Paix au Proche-orient : comment surmonter l’obstacle des sionistes religieux
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The Middle East Could Still Explode
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Op-Ed / Middle East & North Africa 9 minutes

Paix au Proche-orient : comment surmonter l’obstacle des sionistes religieux

Les récents pourparlers de paix israélo-palestiniens ont été aussi peu fructueux que les précédentes négociations, mais on assiste depuis le sommet de Camp David en 2000 à une évolution indéniable : l’influence des partis de droite opposés à la solution à deux Etats s’est nettement accrue en Israël et celle des sionistes-religieux au sein de la droite également.

Les Juifs sionistes-religieux ne représentent que huit à dix pour cent de la population israélienne, mais, signe de leur forte influence au sein du parti Likoud, ils ont obtenu vingt sièges à la Knesset (le parlement israélien) lors des élections de 2013. Cela a permis au Foyer juif, le parti sioniste-religieux dirigé par Naftali Bennett, de se présenter comme un partenaire indispensable de la coalition gouvernementale. Cette montée en puissance de la communauté sioniste-religieuse représente une opportunité tout autant qu’elle crée une obligation de remédier à une faiblesse récurrente du processus de paix : l’exclusion quasi-totale des acteurs religieux et de leurs intérêts.

Il n’est pas évident de déterminer comment prendre en compte cette communauté dans le cadre des efforts de résolution du conflit. Le noyau dur de celle-ci, qui est composé des disciples du défunt Rabbi Avraham Yitzhak HaCohen Kook, estime que la rédemption totale n’adviendra que lorsque tout le peuple d’Israël vivra sur toute la terre d’Israël sous complète souveraineté juive. La construction de colonies constitue de ce fait un élément intrinsèque de leur projet.

Un sentiment d’échec

En effet, les disciples contemporains de Kook comptent parmi les plus fervents adversaires de la solution à deux Etats. Ils intéressent avant tout la communauté internationale au titre de leur rôle de fer de lance de la colonisation. Pourtant, si les observateurs internationaux ont tendance à considérer que la colonisation se porte bien, les sionistes-religieux pour leur part sentent leur cause menacée et réagissent ces dernières années en redoublant d’ingéniosité et de détermination.

Malgré leur apparent succès, les sionistes-religieux israéliens n’ont jamais été aussi préoccupés par la stagnation de leur projet de colonisation, qui, selon eux, n’a plus enregistré d’avancée majeure depuis vingt ans. La croissance des colonies existantes s’est poursuivie, mais presque aucune nouvelle colonie n’a été créée depuis 1996. Plus de cent avant-postes (colonies considérées comme illégales par la loi israélienne), qui n’abritent guère plus de 5 000 colons, sont confrontés à d’importants obstacles juridiques, poussant les partisans des colons à être sur la défensive.

Ce sentiment d’échec s’est accru après le désengagement unilatéral de Gaza en 2005, au cours duquel Israël s’est retiré de toutes les colonies situées dans la bande de Gaza et de quatre petites colonies de Cisjordanie. Près de 9 000 colons ont été évacués en moins d’une semaine, montrant aux sionistes-religieux que 35 années de construction peuvent être réduites à néant bien plus facilement qu’ils ne voulaient le croire. Ceux qui croyaient envers et contre tout, jusqu’au jour même du désengagement, qu’une intervention divine empêcherait la mise en œuvre du projet, ont compris que la prière ne suffisait pas et que l’action politique était indispensable pour atteindre leurs objectifs.

Ceux qui remettent en question les limites imposées par l’Etat quant à la construction de nouvelles colonies sont pour la plupart de jeunes activistes qui vivent dans des avant-postes et refusent non seulement les restrictions de l’Etat mais aussi les concessions faites par le mouvement des colons. Leur frustration s’exprime notamment par le recours au vandalisme et à la violence, dans le cadre des attaques dites du « prix à payer » ciblant les propriétés et les lieux de culte palestiniens, les églises non-arabes, voire parfois les opposants israéliens, qui interviennent en réponse aux mesures prises par le gouvernement israélien contre les avant-postes. Les récentes tentatives de l’armée visant à contrôler leurs activités ont entraîné des affrontements directs entre soldats et activistes.

Une influence croissante sur le Likoud

Au cours des dernières années, ce noyau dur a accumulé du pouvoir au sein du Likoud afin d’influencer, de l’intérieur, la prise de décision au niveau national. Il a en outre lancé des campagnes fortes pour conquérir l’opinion publique et défendre le maintien du contrôle israélien sur la terre d’Israël. Conscients de la nécessité de formuler une alternative claire à la solution à deux Etats, certains de leurs dirigeants ont commencé à appeler, de manière toujours plus explicite et systématique, à l’annexion de tout ou partie de la Cisjordanie/Judée-Samarie, ainsi qu’à la naturalisation d’une partie ou de la totalité de ses résidents arabo-palestiniens.

La doctrine de Kook et ses partisans possèdent de multiples facettes et ne peuvent être réduits à leur attachement à la terre. Leur théologie ne sanctifie pas exclusivement la terre et les sionistes-religieux ne sont pas tous aussi inflexibles à ce sujet.

D’une part, le plan de désengagement de Gaza a clairement désavoué les nombreux experts qui affirmaient que tous les sionistes-religieux étaient des fondamentalistes qui, le moment venu, privilégieraient la terre au détriment du pays et auraient recours à la violence contre l’Etat. En effet, le noyau dur idéologique de la communauté sioniste-religieuse sanctifie la terre mais également, et tout aussi résolument, le peuple juif et l’Etat d’Israël, dont l’existence même constitue d’après eux une des étapes du processus de rédemption.

Par conséquent, les partisans de Kook affichent un profond respect à l’égard des décisions soutenues par la majorité juive et s’opposent au principe d’une résistance active contre l’Etat. Ces éléments de doctrine pourraient s’avérer particulièrement pertinents en cas d’avancée majeure du processus de paix. Fait révélateur, les jeunes auteurs des attaques du « prix à payer » ont abandonné les enseignements de Kook pour suivre d’autres rabbins, Rabbi Yitzhak Ginsburg de Chabad ou le défunt Rabbi Meir Kahane, dont les thèses ne se concentrent pas sur l’Etat d’Israël en tant qu’étape vers la rédemption mais sur une prétendue supériorité des Juifs sur les non-Juifs.

D’autre part, la communauté sioniste-religieuse est divisée entre un noyau dur au sein duquel les rabbins jouent un rôle surdimensionné, tant sur le plan religieux que politique et le courant majoritaire qui ne sollicite les rabbins que sur des questions de pratique religieuse personnelle. Contrairement au noyau dur, le courant sioniste-religieux majoritaire ne consulte pas la Torah à la recherche de réponses à des questions nationales. Elle est donc plus disposée au pragmatisme et au compromis et pourrait donc, à certaines conditions, apporter son soutien à une solution à deux Etats.

Intégrer les sionistes-religieux dans le processus de paix

Jusqu’à présent, le processus de paix a été principalement porté par les partis de la gauche et du centre de l’échiquier israélien et a reposé sur l’exclusion de la droite religieuse. Il est temps de réexaminer cette approche en prenant davantage en compte les besoins des sionistes-religieux, ainsi que leurs critiques, en partie fondées, à l’égard des négociations.

Les quatre « erreurs » reprochées à la gauche

Les sionistes-religieux dénoncent quatre erreurs commises par la gauche dans le cadre des efforts de paix.

  • Premièrement, celle de penser que le fait de garantir une majorité juive serait suffisant pour l’avenir de l’Etat juif et de ce fait l’absence d’efforts destinés à renforcer le caractère de la société juive et à assurer sa prospérité.
     
  • Deuxièmement, le fait de considérer la religion comme une affaire individuelle et de n’aborder la dimension religieuse du processus de paix que dans les domaines de l’accès aux lieux saints et de la liberté de culte. Le rôle joué par Israël dans la détermination et la préservation du caractère même de ces sites a été ignoré.
     
  • Troisièmement, la gauche israélienne a fait montre d’hostilité à l’égard des colons et de leur volonté de maintenir un lien avec la terre d’Israël dans son intégralité, les traitant comme un obstacle à la paix et non comme des partenaires pour celle-ci.
     
  • Enfin, elle a estimé que la réconciliation israélo-palestinienne et la reconnaissance mutuelle ne seraient possibles – si tant est que cela le soit un jour – qu’une fois le conflit résolu.

Trois modifications nécessaires

Si l’objectif est d’arriver à un accord jouissant d’une légitimité maximale avec le soutien, ou du moins l’acceptation, des sionistes-religieux, il est nécessaire d’apporter trois types de modifications au paradigme actuel :

  • les principaux intérêts des sionistes-religieux devront être pris en compte ;
     
  • un accord de principe exprimant le soutien clair de la majorité juive devra être ratifié ;
     
  • la mise en œuvre de cet accord enfin, devra minimiser les risques de confrontation.

Premièrement, les sionistes-religieux toléreraient plus facilement l’idée d’un retrait territorial s’ils étaient convaincus que l’accord permettrait de consolider et de garantir, à terme, le caractère juif d’Israël.

Insister aujourd’hui sur la reconnaissance par les Palestiniens du caractère juif de l’Etat, comme le fait Netanyahou, pourrait anéantir le processus de paix, car les Palestiniens estiment que cette reconnaissance menacerait leurs intérêts. Cependant, s’engager à renforcer l’éducation et la culture juives en Israël après la signature d’un accord, même si cela déclenchait l’opposition d’autres secteurs en Israël, permettrait de rallier les sionistes-religieux et d’attirer un électorat plus large à droite et au centre. Promouvoir la paix reviendrait donc à promouvoir la culture et l’identité juives et non à les affaiblir, comme on a pu le croire jusqu’à présent.

Sur le fond, en gardant à l’esprit la difficulté de concilier les préoccupations des sionistes-religieux avec les intérêts des Palestiniens et du reste des Israéliens, deux ajustements pourraient s’avérer utiles. Accorder aux sionistes-religieux un droit de visite et de culte dans les lieux saints placés sous souveraineté palestinienne, ainsi qu’un droit de résidence dans un éventuel Etat palestinien, ferait diminuer leur opposition à la signature d’un accord.

L’effet serait d’autant plus positif si ces droits reposaient sur une reconnaissance palestinienne du lien religieux et historique entre le peuple juif et le territoire qui s’étend de la Méditerranée au Jourdain, déjà évoqué dans la Déclaration d’indépendance palestinienne de 1988. Accorder aux Palestiniens la souveraineté sur le Mont du Temple/Haram al-Sharif, étant donné l’importance de celui-ci dans le messianisme juif, serait considéré comme une défaite théologique et susciterait une opposition vigoureuse. Par conséquent, esquiver cette question, en s’accordant pour attribuer la souveraineté à Dieu, ou en l’omettant purement et simplement atténuerait sensiblement la résistance des sionistes-religieux.

Deuxièmement, le mode de ratification de l’accord devra démontrer que celui-ci recueille le soutien de la majorité des Juifs israéliens. Parce que la sanctification du « Peuple d’Israël » – un terme théologique faisant référence aux Juifs, et non aux citoyens israéliens – est au coeur de l’idéologie sioniste-religieuse, les tenants de ce courant tendent à respecter les décisions provenant d’une majorité juive. Cela pourrait passer par un vote à la majorité absolue au sein de la Knesset ou, plus convaincant encore pour les sionistes-religieux, par un référendum populaire. Une telle ratification serait sans doute contestée, parmi les Juifs comme au sein de l’électorat arabe, le fait de privilégier l’électorat juif contrevenant aux principes démocratiques. Il faudra donc faire preuve de créativité pour trouver une solution à ce problème.

Troisièmement, la mise en œuvre de l’accord devra se faire de manière moins brutale et conflictuelle que le retrait de 2005. Des logements pour les populations évacuées, ainsi qu’une forme d’assistance financière, devront être prévus suffisamment à l’avance. De plus, il serait sage que le gouvernement israélien envisage une évacuation progressive des colonies. L’Etat pourrait par exemple réduire au minimum les services fournis aux implantations dont l’évacuation est prévue, tout en offrant un autre logement, déjà construit, aux colons décidant de s’installer en Israël ou dans des territoires annexés dans le cadre d’un accord. Le fait d’accorder un droit de résidence aux Juifs désirant vivre sous souveraineté palestinienne pourrait également contribuer à réduire les difficultés posées par l’évacuation.

Nombre des exigences des sionistes-religieux sont indubitablement considérées comme problématiques par d’autres secteurs de la société israélienne ainsi que par les Palestiniens. Mais tout porte à croire aujourd’hui qu’il est crucial d’obtenir l’assentiment de cette communauté à un éventuel accord de paix. Le défi sera donc d’encourager les deux camps à faire des concessions et de parvenir à un arrangement qui soit acceptable par tous. Il est temps que les personnes impliquées dans le processus de paix cessent de considérer les sionistes-religieux comme de simples éléments perturbateurs et fassent un véritable effort pour les intégrer dans ce processus.

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