Point de vue de la présidente: de nombreux défis à relever pour l’UE
Point de vue de la présidente: de nombreux défis à relever pour l’UE
President's Take / Global 12 minutes

Point de vue de la présidente: de nombreux défis à relever pour l’UE

Du Soudan à l'Ukraine, les crises se multiplient, appelant une attention et une action renouvelées. Dans son introduction à l’édition de printemps de la Watch List 2023, Comfort Ero, présidente et directrice générale de Crisis Group, identifie les moyens par lesquels l'UE et ses Etats membres peuvent prévenir et résoudre les conflits dans le monde.

 

Le programme des réunions mensuelles des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne (UE) a rarement été aussi chargé que celui du 24 avril. Comme l’a fait remarquer le haut représentant de l’UE, Josep Borrell, à l’issue de la réunion : «Toutes les crises semblent converger et s’amonceler». L’ordre du jour était révélateur de l’éventail de conflits et de défis auxquels les décideurs politiques européens doivent faire face. Il couvrait notamment la crise au Soudan, la guerre en Ukraine et ses retombées géopolitiques, et le réajustement de la politique de l’UE à l’égard de la Chine – chacun de ces points étant d’une ampleur considérable. A l’heure où nous écrivons ces lignes, les ministres des Affaires étrangères poursuivent leurs discussions sur ces questions lors d’une réunion informelle en Suède, et ces sujets resteront au cœur de leur priorités au cours des prochains mois. 

Les combats au Soudan ont été, à juste titre, l’un des principaux sujets de la journée du 24 avril. La dernière Watch List de Crisis Group, publiée en janvier, avait souligné que, malgré l’accord-cadre du 5 décembre par lequel l’armée soudanaise acceptait de céder le pouvoir aux civils, la transition se heurtait encore à de réels obstacles. Les tensions qui couvaient entre l’armée, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhan, et les paramilitaires des Forces de soutien rapide, sous le commandement de Mohamed «Hemedti» Hamdan Dagalo, étaient particulièrement évidentes à l’approche de la date limite pour le transfert du pouvoir. Pourtant, peu de gens avaient prévu la rapidité et l’ampleur des combats qui ont éclaté le 15 avril. Les combats de rue et les bombardements aériens secouent la capitale Khartoum et des millions de civils sont pris entre deux feux alors que les stocks de produits de première nécessité s’épuisent rapidement. Les deux parties semblent juger que la confrontation est existentielle. Aucune fin n’est en vue et les combats pourraient dégénérer en une guerre civile dévastatrice qui déstabiliserait la Corne de l’Afrique et la région de la mer Rouge, deux zones d’importance stratégique pour l’Union européenne et bien d’autres pays.

Même si l’UE et les dirigeants européens n’exercent qu’une influence limitée au Soudan, ils devraient faire tout ce qui est en leur pouvoir pour dissuader les acteurs extérieurs de se laisser entraîner dans les combats, soutenir les efforts de médiation en cours et se tenir prêts à fournir une aide humanitaire. La plupart des ressortissants de l’UE ont été évacués et il est donc d’autant plus important que l’Europe reste focalisée sur la crise. Il est crucial de faire pression sur tous les acteurs à l’intérieur du Soudan, dans le voisinage immédiat du pays et à l’extérieur, pour s’assurer qu’ils renoncent à soutenir l’une ou l’autre partie. Toute dynamique qui impliquerait d’autres acteurs – qu’il s’agisse d’anciens rebelles, d’autres groupes armés soudanais ou d’autres puissances régionales – rendrait les perspectives de résolution du conflit plus difficiles encore à envisager. Pour l’heure, l’Europe devrait continuer à soutenir les efforts de médiation de l’Arabie saoudite et des Etats-Unis vers un cessez-le-feu humanitaire. (Les deux parties ont signé un accord à Jeddah, en Arabie saoudite, le 11 mai, par lequel elles s’engagent à protéger les civils). Si ces pourparlers aboutissaient, l’UE devrait se préparer à fournir rapidement une aide à grande échelle pour répondre à des besoins qui s’annoncent considérables. Les dirigeants européens devraient également encourager Washington et Riyad à élargir le plus rapidement possible le périmètre de la médiation pour y associer, au-delà des représentants des deux parties belligérantes, des civils soudanais et des diplomates des pays voisins et d’autres pays, ainsi que des organismes régionaux. Une participation plus large sera essentielle pour parvenir à un règlement durable d’une autre envergure qu’un cessez-le-feu humanitaire.

Aider l’Ukraine à se défendre contre l’invasion russe reste la priorité absolue de l’Europe en matière de sécurité.

Aider l’Ukraine à se défendre contre l’invasion russe reste la priorité absolue de l’Europe en matière de sécurité. Le dernier accord de l’UE sur une initiative en trois volets visant à fournir à Kiev de l’artillerie et des munitions, notamment par le biais de nouvelles procédures d’achat conjoint d’armes par l’UE, illustre la volonté de Bruxelles de prendre des mesures sans précédent pour s’assurer que l’Ukraine dispose de ce dont elle a besoin. Depuis l’invasion de la Russie en février 2022, les capitales européennes ont fait preuve d’une prudence réfléchie en évitant les mesures qui présentent un risque trop élevé de conflit direct entre l’OTAN et Moscou, notamment en s’abstenant de déployer des troupes en Ukraine et d’entraîner les soldats de Kiev sur le sol ukrainien (comme l’avait d’ailleurs recommandé Crisis Group dans ses précédentes Watch Lists). La Russie a, elle aussi, évité en général de prendre des mesures susceptibles de déclencher une implication directe de l’OTAN. Mais il serait déraisonnable d’écarter les risques d’escalade. Les Européens réfléchissent aujourd’hui à la livraison d’avions de combat occidentaux sophistiqués et de missiles à longue portée mais ils devraient impérativement évaluer la valeur ajoutée de cet armement pour l’Ukraine, compte tenu notamment de la durée de formation à son utilisation et à sa maintenance. 

Les espoirs des capitales occidentales reposent en partie sur une contre-offensive ukrainienne. Depuis le début, les Ukrainiens ont déjoué les pronostics sur le champ de bataille. En effet, il s’est avéré que les forces russes peinaient à percer les défenses ukrainiennes sur les fronts de l’est et du sud. Kiev espère certainement répéter, en menant une nouvelle contre-offensive, les avancées spectaculaires de la fin de l’été et de l’automne 2022. Mais les Ukrainiens auront fort à faire, car les Russes sont retranchés et l’effet de surprise, qui avait été décisif, sera difficile à répéter. Même si la contre-offensive ukrainienne permettait de reconquérir des territoires et imposait à Moscou une pression militaire, il est peu probable qu’elle modifie pour l’instant les calculs du Kremlin concernant la guerre. Aucun indice ne permet aujourd’hui de supposer que Moscou cherche à conclure un quelconque accord pour mettre fin à la guerre, et encore moins à des conditions acceptables pour Kiev. Le Kremlin donne au contraire l’impression de se préparer à un combat de longue haleine – et peut-être même y voit-il des avantages, notamment en gardant la population sur le pied de guerre. Les objectifs de Poutine restent d’avoir un gouvernement obéissant à Kiev et un Occident qui accepte la sphère d’influence définie par la Russie. Kiev, pour sa part, ne montre, et c’est compréhensible, aucune volonté de compromis à ce stade, étant donné que cela impliquerait la perte de son propre territoire et de sa souveraineté. 

Aussi improbable qu’un règlement puisse paraître à l’heure actuelle, l’UE et ses Etats membres devraient néanmoins se préparer pour le moment où les calculs de la Russie pourraient changer. Tout en continuant à soutenir l’Ukraine, ils devraient faire comprendre à Moscou qu’une voie vers un cessez-le-feu négocié ou un règlement reste possible. Comme Crisis Group l’a déjà souligné, cela signifie qu’il faudrait éviter toute mesure ou discours qui laisserait entendre que l’Occident voudrait assister à un changement de régime au Kremlin et indiquer clairement que certaines sanctions de l’UE seraient levées en cas de règlement politique acceptable pour l’Ukraine.

On ne note aucune fêlure majeure dans le front uni de l’Occident lorsqu’il s’agit de son soutien à l’Ukraine.

Pour l’instant, et malgré certaines divergences de vues et de politiques en Europe, on ne note aucune fêlure majeure dans le front uni de l’Occident lorsqu’il s’agit de son soutien à l’Ukraine. On ne sait pas si certaines divergences pourraient faire surface au cours de l’année prochaine, avec une baisse des approvisionnements dans les pays occidentaux et la tenue des élections américaines. Pour la plupart, les responsables politiques des Etats-Unis soutiennent fermement la politique ukrainienne de la Maison Blanche de Joe Biden et ses engagements en faveur du partenariat transatlantique et de la sécurité européenne, même si un petit groupe issu du parti républicain, dont l’ancien président Donald Trump, n’a cessé de les critiquer. Le soutien des Etats-Unis à l’Ukraine ne faiblira certainement pas dans l’immédiat. Mais compte tenu de la centralité de l’aide américaine, tout changement obligerait l’Europe à se pencher sur des questions difficiles. La plupart des responsables politiques européens sont conscients des problèmes que pourrait entraîner un changement de la politique américaine, mais ils ne semblent pas savoir comment s’y préparer, ce qui montre une fois encore la vulnérabilité de l’Europe face à la politique intérieure des Etats-Unis. 

La question se pose ensuite de la réponse de l’Europe aux répercussions géopolitiques de la guerre en Ukraine. Une partie de cette réponse passe par un renforcement des engagements bilatéraux avec les pays de son voisinage immédiat, l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine – des mesures que j’ai préconisées lors de réunions avec des interlocuteurs européens. Il est encourageant de constater que l’UE prend ce type de rapprochement au sérieux et qu’elle a même adopté un plan d’action concret pour dynamiser ses partenariats dans le monde entier grâce à un renforcement de son engagement politique et économique, notamment dans le cadre de son initiative « Global Gateway ». Cependant, certains discours des dirigeants occidentaux témoignent encore d’un manque de sensibilité à l’égard des préoccupations des capitales d’autres pays. 

Comme je l’ai déjà évoqué, les dirigeants européens devraient être plus nuancés et plus compréhensifs. Il est inévitable que de nombreuses capitales dans le monde préfèrent définir leurs politiques nationales selon leurs propres termes plutôt que dans le cadre d’une compétition entre l’Occident et la Russie – ou entre l’Occident et la Chine. Rares sont les dirigeants qui soutiennent Moscou ou qui se font des illusions au sujet de son agression en Ukraine. Pourtant, ils considèrent que choisir un camp ne servirait pas forcément leurs intérêts ou ceux de leur population. Compte tenu du bilan de l’Occident au cours des dernières décennies, très peu d’entre eux adhèrent à l’idée, qui sous-tend encore une bonne partie de la pensée européenne, selon laquelle l’Occident peut faire valoir une autorité morale. Dans leurs relations avec l’Europe, ils souhaiteraient se concentrer sur leurs propres priorités. Cette Watch List propose quelques idées concrètes à appliquer dans des régions spécifiques : travailler avec les pays d’Amérique latine pour réduire la criminalité organisée et la violence qui y est associée, par exemple, ou l’importance de ne pas fermer la porte aux pays pauvres qui ont développé des liens étroits avec Moscou, tels que le Mali et le Burkina Faso. D’une manière générale, élaborer une politique uniquement à travers le prisme de la confrontation avec Moscou ou Pékin serait contre-productif. Aucun pays n’appréciera de se voir obligé de choisir. 

Globalement, comme Crisis Group l’a déjà souligné, l’Europe devrait donner la priorité absolue aux effets économiques cumulés de la guerre, des sanctions contre la Russie et de la pandémie de Covid-19, qui sont les principales préoccupations de nombreux dirigeants d’autres pays. La hausse des prix des carburants et des denrées alimentaires de 2022 s’est quelque peu atténuée. Cependant, l’inflation reste élevée et le fardeau de la dette de nombreux pays pauvres semble de plus en plus ingérable (dix-sept pays à faible revenu sont en situation de surendettement). Dans certains pays, le bilan économique risque d’aggraver l’instabilité, d’alimenter le mécontentement et d’exacerber les crises politiques. Le Pakistan, qui figure sur cette Watch List, en est un exemple, mais de nombreux autres pays pourraient se trouver dans une situation comparable. Les pays riches, y compris en Europe, ont mis du temps à débloquer les diverses formes d’aide financière qu’ils avaient promises en 2022. Il est vrai que la part de la dette due aux pays occidentaux est beaucoup plus faible qu’il y a quelques années. Tout effort global devrait impliquer d’autres capitales, notamment Pékin, et le secteur privé. Le prochain sommet du G7, auquel participeront l’UE et plusieurs de ses Etats membres, pourrait être l’occasion pour les économies les plus riches du monde d’utiliser leur influence au sein des institutions financières internationales et leurs budgets d’aide considérables pour atténuer les difficultés économiques des pays plus pauvres et renforcer l’aide auprès de ceux qui sont confrontés à des risques de conflit. Une analyse de Crisis Group, qui sera publiée la semaine prochaine, exposera plus en détail ce que le G7 pourrait faire à cet égard. 

La Chine figure également parmi les priorités des ministres des Affaires étrangères de l’UE. La multiplication des visites européennes à Pékin a mis en évidence les divergences entre les dirigeants de l’UE en ce qui concerne la politique à l’égard de la Chine et la nécessité de résoudre les différends internes. Certains dirigeants, en particulier le président français Emmanuel Macron, suggèrent que l’Europe devrait éviter de trop s’impliquer dans les tensions entre la Chine et les Etats-Unis. (Un document proposant des options et préparé par le Service européen pour l’action extérieure en vue de la discussion des ministres des Affaires étrangères du 12 mai mettrait en garde l’Europe contre la tentation de se laisser entraîner dans un jeu à somme nulle entre Washington et Pékin). D’autres, qui considèrent la Chine comme un concurrent dangereux et un allié de Moscou, préconisent une ligne européenne plus agressive et préfèrent rester aux côtés de Washington. Les chefs d’Etat européens devraient aborder le sujet lors de leur sommet de juin et les jours et les semaines à venir seront l’occasion de réévaluer la situation et de revoir leur position. 

Comme c’est souvent le cas au sein de l’UE, la position commune se situera probablement entre les deux. L’UE semble vouloir maintenir son approche à trois volets qui traite la Chine à la fois comme un partenaire de négociation, un concurrent économique et un rival stratégique, même si elle met sans doute davantage l’accent sur ce dernier volet. La plupart des fonctionnaires de l’UE et des Etats membres semblent largement d’accord avec les intentions définies par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans un discours prononcé peu avant son propre voyage à Pékin, qui souligne avec plus de force que par le passé les nombreux points de friction dans les relations entre l’UE et Pékin (le partenariat Chine-Russie renforcé et ce que les capitales européennes considèrent comme des politiques de déstabilisation en Asie ; les violations des droits humains dans la région du Xinjiang ; ou encore la désinformation et la coercition économique à l’encontre des Etats membres de l’UE). Ce discours souligne également la nécessité de réduire la dépendance économique de l’Europe à l’égard de la Chine, tout en reconnaissant l’importance de s’impliquer sur des questions d’intérêt mutuel.

Trouver la bonne voie dans les relations pluridimensionnelles de l’Europe avec Pékin....est l’un des plus grands défis auxquels sont confrontés les décideurs politiques européens.

Trouver la bonne voie dans les relations pluridimensionnelles de l’Europe avec Pékin – une voie qui soit réaliste quant à l’importance du commerce et de la résolution des problèmes mondiaux avec la Chine, tout en étant lucide quant au défi que représente un Pékin plus affirmé – est l’un des plus grands défis auxquels sont confrontés les décideurs politiques européens. Cette tâche est d’autant plus ardue que les politiques de Washington sont de plus en plus dures et que les dirigeants des deux principaux partis américains rivalisent de fermeté à l’égard de Pékin. 

Des changements se profilent à l’horizon. Ursula von der Leyen l’a annoncé, il est presque certain que l’Europe réduira sa dépendance à l’égard des industries chinoises essentielles afin de limiter l’influence économique de la Chine sur l’Union et ses membres. Même si cette décision revêt un intérêt stratégique, l’Europe devrait rester prudente et ne pas sous-traiter entièrement sa politique chinoise à Washington. La relation transatlantique reste cruciale pour la sécurité régionale – comme l’a démontré le conflit en Ukraine – mais elle peut s’accommoder de certains échanges de points de vue sur des questions essentielles d’intérêt régional. La politique nationale des Etats-Unis ayant tendance à s’orienter vers une ligne dure, Bruxelles pourrait utilement modérer la position des Etats-Unis. Par exemple, lorsque l’Europe a résisté à la pression des Etats-Unis en faveur d’un découplage économique avec la Chine et a mis en avant son propre concept plus modéré d’«atténuation des risques», le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a finalement adopté le même discours. Il n’est pas certain que l’Europe et les Etats-Unis entendent la même chose par ce terme, mais l’adoption du ton plus mesuré de l’UE est en soi une étape positive.

 La rivalité stratégique entre Washington et Pékin est telle qu’il est difficile de savoir quelle influence Bruxelles sera en mesure d’exercer sur l’un ou l’autre en matière de sécurité, mais l’UE devrait faire ce qu’elle peut. Les dirigeants européens pourraient et devraient par exemple exhorter les deux parties à reprendre le dialogue à la fois aux échelons supérieurs de la hiérarchie mais aussi au niveau opérationnel et à s’engager à communiquer par le biais de lignes directes de défense, même si leurs relations restent turbulentes. Que les deux parties soient fautives ou non, l’Europe devrait avoir la même approche pour montrer qu’elle est impartiale. 

En ce qui concerne Taïwan, l’UE n’est pas l’acteur central comme c’est le cas pour la guerre en Ukraine, mais il est clair que toute confrontation au sujet de l’ile serait aussi catastrophique pour l’Europe que pour le reste du monde, avec des retombées économiques encore plus conséquentes que celles de la guerre en Ukraine. D’une manière générale, les Etats-Unis, lorsqu’il s’agit de défendre Taïwan, devraient trouver un juste équilibre entre dissuasion et apaisement. Notamment, ils devraient renforcer les défenses de Taïwan et exposer clairement à la Chine ce que couterait une tentative de prise de contrôle de l’ile par la force, y compris en faisant état des sanctions qu’une telle démarche entraînerait. Mais ces mesures doivent s’accompagner d’efforts visant à rassurer Pékin sur la solidité du statu quo – c’est-à-dire l’engagement en faveur de la politique d’une «Chine unique» qui ne reconnaît pas l’indépendance de Taïwan – et sur le fait que la possibilité d’une réunification n’est pas exclue. Jusqu’à présent, les Etats-Unis donnaient parfois l’impression de négliger la dimension d’apaisement. L’Europe devrait se concentrer sur ces deux aspects. Elle ne peut pas se permettre d’être plus souple en matière de dissuasion; d’ailleurs, son engagement en faveur des sanctions pourrait y contribuer. Parallèlement, les capitales européennes devraient affirmer leur propre politique d’une «Chine unique» – et, dans la mesure du possible, encourager les Etats-Unis à faire de même – et inciter toutes les parties à maintenir le statu quo. 

L’UE doit également rester réaliste quant à la volonté de Pékin d’influencer la Russie et à son rôle potentiel de médiation en Ukraine. Pékin a tenté de donner une image de neutralité constructive malgré son «amitié sans limites» avec Moscou et d’insister sur sa volonté de médiation. Il n’y a aucune raison de rejeter d’emblée les offres de la Chine. Les dirigeants européens pourraient même signaler à Pékin que si la Russie renonçait à ses visées maximalistes pour rechercher une paix durable – ce que Moscou n’a pour l’instant pas donné l’impression de vouloir faire–, ils soutiendraient les négociations. Mais les dirigeants européens devraient être lucides quant aux intérêts fondamentaux de Pékin. La Chine considère Moscou comme un allié stratégique pour résister à la pression des Etats-Unis et il semble peu probable qu’elle prenne le risque d’affaiblir le Kremlin, ou qu’elle emploie ses capitaux, pour inciter le président Vladimir Poutine à trouver un accord. Sur la question de l’Ukraine, la Chine a davantage l’intention de se présenter au reste du monde comme un intermédiaire honnête que d’œuvrer sérieusement à rétablir la paix.

Malgré les nombreuses questions très médiatisées qui figurent à l’ordre du jour européen, l’UE et ses Etats membres devront rester vigilants par rapport à d’autres conflits et crises qui se profilent ou risquent de s’aggraver, mais qui ne font pas nécessairement la une des journaux. Cette nouvelle édition de la Watch List attire l’attention sur certains d’entre eux : la crise au Pakistan, les niveaux records de violence au Burkina Faso et au Mali, l’impasse qui se dessine sur le programme nucléaire iranien, la vague de crimes violents en Amérique latine et le risque de nouvelles tensions entre le Kosovo et la Serbie. Les capitales européennes ne peuvent pas résoudre toutes ces crises à elles seules, mais elles ont encore un rôle important à jouer pour trouver des moyens de mettre fin à la violence, de l’atténuer ou d’éviter le type de scénario catastrophe qui se déroule actuellement au Soudan.

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