Trêve à Gaza : « les dirigeants gouvernent à vue et se retrouvent dans l’engrenage »
Trêve à Gaza : « les dirigeants gouvernent à vue et se retrouvent dans l’engrenage »
Why Israel-Iran War Is a Lifeline for Netanyahu
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Commentary / Middle East & North Africa 5 minutes

Trêve à Gaza : « les dirigeants gouvernent à vue et se retrouvent dans l’engrenage »

Cet entretien avec Ofer Zalzberg, analyste principal pour Israël/Palestine pour l’International Crisis Group, est republié ici avec la permission du Monde.

Une trêve de douze heures entre Israël et le Hamas est entrée en vigueur samedi 26 juillet à 8 heures locales (7 heures en France métropolitaine) dans la bande de Gaza, où plus de 900 Palestiniens sont morts depuis le début de l’offensive israélienne il y a maintenant dix-neuf jours. Analyste pour l’International Crisis Group (ICG), Ofer Zalzberg détaille les positions et divergences des différents acteurs de ce conflit en vue d’un cessez-le-feu.

[A ce jour, 30 Juillet, plus de 1 000 Palestiniens et plus de 45 Israéliens ont été tués, alors que les négociations sur un éventuel cessez-le-feu se poursuivent.]

La poursuite de l’opération terrestre semble-t-elle avoir les faveurs de la classe politique et de l’opinion israélienne ?

Le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, et le ministre de la défense, Moshé Yaalon, ont pris la décision de cette opération terrestre car le Hamas a décidé d’utiliser les tunnels pour attaquer Israël. Cela a provoqué un changement radical au sein de l’opinion publique et décidé M. Nétanyahou à lancer l’opération au sol.

Le public israélien rejette désormais le paradigme du « calme contre le calme », d’une fin de l’opération militaire en échange de l’arrêt des tirs de roquettes par les groupes armés palestiniens. Il estime qu’il faut apporter une réponse définitive à la menace des tunnels. Le ministre de la défense avait estimé que cette mission prendrait deux à trois jours. Désormais, il est davantage question d’une à deux semaines. Les dirigeants gouvernent à vue et se retrouvent pris, étape après étape, dans l’engrenage.

Si l’extension de l’opération militaire était décidée, Benyamin Nétanyahou aurait à s’en expliquer. Il a déjà dit que le problème de l’armement du Hamas ne pourrait pas être résolu par un cessez-le-feu. L’opinion israélienne doit décider si elle lui fait confiance pour accepter un cessez-le-feu partiel et lui faire confiance pour qu’il gère le reste après ou si elle soutient davantage la réoccupation temporaire de Gaza. Cette seconde option n’est pas du tout celle que préfère Nétanyahou.

Des critiques s’élèvent en Israël sur la minimisation qui a été faite de la menace des tunnels par les dirigeants politiques et militaires au cours des dernières années. Qu’en pensez-vous ?

La politique retenue a été de laisser les groupes armés développer leurs capacités militaires, et notamment l’infrastructure des tunnels, aussi longtemps qu’ils n’en feraient pas usage. C’est une vision qui est satisfaisante à court terme, mais très mauvaise sur le long terme. Comme partout ailleurs, les hommes politiques ont en tête le renouvellement de leur mandat et ils essaient de gagner du temps. Le prix que représentait la prise en main de ce problème à la racine était trop élevé pour qu’un leader envisage de s’en emparer. Il n’aurait pas eu le soutien du public, ni même du leadership politique et militaire. Maintenant que l’opération est lancée et que l’ampleur de cette infrastructure a été mise au jour, c’est différent.

Le premier ministre Nétanyahou est-il réellement favorable à un cessez-le-feu et à une solution politique à ce conflit ?

Je continue à penser qu’il ne voulait vraiment pas y aller. Le leadership israélien a peut-être fait deux erreurs d’appréciation. Premièrement, il a sous-estimé l’importance de la crise des salaires [aux termes de l’accord de réconciliation interpalestinien signé le 23 avril, par lequel le Hamas a rendu le pouvoir sur l’enclave à l’Autorité palestinienne, le mouvement islamiste réclamait que celle-ci paie les salaires de quelques 40 000 fonctionnaires de l’enclave]. Il a fait l’erreur de croire que le Hamas était intéressé à reprendre la tête d’un gouvernement dans la bande de Gaza.

Deuxièmement, le président égyptien a encouragé l’usage de la force contre le Hamas par Israël, du fait de l’animosité qu’il a envers le mouvement islamiste et son parrain, les Frères musulmans. Comme Israël veut une alliance forte avec l’Egypte, pour d’autres raisons, il le laisse prendre la direction des choses. Par ailleurs, de nombreuses questions relatives à l’accord ne peuvent être résolues sans l’Egypte. Cette dernière n’éprouve pas d’urgence à trouver un accord.

Quelles sont les positions au sein du camp palestinien ?

Le président palestinien Mahmoud Abbas ressent une certaine pression car le Hamas gagne en popularité au détriment de son parti, le Fatah. Il doit montrer qu’il a un rôle à jouer dans cette crise. Sa position a donc évolué d’un simple soutien à l’initiative égyptienne à un rapprochement avec la position et les demandes du Hamas. Au sein du Hamas, la principale divergence porte désormais sur les garanties internationales qui seront apportées à un accord permanent.

Les responsables en exil comme le chef du bureau politique, Khaled Mechaal, et son numéro deux, Moussa Abou Marzouk, voient dans les Etats-Unis le garant de cet accord. C’est intéressant car depuis des années ils critiquent les relations qu’entretient le Fatah avec les Américains. Ils voudraient trouver un moyen de rompre leur isolement et de trouver des mécanismes de discussion. [NDLR : Le Hamas est sur la liste américaine des organisations terroristes, ainsi que sur la liste européenne.]

Les chefs de l’intérieur rejettent cela et veulent que ces mécanismes soient inscrits noir sur blanc dans l’initiative. Par ailleurs, ils rejettent totalement une démilitarisation. Le Hamas s’est dit prêt à accepter une trêve de dix ans contre des concessions économiques. Mais garder ses armes est pour lui un moyen de faire pression sur Israël pour qu’il respecte cette trêve. Si Khaled Mechaal revoit trop ses exigences à la baisse sous pression de l’émir du Qatar, il pourrait ne pas être suivi par les chefs de l’intérieur.

Les appels à la démilitarisation des groupes armés de la bande de Gaza se multiplient en Israël. L’Union européenne a elle-même lancé un appel en ce sens. Quelles sont les plans suggérés et leur faisabilité ?

Il y a effectivement eu plusieurs plans suggérés autant par des partisans que par des détracteurs de la solution de deux Etats. A la mi-juillet, Shaul Mofaz, le chef du parti de centre-droit Kadima, a présenté devant la Knesset l’idée d’un plan de relance économique pour la bande de Gaza en échange de la démilitarisation du Hamas et des groupes armés palestiniens. L’ancien directeur de la sécurité intérieure (Shin Bet), Yuval Diskin, a lui aussi proposé récemment un plan identique. Le député du Likoud, Israël Katz, a de son côté proposé un plan de désengagement de Gaza et de développement économique, fondé sur la création d’une île au large de Gaza sous supervision internationale.

Ces plans n’ont pas de grande chance de réussite. Ils partent d’un mauvais postulat, qui réduit le problème à son aspect économique. Or, le Hamas veut améliorer sa position politique, en s’appuyant sur le soutien de la population dont il dispose actuellement. Pour le mouvement islamiste, la question n’est pas seulement de parvenir à la seule levée du blocus et au développement économique de la bande de Gaza mais de faire cesser l’occupation à Gaza et en Cisjordanie. Or, ces plans n’incluent pas la Cisjordanie.

Leur mise en œuvre nécessiterait qu’Israël autorise la création de l’Etat palestinien sur la Cisjordanie et Gaza contre la démilitarisation. Ce que M. Nétanyahou est loin de soutenir.

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