Briefing / Middle East & North Africa 4 minutes

Dialoguer avec Damas ? Les leçons de l’expérience française

Comment dialoguer avec Damas ? Alors que la prochaine administration américaine examine ses options en la matière, apparemment persuadée qu’un rapprochement américano-syrien et un accord syro-israélien peuvent fondamentalement modifier la donne régionale, l’expérience française offre des leçons à méditer.

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Synthèse

Comment dialoguer avec Damas ? Alors que la prochaine administration américaine examine ses options en la matière, apparemment persuadée qu’un rapprochement américano-syrien et un accord syro-israélien peuvent fondamentalement modifier la donne régionale, l’expéri­ence française offre des leçons à méditer. Déterminée à engager le dialogue mais prête à le rompre, créative dans son approche tout en l’insérant dans un cadre clairement défini, la France a aussi su saisir des opportunités imprévisibles quand elles se présentaient.

Après une période de rupture et de confrontation particulièrement vives entre Paris et Damas, les retrouvailles se sont avérées incertaines et difficiles, malgré l’avènement d’un président français atypique, disposé au dialogue, soucieux de se démarquer de l’héritage de son prédécesseur et préférant le pragmatisme à l’idéo­logie. L’expérience française s’est caractérisée de bout en bout non pas par un plan préétabli mais bien au contraire par une prise de risques, une flexibilité et un réexamen permanents, par des périodes de contacts intenses ainsi que de ruptures radicales. Toujours en cours, son issue demeure inconnue à ce jour, alors que la France cherche à en mesurer la portée à Gaza, sur le conflit israélo-arabe, la souveraineté libanaise, la lutte contre le terrorisme ou encore le dossier nucléaire iranien. Elle ne deviendra pleinement valable, et donc pertinente aux yeux des Etats-Unis, que si elle démontre clairement en quoi la Syrie peut devenir un partenaire crédible et un facteur de stabilité dans la région.

C’est un des enjeux des semaines et des mois à venir. Durant cette période, Paris et Damas peuvent en effet illustrer les attraits d’une politique de normalisation des rapports en se concentrant sur trois dossiers au moins. Au Liban, l’enjeu est de limiter tout risque de retour à la confrontation en répondant de façon tangible aux revendications les plus légitimes de la majorité actuellement au pouvoir: démarcation des frontières entre la Syrie et le Liban; révision de leurs accords bilatéraux, signés à l’époque où la première exerçait une influence hégémonique sur son voisin; et acceptation d’une médiation internationale sur la question des disparus libanais dans les geôles syriennes.

En Irak, la France pourrait utiliser le réseau de contacts développé par la Syrie. Cela, afin de servir d’éclaireur au président Barack Obama dans l’ouverture d’un dialogue avec un segment aussi large et représentatif que possible de la société arabe sunnite, en particulier les milieux qui demeurent exclus du processus politique et du phénomène des milices tribales ou sahwat. Une médiation française dans ce domaine pourrait contribuer à terme à amorcer une coopération entre Damas et Washington qui ne se limiterait pas à l’idée illusoire d’un « bouclage » de la frontière syro-irakienne.

Troisième et dernier dossier, l’arène israélo-palestinienne. Le conflit en cours à Gaza offre à Paris l’occasion de tester la disposition de Damas à exercer une influence positive sur le Hamas de façon à ce que celui-ci – à l’issue d’un cessez-le-feu praticable – accepte un modus vivendi équitable avec le Fatah ou entérine l’Initiative de paix arabe, pour peu qu’il s’agisse là du dernier obstacle à un gouvernement palestinien d’union nationale. Pour cela, bien sûr, il faudra que la France prenne la tête d’une approche européenne complémentaire de – et non subordonnée à – celle des Etats-Unis, une démarche qui interrogerait en particulier l’opportunité et les conditions d’un dialogue avec le mouvement islamiste.

Cela étant, les succès et les limites de l’expérience française – toujours énergique, souvent intuitive, parfois contradictoire – sont déjà riches d’enseignements pour l’administration américaine.

  • D’abord, suite à une longue interruption des relations il est nécessaire de prévoir une phase assez longue d’observation réciproque, d’examen des possibilités et de reconstruction de relations de confiance. Ensuite, pour que le dialogue ait une chance de réussir, il doit se faire sur la base de buts clairs et constants, et non pas en fonction d’une liste fluctuante de souhaits. Pour Paris, il s’est agi surtout de l’élection d’un président Libanais de consensus, objectif atteint avec le choix de Michel Sleimane.
     
  • Il faut, également, être aussi patient dans la phase de négociations que rapide dès qu’une opportunité se présente. L’empressement qui caractérisait l’action française en 2007, lorsque le président Nicolas Sarkozy engagea une politique tous azimuts, n’a, au mieux, servi à rien, au pire, encouragé Damas à durcir ses exigences et gagner du temps. En revanche, en récompensant immédiatement les premiers gestes syriens, la France a su asseoir sa crédibilité et, partant, amener Damas à s’engager plus avant dans le processus. De même, il ne faut pas hésiter à rompre le dialogue si les évènements le justifient, tout en maintenant des lignes de communication, de façon à réagir rapidement dès que les conditions d’une ouverture sont à nouveau réunies. La prochaine administration américaine pourrait s’inspirer d’une démarche dans laquelle tout progrès est clairement reconnu et récompensé, et tout recul sanctionné.
     
  • Enfin, certains aux Etats-Unis rêvent d’une rupture dans les relations syro-iraniennes. Elle ne se produira pas, du moins dans les circonstances actuelles. Mais en jouant la carte du rapprochement avec la France, la Syrie a montré son souhait d’élargir son portfolio d’alliances stratégiques. Une telle diversification devrait être encouragée par Washington; elle permettrait en particulier de diluer l’impor­tance de l’Iran aux yeux de Damas et de faciliter la redéfinition progressive des alliances régionales de la Syrie.

Les relations entre l’administration Obama et la Syrie traverseront à n’en pas douter des périodes difficiles. Au delà des sujets de tension qui ne manqueront d’inter­venir – par exemple l’enquête de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur le programme nucléaire syrien ou encore celle du tribunal international sur l’assassinat de Rafiq Hariri – existe le legs d’une relation longtemps malsaine, pleine de méfiance et de malentendus, que l’administration Bush a certes laissé pourrir mais n’a pas inventée. Dans ce contexte, l’équipe d’Obama aurait tort de négliger les enseignements à tirer des expérimentations de Sarkozy.

Damas/Bruxelles, le 15 janvier 2009

I. Overview

How is one to engage Damascus? As the incoming U.S. administration examines the future of its relationship with Syria, seemingly persuaded that an improvement in bilateral ties and an Israeli-Syrian agreement could fundamentally modify the regional landscape, France’s recent experience offers useful lessons. Determined to engage in dialogue – but also ready to break off if the other side was uncooperative – and creative in approach, while fixing it within a clearly defined framework of objectives, President Sarkozy also knew how to seize on unexpected opportunities when they presented themselves.

The restoration of ties between Paris and Damascus, coming after a bitter break and heightened tensions that developed in consequence of the 2005 assassination of former Lebanese prime minister Rafiq Hariri, came haltingly and with difficulty. It began with the election in 2007 of an unusual French president, hyperactive, believing in dialogue, eager to set himself apart from his predecessor and more pragmatic than ideological. From the outset, his approach reflected improvisation, risk-taking, flexibility and constant readjustments rather than a pre-established plan. But it never deviated from its primary goal, a consensual Lebanese president as was achieved with Michel Suleiman’s May 2008 election.

Periods of intensive contact, including directly with his counterpart, President Bashar Assad, were followed by periods of estrangement. The experiment is ongoing, its full outcome still uncertain, as France looks for further advances with regard to Gaza, the Israeli-Arab conflict, Lebanese sovereignty, counter-terrorism and the Iranian nuclear issue. It will become convincing, and therefore relevant in American eyes, only if it clearly demonstrates Syria’s capacity to act as a credible partner to promote regional stability.

Much depends on the coming weeks and months. Paris and Damascus have the opportunity to highlight the benefits of an engagement policy by working on at least three issues. In Lebanon, the goal should be to minimise the threat of renewed confrontation by meaningfully addressing the current governing majority’s most legitimate demands: demarcating Syrian-Lebanese borders; amending bilateral agreements signed when Syria thoroughly dominated its neighbour; and accepting credible international mediation on the issue of Lebanese citizens who disappeared in Syrian jails.

In Iraq, France could take advantage of Syria’s network of relations to reach out to a larger segment of the Sunni Arab community. In so doing, it might set the stage for a U.S. effort to engage more broadly with members of that community who remain outside the political process and are not part of the “awakening” councils. French mediation in this area potentially could produce genuine cooperation between the U.S. and Syria, going beyond Washington’s illusory quest for Damascus to hermetically seal its border with Iraq.

Finally, Paris might test Damascus’s willingness to play a constructive role in the Israeli-Palestinian conflict. The ongoing Gaza conflict offers an opportunity in which France could ask Syria to influence Hamas and ensure that, once there is a workable ceasefire, it either accepts an equitable deal with Fatah or endorses the Arab Peace Initiative if that would remove the last obstacle to establishing a Palestinian unity government. To those ends, of course, France will need to take the lead in forging a European approach that is complementary rather than subordinate to the U.S. and that pragmatically assesses when and how to conduct a dialogue with the Islamist movement.

However, President-elect Obama’s team can already garner important lessons from France’s always energetic, often impulsive and at times contradictory approach:

  • To begin, in the wake of a long hiatus in bilateral relations – a feature of President Chirac’s and President Bush’s tenures – both sides likely will require a significant period of mutual observation and trust-building. Quick results, in other words, ought not to be anticipated. Next, any successful relationship must be based on clear and steady objectives rather than an endless list of demands.
     
  • Patience during negotiations is as important as swiftness when opportunity strikes. Haste, when Sarkozy displayed overenthusiasm, at best was futile, at worst encouraged Damascus to harden its position and play for time. But by immediately welcoming and rewarding Syria’s first positive gestures, France bolstered its credibility while nudging Damascus to move. There should be no hesitation to halt dialogue if events warrant, while maintaining informal communication to allow quick reaction at the appropriate moment. For Washington’s new team, this entails immediately acknowledging and reciprocating positive steps and penalising negative ones.
     
  • Finally, there are lessons for those in the U.S. who bank on a Syrian-Iranian split. This will not occur, at least under current circumstances. However, the willingness to normalise relations with France suggests the regime wishes to diversify its strategic alliances. Washington should promote such a trend, which inevitably would dilute Iran’s importance in Syria’s eyes and facilitate a gradual reconfiguration of its regional alliances.

Even with the best of intentions, U.S.-Syria relations will be difficult. Beyond looming crises – whether over the International Atomic Energy Agency’s investigation into Syria’s nuclear program or the international tribunal on the Hariri assassination – the two governments must come to terms with the legacy of an unhealthy relationship, full of distrust and misunderstanding, that deteriorated in the Bush years but did not originate then. The new president’s advisers could do far worse than reflect on the trials and errors of the current Franco-Syrian rapprochement.

Damascus/Brussels, 15 January 2009

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