France-Syrie, l'heure de vérité
France-Syrie, l'heure de vérité
Op-Ed / Middle East & North Africa 4 minutes

France-Syrie, l'heure de vérité

Pour la France et la Syrie, l'heure de vérité est sur le point de sonner. L'ultimatum lancé par le président Sarkozy - élection d'un nouveau président libanais d'ici le samedi 22 décembre, ou dégradation considérable des relations entre les deux pays - représente un tournant. Sans issue positive, la Syrie risque de sacrifier les succès engrangés ces derniers mois.

Après de longues années durant lesquelles l'administration Bush s'essaya à marginaliser Damas, la Syrie a vu subitement s'ouvrir des perspectives de rapprochement avec les Etats-Unis, le monde arabe et la France. Les rencontres entre la secrétaire d'Etat Condoleezza Rice et son homologue syrien furent suivies d'une invitation pressante à assister à la conférence d'Annapolis le 27 novembre. Vint également la visite surprise du roi de Jordanie à Damas le 18 novembre, mettant fin à une longue période d'ostracisme et annonçant peut-être le retour de la Syrie dans le giron arabe à l'occasion du prochain sommet arabe, à Damas, en mars 2008. Pour finir, l'initiative du président Sarkozy, délesté du ressentiment personnel de son prédécesseur, a consacré le rôle syrien dans la gestion de la crise libanaise.

Embellie spectaculaire et riche en possibilités, mais ô combien fragile et réversible. L'administration américaine demeure sceptique et divisée. Rice et le département d'Etat ont fait valoir les efforts accrus de la Syrie pour sécuriser sa frontière avec l'Irak ainsi que sa présence constructive à Annapolis. Mais la secrétaire d'Etat elle-même n'est qu'à moitié convaincue. Pire, une partie des conseillers de Bush guette la première occasion pour renvoyer Damas dans l'axe du mal et prouver que tout dialogue conforte le régime sans en changer le comportement. L'Arabie Saoudite, pivot de tout retour en grâce dans le monde arabe, reste également sur la réserve ; elle ne pardonnera pas facilement à Damas ses insultes répétées, son implication présumée dans l'assassinat, en 2005, du leader libanais Rafic Hariri et son alliance avec l'Iran.

Quant à la France, Sarkozy a les défauts de ses qualités. Amateur de risques pour qui seul compte le succès, il est aussi prompt à l'emballement qu'au désenchantement. Il a déjà beaucoup misé sur son partenariat avec le président syrien, allant jusqu'à convaincre l'hôte de la Maison Blanche de lui laisser la gestion de la question libano-syrienne. Le retour de bâton, en cas d'échec, n'en sera certainement que plus brutal. Humilié, Sarkozy sera accusé de naïveté par les Etats-Unis et se rangera, n'en doutons pas, au premier rang des détracteurs de Damas.

D'où l'importance de l'élection présidentielle libanaise. Qu'elle se tienne avant la fin de l'année et Sarkozy tiendra sa victoire, débouchant sur une relance massive des relations franco-syriennes et renforçant sa capacité de liaison entre la Syrie et les Etats-Unis. Si, au contraire, l'impasse libanaise se prolonge, si l'Elysée abandonne ses efforts face à la passivité, voire l'obstruction de Damas, c'est tout l'édifice qui s'écroulera. A Paris comme à Washington et Riyad, la reconversion se fera d'autant plus aisément que la foi y est précaire.

Certes le régime syrien y survivrait ; il a déjà démontré sa capacité à absorber les coups et même à en tirer profit. Mais il aura laissé s'envoler une rare opportunité et ce gâchis minera d'emblée toute dynamique de rapprochement avec la prochaine administration américaine.

Pour éviter cela, la Syrie et la France auront à résister à plusieurs tentations. Pour Damas, il existe celle du vide libanais, qui coûte davantage à la majorité anti-syrienne qu'au Hezbollah, son allié clé. Mais le président Bachar Al-Assad doit mettre dans la balance ses relations avec le monde occidental et arabe. Son homologue français peut l'y aider, en insistant sur les retombées positives d'une coopération dans le dossier libanais et sur les conséquences désastreuses du contraire.

De son côté, la France pourrait succomber à la tentation de caricaturer le rôle à attendre de la Syrie. Bien sur, ses leviers sont importants : le Hezbollah dépend entièrement de Damas pour son approvisionnement en armes, et ses autres partenaires sont plus maniables encore. Mais le parti islamiste a des lignes rouges que même Damas ne pourra lui faire franchir (protection de ses armes, des intérêts chiites et de son alliance avec les forces chrétiennes du général Aoun, qui lui évite une identité purement sectaire). Quant à Aoun, il n'est en rien subordonné aux desiderata syriens. Or c'est lui qui s'estime lésé par le choix du général Michel Suleiman comme prochain président et qui s'y oppose avec acharnement.

A la Syrie, donc, la tâche de convaincre ses alliés. En signe de bonne foi, ils doivent abandonner la multiplication de réclamations fluctuantes et, pour certaines, infondées. Il s'agit désormais de s'en tenir à une liste de revendications claires, délimitées et justifiées. A la France revient le devoir d'approfondir son travail de médiateur, en mettant en particulier l'accent sur le général Aoun. Personnage difficile, certes. Mais n'oublions pas que l'option Suleiman a été conçue pour le neutraliser en sapant sa popularité parmi les chrétiens. Tant que cela restera l'objectif, Aoun ne s'y pliera pas et ses alliés chiites ne l'abandonneront pas. Pour qu'il accepte Suleiman, Aoun aura besoin de compensations politiques. Il n'acceptera de renoncer à la présidence qu'à la condition de devenir le héros des chrétiens.

Depuis sept ans maintenant, la politique américaine envers la Syrie court d'échec en échec. La voie inédite choisie par la France offre enfin la chance de prouver que le dialogue peut obtenir ce que la pression à sens unique ne peut pas.

Contributors

Profile Image
Profile Image

Subscribe to Crisis Group’s Email Updates

Receive the best source of conflict analysis right in your inbox.