Report / Middle East & North Africa 3 minutes

Gaza: Le défi des clans et des familles

Tout au long de l’histoire gazaouie, ses puissantes familles et autres clans ont joué un rôle dont l’importance a fluctué en fonction de la nature de l’autorité centrale.

Synthèse

Tout au long de l’histoire gazaouie, ses puissantes familles et autres clans ont joué un rôle dont l’importance a fluctué en fonction de la nature de l’autorité centrale. À mesure que l’Autorité palestinienne (AP) s’effondrait progressivement sous le poids d’une quasi décennie de confrontation renouvelée avec Israël, ce sont eux, avec les mouvements politiques et les milices, qui ont comblé le vide ainsi créé. Ils représentent aujourd’hui l’un des obstacles les plus importants à la volonté du Hamas de consolider son autorité et de réinstaurer la stabilité du territoire dont il a pris le contrôle en juin 2007. Même si l’unité et la motivation nécessaires leur font défaut pour former une opposition cohérente et efficace, ils pourraient, soit seuls soit en s’alliant avec le Fatah, gagner en efficacité si le mécontentement populaire augmentait face à la situation à Gaza. Il semble que le Hamas l’ait compris et soit en train d’adopter une approche plus modérée pour tenter de trouver un terrain d’entente.

Cela fait six mois que le Hamas a pris le contrôle de Gaza et, malgré des rumeurs récentes concernant une éventuelle réconciliation avec le Fatah, la division géographique des territoires palestiniens risque de durer encore longtemps. Le siège de plus en plus rigoureux imposé par Israël et le conflit continu entre le Hamas et le gouvernement de Ramallah ont imposé des conditions de vie exceptionnellement difficiles aux Gazaouis ; ils ont sérieusement paralysé la capacité des islamistes à gouverner et encouragé le mécontentement populaire. Aussi le Hamas se concentre-t-il sur des priorités plus accessibles, notamment la restauration de l’ordre public après une période de profond chaos.

Le rôle des clans et des familles est ici central. Ces dernières années, leur influence croissante a été une arme à double tranchant. En garantissant un filet de sécurité aux nombreux Gazaouis dans le besoin en cette période d’incertitude, ils ont contribué à éviter un effondrement total mais ils ont dans le même temps contribué au désordre croissant. S’ils ont comblé le vide laissé par la chute du système judiciaire, ils ont aussi fait plus que leur part pour promouvoir l’anarchie.

Beaucoup d’observateurs ont comparé Gaza à un État failli. Un certain nombre de clans puissants ont formé des milices et certains de leurs chefs sont devenus des seigneurs de la guerre. La relation symbiotique entre les clans et les mouvements rivaux (Fatah, Hamas, Comités de résistance populaire) a dégénéré en conflit entre ces derniers par l’introduction d’une dimension de vendetta familiale. Durant les dernières années où le Fatah était au pouvoir et lorsque le gouvernement d’unité nationale gouvernait tant bien que mal de mars à juin 2007, ces clans ont établi des zones quasi autonomes où règnent leurs propres milices et où fonctionnent des systèmes judiciaire et de santé informels dont la mise en place a été facilitée par le retrait unilatéral d’Israël en 2005.

Depuis qu’il a pris le pouvoir, le Hamas a considérablement remis de l’ordre dans ce chaos. Il a introduit des mesures destinées à restaurer la stabilité, interdisant les armes, le port de masques et les barrages routiers. Ces mesures lui ont valu l’approbation de la majeure partie de la population et, dans des circonstances politiques différentes, auraient même pu lui assurer un soutien international puisque les bailleurs avaient précisément appelé à l’adoption de nombre d’entre elle dans le passé. Certains pensent que le siège actuel finira d’une manière ou d’une autre par aboutir au renversement du Hamas mais ce n’est qu’une illusion. Les islamistes ont consolidé leur pouvoir à bien des égards –l’effondrement du secteur privé a accru la dépendance de la population envers eux – et ils peuvent compter sur un très large soutien populaire.

Quoi qu’il en soit, les privations économiques, le quasi monopole du Hamas sur le pouvoir et les méthodes rudes qu’il emploie ont également engendré un certain mécontentement qui, en l’absence d’alternatives, poussent naturellement à se tourner vers les clans et les familles. Ceux-ci offrent nourriture et protection, pouvoir et patronage, et ils ont démontré leur capacité à résister à l’autorité centrale lorsque c’était nécessaire et à alimenter le conflit en cas de besoin. Ces derniers mois, ils ont fait profil bas mais ils ont aussi fixé leurs limites : ils ne se laisseront pas désarmer par le Hamas ni ne perdront le contrôle de leurs zones sans se battre.

Le Hamas se trouve face à un véritable dilemme. Déterminé à imposer l’ordre et à consolider son pouvoir, il a cherché à prendre des mesures énergiques contre des réseaux claniques et familiaux indisciplinés, d’autant plus que certains d’entre eux ont rejoint le camp du Fatah. Mais face au mécontentement populaire et au boycott efficace que lui imposent d’autres forces internationales, régionales et locales, le Hamas ne peut se permettre de risquer un retour de flammes en mettant sur la touche des groupes gazaouis aussi importants. Certains signes semblent montrer que le Hamas a reçu le message, qu’il reconnaît s’être aliéné d’importants segments de la population et admet que les familles, fortes de leur nombre, de leurs armes et de leur loyauté, sont là pour rester.

Finalement, on ne pourra aboutir à une gouvernance efficace ni à une quelconque résolution durable de la crise à Gaza sans une réconciliation entre le Fatah et le Hamas, sans l’unité territoriale de la Cisjordanie, sans un cessez-le-feu avec Israël (prévoyant l’arrêt des tirs de roquettes à partir de Gaza ainsi que des opérations militaires israéliennes) et sans mettre fin au siège de la ville. En attendant, le Hamas pourrait toutefois s’efforcer de maintenir l’ordre et d’améliorer les perspectives de stabilité en mettant fin aux mesures brutales, élargir la participation au pouvoir et, en commençant par offrir une compensation pour les pertes occasionnées par la vendetta et les affrontements entre factions, aboutir à un accord réaliste avec les familles de Gaza.

Gaza/Jérusalem/Bruxelles, 20 décembre 2007

Executive Summary

Throughout Gaza’s history, its powerful clans and families have played a part whose importance has fluctuated with the nature of central authority but never disappeared. As the Palestinian Authority (PA) gradually collapsed under the weight of almost a decade of renewed confrontation with Israel, they, along with political movements and militias, filled the void. Today they are one of the most significant obstacles Hamas faces in trying to consolidate its authority and reinstate stability in the territory it seized control of in June 2007. Although they probably lack the unity or motivation to become a consistent and effective opposition, either on their own or in alliance with Fatah, they could become more effective should popular dissatisfaction with the situation in Gaza grow. There are some, as yet inconclusive, indications that Hamas understands this and is moderating its approach in an attempt to reach an accommodation.

It has been six months since Hamas took control of Gaza, and, despite recent suggestions of possible reconciliation talks with Fatah, the geographic split of Palestinian territories risks enduring. Israel’s tightening siege and continued conflict between Hamas and the Ramallah-based government have imposed exceptional hardship on Gazans, seriously crippling the Islamists’ ability to govern and fostering popular dissatisfaction. As a result, Hamas is focused on more achievable priorities, including restoring law and order after a period of tremendous chaos.

The role of clans and families is central to this task. Over recent years, their growing influence has been a double-edged sword. By providing a social safety net to numerous needy Gazans in a time of uncertainty, they helped prevent a total collapse, yet they simultaneously contributed to the mounting disorder. Although they have filled the void resulting from the judiciary’s breakdown, they have done more than most to promote lawlessness.

Many observers have likened Gaza to a failed state. A number of powerful clans have formed militias, and some of their leaders have become warlords. The symbiotic relationship between clans and rival movements (Fatah, Hamas and the Popular Resistance Committees) escalated conflict among the latter by adding the dimension of family vendetta. In the final years of Fatah’s rule and during the turbulent national unity government from March to June 2007, such clans established near autonomous zones with their own militias and informal justice and welfare systems – a process facilitated by Israel’s unilateral withdrawal in 2005.

Since its takeover, Hamas has dramatically reduced the chaos. It introduced measures designed to restore stability, banning guns, masks and roadblocks. Those steps won praise from much of the population and, under different political circumstances, might even have garnered international support, since donors had strongly urged many of them in the past. The belief by some that the siege somehow will lead to Hamas’s overthrow is an illusion. The Islamists in many ways have consolidated their rule, and the collapse of the private sector has increased dependence on them. They also benefit from a substantial reservoir of popular support.

Still, economic deprivation, Hamas’s virtual monopoly on power and its harsh methods have generated discontent, which, in the absence of alternatives, finds a principal and natural focal point in the clans and families. They provide sustenance, protection, power and patronage and have shown the capacity to resist central authority whenever necessary and fuel conflict whenever needed. In recent months, they have lowered their profile but they have also established red lines: they will neither be disarmed by Hamas nor lose control over their neighbourhoods without putting up a fight.

For Hamas, this presents a straightforward dilemma. Determined to impose order and consolidate its rule, it has sought to crack down on unruly clan- and family-based networks – all the more so since some have rallied to Fatah’s side. But facing popular dissatisfaction as well as an effective boycott from other international, regional and local forces, it cannot afford to risk blowback by pushing core Gazan constituencies to the sidelines. There are signs – early and insufficient – that Hamas is getting the message, recognising it has alienated important segments of the population and acknowledging that families, with arms, numbers and loyalty, are there to stay.

Ultimately, effective governance and any sustainable resolution of the crisis in Gaza will require political reconciliation between Fatah and Hamas and territorial unity with the West Bank, as well as a ceasefire with Israel (including an end to the firing of rockets from Gaza and Israeli military operations) and an end to the siege. In the meantime, however, Hamas could do much to preserve order and improve ultimate prospects for stability by taking steps to cease brutal measures, broaden participation in its rule and – beginning by compensating for their losses in vendettas and factional warfare – reach a workable arrangement with Gaza’s families.

Gaza/Jerusalem/Brussels, 20 December 2007

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