La Syrie doit rechercher une troisième voie
La Syrie doit rechercher une troisième voie
Op-Ed / Middle East & North Africa 4 minutes

La Syrie doit rechercher une troisième voie

Le pouvoir syrien s'est longtemps distingué du reste de la région par une posture stratégique en phase avec les sentiments populaires. Le soutien à la résistance face à Israël, les Etats-Unis et leurs alliés locaux mobilisaient l'opinion publique ; plus généralement, un bilan largement perçu comme positif en politique étrangère occultait un bilan négatif en politique intérieure.

L'ordre des priorités vient cependant d'être inversé par des mouvements de mobilisation spontanés qui se centrent autour de questions où la Syrie ne fait pas exception : la confusion entre argent et pouvoir, le paternalisme des élites, la répression des critiques, y compris les plus légitimes, l'instrumentalisation des divisions sociales, etc. Aussi les sociétés de la région apparaissent-elles décidées à ne plus tolérer tout ce à quoi elles semblaient résignées à jamais.

A mesure que la région se transforme, chacun doit se réinventer pour faire face à de puissantes attentes et aux défis d'une nouvelle ère. Les discours et attitude conçus dans l'ère précédente ne peuvent qu'apparaître décalés aujourd'hui.

Or le régime syrien, paradoxalement, s'efforce justement de se montrer sous l'angle de la continuité. Bien qu'il multiplie les signes tacites d'inquiétude - en distribuant subitement de l'argent aux nécessiteux, en sommant les responsables d'entendre toutes les doléances, ou encore en réprimant de plus en plus brutalement des manifestations jusqu'à présent pacifiques -, il insiste ostensiblement sur le fait qu'aucune de ses actions ne répond à de quelconques pressions.

La résistance aux pressions est un leitmotiv d'un pouvoir à qui cette logique a presque toujours réussi - et qui en a fait une de ses particularités les plus notables. A ce jour, le régime n'a plié devant aucun de ses ennemis, et met un point d'honneur à prendre des décisions-clés au moment qu'il a lui-même choisi.

Même en matière de réformes politiques, Damas a repoussé toute initiative sérieuse au nom d'une inertie de principe tant que dureraient les appels domestiques et occidentaux à plus d'ouverture. Mais se posent désormais les questions suivantes : pourra-t-il résister aux pressions internes et régionales ? Le régime a-t-il le loisir d'attendre l'instant de son choix ? Saura-t-il se réinventer dans l'urgence, lui qui s'est toujours fié à des constantes ?, et, s'il le fait, qu'a-t-il à offrir qui puisse encore convaincre ?

Dans l'ensemble, les régimes de la région opposent aux nouveaux défis qu'ils rencontrent des réactions étonnamment semblables. Ils peinent à se défaire de leurs vieilles habitudes. Ils font valoir leur popularité, traitant les manifestations comme des phénomènes minoritaires ou des complots ourdis à l'étranger. Ils mobilisent d'étroites bases sociales, déploient leurs sbires en civil et montent des contre-manifestations. Ils offrent des concessions insuffisantes, vagues ou tardives, mais surtout répriment et attisent la peur du chaos.

La plupart d'entre eux se refusent à voir que ces mobilisations populaires sont tout à la fois imprévisibles, incontrôlables et contagieuses, qu'elles se répandent sans discours idéologique ni représentants, et que tous les registres traditionnels ne s'appliquent plus. A cet égard, Damas doit à nouveau faire la preuve d'une "exception syrienne", dans des circonstances elles-mêmes exceptionnelles - et pas, faut-il l'espérer, à la manière d'un Mouammar Kadhafi.

Pour l'instant, toutes les mesures prises par le régime suggèrent la difficulté que le pouvoir rencontre à changer ses habitudes - et donc à convaincre sa population d'un changement possible et profond. De nébuleuses promesses de réformes sont faites par des responsables, le plus souvent à des visiteurs étrangers, sans précision sur leur contenu spécifique, le projet d'ensemble dans lequel elles s'insèrent, ou la mise en place d'un quelconque mécanisme participatif pour en affiner la direction.

Cependant, les incidents se multiplient, à plus ou moins grande échelle, conduisant à une escalade de la répression, comme si celle-ci avait la moindre chance de faire autre chose qu'aiguillonner les mécontentements. La presse officielle, comme souvent, parle de tout sauf de l'essentiel, renforçant une perception du régime reposant sur ses actes présents, et non sur de quelconques propositions d'avenir.

Le président syrien, qui a su cultiver une certaine popularité à titre individuel, notamment grâce à ses succès en politique étrangère, dispose en théorie d'un capital politique qu'il serait grand temps d'investir, au service d'une vision pouvant servir de troisième voie entre la perception du statu quo et les incertitudes d'un bouleversement. Mais ce capital peut se dévaluer rapidement.

La résurgence d'un culte de la personnalité régressif, les apparitions présidentielles paternalistes (sans gardes du corps ou pour l'inauguration de tel ou tel projet), et les rencontres avec les délégations de passage ne constituent pas une forme de leadership adaptée aux circonstances : confiance en soi et reconnaissance internationale sont au mieux des composantes d'un projet collectif à mettre en oeuvre, mais reste à savoir lequel.

La résistance, très bien, mais quid de la Syrie ? Pendant ce temps, on voit mal comment une répression grandissante, qui se fait nécessairement sous la responsabilité du président et en son nom, pourrait servir de base à un tel projet.

Des mesures élémentaires, actuellement en discussion, telles que l'introduction à terme de nouvelles lois électorales, la lutte contre une corruption endémique et quelques projets de développement, suffiront-elles ? Non. Seront-elles perçues comme des concessions conduisant à davantage de demandes ? Bien sûr.

Personne dans la région ne peut croire qu'il n'y a pas un prix élevé à payer pour des décennies de retard. Ce prix n'est autre qu'une transformation en profondeur des structures et des pratiques du pouvoir, vers une participation politique véritable, une redistribution économique équitable, et une normalisation des relations avec des pans entiers de la société, le tout sur la base d'un dialogue à engager immédiatement plutôt que des actions discrétionnaires.

Ce prix doit être accepté d'emblée, et sera toujours moindre que le coût collectif d'une dynamique de confrontation.
 

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