Crise syrienne : Moscou peut jouer un meilleur rôle
Crise syrienne : Moscou peut jouer un meilleur rôle
Op-Ed / Middle East & North Africa 5 minutes

Crise syrienne : Moscou peut jouer un meilleur rôle

Après avoir soutenu de son veto au Conseil de sécurité le régime du président Bachar el-Assad, Moscou a boycotté la première réunion du groupe d’amis de la Syrie, en affirmant haut et fort qu’elle ne pourrait intégrer un rassemblement informel aussi hostile au président syrien. Mais la Russie n’a pas encore lancé la moindre initiative diplomatique pour aider au dénouement d’une situation qui s’envenime de semaine en semaine. Se posant comme seul ami véritable de la Syrie, elle s’est, à ce stade, limitée à soutenir Assad, malgré la gestion désastreuse du conflit par ce dernier. Si on laisse la situation évoluer toute seule dans ce pays au voisinage si complexe, elle débouchera sur une guerre civile à grande échelle, dont les conséquences seraient incalculables non seulement pour la Syrie elle-même, mais pour toute la région. Moscou doit désormais s’engager et profiter de la première visite à Damas de Kofi Annan pour lancer au régime syrien un message clair sur son soutien sans faille à la mission de l’ancien secrétaire général des Nations unies.

La Russie a quelques bonnes raisons de se méfier des Occidentaux. D’abord, elle estime avoir été constructive en ne s’opposant pas à la résolution 1973 sur la Libye pour constater ensuite à quel point la lettre et l’esprit de cette résolution auraient été bafoués par les frappes insistantes de l’OTAN, jusqu’à la chute du régime et à l’assassinat de Kadhafi. Ensuite, elle reste persuadée que le président Assad non seulement a les moyens de se maintenir au pouvoir, mais qu’il reste la meilleure parade contre des groupes djihadistes qui menaceraient de désintégrer la Syrie. L’opposition apparaît peu crédible aux yeux de Moscou. La soutenir comme le fait l’Occident relèverait d’une inconscience politique qui contribuerait à plonger la Syrie dans un chaos aussi profond que celui qui s’est emparé de l’Irak voisin suite à l’invasion américaine. Enfin, la Russie était jusqu’à dimanche en campagne électorale et «le tandem» au pouvoir devait affronter le chahut provoqué par une classe moyenne en colère, qui manifestait régulièrement à deux pas du Kremlin afin de réclamer plus de transparence et une réelle démocratisation du pouvoir… Dans ce contexte tendu, Vladimir Poutine ne voulait pas apparaître comme un mou sur la scène internationale.

La crise syrienne a offert aux autorités une occasion de se profiler comme un pouvoir fort qui non seulement a tenu tête à l’Occident, mais a réussi à rallier la Chine à ses positions. Les informations télévisées russes présentent la situation en Syrie avant tout sous l’angle d’un nouvel affrontement Est-Ouest dans lequel Moscou ne peut plus se permettre «ni chagou nazad», un seul pas en arrière… A en croire le journal du soir sur la première chaîne, le problème principal de la Syrie résiderait dans la volonté de l’Occident, qui a déjà contribué à renverser plusieurs présidents arabes y compris parmi les plus fidèles alliés de l’Amérique, de démocratiser le Proche-Orient au forceps et surtout de déboulonner le dirigeant du seul pays de la région où Moscou possède de véritables intérêts économiques, militaires et géostratégiques.

Cette opinion rencontre d’ailleurs un large écho dans la communauté des groupes de pensées moscovites les plus en vue qui réfléchissent et publient sur la politique étrangère russe. Les révolutions arabes y sont avant tout analysées sous l’angle d’un grand jeu géostratégique, dans lequel le réveil social du monde arabe, ses exigences de réformes et les réponses brutales des gouvernements concernés passent au second plan, loin derrière les influences extérieures des puissances occidentales.

Une question fondamentale demeure toutefois sans réponse: jusqu’où ira la Russie dans son soutien à un régime dont les méthodes sont la cause principale d’un approfondissement de la crise? Elles aboutissent non seulement à une profonde polarisation de la société syrienne, mais pourraient ouvrir en grand les portes du pays aux groupes terroristes que Moscou redoute. D’autant que le régime y trouve son compte en y puisant matière pour sa propagande: il ne tire plus sur des manifestants pacifiques, mais sur de dangereux islamistes. Cette version est relayée en termes plus diplomatiques par le Ministère russe des affaires étrangères qui soutient ainsi la légitimité du régime syrien à se défendre et à maintenir l’intégralité territoriale du pays.

Moscou peut certes assez facilement se prévaloir des erreurs de l’Occident et pointer du doigt avec raison les dangers d’une approche qui consisterait, à nouveau, à prendre directement parti dans une guerre civile. L’engouement actuel des Américains et Européens pour le réveil des peuples arabes, eux qui ont soutenu et armé des décennies durant les dictateurs les plus sanguinaires de la région, ne suscite pas qu’à Moscou des ricanements agacés… Mais les griefs ne forment pas encore une politique informée, capable d’offrir une alternative crédible aux propositions de la Ligue arabe et des Occidentaux. La violence des bombardements que le régime syrien a fait subir à la ville de Homs au lendemain des veto russe et chinois au Conseil de sécurité de l’ONU démontre à quel point ce soutien est interprété à Damas comme l’octroi d’une carte blanche pour réprimer brutalement. Cet appui sans condition – et surtout sans initiative politique ni diplomatique de poids en parallèle qui obligerait M. Assad à faire des concessions, sur l’accès immédiat du CICR à tous les quartiers de la ville de Homs, dans un premier temps, puis, à terme, à négocier son départ – fait courir de grands risques à la fois à la Syrie, qui s’enfonce dans la crise, mais également à la présence russe dans le monde arabe. Le coût politique et économique de sa gestion inepte de la crise actuelle a rendu la chute de la maison Assad presque inéluctable. Des millions de Syriens, radicalisés par l’assassinat ou la torture de leurs proches, sont désormais prêts à tout pour faire tomber le régime et peu importe qu’ils soient une majorité ou non. Quid des intérêts russes dans la Syrie qui émergera de ces décombres, si le rôle de Moscou n’aura contribué qu’à offrir un soutien sans faille à ce régime en perdition? Bien sûr, une autre part importante de Syriens, particulièrement dans les services de sécurité, ont fait le choix de soutenir Assad coûte que coûte. Prendre en compte les aspirations de ces deux parties, monnayer son soutien à Assad par une négociation intense permettant de mettre sur pied un système de transition viable et pacifique représenterait un superbe défi pour les excellents diplomates russes qui connaissent ce pays en profondeur et pourraient contribuer à offrir une sortie de crise par le haut.

Mais pour se lancer dans un exercice de cette ampleur, la Russie doit reprendre langue avec la Turquie, la Ligue arabe et les Occidentaux. Moscou a réclamé publiquement l’arrêt des hostilités et Vladimir Poutine a émis des doutes en public sur la capacité du régime de se maintenir au pouvoir. Moscou doit désormais jeter tout son poids derrière les efforts de Kofi Annan en y détachant, par exemple, un diplomate russe de haut rang. Une impulsion politique claire doit émaner du sommet même de l’Etat. Viendra-t-elle ces jours prochains, alors que la fièvre électorale se calme à Moscou? Rien n’est moins sûr. Mais rien ne serait plus souhaitable.
 

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