Briefing / Latin America & Caribbean 3 minutes

Haïti : réforme de la justice et crise de la sécurité

Le crime organisé et la violence menacent de submerger Haïti. Le système judiciaire haïtien est faible et complètement dépassé par la vague croissante d’enlèvements, de trafic de drogue et de personnes, d’agressions et de viols qui frappe le pays.

  • Share
  • Enregistrer
  • Imprimer
  • Download PDF Full Report

Synthèse

Le crime organisé et la violence menacent de submerger Haïti. Le système judiciaire haïtien est faible et complètement dépassé par la vague croissante d’enlèvements, de trafic de drogue et de personnes, d’agressions et de viols qui frappe le pays. Il faut agir de toute urgence pour que les efforts de ces trois dernières années visant à mettre en place un État de droit et une démocratie stable en Haïti portent leurs fruits. Avant tout, le gouvernement haïtien doit faire preuve de véritable volonté politique. Mais la communauté internationale elle aussi doit jouer un rôle important de soutien. Le besoin le plus urgent concerne la création de deux tribunaux spéciaux : un tribunal pénal qui jugerait des principaux actes criminels commis en Haïti et un tribunal hybride haïtiano-international pour juger des cas de crime organisé transnational auxquels le pays seul ne peut faire face.

La criminalité a explosé depuis le pillage voire, dans de nombreux cas, la destruction de prisons et de tribunaux lors des événements qui ont abouti au départ du président Aristide en mars 2004. La justice est entravée par l’incompétence et la corruption, qui s’expliquent en partie par des salaires, une infrastructure et un soutien logistique inadaptés. Le Code civil, à peine modifié depuis l'importation du Code Napoléon dans ce qui avait été jadis une colonie française, est archaïque ; les juges ne sont pas indépendants, le traitement des dossiers laisse à désirer et les indigents bénéficient rarement des services d’un avocat. L’État n’est capable de garantir ni la sécurité de ses citoyens ni les droits des défendeurs. Lorsque des suspects sont arrêtés, le système est quasiment incapable de mener leurs procès à bien. La surpopulation des prisons est en augmentation et la criminalité urbaine croît de jour en jour alors que les procédures judiciaires avancent à un rythme d’escargot. En conséquence, les cas de détention préventive sont très nombreux (quelque 96 pour cent des détenus au pénitencier national n’ont pas été jugés), les procès pas toujours équitables et la population n’a quasiment aucune confiance dans la justice pénale.

Dans la période optimiste qui a suivi le retour d’exil d’Aristide – qui avait été élu démocratiquement – en 1994, les bailleurs de fonds avaient donné plus de 43 millions de dollars pour la réforme de la justice en Haïti. Lorsqu’Aristide a été réélu en 2000, les donateurs ont quasiment mis fin à leur soutien parce qu’ils étaient convaincus que le gouvernement n’avait pas la volonté politique suffisante pour mener à bien les réformes nécessaires. L’aide a recommencé à affluer depuis le départ d’Aristide en 2004 mais les obstacles restent les mêmes. La mission des Nations unies en Haïti, la MINUSTAH, et le nouveau gouvernement Préval souhaitent mettre en place un nouveau système judiciaire mais la corruption reste omniprésente et gangrène même les services de police et la justice elle-même. Le crime organisé est bien enraciné dans le pays et les gangs urbains n’ont pas été démantelés.

Les Haïtiens aussi bien que les acteurs internationaux doivent porter un regard lucide sur les échecs du passé et élaborer, financer et mettre en œuvre une stratégie globale pour créer un État de droit en Haïti. Pour réussir, la réforme de la police devra aller de pair avec une réforme des tribunaux. La mise en place d’un système de justice pénale durable exigera d’une part des actions à court terme pour faire face à la vague criminelle qui s’est abattue sur le pays, et d’autre part un effort parallèle de renforcement des capacités institutionnelles sur le long terme.

Sur le court terme, c’est-à-dire en 2007, le gouvernement et le parlement doivent :

  • adopter un code d’éthique destinés aux magistrats et créer un Conseil supérieur de la magistrature indépendant chargé de mettre en œuvre ce code et de l’opposer aux juges corrompus ;
     
  • créer un tribunal pénal spécialisé dans la poursuite des actes criminels les plus graves, dont les juges, procureurs et avocats auront été soumis à une enquête de sécurité afin de s’assurer de leur probité, et autoriser la négociation de peine en prévoyant les mesures de contrôle appropriées ;
     
  • assurer la protection des témoins ainsi que le versement de salaires plus élevés pour les juges.

Dans le même temps, les donateurs et la MINUSTAH devraient coordonner leurs actions avec la stratégie nationale du ministère de la Justice ; ils devraient par ailleurs envoyer sur place des formateurs et apporter un financement pour l’infrastructure, la protection des témoins, les capacités médico-légales et l’aide juridique.

Sur le plus long terme, le gouvernement et le parlement doivent :

  • modifier la constitution afin de mettre en place des procédures plus rationnelles et plus efficaces pour la nomination des hauts magistrats ;
     
  • moderniser le Code d’instruction criminelle, créer une commission permanente chargée d’examiner les cas de détention préventive prolongée et étendre l’usage de procédures accélérées pour la poursuite des délits mineurs ; et
     
  • rassembler un soutien pour la réforme de la justice au sein de la société civile.

De leur côté, les donateurs et la MINUSTAH devraient veiller à ce que leurs programmes soient prolongés d’au moins cinq ans et, avec le gouvernement et les autres membres du marché commun de la Communauté caribéenne (CARICOM), créer un tribunal hybride composé de juges haïtiens et d’autres nationalités de la région pour juger les cas de criminalité transnationale.

Port-au-Prince/Bruxelles, 31 janvier 2007

I. Overview

Violent and organised crime threatens to overwhelm Haiti. The justice system is weak and dysfunctional, no match for the rising wave of kidnappings, drug and human trafficking, assaults and rapes. If the efforts of the last three years to establish the rule of law and a stable democracy are to bear fruit urgent action is needed. Above all the Haitian government must demonstrate genuine political will to master the problem. But the international community also has a major support role. The immediate need is to establish, staff and equip two special courts, one a domestic criminal chamber to handle major crimes, the other a hybrid Haitian/international tribunal to deal with cases of transnational, organised crime that the country can not tackle on its own.

Crime has surged since courthouses and prisons were looted and many of them destroyed in the lead-up to former President Aristide’s departure in March 2004. The judiciary is encumbered by incompetence and corruption, partly due to inadequate pay, infrastructure and logistical support. The legal code is antiquated, barely modified since Napoleon bequeathed it to the one-time French colony, judges are not independent, case management is poor, and indigent defendants rarely have counsel. The state is able to guarantee neither the security of its citizens nor the rights of defendants. When arrests are made, the system is virtually incapable of conducting trials. Prisons become more crowded, and street crime escalates daily, while court procedures move at a snail’s pace. The results are prolonged pre-trial detention – some 96 per cent of the inmates of the National Penitentiary have not been tried – lack of due process and near total absence of public confidence in the criminal justice system.

In the optimistic days after the democratically elected Aristide returned from exile in 1994, donors poured more than $43 million into justice reform. By 2000, when Aristide was re-elected, they had withdrawn almost all such support because they were convinced the government lacked political will. Aid has begun to flow again since Aristide’s ouster but the obstacles are the same. The UN Mission in Haiti (MINUSTAH) and the new Préval government want to build a new justice system but corruption remains pervasive, including within the police and the judiciary. Organised crime has put down roots, and urban gangs have yet to be disbanded.

Haitians and internationals need to take a sober look at past failings and devise, fund and implement a comprehensive rule-of-law strategy. Police reform will not succeed without parallel court reform. Building a criminal justice system that is sustainable requires a dual track effort: short-term actions to cope with the current crime wave and longer-term institution building.

In the short term, i.e., in 2007, the government and parliament need to:

  • enact into law a code of ethics for judges and an independent judicial council to enforce its provisions against corrupt judges;
     
  • authorise a special serious crimes court chamber with a vetted corps of judges, prosecutors and defence counsel and permit plea-bargaining with appropriate oversight; and
     
  • provide witness protection and better pay for judges;

while donors and MINUSTAH should coordinate with the ministry of justice’s national strategy and provide trainers and funding for infrastructure, witness protection, forensic capabilities and legal aid.

In the longer term, the government and parliament need to:

  • amend the constitution to establish a more rational and effective procedure for appointing higher-level judges;
     
  • modernise the code of criminal procedure, establish a permanent panel to review cases of lengthy pre-trial detention and expand the use of fast-track procedures for prosecution of relatively minor crimes; and
     
  • build civil society support for justice reform;

while donors and MINUSTAH should ensure their programs extend for at least five years and, together with the government and other members of the Caribbean Community and Common Market (Caricom), should create a hybrid court with Haitian and other judges and personnel from the region to try transnational crime cases.

Port-au-Prince/Brussels, 31 January 2007

Subscribe to Crisis Group’s Email Updates

Receive the best source of conflict analysis right in your inbox.