. Début avril, l’ONU a annoncé une trêve de deux mois entre le gouvernement de Hadi et les Houthi. Riyad, de plus en plus déçu par la guerre, a soutenu l’accord. Quelques jours plus tard, Hadi a démissionné. Il a été remplacé par un conseil présidentiel de huit membres (PLC), triés sur le volet par les Saoudiens et les Emiratis, plus représentatif de la coalition des factions yéménites qui combattent les Houthi, et qui, presque aussi souvent, se battent entre elles.

Il ne reste plus grand-chose des espoirs initiaux d’un règlement plus large. Après deux prolongations, les négociations menées sous l’égide de l’ONU visant à prolonger la trêve ont échoué début octobre, sabordées par la demande des Houthi que le gouvernement paie les salaires des militaires et des forces de sécurité rebelles. (Selon des sources dans les deux camps ainsi qu’au sein de l’ONU, le gouvernement et les Saoudiens avaient accepté de payer les salaires des civils, mais se refusaient à assumer le coût des forces qui les combattaient sur le terrain).

Même sans la trêve, les combats sont en grande partie suspendus. Les grandes offensives terrestres et les attaques transfrontalières n’ont pas repris, et les pourparlers se poursuivent, principalement grâce aux échanges entre Houthi et Saoudiens. Mais la tension monte. Les Houthi ont lancé ce qu’ils appellent des tirs d’avertissement sur les infrastructures pétrolières et gazières contrôlées par le PLC, qui ont entraîné l’arrêt des exportations de pétrole. Ils affirment que les ventes de pétrole pourront reprendre lorsque leurs forces et eux-mêmes auront reçu leur part des revenus. Le gouvernement a répondu en essayant de bloquer les importations de carburant dans le port de Hodeidah, sur la mer Rouge, contrôlé par les Houthi, mais Riyad s’y est opposé. D’après certaines sources, les deux parties renforceraient leurs personnels et leurs équipements militaires autour des principales lignes de front.

Deux jeunes garçons montent à l’arrière d’un pick-up à l’arrêt, à un poste de contrôle entre Marib, al-Jawf et Sanaa dans la province d’Al Jawf, Yémen, janvier 2020. CRISIS GROUP / Peter Salisbury

Le risque d’une nouvelle guerre est malheureusement élevé. Dans le camp des Houthi, certains seraient favorables à une nouvelle offensive, mais pour l’instant, même s’ils sont probablement plus forts que leurs rivaux, les Houthi manquent de fonds et leurs forces sont diminuées. Ils pourraient également conclure un accord avec les Saoudiens sur le paiement des salaires, prolonger la trêve et tirer profit du temps et de l’argent gagnés de cette façon pour se réorganiser. Certains dirigeants houthi espèrent un accord plus large avec Riyad qui comprendrait le retrait des Saoudiens du conflit et qui consoliderait le statut des Houthi en tant que force dominante au Yémen. Mais un tel accord, qui ferait fi des intérêts des multiples factions anti-Houthi, déjà agacées par leur exclusion des discussions bilatérales, plongerait probablement le Yémen dans une nouvelle phase de la guerre. Même une fois les Saoudiens partis, il semble peu probable que les Houthi puissent facilement envahir tout le Yémen, comme l’ont fait les Taliban en Afghanistan.

Une meilleure solution consisterait en une trêve plus longue qui pourrait ouvrir la voie à des pourparlers intra-yéménites. Un véritable accord doit répondre aux exigences de toutes les principales factions yéménites et nécessite probablement une médiation des Nations unies. Mais sachant que les Houthi ont le sentiment qu’ils ont tout intérêt à rester intransigeants et que l’Iran, le seul acteur extérieur ayant une certaine influence sur le groupe, n’est pas d’humeur à apporter son aide, un tel accord semble peu probable.

5. Ethiopie

Une des guerres les plus meurtrières de l’année 2022, dans la région éthiopienne du Tigré et sa périphérie, connait actuellement une trêve. Deux des principaux belligérants – le gouvernement du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed et le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), qui a dominé la scène politique éthiopienne pendant des décennies avant qu’Abiy ne prenne le pouvoir en 2018 et se brouille ensuite avec lui – ont signé un accord le 2 novembre à Pretoria, en Afrique du Sud. Dix jours plus tard, ils ont signé un autre accord à Nairobi, au Kenya. Mais l’accalmie est fragile. Des questions essentielles n’ont pas encore été résolues, comme le désarmement des forces du Tigré ou si le président érythréen Isaias Afwerki, dont l’armée a combattu aux côtés des troupes éthiopiennes, va accepter de faire reculer ses troupes vers la frontière internationalement reconnue.

Les hostilités ont éclaté fin 2020, lorsque les forces du Tigré ont saisi une série de bases militaires nationales dans la région, prétendant devancer une intervention fédérale. Au cours des deux années d’affrontements, les belligérants ont été tour à tour vainqueurs et vaincus. Une trêve conclue en mars 2022 a offert un certain répit, mais elle a été rompue fin août et la guerre a repris de plus belle. Les forces fédérales, amhara et érythréennes ont alors à nouveau renversé les défenses du Tigré.

Des réfugiés éthiopiens, qui ont fui la région du Tigré, font la queue pour recevoir l’aide alimentaire dans le camp de Um-Rakoba, dans l’Etat d’Al-Qadarif, en zone frontalière, Soudan, 11 décembre 2020. REUTERS / Mohamed Nureldin Abdallah

Le bilan est effroyable. Des chercheurs de l’université belge de Gand estiment qu’en août 2022 385 000 à 600 000 civils étaient morts dans cette guerre. Des sources des deux côtés affirment que des centaines de milliers de combattants ont péri dans les affrontements depuis août 2022. Toutes les parties sont accusées d’atrocités, mais les forces érythréennes semblent avoir été particulièrement cruelles. Les violences sexuelles sont monnaie courante et auraient été utilisées comme stratégie pour humilier et terroriser les civils. Addis-Abeba a bloqué le Tigré pendant la majeure partie de la guerre en coupant l’électricité, les télécommunications et les services bancaires et en restreignant l’approvisionnement en nourriture, médicaments et autres produits.

L’accord de Pretoria a été une victoire pour Abiy. Les dirigeants du Tigré ont accepté de rétablir le régime fédéral et de désarmer dans un délai d’un mois. Addis-Abeba a déclaré qu’elle lèverait à la fois le blocus et la qualification de groupe terroriste du TPLF. A Nairobi, les commandants d’Abiy auraient proposé un calendrier plus souple pour le désarmement en acceptant que les forces tigréennes abandonnent leurs armes lourdes au fur et à mesure que les combattants érythréens et ceux de la région d’Amhara se retireraient. La trêve a tenu depuis lors. L’aide a afflué et les autorités fédérales ont reconnecté Mekelle, la capitale du Tigré, à l’électricité.

Les Erythréens, pour leur part, ne se sont pas retirés ... Les Tigréens n’ont pas non plus rendu les armes.

Mais les revirements pourraient être nombreux. Le différend portant sur les fertiles terres frontalières du Tigré occidental, que les Amhara appellent Welkait et qu’ils revendiquent comme leur appartenant, est particulièrement épineux. Les Erythréens, pour leur part, ne se sont pas retirés, même si, d’après certaines sources, une partie de leurs troupes ont amorcé un retrait. Les Tigréens n’ont pas non plus rendu les armes. Les parties devraient maintenant coordonner un exercice d’échelonnement périlleux pour éviter que chacune accuse l’autre d’être en retard.

Isaias, l’allié d’Abiy sur le champ de bataille, pourrait devenir sa principale source de tourment. En 2018, l’accord de paix conclu entre Abiy et Isaias a mis fin à des décennies d’hostilité entre les deux pays, même s’il a également ouvert la voie, dans une certaine mesure, à l’offensive conjointe de l’Ethiopie et de l’Erythrée contre le Tigré. Abiy est sorti vainqueur de sa lutte contre le TPLF. Mais même dans ce climat d’animosité avec les dirigeants du Tigré, il lui faudra trouver une forme d’arrangement pour éviter de semer les graines d’une nouvelle insurrection. Son gouvernement devra déterminer le rôle du TPLF dans toute administration régionale provisoire et si certains soldats tigréens peuvent rejoindre les forces régionales ou réintégrer l’armée fédérale. Il n’est pas certain que le Premier ministre éthiopien reconnaisse la nécessité de faire preuve de magnanimité. Il sera tout aussi important de savoir si, le cas échéant, il parviendra à convaincre Isaias, qui est entré en guerre dans l’espoir d’éliminer son ennemi juré, le TPLF.

6. La République démocratique du Congo et les Grands Lacs

Le M23, un groupe rebelle jusque-là endormi, qui, selon les rapports des Nations unies, serait soutenu par le Rwanda, fait des ravages dans l’est de la République démocratique du Congo. Les combats ont chassé des dizaines de milliers de personnes de leurs foyers et pourraient se transformer en une guerre régionale par procuration.

Le M23 détient le contrôle de plusieurs villes et encercle la capitale provinciale de Goma. En 2013, le groupe avait été battu par des troupes renforcées de l’ONU, mais il semble désormais bien armé et organisé. Il comprend d’anciens soldats congolais, dont beaucoup sont des Tutsis, un groupe ethnique répandu dans la région des Grands Lacs africains, et qui affirment défendre des intérêts communautaires.

La réapparition soudaine du M23 doit autant aux tensions entre les Etats des Grands Lacs qu’aux dynamiques locales.

La réapparition soudaine du M23 doit autant aux tensions entre les Etats des Grands Lacs qu’aux dynamiques locales. Le gouvernement congolais a tenté de réaffirmer son autorité dans l’est du pays, en proie à des dizaines de groupes rebelles, dont certains viennent de pays voisins. L’année dernière, le président congolais Félix Tshisekedi a invité des troupes ougandaises à combattre les Forces démocratiques alliées, une coalition rebelle majoritairement ougandaise qui se proclame membre de l’Etat islamique. Il semblerait que le président congolais ait aussi discrètement approuvé des opérations burundaises sur le sol congolais. Le président rwandais Paul Kagame n’a pas apprécié. Il considère que la présence de ses voisins risque de potentiellement priver le Rwanda de son influence dans l’est du Congo, où il a des intérêts économiques, tout comme le Burundi et l’Ouganda, et où il combat depuis longtemps les insurgés des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), vestige de la milice hutue responsable du génocide de 1994.

Tshisekedi accuse Kagame de soutenir le M23 pour pouvoir extraire les matières premières congolaises. Les experts de l’ONU soulignent également le soutien rwandais aux rebelles. Un rapport de l’ONU, qui a fait l’objet d’une fuite en décembre 2022, affirme qu’il existe des « preuves substantielles » que l’armée rwandaise est intervenue directement dans la lutte du Congo contre le M23 et a soutenu le groupe en lui fournissant des armes, des munitions et des uniformes. Kigali rejette ces allégations et répond en accusant l’armée congolaise de collaborer avec les FDLR (ce que Tshisekedi dément, malgré les rapports de l’ONU qui le confirment).

Les élections générales au Congo en 2023 risquent de compliquer encore plus la situation. Le vote pourrait permettre au pays de s’éloigner encore un peu plus de ses deux décennies de guerres civiles désastreuses. Mais si l’inscription des électeurs ou la tenue du scrutin devaient être suspendus dans l’est du pays en raison des violences, les résultats électoraux en seraient entachés. Tshisekedi pourrait également vouloir renforcer sa rhétorique anti-Rwanda pendant sa campagne, ce qui mettrait en danger les minorités que certains Congolais dépeignent déjà comme des partisans du M23.

Dans une rue de Béni, RDC, une femme passe devant un mur sur lequel est taggé “Monusco dégage”, appelant au départ de la mission de l’ONU en RDC, décembre 2021. CRISIS GROUP / Nicolas Delaunay

Une mission militaire est-africaine – sans le Rwanda, mis à l’écart par Kinshasa – a pour mandat de rétablir le calme dans l’est du Congo. Les Nations unies disposent d’une force de maintien de la paix de 14 000 personnes, stationnées à Goma pour la plupart, mais elle semble réticente à combattre les insurgés et elle est très impopulaire auprès de nombreux Congolais. Le Kenya, qui fait partie de la force régionale, a donc la tâche peu enviable de combattre le M23.

La population locale, qui souffre depuis longtemps, a bon espoir que les troupes kenyanes réussiront à repousser les rebelles, mais le Kenya considère que l’objectif est plutôt de sécuriser Goma et les routes principales environnantes et de pousser le M23 à un cessez-le-feu. Le groupe pourrait alors rejoindre les pourparlers de paix entre le gouvernement congolais et des dizaines de groupes armés de l’est dont il avait été exclu tant que les combats n’avaient pas cessé.

Il sera crucial d’obtenir l’adhésion du Rwanda, compte tenu de son influence sur les chefs du M23. La meilleure chance d’y parvenir serait une diplomatie concertée des dirigeants d’Afrique de l’Est pour rétablir les relations entre Kagame et Tshisekedi, qui ont commencé à montrer quelques signes de progrès, tout en continuant les efforts visant à contrer la collaboration entre l’armée congolaise et les FDLR. En d’autres termes, la force est-africaine est l’occasion de faire de la place à la diplomatie autant qu’à la lutte contre le M23.

Si cette diplomatie échouait, les troupes kenyanes pourraient s’enliser sur le terrain hostile de l’est du Congo. Le déploiement des forces de tant de pays voisins dans l’est du Congo fait déjà courir le risque d’un retour des guerres par procuration qui ont déchiré la région dans les années 1990 et 2000.

7. Le Sahel

Le Burkina Faso, le Mali et le Niger ne semblent pas progresser dans la lutte contre des insurrections islamistes déterminées. Les dirigeants occidentaux, dont l’engagement militaire au cours de la dernière décennie n’a guère contribué à endiguer la violence, ne semblent pas savoir comment réagir aux coups d’Etat au Burkina Faso et au Mali.

Le Burkina Faso est dans une situation des plus difficiles. Des groupes jihadistes contrôlent environ 40 pour cent de son territoire, dont de vastes zones rurales dans le nord et l’est. Les insurgés assiègent une grande ville du nord, Djibo, depuis des mois. Les combats ont fait des milliers de morts et chassé près de deux millions de personnes de leurs foyers. Alors que les pertes s’accumulent, l’armée est de plus en plus blâmée. L’année dernière, deux coups d’Etat, déclenchés par des massacres de soldats par des insurgés, ont vu un lieutenant-colonel, Paul-Henri Sandaogo Damiba, prendre le pouvoir en janvier, avant d’être évincé en septembre par un capitaine inconnu jusqu’alors, Ibrahim Traoré. Traoré, lui-même, éprouve des difficultés à unifier des forces de sécurité divisées. Il pourrait suivre l’exemple de ses homologues maliens en jouant sur le sentiment populiste, en critiquant la France et en se rapprochant de la Russie. Plus inquiétant encore, Traoré recrute des volontaires pour combattre les jihadistes, ce qui pourrait dégénérer en bain de sang à caractère ethnique.

Le Mali, de son côté, a subi deux coups d’Etat en 2020 et 2021. L’Etat est pratiquement absent dans l’extrême nord. Dans cette zone, les insurgés affiliés à l’Etat islamique et à al-Qaeda se battent entre eux et affrontent les rebelles non jihadistes, qui sont en majorité des Touareg, une communauté présente dans une grande partie du Sahel. Les rebelles touareg ont signé un accord avec Bamako en 2015, dans l’espoir d’obtenir des postes dans l’armée et une redistribution du pouvoir au niveau local. Mais aujourd’hui, se sentant abandonnés, certains rebelles pourraient trouver un intérêt à rejoindre à nouveau les jihadistes. (Des insurgés liés à al-Qaeda avaient rejoint puis usurpé une rébellion séparatiste touareg qui avait pris le contrôle du nord du Mali il y a une dizaine d’années). Plus au sud, dans le centre du Mali, les combats qui opposent les forces maliennes et les mercenaires du groupe russe Wagner aux insurgés semblent dans l’impasse et sont caractérisés par des abus généralisés des droits humains perpétrés par les deux parties.

La situation au Niger est moins dramatique, même si on observe là aussi des signes inquiétants. Le gouvernement a soit intégré les milices civiles dans les forces de sécurité, soit refusé de les armer. Le fait qu’il soit prêt à dialoguer avec les groupes jihadistes pourrait également avoir contribué à une accalmie de la violence. Néanmoins, le président Mohamed Bazoum a survécu à une tentative de coup d’Etat en mars 2021, et les arrestations qui ont suivi, y compris parmi les officiers de haut rang, pourraient avoir nourri de l’hostilité au sein de l’armée. Les jihadistes ont pénétré dans des parcs et des forêts le long des frontières du Burkina Faso et du Bénin, se rapprochant ainsi de la capitale, Niamey.

L’Occident semble désormais préoccupé par la nécessité d’empêcher les jihadistes de se déployer vers le sud, en direction du golfe de Guinée.

L’implication des puissances étrangères au Sahel évolue rapidement. La France, qui est intervenue pour chasser les insurgés du nord du Mali en 2013, a mis fin à ses opérations dans ce pays en raison de ses relations tendues avec Bamako, mais elle conserve des bases au Niger. La mission de l’ONU, présente au Mali depuis avril 2013, a également eu du mal à progresser. L’Occident semble désormais préoccupé par la nécessité d’empêcher les jihadistes de se déployer vers le sud, en direction du golfe de Guinée. Le sentiment anti-français se répand dans la région, résultant principalement d’une décennie d’échecs de l’Occident à entraver les avancées des insurgés, mais aussi de la désinformation russe. Il est peu probable que la brutalité des mercenaires de Wagner améliore la situation, mais de nombreux habitants sont agacés par les critiques du groupe russe, compte tenu de l’héritage occidental dans la région.

La région vit un moment charnière et il est crucial que les dirigeants repensent l’approche essentiellement militaire de la lutte contre les islamistes. Les opérations militaires ont un rôle à jouer, mais elles doivent être subordonnées aux efforts visant à rétablir les relations intercommunautaires, à gagner la confiance des populations de l’arrière-pays et, éventuellement, à ouvrir un dialogue avec les chefs des insurgés. Les gouvernements occidentaux devraient se montrer humbles face au bilan de la dernière décennie. Alors que certains dirigeants sahéliens se tournent vers Moscou, les Occidentaux auraient tort de couper les ponts avec ces pays et de tenter de les obliger à choisir leur camp.

8. Haïti

Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021, Haïti est paralysé par l’impasse politique et la violence généralisée des gangs. Les services publics se sont effondrés et le choléra gagne du terrain. La situation est tellement catastrophique que certains Haïtiens placent désormais leurs espoirs dans les troupes étrangères, malgré l’héritage désastreux des interventions précédentes en Haïti.

Ariel Henry, le Premier ministre par intérim d’Haïti qui a succédé à Moïse, bénéficie du soutien de puissances étrangères influentes, mais se heurte à une forte résistance haïtienne. Depuis qu’il a pris le pouvoir, le gouvernement d’Henry a été confronté à l’Accord de Montana, un groupe constitué de membres de l’opposition et de représentantes et représentants de la société civile. Henry était censé orienter la transition vers l’organisation d’élections, mais l’insécurité généralisée a empêché la tenue d’un vote, et Henry a parallèlement limogé le conseil électoral.

Des hommes réagissent devant une barricade en feu lors d’une manifestation contre la hausse du coût de la vie et pour l’éradication de la violence des gangs, Port-au-Prince, Haïti, 18 novembre 2022. REUTERS / Ralph Tedy Erol

Des centaines de gangs contrôlent plus de la moitié du pays. Ils étouffent la capitale, Port-au-Prince, en bloquant les routes et en faisant régner la terreur, notamment en recourant au viol pour punir et intimider la population, s’en prenant même parfois à des enfants d’à peine dix ans. La plus grande coalition, le G9, est dirigée par le célèbre chef de gang Jimmy « Barbecue » Chérizier. Les gangs haïtiens existent depuis des décennies, avec souvent des liens avec des responsables politiques. Mais leur pouvoir s’est considérablement accru depuis le meurtre de Moïse.

La situation s’est envenimée au cours des six derniers mois. En juillet, les combats entre le G9 et un autre gang pour la prise de Cité Soleil, un bidonville près de Port-au-Prince, ont tué plus de 200 personnes en un peu plus d’une semaine. Deux mois plus tard, Henry a supprimé les subventions sur le carburant, ce qui a fait grimper les prix en flèche et provoqué des manifestations de masse, auxquelles les membres des gangs se sont joints. Le G9 s’est ensuite emparé d’un important terminal pétrolier, laissant la quasi-totalité du pays en proie à des pénuries de carburant et perturbant notamment l’accès à l’eau potable. Chérizier a déclaré qu’il ne libérerait le terminal qu’après le départ d’Henry, mais les forces de police haïtiennes ont réussi à le reprendre quelques mois plus tard.

Les difficultés d’accès aux centres de santé que rencontre le personnel humanitaire, conjuguées à une pénurie d’eau potable, ont favorisé la résurgence du choléra.

Cette situation a abouti à une catastrophe humanitaire. La moitié de la population, soit 4,7 millions de personnes, souffre de la faim et près de 20 000 personnes risquent de mourir de faim. Les difficultés d’accès aux centres de santé que rencontre le personnel humanitaire, conjuguées à une pénurie d’eau potable, ont favorisé la résurgence du choléra. Selon un récent rapport de l’Organisation mondiale de la santé, plus de 13 000 cas ont été recensés entre début octobre et début décembre, avec 283 décès enregistrés, mais il est probable que ces chiffres soient largement sous-estimés.

Face à ces difficultés, Henry a demandé en octobre un soutien militaire étranger. Toute mission de ce type aura fort à faire pour combattre des gangs de jeunes hommes et d’enfants basés dans des zones urbaines très peuplées. En outre, il y a une forte opposition politique : le groupe de Montana s’oppose majoritairement à toute mission, estimant que le premier ministre par intérim l’utilisera pour conforter son pouvoir. Beaucoup d’autres Haïtiens sont méfiants, étant donné l’assujettissement du pays à des puissances extérieures et le bilan mitigé des précédents déploiements étrangers. Pourtant, de plus en plus de personnes, notamment dans les zones les plus touchées par la violence des gangs, ont, en désespoir de cause, affiché leur soutien à cette mission.

Les sanctions prises par les Etats-Unis et le Canada à l’encontre de plusieurs responsables politiques de premier plan, actuellement en poste ou pas, ainsi que de Chérizier, ont provoqué une onde de choc au sein des élites haïtiennes et pourraient les inciter à réfléchir à leurs futures connexions avec les gangs. Mais peu de pays étrangers ont hâte de déployer des troupes. Cela dit, si Henry et ses rivaux parvenaient à s’entendre sur le rôle d’une telle mission et sur une feuille de route transitoire, les forces étrangères pourraient être le meilleur espoir pour Haïti. Leur simple présence et la menace d’opérations pourraient amener les gangs à abandonner les routes principales et à desserrer leur étau sur la capitale.

9. Pakistan

Le Pakistan entre dans une année électorale avec un corps politique profondément divisé, alors que l’ancien Premier ministre Imran Khan cultive la fronde populaire contre le gouvernement et les militaires tout-puissants.

Khan a affirmé que Washington était à l’origine d’un complot visant à l’évincer.

Le départ de Khan du gouvernement au printemps dernier a coïncidé avec sa disgrâce au sein de l’armée pakistanaise. Après avoir remporté le pouvoir avec le soutien des hauts gradés, les relations se sont détériorées du fait de sa mauvaise gouvernance, de sa rhétorique enflammée contre les Etats-Unis et de ses tentatives de placer des soutiens à des postes importants dans l’armée. Alors que les partisans d’un vote de défiance se multipliaient, Khan a affirmé que Washington était à l’origine d’un complot visant à l’évincer. Le chef de l’armée, le général Qamar Javed Bajwa, a réfuté l’idée d’une conspiration, s’inquiétant de l’impact qu’elle pourrait avoir sur les relations avec les Etats-Unis. Il a également refusé l’offre de Khan, qui proposait de prolonger indéfiniment son mandat de chef des armées dans un ultime effort pour le convaincre. En avril, Khan a été évincé. Un gouvernement de coalition dirigé par Shehbaz Sharif a pris le relais.

Khan et son parti, Pakistan Tehreek-e-Insaf, ont alors quitté le parlement et sont descendus dans la rue. De violentes protestations dans tout le pays se sont multipliées lorsque le gouvernement de Sharif a rejeté la demande de Khan de tenir des élections anticipées. Ses partisans ont alors également critiqué les hauts gradés, tout particulièrement Bajwa. La rhétorique anti-occidentale a attisé la colère d’un public qui n’attendait que ça. Les affirmations de Khan accusant Sharif de mauvaise gestion de l’économie touchent également une corde sensible alors que le coût de la vie augmente.

Le 3 novembre, au cours d’une marche antigouvernementale de plusieurs semaines qui se dirigeait vers la capitale, Islamabad, Khan a été blessé par balle. Le tireur, appréhendé sur place, affirme avoir agi seul. Mais Khan accuse Sharif, un ministre et un haut responsable du renseignement militaire d’avoir conspiré pour l’assassiner.

Cette situation est de mauvais augure pour les élections, prévues avant octobre 2023. Les principaux candidats s’affrontent déjà sur les règles du jeu, et Khan accuse des responsables de la commission électorale de soutenir le gouvernement de Sharif. Il semble décidé à rejeter le résultat si son parti devait perdre. Les militaires, désormais sous un nouveau commandement, s’engagent à rester en dehors de la mêlée politique. Mais les généraux pourraient avoir du mal à rester à l’écart si la situation se délitait ou prenait une direction qu’ils considèrent comme menaçante.

Le Pakistan n’a vraiment pas besoin d’une autre crise politique qui s’ajouterait à de nombreuses autres difficultés. Cette année, des inondations dévastatrices ont submergé un tiers du pays, touchant un Pakistanais sur sept ; 20,6 millions de personnes ont encore besoin d’aide humanitaire. Selon des estimations crédibles, les dommages et les pertes économiques totales s’élèveraient à 31,2 milliards de dollars, et la reconstruction coûtera au moins 16,3 milliards de dollars supplémentaires. Les femmes et les filles, qui sont les segments les plus vulnérables de la population, sont parmi les plus touchées et voient leur accès déjà limité à l’éducation, aux revenus et aux soins médicaux se réduire encore plus.

Les inondations ont obligé le Pakistan à demander encore plus d’aides.

Les conditions du plan de sauvetage du Fonds monétaire international d’août 2022, pour empêcher le Pakistan de se retrouver en défaut de paiement, ont également placé Sharif devant un dilemme : annuler le plan de sauvetage et le perdre, ou mettre en œuvre des réformes douloureuses et risquer de donner un nouvel essor au populisme de Khan. Les inondations ont obligé le Pakistan à demander encore plus d’aides, mais elles tardent à venir. Les retards dans les secours et la reconstruction pourraient aggraver les griefs et renforcer la base de Khan.

Pendant ce temps, les insurgés islamistes ont refait surface. La province de Khyber Pakhtunkhwa, frontalière de l’Afghanistan, a vu les attaques d’insurgés contre les forces de sécurité exploser. Cette recrudescence s’explique à la fois par le fait que les Taliban ont protégé des insurgés pakistanais en Afghanistan et du fait qu’Islamabad n’est pas parvenu à conclure un accord avec les insurgés avec la médiation des Taliban. Après avoir accueilli les dirigeants taliban pendant des décennies au cours de la guerre menée par les Etats-Unis en Afghanistan, Islamabad semble avoir du mal à imposer sa volonté à son ancien allié.

10. Taïwan

L’avenir de Taïwan, sujet particulièrement sensible pour les Etats-Unis et la Chine, semble devenir une question de plus en plus épineuse, alors que Washington cherche à maintenir sa primauté dans la région et Pékin poursuit son objectif d’unification avec l’île.

Cela fait longtemps que la Chine souhaite parvenir à l’unification. Pékin dit espérer que cela se fasse pacifiquement, mais n’exclut pas le recours à la force. Selon Washington, Xi Jinping aurait fixé à 2027 la date à laquelle l’armée chinoise devrait être capable de s’emparer de Taïwan. Pour leur part, les Etats-Unis maintiennent la politique d’une « Chine unique » – visant à une résolution pacifique du statut de Taïwan sans préjuger de l’issue – et leur posture d’« ambiguïté stratégique » quant à la possibilité de prendre la défense de Taïwan. Mais Pékin étant de plus en plus puissant et confiant, Washington montre des signes de durcissement des politiques adoptées lorsque l’armée chinoise était plus faible.

Des hélicoptères Chinook font flotter le drapeau taïwanais près du gratte-ciel Taipei 101, lors des célébrations de la fête nationale à Taipei, Taïwan, 10 octobre 2022. REUTERS / Carlos Garcia Rawlins

La situation s’est exacerbée l’été dernier, lorsque la présidente sortante de la Chambre des représentants des Etats-Unis, Nancy Pelosi, s’est rendue à Taipei, la capitale de Taïwan. En tant que législatrice, Pelosi ne relève pas du président des Etats-Unis Joe Biden (dont le gouvernement semble avoir découragé la visite). Mais, comme on pouvait s’y attendre, Pékin a vu dans cette visite un signal fort de soutien à Taipei et un signe avant-coureur de l’érosion de l’engagement des Etats-Unis envers la politique de la « Chine unique ». Pékin a donc réagi en organisant des exercices militaires sans précédent autour de Taïwan et en déployant des navires de guerre et des avions au-delà de la « ligne médiane », considérée depuis des décennies comme la limite tacite de l’activité militaire chinoise dans le détroit de Taïwan.

La montée en puissance de la Chine, son assurance dans la région Asie-Pacifique et sa volonté de renforcer ses capacités militaires sont de plus en plus inquiétantes et sont devenues une des principales préoccupations de la politique états-unienne. La démonstration de force vis-à-vis de la Chine – y compris au sujet de Taïwan – est une des rares questions qui fasse l’objet d’un consensus bipartisan à Washington. Le gouvernement Biden, tout comme le Congrès, estiment que la capacité des Etats-Unis à dissuader une invasion chinoise a faibli, et ils veulent rétablir cette capacité.

Pour le gouvernement des Etats-Unis, il s’agit de rendre tangibles à la fois les coûts que la Chine encourrait si elle lançait une campagne militaire et l’assurance que, dans le cas où elle renoncerait à une telle invasion, Washington ne chercherait pas à imposer une séparation permanente avec Taïwan.

Il serait long et difficile de percer les défenses de Taïwan ... Pékin a probablement conscience de l’opprobre international et du coût économique qu’une telle offensive pourrait entraîner.

La Chine ne semble pas prête à envahir le pays pour l’instant. Il serait long et difficile de percer les défenses de Taïwan et, compte tenu de la réaction de l’Occident à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Pékin a probablement conscience de l’opprobre international et du coût économique qu’une telle offensive pourrait entraîner, même si les Etats-Unis choisissaient de ne pas intervenir militairement.

Pour l’instant, des menaces crédibles émanant des Etats-Unis contribuent à dissuader Pékin, telles que la continuation du renforcement des capacités d’autodéfense de Taïwan, et la définition de mesures économiques punitives avec ses alliés et partenaires. Mais ces mesures doivent reposer sur l’assurance que la politique des Etats-Unis ne change pas. Si Pékin venait à croire qu’en n’attaquant pas, elle laisserait à Washington et à Taipei la marge de manœuvre nécessaire pour créer les conditions d’une séparation permanente de Taïwan, son calcul pencherait alors en faveur de la guerre.

Biden semble conscient du danger. Bien qu’il ait une curieuse tendance à s’engager à aider militairement Taïwan (ses assistants se sont systématiquement empressés de d’atténuer ses propos), il s’en est tenu au script officiel lorsqu’il a rencontré le président chinois Xi Jinping en tête-à-tête lors de la réunion du G20 en novembre. Il a assuré à Xi que la politique des Etats-Unis restait inchangée. Xi, à son tour, a déclaré à Biden que la Chine continuait à poursuivre son plan d’unification pacifique.

Néanmoins, les aléas à court terme pourraient exacerber les tensions. Du côté des Etats-Unis, Kevin McCarthy, qui dirigeait les Républicains lorsqu’ils étaient minoritaires à la Chambre, a déjà déclaré qu’il se rendrait à Taïwan s’il succédait à Pelosi en tant que président de la Chambre. La Chine répondrait alors au moins par des démonstrations de force militaire comparables aux exercices qu’elle a organisés après la visite de Pelosi. Si les difficultés économiques et politiques internes de Pékin s’aggravaient, la Chine pourrait envisager de montrer sa détermination de façon plus musclée, en particulier si elle considère que les Etats-Unis profitent de leur avantage à un moment où la Chine apparaît particulièrement vulnérable.

Une telle escalade ne déclencherait peut-être pas la guerre immédiatement, mais elle pourrait faire avancer les plus grandes puissances économiques et militaires dans ce sens.

Publié originellement dans Foreign Policy

Contributors

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EroComfort
Executive Vice President
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