Report / Latin America & Caribbean 3 minutes

Les nouveaux groupes armés de Colombie

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Synthèse

Le gouvernement du président Alvaro Uribe considère la dissolution des groupes paramilitaires des Autodéfenses unies de Colombie (AUC) entre 2003 et 2006 comme une étape essentielle sur le chemin de la paix. Certes, le retrait de 32 000 membres des AUC du conflit armé a sans aucun doute modifié le contexte de la violence mais tout porte à croire que de nouveaux groupes armés sont en train d’émerger et ne sont pas de simples "bandes criminelles", comme le prétend le gouvernement. Certains de ces groupes apparaissent de plus en plus comme la nouvelle génération de paramilitaires, aussi le gouvernement doit-il de toute urgence apporter une réponse globale à ce phénomène.

Depuis le début 2006, la mission d’appui au processus de paix de l’Organisation des États américains (MAPP/OEA) ainsi que des organisations de défense des droits de l’Homme et de la société civile ont insisté sur le risque de voir les unités paramilitaires démobilisées reprendre les armes. Elles ont également mis en garde contre la persistance de groupes qui n’ont jamais désarmé faute de participer aux négociations entre le gouvernement et les AUC, et contre la fusion d’anciennes factions paramilitaires avec de puissantes organisations criminelles, elles-mêmes souvent impliquées dans le narcotrafic. Pire encore, certains nouveaux groupes et organisations criminelles semblent avoir noué, dans le cadre du trafic de drogue, des liens avec des membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et de l’Armée de libération nationale (ELN). Dans le même temps, le plan gouvernemental de réintégration des paramilitaires démobilisés s’est révélé profondément défaillant.

Ces alertes doivent être prises au sérieux car les conditions sont aujourd’hui réunies pour que des groupes paramilitaires traditionnels ou encore une fédération de nouveaux groupes et d’organisations criminelles vivant du trafic de drogue continuent à exister ou réapparaissent. L’armée est en lutte permanente contre les FARC et l’ELN, plus modeste, et le trafic de drogue ne faiblit pas. Le volume considérable de fonds provenant du narcotrafic alimente un conflit qui dure depuis des décennies, gêne la réintégration des anciens combattants dans la société civile et encourage la formation et le renforcement de nouveaux groupes armés, comme ce fut le cas avec les AUC et les FARC il y a plus de dix ans.

Ces nouveaux groupes ne disposent pas encore du niveau d’organisation, du pouvoir ou de la portée des AUC. Si les avis divergent quant au nombre de leurs effectifs, même la plus faible estimation, de quelque 3000 hommes, sur laquelle s’accordent la police et la mission de l’OEA, est troublante. Les organisations de la société civile estiment quant à elles que ce nombre pourrait être jusqu’à trois fois plus important. Certains de ces groupes, par exemple l’Organisation Nouvelle génération (Organización Nueva Generación) dans le département de Nariño, opèrent de façon similaire à l’ancien bloc des AUC dans la région : opérations anti-insurrectionnelles, tentative de contrôle du territoire et de la population afin de dominer le trafic de drogue. D’autres, comme les Aigles noirs dans le département du Norte de Santander, sont moins en vue et concurrencent les réseaux criminels installés à la frontière vénézuélienne tout en coopérant avec eux.

Face à cette menace, la réponse du gouvernement est insuffisante : il considère qu’il ne s’agit que d’un problème d’application de la loi, domaine principalement du ressort de la police. Cette dernière a lancé un plan spécial et créé une « unité de recherche » pour s’attaquer à ce qu’elle désigne sous le nom générique de "bandes criminelles". Mais ceci n’a pas empêché les groupes armés de continuer à se développer à travers le pays. Dans certaines régions, les forces de sécurité ne coopèrent pas les unes avec les autres et semblent peu enclines à faire obstacle à ces nouveaux groupes. Les autorités judiciaires, et en particulier le bureau du procureur général (Fiscalía general de la Nación) sont souvent dans l’impossibilité de mener à bien leurs enquêtes par manque de moyens et du fait du manque de collaboration de la part des forces de sécurité, mais aussi parce qu’elles font l’objet d’intimidations. La restructuration en cours du programme de réintégration des anciens combattants a pour but de surmonter ces graves lacunes mais prend beaucoup de temps.

Seule une stratégie renouvelée et globale permettra de venir à bout des groupes émergents et des organisations criminelles. Une telle stratégie devra comprendre un important travail de renseignement et une application de la loi plus efficace ainsi que des mesures militaires, tout en respectant scrupuleusement les droits humains. Elle devra également s’accompagner d’une amélioration du processus de réintégration des combattants démobilisés dans la société, notamment par le biais d’un programme national d’envergure portant sur les infrastructures et le développement rural. Cette stratégie devra se concentrer en premier lieu sur les régions qui ne sont plus dominées par les paramilitaires mais qui restent la cible des nouveaux groupes et des FARC. Le maintien de la sécurité dans ces régions dépend d’une part de la présence permanente et efficace de la police et de l’armée, et d’autre part de la capacité de l’État à offrir des services et un soutien économique tangibles aux communautés locales.

Bogotá/Bruxelles, 10 mai 2007

Executive Summary

The disbanding of the paramilitary United Self-Defence Forces of Colombia (AUC) between 2003 and 2006 is seen by the administration of President Alvaro Uribe as a vital step toward peace. While taking some 32,000 AUC members out of the conflict has certainly altered the landscape of violence, there is growing evidence that new armed groups are emerging that are more than the simple “criminal gangs” that the government describes. Some of them are increasingly acting as the next generation of paramilitaries, and they require a more urgent and more comprehensive response from the government.

Since early 2006, the Organization of American States (OAS) Peace Support Mission in Colombia (MAPP/OEA), human rights groups and civil society organisations have insistently warned about the rearming of demobilised paramilitary units, the continued existence of groups that did not disband because they did not participate in the government-AUC negotiations and the merging of former paramilitary elements with powerful criminal organisations, often deeply involved with drug trafficking. Worse, there is evidence that some of the new groups and criminal organisations have established business relations over drugs with elements of the insurgent Revolutionary Armed Forces of Colombia (FARC) and National Liberation Army (ELN). At the same time, the government’s plan for reintegrating demobilised paramilitaries has revealed itself to be deeply flawed.

These alerts have to be taken seriously since conditions now exist for the continuity or re-emergence either of old-style paramilitary groups or a federation of new groups and criminal organisations based on the drug trade. The military struggles with the FARC and the smaller ELN are ongoing, and drug trafficking continues unabated. Massive illegal funds from drug trafficking help fuel the decades-long conflict, undermine reintegration of former combatants into society and foment the formation and strengthening of new armed groups, as occurred with the AUC and the FARC more than a decade ago.

These new groups do not yet have the AUC’s organisation, reach and power. Their numbers are disputed but even the lowest count, from the police and the OAS mission, of some 3,000 is disturbing, and civil society groups estimate up to triple that figure. Some of these groups, such as the New Generation Organisation (Organización Nueva Generación, ONG) in Nariño have started to operate much like the old AUC bloc in the region, including counter-insurgency operations and efforts to control territory and population so as to dominate the drug trade. Others, such as the Black Eagles in Norte de Santander, are less visible and both compete and cooperate with established criminal networks on the Venezuelan border.

The government’s response to the threat has been insufficient, limited to treating it as a law enforcement matter, mainly the responsibility of the police, who have instituted a special plan and a special “search unit” to deal with what they generically label “criminal gangs” (bandas criminales). This has not stopped the groups from spreading across the country. In some regions the security forces do not cooperate with each other and show low commitment to fight the new groups. Justice institutions, in particular the attorney general’s office, often cannot carry out investigations because they lack resources and are not helped by the security forces but also because they are intimidated. The reintegration program for ex-combatants is being restructured to overcome serious shortcomings but time is working against it.

A new, comprehensive strategy is essential if the emerging groups and criminal organisations are to be defeated. It requires combining solid intelligence and more effective law enforcement with military measures, all with full respect for human rights and complemented by improvements in how demobilised fighters are reintegrated into society, including a major, national rural infrastructure and development program. This strategy needs to concentrate initially in the regions where paramilitary domination has ended but which are targets of both the new groups and the FARC. Sustaining security in those areas depends both on permanent, effective police and military presence as well as on providing tangible economic benefits and services for the local communities.

Bogotá/Brussels, 10 May 2007

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