Plan cocaïne : l'impasse américaine
Plan cocaïne : l'impasse américaine
Colombia’s Peace at Stake in Polarised Election
Colombia’s Peace at Stake in Polarised Election
Op-Ed / Latin America & Caribbean 4 minutes

Plan cocaïne : l'impasse américaine

Parmi les guerres menées par l'Amérique, il en est une qui semble particulièrement vouée à l'échec : celle contre la production de coca dans les Andes. Malgré les milliers de victimes du conflit colombien, plus de 3 milliards de dollars dépensés par Washington à travers le plan Colombie et ceux qui arrivent dans la région par la nouvelle Initiative andine contre la drogue, les marchés de la cocaïne aux Etats-Unis et en Europe se portent à merveille.

Le niveau d'approvisionnement n'a pas baissé aux Etats-Unis, et les prix sont même légèrement en baisse. Ce seul fait devrait inviter les législateurs à jeter un oeil plus critique sur ce qui se passe dans la région andine et à corriger immédiatement certains aspects de la politique antidrogue.

Il est d'abord important de distinguer les dynamiques de production de coca en Colombie d'une part, au Pérou et en Bolivie de l'autre. Ces deux derniers pays connaissent une production traditionnelle pour leur consommation locale. Depuis des lustres, les habitants cultivent l'arbuste, dont ils consomment la feuille en infusion ou la mâchent comme un stimulant pour les lourds travaux qu'ils effectuent à des altitudes de 3 000 à 4 700 mètres.

La feuille de coca est un élément sacré dans les régions indigènes de ces pays. Elle entre dans la totalité des rituels traditionnels, elle est l'élément central de la " coutume ", offert à tout entrant dans une maison. Infusée ou mâchée, la feuille n'est évidemment pas hallucinogène. Ses effets sont ceux d'un simple excitant, comparables à ceux du café.

La Bolivie et le Pérou ne peuvent en interdire purement et simplement la production sans risquer de déstabiliser leurs institutions, déjà faibles.

Les peuples concernés perçoivent la lutte contre la production de coca comme une nouvelle injustice. Parmi les plus pauvres de la planète, devraient-ils être pri-vés d'un élément central de leur culture parce que les classes aisées d'Europe et des Etats-Unis s'autodétruisent en transformant la coca en substance hallucinogène ? La Bolivie a résolu le problème en accordant un certain nombre d'hectares à la culture légale. Le Pérou a créé une agence étatique pour l'achat et la gestion de la production légale.

Les programmes d'éradication péruviens et boliviens ont toujours rejeté l'idée de toute fumigation aérienne des plantations. Pourtant, la situation de violence et de destructuration sociale que ces programmes ont laissée derrière eux fait frémir. En Bolivie, le chef d'une fédération de producteurs de coca, Evo Morales, est désormais à la tête d'une des forces politiques les plus importantes du pays (le MAS) et a des chances de devenir président de la République. Au Pérou, les producteurs de coca, politiquement beaucoup moins organisés, ont récemment organisé une marche sur Lima.

Le budget pour la lutte antidrogue que l'administration Bush vient de présenter au Congrès comporte des coupures de 10 % sur les aides au développement alternatif en Bolivie et de près de 20 % pour les mêmes programmes au Pérou.

Certes, une partie importante de la coca produite pour usage " officiel " dans ces deux pays entre dans le circuit de la production de cocaïne. Mais les politiques antidrogue et la manière dont elles sont perçues par ces populations pauvres rajoutent de l'huile sur un feu qui a déjà conduit à la démission d'un président bolivien sous la pression de la rue. Il est urgent de compenser ces politiques par des projets de cultures alternatives réelles et de repenser, en Europe et aux Etats-Unis, comment réduire sérieusement la demande.

En Colombie, cette lutte est autrement complexe. La coca n'y est pas du tout une culture traditionnelle. Elle y est arrivée dans les années 1980 dans le but explicite d'être transformée en cocaïne. Elle y a contribué à une violence inouïe à l'époque des cartels de Medellin et de Cali. Elle est l'un des éléments centraux du conflit colombien, qui, avec 22 000 victimes en 2004, reste un des plus meurtriers au monde.

Les acteurs de la violence s'y sont divisé les tâches. Les Forces armées révolutionnaires (FARC) contrôlent des territoires de production de coca, obligent les paysans à la cultiver et vont jusqu'à organiser pour eux de véritables campagnes agricoles, avec fourniture de semences et prêts agricoles. Mais elles sont incapables de mettre la main sur la partie la plus juteuse du trafic : la transformation de la pasta básica en cocaïne dans des laboratoires clandestins.

Là, les groupes paramilitaires tiennent le haut du pavé. C'est eux, aussi, qui commercialisent, à travers les baby cartels qui ont succédé à ceux de Medellin et Cali. Dans certaines régions, comme la vallée du Magdalena, la division des tâches entre FARC et paramilitaires se fait même sans heurts. Les FARC, qui occupent les hauteurs, produisent les feuilles, les paramilitaires, qui contrôlent le fleuve, gèrent la transformation et l'exportation clandestine.

Les grands programmes d'épandage par avions d'herbicides sur les champs de coca colombiens ont, certes, contribué à réduire de près de 50 % la surface plantée (de 163 000 hectares en 2000 à 86 000, fin 2003). Mais la quantité de cocaïne atteignant les marchés américains n'a aucunement été affectée. Les planteurs colombiens ont fait preuve d'une grande souplesse : les plantations se sont répandues dans tout le pays, les champs sont de plus en plus petits, mélangés à d'autres cultures, et donc impossibles à " traiter " par avions.

Les politiques antidrogue sont dans l'impasse. Elles sont une partie intégrale de la guerre en Colombie, productrices de pauvreté et d'instabilité au Pérou et en Bolivie. Elles coûtent très cher au contribuable américain. Il n'y a pas de solution miracle, mais il est temps de s'attaquer plus fermement à la demande en Europe et aux Etats-Unis.

Les expériences tentées en Hollande, en Suisse et dans plus de trente villes européennes, qui consistent à traiter le problème de la consommation de drogue sous l'angle non plus seulement de la criminalité mais aussi de la santé publique, contribuent clairement à faire baisser la demande. La France et l'UE devraient s'en inspirer. L'Académie des sciences des Etats-Unis devrait investir dans l'étude des résultats de ces approches, afin que le Congrès puisse prendre des mesures de lutte plus efficaces sur le territoire américain.

Il est de plus en plus indécent de faire porter le fardeau de cette lutte aux seuls producteurs, de stigmatiser comme criminels ces masses de paysans andins miséreux tout en laissant les classes moyennes de nos pays riches sniffer en paix. Sans plus d'inventivité et de volonté politique dans les pays consommateurs afin de réduire la demande, les échecs des politiques actuelles vont continuer à se solder en milliers de morts et en tumultes dans tout l'arc andin.

Subscribe to Crisis Group’s Email Updates

Receive the best source of conflict analysis right in your inbox.