Activists take part in a march on the eve of the commemoration of the International Day for the Elimination of Violence Against Women, in Santiago, on 22 November 2018. Martin BERNETTI / AFP
Commentary / Gender and Conflict 4 minutes

Défendre la place des femmes en politique

Les militantes des droits humains font face à une répression et à une violence accrues partout dans le monde. Elles sont prises pour cible comme activistes ou comme femmes. Beaucoup reste à faire pour que les femmes puissent participer à la vie publique en toute sécurité.

Début janvier 2019, des individus armés non identifiés ont abattu Maritza Isabel Quiroz Leiva, une militante colombienne des droits sur les terres âgée de 60 ans, dans une petite ferme près de Santa Marta, sur la côte caribéenne. Son assassinat a rappelé de manière brutale que s’exprimer sur des questions politiques et sociales en Colombie restait une entreprise dangereuse, qu’il s’agisse des conflits fonciers, des droits des femmes ou de la violence politique qui perdure malgré l’accord de paix de 2016 entre le gouvernement et la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Car la mort de Maritza n’est pas un incident isolé : au cours des trois dernières années, des guérilleros (éléments des FARC et autres), des criminels et des agresseurs non identifiés ont tué plus de 300 activistes (hommes et femmes).

La Colombie n’est pas le seul pays de cette région du monde où la violence contre les défenseurs des droits humains expose d’éminentes militantes à des agressions physiques et à d’autres abus. En 2018, CrisisWatch, notre outil de suivi des conflits mondiaux, a recensé plusieurs meurtres similaires ailleurs en Amérique latine, dont celui de la militante autochtone guatémaltèque, Juana Raymundo, en juillet, et celui de la militante colombienne des droits des femmes, Maria Caicedo Muñoz, en octobre.

Les femmes présentes sur le devant de la scène parce qu’elles défient l’ordre établi et s’attaquent à des intérêts puissants, qu’il s’agisse de gouvernements, d’insurrections ou de bandes criminelles, sont des cibles de choix ; les figures féminines qui représentent des groupes négligés – comme les pauvres, les minorités ethniques et sexuelles, les personnes déplacées ou les migrants – sont également visées. L’assassinat en mars 2018 de la Brésilienne Marielle Franco, membre du conseil municipal de Rio de Janeiro, en est un parfait exemple. En plus de militer contre la corruption et la brutalité policière, Franco était une ardente porte-parole des femmes noires, de la communauté LGBT et des jeunes. L’enquête a progressé lentement.

En plus des menaces auxquelles font face tous les militants, les femmes sont particulièrement vulnérables aux violences liées au genre.

A l’échelle mondiale, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, Michel Forst, a souligné dans un rapport de 2019 que dans le climat politique actuel, où l’on constate à la fois un retour de bâton contre les droits humains et une montée des discours misogynes chez les dirigeants politiques, les femmes qui se battent pour le respect des droits humains « subissent une répression et une violence accrues partout dans le monde ». Le rapport suggère que ces femmes sont parfois prises pour cible pour les causes qu’elles défendent, et parfois simplement parce qu’elles sont des femmes qui font entendre leur voix.

En plus des menaces auxquelles font face tous les militants, les femmes sont particulièrement vulnérables aux violences liées au genre, qui peuvent inclure la stigmatisation, l’humiliation publique (dans le but de nuire à leur « honneur »), les menaces de violence sexuelle, le harcèlement en ligne et les assassinats. En avril 2018, des individus cherchant à intimider la journaliste d’investigation indienne Rana Ayyub et à lui nuire l’ont menacée de violences sexuelles sur les réseaux sociaux et ont réalisé un montage vidéo pornographique pour ternir sa réputation. En juin, des individus ont saccagé le domicile de la journaliste et militante Marvi Sirmed, qui a bataillé sans relâche pour que les droits des femmes et l’Etat de droit jouent un rôle essentiel dans la transition politique au Pakistan. En juillet, un inconnu a attaqué à l’acide sulfurique Kateryna Handzyuk, militante anticorruption à Kherson, en Ukraine ; avec des brûlures sur plus de 30 pour cent du corps, elle a succombé à ses blessures en novembre. En septembre, des agresseurs masqués ont ouvert le feu sur Soad al-Ali, 45 ans, éminente militante des droits humains et mère de quatre enfants, en plein jour dans la ville de Bassorah, dans le Sud de l’Irak. A la même période, trois autres femmes irakiennes influentes, dont Tara Fares, personnalité populaire sur les réseaux sociaux, ont été tuées ou retrouvées mortes dans des circonstances suspectes à d’autres endroits du pays.

Les dirigeants du monde entier devraient s’exprimer plus fermement sur l’importance cruciale de la participation des femmes à la vie politique.

Les menaces de violence ou les attaques ciblées contre des militantes affectent non seulement leur sécurité, mais pourraient aussi freiner leur participation à la vie publique, où les femmes sont déjà sous-représentées. Au niveau mondial, un quart seulement des parlementaires sont des femmes et presque tous les chefs d’Etat ou de gouvernement sont des hommes. S’attaquer aux risques de violence politique ne suffira pas pour améliorer la représentation des femmes en politique car de nombreuses raisons peuvent expliquer le faible taux de participation politique des femmes dans le monde. De même, une meilleure représentation des femmes en politique ne signifie pas nécessairement que les dangers diminuent pour les femmes (l’Amérique latine, qui affiche l’un des taux de violence contre les militants des droits humains les plus élevés au monde, peut se vanter d’avoir un mouvement dynamique en faveur des droits des femmes, et plusieurs de ses parlements affichent des taux relativement élevés de représentation des femmes). Mais rendre plus sûre la participation des femmes à la vie publique ne peut qu’aider. Les Etats et leurs dirigeants devraient utiliser les moyens à leur disposition – légiférer dans le bon sens, appliquer la loi de façon rigoureuse pour qu’entre autres les responsables d’abus soient traduits en justice, ou faire en sorte que les forces de sécurité soient sensibles aux besoins de protection des femmes – pour combattre la violence contre les militantes.

Défendre la place des femmes en politique est particulièrement important dans le domaine de la résolution des conflits. Bien que les femmes jouent depuis longtemps un rôle dans les procédures informelles de règlement des différends, leur quasi-absence des pourparlers de paix et des processus et mécanismes de sécurité similaires au niveau international, notamment sur le Yémen ou l’Afghanistan, exige une attention particulière. Mettre à l’écart les femmes touchées par un conflit – ou les femmes qui représentent ceux dont le statut social est perçu comme inférieur en raison de leur situation socioéconomique, de leur âge, de leur niveau d’éducation, de leur appartenance ethnique ou de leur religion – ne permet pas de construire des cadres inclusifs pour une paix durable.

Alors que nous célébrons la Journée internationale des femmes le 8 mars, les dirigeants du monde entier devraient s’exprimer plus fermement sur l’importance cruciale de la participation des femmes à la vie politique. Ils devraient prendre davantage de mesures pour prévenir et condamner les agressions verbales et physiques contre les militantes des droits humains ou les femmes politiques et leurs familles. Ils devraient aussi créer un espace plus grand et plus sûr pour la société civile, y compris les groupes de femmes, pour leur permettre de se faire entendre sur les politiques gouvernementales qui affectent leur vie.

La violence contre les militantes et les femmes politiques est lourde de conséquences, non seulement pour les familles, mais aussi pour le bien-être des sociétés en général. Quand les autorités échouent à protéger des femmes comme Maritza Isabel Quiroz Leiva et Marielle Franco, elles envoient un terrible message aux femmes et aux filles qui veulent participer au débat public. Si celles-ci y renonçaient, ce serait une tragédie non seulement pour les femmes dont le potentiel serait gâché, mais aussi pour les collectivités dans lesquelles elles vivent.

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